AL-FARABI (259-339 H/872 339 Hh/950) ‘Ammar al-Talb i 1 De tout temps, les penseurs se sont posés la question de savoir ce qu’il faut que l’être humain apprenne pour être de son époque, vivre intelligemment dans sa société et être un citoyen utile tout à la fois à lui-même et à sa communauté, d’où l’importance de l’éducation. Dans celle-ci, ce sont les objectifs qui priment ; les moyens de les atteindre ne viennent qu’ensuite. Or c’est à la philosophie qu’il incombe de déterminer ces objectifs, et là, elle peut se trouver en position conflictuelle avec la religion ; à cet égard, la civilisation islamique a connu bien des controverses entre docteurs de la Loi ( fuqaha’ ) et philosophes qui avaient, les uns et les autres, leur opinion en matière de gnoséologie. La présente étude a pour objet de mettre en évidence la dimension éducative dans le système philosophique d’Abu Nasr al-Farabi, aspect fort peu connu, les chercheurs s’étant surtout intéressés à la logique, à la métaphysique et à la politique en négligeant sa conception de l’éducation. Ils savent pourtant qu’al-Farabi a étudié la République de Platon et que cette œuvre, qui l’a sans nul doute influencé, porte essentiellement sur l’éducation, comme en conviennent d’ailleurs les historiens de la philosophie 2 . Al-Farabi pouvait d’autant moins ignorer cette dimension de la philosophie platonicienne qu’il a rédigé un résumé des Lois de Platon, ouvrage qui présente, on le sait, ses ultimes pensées sur l’éducation. Qui est donc al-Farabi et quelle est sa conception de l’éducation ? Al-Farabi naquit à Wasij, dans le district de Farab, au Turkestan, en 872 (259 de l’Hégire) dans une famille de nobles. Son père, d’origine persane, avait exercé un commandement militaire à la cour turque. A Bagdad, al-Farabi étudie la grammaire, la logique, la philosophie, la musique, les mathématiques et les sciences ; il y suit l’enseignement de Abu Bishr Matta b.Yunus (mort en 942/329 H), célèbre traducteur et commentateur des philosophes grecs ; à Harran, il fut disciple du nestorien Yuhanna b. Haylan (mort en 941/328 H). Il appartient donc à l’école philosophique d’Alexandrie qui s’était installée successivement à Harran, Antioche et Merv avant de se fixer à Bagdad. Au cours de ses années d’études, al-Farabi accumule une connaissance telle de la philosophie qu’elle lui vaudra le surnom de « Second Maître », par référence au « Premier Maître », Aristote. En 943 (330 H), il s’installe à Alep où il devient membre du cercle littéraire de la cour de Sayf al-Dawla Hamdani (mort en 968/356 H). Al-Farabi aime à s’isoler dans la nature pour méditer et écrire et c’est sans doute parce qu’il désespère de réformer sa société qu’il verse dans le soufisme. Ses voyages l’amènent en Égypte et c’est à Damas qu’il s’éteint en 950 (339 H) à l’âge de quatre-vingts ans 3 La grande passion d’al-Farabi est de comprendre l’univers, l’être humain et la place que celui-ci y occupe, en vue de parvenir à une représentation globale du monde et de la société. Il étudiera avec soin la philosophie de l’Antiquité, en particulier celle de Platon et d’Aristote, s’imprégnant d’éléments platoniciens et néoplatoniciens, qu’il intègre à la civilisation arabo-islamique dont la principale source est, on le sait, le Coran et les diverses sciences qui en dérivent.