Traditions et développement Parfois, « le mieux estl’ennemi du bien »
par Johannes Jütting, Denis Drechsler et Indra de Soysa
♦Les institutions informelles – traditions, normes sociales, pratiques religieuses…– peuvent tantôt favoriser développement, tantôt lui faire obstacle. ♦Tout effort pour faciliter le changement de ces institutions nécessite de prendre la pleine mesure des réalités locales et d’apprécier finement l’équilibre entre le cadre institutionnel formel et les institutions informelles en place. ♦Faire la paix avec la tradition requière des choix politiques contre intuitives, et d’accepter que parfois « le mieux est l’ennemi du bien ».
Le développement durable nécessite des institutions formelles et informelles bien coordonnées et efficientes. Dans les pays en voie de développement, le droit, les conventions et les mécanismes de régulation formels sont souvent inopérants. Par défaut, les institutions informelles – les traditions, la culture, la religion et les normes sociales en général – jouent un rôle crucial. La confiance, la solidarité et la cohésion sociale sont le trépied des identités communautaires et peuvent même jouer un rôle important en faveur du développement. C’est ce rôle qu’a salué le Comité Nobel en attribuant le prix Nobel de la Paix 2006 à la Grameen Bank et à son créateur, Muhammed Yunus.
Cependant, les institutions informelles ne contribuent pas toujours positivement au développement. Parfois même, elles contreviennent aux Droits de l’homme. Comment, dès lors, décider lesquelles de ces institutions doivent être « réformées » ? Comment accorder les régulations formelles aux institutions informelles ? Enfin, comment faire évoluer ces institutions sans faire plus de mal que de bien ?
Les bons et les mauvais côtés des institutions
Les institutions sont les « règles du jeu » des sociétés : si tout le monde les connaît et les respecte, elles peuvent réduire les coûts de transaction et favoriser une économie de marché « saine ». L’exemple de la Grameen Bank montre que des institutions sociales peuvent permettre même aux
plus pauvres d’avoir accès au crédit et aux marchés de l’assurance. Ainsi, les sociétés fonctionnent mieux quand les institutions informelles adaptent ou complètent les institutions formelles ; dans le cas de la Grameen Bank, l’efficacité du système de crédit formel repose sur la pression sociale générée par le cadre institutionnel informel.
La solidarité basée sur les liens de parenté, l’entraide familiale et le capital social est souvent le fondement de systèmes de sécurité sociale non étatiques dans les pays en voie de développement. Les exemples des groupes de crédit et d’épargne en Amérique latine, des systèmes d’assurance maladie basés sur les liens communautaires en Asie du Sud et des associations de pompes funèbres en Afrique sub saharienne témoignent de la variété de ces systèmes.
Ces institutions informelles peuvent toutefois gêner la croissance économique et le développement social. Si la pression socialeau Bénin exige d’un fermier qui travaille dur de partager son argent difficilement gagné avec sa famille élargie, parfois même avec des parents très éloignés, son incitation au travail et sa propension à épargner en vue d’investissements futurs peuvent en être fortement érodés.
Outre ces effets économiques, d’autres institutions informelles, comme les mariages forcés ou l’excision des femmes, violent gravement les droits de l’homme. Promouvoir la justice sociale, l’égalité des sexes et les droits de l’homme implique souvent de modifier des traditions locales vieilles de plusieurs siècles.
Les opinions exprimées dans cet exposé sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de l’OCDE, du Centre de développement ou de leurs pays membres