Les procédures électroniques de gestion des achats publics
Etabli par
Eric GARANDEAU Inspecteur des Finances
Sous la supervision de Jacques BAYLE et de Jean Pierre JOCHUM Inspecteurs Généraux des Finances
- MAI 2001 -
RESUME DU RAPPORT
Limplantation de procédures dachat électroniques dans les administrations françaises est une nécessité dautant plus forte que la plupart des administrations des pays industrialisés ont déjà commencé à se doter de dispositifs dachat dématérialisé, certains depuis le début des années 1990, ce qui renforce leur compétitivité et exerce un effet dentraînement positif sur le reste de léconomie. Ainsi les Etats-Unis réalisent une part importante de leurs achats par lintermédiaire dune centrale dachats (GSA) utilisant couramment des procédures électroniques passant par la mise en ligne de catalogues de fournisseurs, jusquà la gestion des commandes et des paiements (virement électronique et cartes dachats). Les administrations australienne, canadienne, britannique, finlandaise, etc. utilisent également les ressources de linternet et des places de marchés en ligne pour tirer partie de leur puissance de marché et des économies déchelle liées à la centralisation des commandes et la dématérialisation de leur gestion. Des réflexions approfondies sont également conduites en Italie, en Autriche, en Espagne et en Suède, pour moderniser les centrales dachats existantes ou en créer de nouvelles appuyées sur des procédures dématérialisées. En France, malgré des initiatives innovantes dans quelques ministères techniques (ministère de la Défense, de lEquipement) et certaines entreprises publiques (RATP, France Télécom), le recours aux procédures électroniques reste encore considéré avec méfiance. De fait, lefficacité de lachat public reste encore souvent jugée sur la base du simple respect de lapplication des procédures du Code des marchés publics, qui ne sont pas elles-mêmes prioritairement fondées sur lobjectif de lefficacité, entendue comme la recherche du meilleur rapport qualité prix et de la meilleure adéquation de la solution dachat au juste besoin. Dans ce contexte, lachat public est aujourdhui un gisement déconomies considérable, et le recours aux procédures électroniques peut permettre de maximiser ses gains, tout en permettant dassurer le respect des principes de transparence et dégalité devant la commande publique, sous des formes rénovées. Quil sagisse desavantages liés à la dématérialisationelle-même réduction des délais de procédure, traitement intégré duworkflow,capitalisation de linformation sur les achats (fournisseurs, produits et prix) ouà laugmentation du degré de concurrence lié à laccès instantané au marché mondialet damélioration de la réponse au besoin exprimé, les, synonyme de baisse des prix gains liés au recours à lélectronique sont en effet considérables. Pour autant, leur développement doit néanmoins êtreadaptéau type dachat et dacheteur et sinstaurer de façonprogressivepour tenir compte des contraintes réglementaires, techniques, et surtout humaines. Il ne saurait y avoir un système uniquetous les types dachats, ni même etpour gérer surtout de système unique pour la gestion de tout le processus dachat. La phase « amont », de lidentification du besoin à la signature du contrat, et la phase « aval », celle de lexécution des commandes, impliquent en effet des traitements différents. Le système retenu doit donc reposer sur une conception «durbanisme informatique », cest-à-dire sur un assemblage coordonné despaces et de blocs autonomes et évolutifs. Le seul système dont lunicité soit envisageable concerne la gestion delaval, cest-à-dire le traitement des procédures dexécution des contrats (workflow). Sur la base des logiciels de gestion financière et comptable développés au sein du projet ACCORD, destinés à renouveler linformatique de gestion des administrations publiques, des modules de gestion des achats pourraient ainsi être greffés, et articulés avec les systèmes de gestion des fournisseurs de ladministration via une interface
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informatique pouvant être localisée dans ladministration elle-même ou auprès dun prestataire privé (place de marché). Le paiement lui-même pourrait être automatisé sous forme de virements électroniques et de cartes de paiement, à limage des programmes développés à létranger (Australie, Etats-Unis, Royaume-Uni) et déjà expérimentés en France (RATP notamment). Sagissant de laphase amont, de la prospection des fournisseurs jusquà la passation du contrat en passant par lexpression fonctionnelle du besoin, il convient de laisser une marge de manuvre aux administrations en fonction de la nature de leurs achats. Lesplate-formes verticales permettant lintégration des relations avec les prestataires et les sous-traitants participant à un même processus de production sont adaptées aux administrations participant à unprocessus de type industriel, telles que la Délégation Générale aux Armements (DGA), voire également le ministère de lEquipement (marchés de travaux). Ces deux ministères ont dailleurs déjà lancé des initiatives sur leur périmètre dactivité. Lesachats transversauxdes administrations (fonctionnement courant, fournitures, prestations de services simples) pourraient être traités par lintermédiaire dune ou plusieursplaces de marché horizontalesla dématérialisation des procédures de passation des. Dune certaine façon, contrats et de gestion des commandes réhabilite les dispositifs de centralisation des achats, mais sans tomber dans les travers des centrales dachat traditionnelles : dans le respect de contrats cadres négociés par la direction générale voire par un organisme négociant pour le compte de plusieurs administrations, les acheteurs et utilisateurs situés dans ces administrations, parfois dans des services déconcentrés, pourraient conserver leur autonomie et leur pouvoir de déclenchement et de gestion des commandes individuelle, sans un passage obligé par lorganisme centralisateur. Outre les répercussions sur le droit de la commande publique, quil convient dassouplir sans délai, le développement des procédures dématérialisées aura unimpact sur les ressources humaines et sur lorganisation. Les fonctions amont liées aue-sourcingrequerront des compétences humaines à forte valeur ajoutée. En aval, lautomatisation de la chaîne de traitement des approvisionnements (e procurementlibèrera des énergies qui pourront être employées à la surveillance et lamélioration du) nouveau système de gestion. Sagissant de lorganisation, les procédures dachat dématérialisées doivent être développées en sinsérant dans unepolitique globale de modernisation de la fonction dachat dans les administrationsque des instruments à mettre au service. De fait, les dispositifs informatiques ne sont dune politique, et leur utilité serait nulle si lapprovisionnement des administrations restait exclusivement organisé en fonction des procédures de passation des marchés publics, qui ne constituent quun tronçon limité de la fonction dachat. Aussi la pleine efficacité des procédures dématérialisées ne peut être atteinte que si celles-ci viennent sinsérer dans une démarche de spécialisation et de la professionnalisation de la fonction dachat et dacheteur autour des nouvelles fonctions de la politique dachat : analyse stratégique des achats passés,benchmarkingdes performances,marketingachat, veille technologique, et négociation professionnelle pour certains types de produits. Cette politique doit elle-même être articulée avec les autres chantiers de modernisation de la gestion publique, en particulier lintroduction dune gestion orientée vers les résultats et les performances, dont les nouveaux outils sont la réalisation dun système dinformation et de gestion efficace de la dépense publique, et la généralisation des dispositifs de contrôle de gestion. * Pour conclure, le recours aux procédures dématérialisées est un instrument daccélération du changement, mais doit saccompagner dans une réflexion et un mouvement dévolution des procédures et de lorganisation de lachat au sein des administrations.
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SOMMAIRE DU RAPPORT INTRODUCTION5 I. ENJEUX : DES PROCÉDURES DACHAT MODERNISÉES EN AMONT ET UNE GESTION INTEGREE DUWORKFLOWEN AVAL7 A. LA PHASE DACHAT,DE LA DÉFINITION DU BESOIN À LA PASSATION DU CONTRAT8 1. La définition du besoin et la recherche de fournisseurs (strategic sourcing)8 2. La communication avec les entreprises et la transmission des offres9 3. L analyse des offres et choix du prestataire12 4. Description du système cible14 B. LA PHASE DEXÉCUTION DES MARCHÉS15 1. Les principes : dématérialiser, intégrer, automatiser16 2. Description du système cible19 C. LES PROCÉDURES ÉLECTRONIQUES COMME INSTRUMENT DE MODERNISATION DE LA POLITIQUE DORIVAPPNTMENEONSI21 1. Au delà des gains defficacité directs liés à la dématérialisation et lautomatisation des phases amont et aval, les procédures électroniques sont un outil damélioration de la gestion globale des achats.21 2. Une mise en uvre qui implique un travail dexpertise : ébauche dune méthode.24 II. CONTRAINTES : GARANTIR LA TRANSPARENCE, LEGALITE ET LA SECURITE DES PROCÉDURES25 A. LES CONTRAINTES RÉGLEMENTAIRES SONT IMPORTANTES25 1. Lachat en ligne suppose que tous les fournisseurs recourent aux procédures électroniques sans rompre le principe dégalité des chances25 2. Lachat en ligne implique dintroduire des dérogations aux règles portant sur lexamen des offres27 3. Lobligation dune mise en concurrence entre pouvoirs adjudicateurs est aussi une contrainte qui pèse sur la définition du système cible28 4. La question de la signature électronique vient dêtre résolue au plan juridique.29 B. LES DIFFICULTÉS TECHNIQUES PORTENT SUR LA SÉCURITÉ INFORMATIQUE31 1. La définition dun système de double enveloppe et danalyse automatisée des offres semble techniquement possible31 2. Les difficultés techniques concernant la sécurité dépendent du niveau de sécurisation voulu32 III. UNE MISE EN UVRE PROGRESSIVE : IMPLANTER UNE INTERFACE ELECTRONIQUE POUR LA GESTION DES ACHATS TRANSVERSAUX34 A. LA MODERNISATION DE LA GESTION DU WORKFLOW DES ACHATS DOIT ÊTRE POURSUIVIE DANS LE PROLONGEMENT DU SYSTÈMEACCORD34 1. ACCORD devrait favoriser la constitution dun système dinformations efficace, indispensable à la définition et au pilotage des politiques dachat34 2. Sil est prolongé par une interface fournisseurs et sil saccompagne dune simplification des procédures administratives, ACCORD devrait permettre un traitement accéléré du workflow des achats.36 3. Le recours aux cartes dachat (purchasing card) devrait également favoriser des achats rapides et efficaces.38 B. LA PHASE«AMONT» :LIMPLANTATION DUNE INTERFACE ÉLECTRONIQUE ENTRE LADMINISTRATION ET SES FOURNISSEURS41 1. Léventail des choix41 2. La nécessité darticuler la place de marché « amont » avec la gestion « aval » du workflow des achats milite en faveur du recours à une centrale dachat dun type nouveau44 CONCLUSION45 ANNEXE N°1 FONCTIONS DES PLACES DE MARCHÉ DU SECTEUR PRIVE47 ANNEXE N°2 GLOSSAIRE DES TERMES TECHNIQUES60 ANNEXE N°3 LISTE DE SITES INTERNETS CONSULTES64 4
INTRODUCTION
Labondance de la documentation disponible sur les places de marchés et le commerce électronique contraste avec le nombre et létendue des réalisations concrètes dans le secteur privé et plus encore dans le secteur public. Dans la sphère publique, lusage de linternet reste encore souvent réduit à la fonction datrmfoinion.la diffusion dinformations de ladministration vers les entreprises sousIl sagit de forme de publication des appels doffres et, en sens contraire, de la recherche par les administrations dinformations sur les fournisseurs potentiels, par consultation de sites WEB ou en recourant à des intermédiaires tels que les places de marché électroniques. Ces informations portent le plus souvent sur les coordonnées des entreprises, leurs qualifications, leurs catalogues de produits et de prestations ainsi que leurs prix. En France, mais aussi dans un grand nombre de pays européens, les stades ultérieurs de la communication, à commencer par la transmission en ligne des dossiers de consultation des administrations, et, en sens inverse, lenvoi dématérialisé des soumissions des entreprises, ne sont que rarement opérationnels. Pour linstant, ce nest donc que sur létendue des informations disponibles et la rapidité des échanges1 que linternet diffère des médias traditionnels (lettres, journaux officiels, revues et publications spécialisées). Ces avantages sont dailleurs quasiment les seuls que permettraient les nouveaux textes codifiant les procédures de marchés publics au niveau communautaire. Ainsi,le projet de directive communautairerelative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, de services et de travaux prévoit en son article 39 la possibilité suivante :« les demandes de participation aux procédures de passation des marchés publics peuvent être faites par moyens électroniques, par lettre ou par télécopieur. Dans les procédures restreintes et négociées accélérées, les demandes de participation doivent être faites par les voies les plus rapides possibles ».Larticle 42 évoque aussi la possibilité, pour toutes les «communications et échanges dinformations »,de recourir aux« moyens électroniques ». La rapidité, lefficacité et la transparence sont les principaux avantages mis en avant par la Commission européenne. Néanmoins, au stade du projet actuel, cela ne se traduit que par une faible réduction des délais minimums légaux : réduction de 5 jours des délais de réception des offres2. Le reste du processus dachat reste régi par les procédures traditionnelles. Il est néanmoins possible que les réflexions en cours au sein de la Commission européenne portant sur le commerce électronique permettent daller au delà de ces dispositions initiales. Le droit françaisprésente quant à lui deux ouvertures intéressantes dans la mesure où la section 8 du nouveau Code des marchés publics (article 56) prévoit non seulement la possibilité de recourir à la transmission dématérialisée des dossiers de consultation et des soumissions, mais aussi détendre les procédures électroniques au processus de sélection des offres, selon un système denchères inversées. Cette disposition reste néanmoins soumise à un décret dapplication.
1 Rapidité lié au caractère immédiat de la transmission mais aussi à léconomie des double saisies et des contrôles, les entreprises nayant plus quà remplir les cases des formulaires téléchargés, et ladministration pouvant plus facilement vérifier le respect du contenu des cahiers des charges types. Cela suppose néanmoins la mise au point de documents normalisés, qui serait en soi un progrès. 2 le nouveau code français perpétue les délais anciens Dailleurs 37 jours pour la réception des candidatures, : plus 40 jours pour la réception des offres dans la procédure dappel doffres restreint.
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Larticle 56 dispose ainsi : « les échanges dinformations intervenant dans le cadre du présent code peuvent faire lobjet dune transmission par voie électronique. 1° Le règlement de la consultation, la lettre de consultation, le cahier des charges, les documents et renseignements complémentaires peuvent être mis à disposition des entreprises par voie électronique dans des conditions fixées par décret. 2° Les candidatures et les offres peuvent également être communiquées à la personne morale de droit public par voie électronique, dans des conditions définies par décret. Les personnes morales de droit public ne pourront en tout état de cause refuser une candidature ou une offre présentée par voie électronique à compter du 1erjanvier 2005. 3° Un décret précisera les conditions dans lesquelles des enchères électroniques pourront être organisées pour lachat de fournitures courantes. 4° Les dispositions du présent code qui font référence à des échanges décrits ne font pas obstacle à leur remplacement par un échange électronique ».
* Compte tenu du manque de précision entourant parfois les concepts liés aux procédures électroniques, la première partie de ce rapport tente de les définir pour mieux cerner leurs enjeux dans un environnement public, en distinguant les fonctions spécifiquement électroniques de celles qui peuvent également sappliquer dans un environnement traditionnel3. Il est avéré en effet que les procédures électroniques ne sont quun outil au service dune stratégie dapprovisionnement et dune politique dachat, et que leur efficacité dépend avant tout de la qualité de lorganisation générale de la fonction dachat dans laquelle elles doivent sinscrire. La deuxième partie traite des contraintes techniques et juridiques qui pèsent sur leur introduction dans lenvironnement public, et la troisième dessine quelques pistes portant sur leur réalisation concrète, à la fois au niveau « amont » (phase de lachat) et au niveau « aval » (gestion des achats effectués). Sagissant des places de marché privées stricto sensu, lannexe n°1 décrit en détail leurs fonctionnalités.
3Ainsi les prestations de service telles que lestrategic sourcingla consultation de bases de données achatsou sont fournies par les places de marché électroniques mais aussi par les cabinets de conseil.