Les nouvelles technologies
et l'appropriation du savoir :
de l'information à la connaissance
Catherine PASCAL & LiseVIEIRA
ISIC (Institut des Sciences de l'Information
et de la Communication),
Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3
Les technologies d’information et de communication offrent des
perspectives extrêmement intéressantes et novatrices en matière d’édition
électronique et de formation. Les systèmes d’information pédagogique se
métamorphosent, des dispositifs se mettent en place, exploitant de plus en
plus les possibilités du multimédia. Dans une approche cognitiviste,
l’utilisation de ces nouveaux outils pose de façon renouvelée la question de
l’acquisition des connaissances. L’interactivité, les systèmes hypertextes et
hypermédias développés par les nouvelles technologies de l'information et
de la communication favorisent des procédures combinatoires. Cela a pour
double effet de rompre avec les méthodes pédagogiques classiques et
d’inaugurer de nouveaux modes d’approche du savoir. Les NTIC seraient-
elles l’instrument privilégié du passage de la formation à l’information et de
l’information à la connaissance ?
D’autre part, qu’il s’agisse de produits implantés sur supports fixes ou
diffusés sur réseaux, l’édition électronique entraîne un mouvement de
décentralisation, de vulgarisation des ressources et donc d’autonomie des
usagers. Quelle influence cela aura-t-il sur la formation, sur les contenus et
les méthodes, sur les enseignants et les publics d’apprenants ? Plusieurs
établissements ont déjà largement intégré l’utilisation des outils
électroniques à leur pédagogie et ce mouvement ne fait que s’accroître.
COMMUNICATIONS & STRATEGIES, n° 33, premier trimestre 1999, p. 119.n
n
120 COMMUNICATIONS & STRATEGIES
Cependant, cela amène les différents acteurs du système éducatif, qui
reçoivent ces évolutions de façon diverse, à s’interroger sur leur mission.
Stratégies et enjeux de la pédagogie multimédia
Des systèmes d’information pédagogique, basés sur les techniques
multimédias, ont été mis en place, en tenant compte des impératifs de la
vie économique. Il est à noter qu’Internet a fait son entrée dans les
( 1 )é c o l e s en même temps que dans les entreprises et cette simultanéité
tend à le légitimer au plan de l’efficacité. L’effet de mode s’estompant, le
réseau est en train de se dégager des idées reçues. De moins en moins
considéré comme un gadget, il atteint le statut d’outil de travail. Sensibles à
cette évolution, les établissements d’enseignement supérieur ressentent de
plus en plus la nécessité d’être branchés sur le réseau de manière active.
La simple Home Page, vitrine institutionnelle, ne suffit plus et on peut
présager un développement significatif en matière d’utilisation des outils
électroniques dans les processus pédagogiques.
Les premières expériences ont commencé en France en 1990,
constituées de produits simples comme le descriptif du campus et une
présentation des programmes. Une des premières utilisations
pédagogiques a été de mettre en communication par visio-conférence des
personnes situées dans des lieux distants. Quelques sites universitaires
ont déjà mis au point et expérimenté des opérations venant optimiser leur
fonctionnement. Depuis 1992, l’université de Marne-La-Vallée dispense
une licence d’informatique à distance avec l’université de Reims
Champagne-Ardennes. L’enseignant fait son cours depuis l’un des deux
sites pour les deux lieux et utilise des supports de cours réalisés sur micro-
ordinateur. On constate une qualité d’écoute supérieure à un cours
"normal" et des taux de réussite identiques aux examens.
Les enjeux individuels de l'autoformation
Les nouveaux outils permettent à l’apprenant de s’autoformer grâce à
des documents multimédias appropriés, et ceci sur un site donné ou à
distance. De nombreuses expériences en université montrent bien que ces
ressources ne se substituent pas aux enseignants, cependant elles
(1) ESCP (Ecole Supérieure de commerce de Paris), ISGParis, New York, Tokyo.C. PASCAL & L. VIEIRA 121
révèlent l’évolution du rôle de ces derniers. Désormais, ceux-ci tendent à
développer des contenus de formation à profil différencié. Les TIC
optimisent cette démarche.
L’enseignement à distance (EAD) s’illustre déjà dans plusieurs
réalisations qui ont été couronnées de succès. Le CNED (Centre National
d’Enseignement à Distance), implanté sur le site symbolique du
Futuroscope, a été le pionnier en la matière pour notre pays. Il développe
depuis 1994 le système Newspeak qui propose à tout apprenant de
pratiquer une langue vivante non dispensée dans son établissement. Outre
les applications sur écran TV et tutorat téléphonique, la connexion via le
réseau RNIS (Réseau Numérique à Intégration de Services) permet à
l’usager de pratiquer des exercices oraux qu’il enregistre pour les faire
évaluer par le professeur-tuteur.
Ce type d’expérience révèle une évolution dans la mission de
l’enseignant qui n’est plus seulement chargé de transmettre son propre
savoir à un groupe, mais aide l’étudiant dans sa quête des connaissances
et dans l’acquisition d’une démarche individuelle. Certes, de cette façon,
l’enseignement favorise l’autonomie de l’individu en proposant une
formation adaptée. De nombreuses universités regroupées en réseau
adoptent cette procédure comme le laboratoire d’enseignement multimédia
(LEMM) de Lille et l’espace Alpha de l’université de Bordeaux II. Cours
hypermédia, exercices interactifs, tests d’auto-évaluation sont proposés.
Ainsi, tout étudiant découvre les ressources disponibles, quel que soit le
lieu, afin de structurer sa connaissance et ceci à son rythme. Ce travail se
déroule au centre de ressources, afin de susciter un autre type d’échange
de compétences.
L’intérêt majeur des NT est moins de proposer une duplication de
contenus que de susciter de nouvelles formes de compréhension, en
associant des éléments de nature différente (VIEIRA, 1996). La conception
même de l’hypermédia permet de mettre en relation du texte, des
statistiques, des graphiques, des cartes, des photos mais aussi des sons et
des séquences animées au choix de l’utilisateur, mettant ainsi à sa portée
une multiplicité d’approches. Cette procédure, fonctionnant sur le principe
du maillage, rompt avec les habitudes d’accès séquentiel à une information
hiérarchisée et favorise l’auto-apprentissage du fait de sa convivialité. La
navigation conduit à une déconstruction de la réflexion initiale (élaboration
rigoureuse d’une problématique conduisant à des pistes de recherche),
mais est compensée par l’approche créative due à la richesse des sources
accessibles et à la nature même du mode d’interrogation. A terme, la
procédure intellectuelle s’en trouve potentialisée.122 COMMUNICATIONS & STRATEGIES
A ce propos, l’apport des travaux des sciences cognitives est grand
(courants cybernétique, connexionisme, connectivisme, structuralisme).
Tous ces courants de pensée évoquent un fonctionnement systémique des
processus mentaux. Ils ont tous pour origine la cybernétique. Les
différentes réflexions et expériences montrent bien qu’apprendre c’est se
situer en tant que sujet dans l’espace et dans le temps. L’ordinateur est
proche du cerveau humain. Dès 1948, Norbert Wiener, le théoricien de la
cybernétique étudiait toute analogie existant entre les phénomènes
observables, qu’ils soient naturels ou artificiels.
"Je soutiens que le fonctionnement de l’individu vivant et celui de quelques
machines très récentes de transmission sont précisément parallèles.
Indubitablement, les fonctions de l’ordinateur se réfèrent explicitement au mode
opératoire de l’intelligence humaine qui est basée sur des opérations de type
logique à portée symbolique" (WIENER, 1952, p. 28).
A cela s’ajoute la notion d’interrelation et de gestion humaine de
systèmes complexes (MOLES, 1973, p. 217). Pierre Lévy développe de nos
jours les concepts d’écologie cognitive et de système :
"L’intelligence et la cognition sont le fait de réseaux complexes où interagissent
un grand nombre d’acteurs humains, biologiques et techniques" (LÉVY, 1993,
p. 155).
On ne peut que noter l’analogie fondamentale qui existe entre ce
concept et celui de maillage qui préside à la construction et au
fonctionnement des multiples réseaux d’information dont le nombre
s’accroît chaque jour. Dans ce mouvement de délocalisation, c’est la
capacité à se déprendre des systèmes traditionnels de diffusion
territorialisée des connaissances qui représente une plus-value décisive
pour l’enseignement supérieur. La recherche ne reste plus liée à un centre
de ressources local ou régional, mais accède à la dimension planétaire.
La relation logique entre médiation pédagogique et autonomie de
( 2 )l’apprenant nous a amenées à concevoir un module universitaire
relevant de différents types de médiation. L’association entre rigueur et
créativité générerait des modes d’appréhension de connaissance et
favoriserait l’acquisition de l’autonomie. C’est ainsi qu’au sein de la
troisième année de l’IUP "Métiers de l’Information et de la Communication"
de l’université de Bordeaux III Michel de Montaigne, nous avons
expérimenté auprès de nos étudiants un dispositif visant à mettre en valeur
(2) Nous avons abordé cette problématique selon deux points de vue différents (PASCAL &
VIEIRA, Marseille, 6 et 7 mai 1998 ; PASCAL & VIEIRA, Vannes 10 et 11 septembre 1998).C. PASCAL & L. VIEIRA 123
(3)les apports du multimédia lors d’une recherche appliquée d’informations .
Leur travail de fin d’études (Travail de Maîtrise Professionnelle) consiste à
réaliser un mémoire visant à satisfaire aux deux objectifs de recherche et
de réalisation professionnelle, à partir d’une commande et d’une insertion
de quatre mois sur le terrain. Cette étude consiste à élaborer une stratégie
de recherche composée de l’exposé de la procédure et de la production
d’une bibliographie thématique.
Notre objectif pédagogique est de les amener, en exploitant les
ressources du réseau, à optimiser leur p