GDR « Economie Monétaire et Financière » 23èmejournées dEconomie Monétaire et Bancaire Lille, jeudi 22 et vendredi 23 juin 2006
La théorie du « Péché Originel » : une théorie imparfaite pour évaluer les déséquilibres en devises dans les bilans des économies émergentes.
Version modifiée : juin 2006
Stéphanie PRAT1Doctorante LARE-efi Université Montesquieu-Bordeaux 4 et IXIS-CIB Avenue Léon Duguit 33608 Pessac stephanie.prat@u-bordeaux4.frRésumé:Loccurrence et la sévérité des crises des années 1990 dans les économies émergentes, en particulier la crise asiatique de 1997, ont conduit les économistes à construire de nouveaux modèles de crises financières dits de 3èmegénération qui prennent en compte plus précisément les fragilités du secteur privé et en particulier du système bancaire. Ces modèles ont introduit le concept de « déséquilibres en devises » afin de rendre compte de la vulnérabilité de ces économies à des chocs de taux de change à travers une approche par les bilans : laccumulation dengagementsextérieurslibellés en devises alors que les revenus (ou les actifs) continuent à être libellés en monnaie nationale provoquent une fragilité financière au niveau du bilan des secteurs des économies pouvant entraîner dans les cas extrêmes des anticipations auto-réalisatrices de dépréciation du taux de change de la part des investisseurs. A partir ce constat, trois auteurs (Eichengreen, Hausmann et Panizza) ont développé la théorie du « Péché Originel » afin de rendre compte de la fragilité financière à laquelle certains pays étaient exposés depuis le milieu des années 1990 provoquée par laccumulation massive dengagements extérieurs en devises. Nous montrons grâce à la construction dune base de données originale sur la structure de lendettement domestique et externe ainsi que dindicateurs de déséquilibres en devises externes et domestiques que cette théorie est largement imparfaite pour rendre compte de la vulnérabilité de ces économies à la variation du taux de change. JEL :F34, F41, G15 Mots-clés: Péché originel, dette domestique, dette externe, économies émergentes 1Avec le soutien de lInstitut Caisse des Dépôts et Consignation pour la recherche scientifique. Je tiens également à remercier Delphine Lahet pour ses précieux commentaires.
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Key words: Original Sin, domestic debt, external debt, emerging economies I.INTRODUCTION
Les crises récentes des années 1990 ont démontré la vulnérabilité du secteur réel de léconomie des pays émergents face aux variations de lenvironnement et des marchés financiers internationaux. Loccurrence et la sévérité de ces crises, en particulier la crise asiatique de 1997, ont conduit les économistes à construire de nouveaux modèles de crises financières dits de 3èmegénération qui prennent en compte plus précisément les fragilités du secteur privé et en particulier du système bancaire, en introduisant de nouveaux facteurs tels que la faiblesse des bilans des banques ou des entreprises. Ces modèles retiennent une multiplicité de facteurs de déclenchement de crises tels quun endettement excessif lié à un problème daléa moral, des ruées bancaires, une dégradation des bilans bancaires ou des entreprises, des bulles sur les prix dactifs. Lobjet de ces modèles est de spécifier une dynamique dinstabilité financière et bancaire basée sur des modèles de déséquilibres au sein des bilans des principaux secteurs de léconomie (gouvernement, banque centrale, secteur bancaire et autres secteurs [institutions financières non bancaires, institutions non financières, Ménages]) en intégrant dans lanalyse les distorsions et les déséquilibres macroéconomiques retenus dans les modèles de crises de seconde génération (Dornbush, 2001). Ces modèles ont montré plus précisément que la présencedengagementsexterneslibellés en devises était une source majeure de vulnérabilité en cas de dépréciation de la monnaie nationale. En effet, dès lors que ladetteexterne pays est libellée en dundevises, une dépréciation réelle de la monnaie nationale entraîne une diminution de la valeur de la production domestique par rapport aux créances extérieures et rend plus difficile le remboursement du service de la dette. Ces modèles de crises detroisièmegénérationont par conséquent introduit le concept de« déséquilibres en devises » de rendre compte de la afin vulnérabilité de ces économies à des chocs de taux de change à travers une approche par les bilans : laccumulation dengagementsextérieurslibellés en devises alors que les revenus (ou les actifs) continuent à être libellés en monnaie nationale provoquent une fragilité financière au niveau du bilan des secteurs des économies pouvant entraîner dans les cas extrêmes des anticipations auto-réalisatrices de dépréciation du taux de change de la part des investisseurs. Lanalyse des crises dans les pays émergents a donc permis de mettre en évidence dune part la forte dépendance de ces pays vis-à-vis de lemprunt extérieur (avec les non résidents) et dautre part la forte proportion de ces emprunts libellés en devises. A partir ce constat, trois auteurs (Eichengreen, Hausmann et Panizza) ont développé la théorie du « Péché Originel » afin de rendre compte de la fragilité financière à laquelle certains pays étaient exposés depuis le milieu des années 1990 provoquée par laccumulation massive dengagements extérieurs en devises. Leurs différentes études théoriques et empiriques tentaient dévaluer le rapport dette en devises/ dette totale à travers la construction de plusieurs indicateurs. Notre approche pour évaluer la vulnérabilité des économies émergentes à une variation du taux de change est quelque peu différente. Lapproche à laquelle nous nous intéressons plus particulièrement, dite « approche par les bilans », se concentre daprès Eichengreen, Hausmann et Panizza (2003) sur limpact des déséquilibres entre lactif et le passif (différences de valeur et de maturité entre créances et engagements) du bilan des principaux secteurs de léconomie. Lutilisation dun tel cadre, dont lobjectif final est de prévenir et de résoudre les crises financières, nécessite danalyser les bilans à plusieurs niveaux : le bilan extérieur consolidé du pays mais aussi les bilans sectoriels de léconomie (cf. partie précédente pour une décomposition par secteurs de léconomie) afin de détecter de possibles asymétries qui napparaissent pas nécessairement au niveau du bilan consolidé du pays et qui peuvent néanmoins déclencher une crise financière (Allen et al., 2002).
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Nous avons choisi, dans notre cadre danalyse, de découper léconomie en quatre secteurs domestiques parmi lesquels le secteur du Gouvernement Central, le secteur Banque Centrale, leSecteur Bancaireet enfin les Autres Secteursqui regroupent les institutions financières non bancaires, les institutions non financières, les ménages et les ISBLSM (Institutions Sans But Lucratif aux Service des Ménages). En cela nous ajoutons un secteur supplémentaire le secteur Banque Centrale par rapport à lanalyse faite par le Fonds Monétaire International (2003) et pour laquelle ce dernier est inclus dans le secteurGouvernement. Lintérêt de ce découpage est double : dune part, il permet modéliser les interdépendances entre les principaux secteurs de léconomie et dautre part, il fournit des informations importantes sur les faiblesses potentielles de certains secteurs qui napparaissent pas dans le bilan agrégé du pays. En particulier, ce découpage permet danalyser précisément la taille ainsi que la composition des engagements domestiques libellés en devises qui sont, par définition, éliminés de lanalyse du bilan agrégé de léconomie (Allen et alii, 2002). Or, si létude du bilan agrégé permet de détecter lampleur des vulnérabilités auxquelles est exposée une économie, elle est plutôt inappropriée en ce qui concerne leurs origines. Notre étude sinscrit dans la lignée des travaux dEichengreen, Hausmann et Panizza (2005a), et Goldstein et Turner (2004) dans la mesure où nous nous intéressons plus particulièrement au concept de déséquilibres en devises associé à lutilisation de lapproche par les bilans à travers une analyse descriptive de la structure dendettement des économies émergentes (Asie, PECO, Amérique Latine). Plus précisément, notre objectif est de compléter les analyses précédentes portant généralement sur la structure de lendettement externe des économies émergentes en analysant grâce à la construction dune base de données originale concernant plus de trente pays émergents la structure dendettement domestique de ces économies. Le plan de létude est défini comme suit : après avoir rappelé le cadre sous-jacent à la théorie du « péché originel », nous tentons de montrer dans la première partie que cette théorie est imparfaite pour évaluer les vulnérabilités auxquelles sont soumises les économies émergentes à travers lanalyse des déséquilibres en devises. Puis dans une seconde partie, après avoir présenté la méthodologie utilisée, nous tentons détablir de manière empirique un ensemble de faits saillants détaillés sur lendettement de 33 économies émergentes à la fois dun point de vue externe et domestique en évaluant précisément lampleur de ces déséquilibres en devises à travers la construction dindicateurs agrégé et sectoriels de déséquilibres. Nous concluons dans la dernière partie. II.LE PHENOMENE DU« PECHEORIGINEL» : UNE THEORIE INCOMPLETE POUR EVALUER LA VULNERABILITE DES ECONOMIES EMERGENTES
II.1. Définition du « Péché originel »
Le concept de « Péché Originel » a été introduit pour la première fois par Eichengreen et Hausmann (1999) afin de rendre compte de la fragilité financière à laquelle certains pays étaient exposés depuis le milieu des années 1990. Le « Péché Originel », dans sa définition initiale, fait référence à une situation dincomplétude des marchés financiers dans laquelle « la monnaie domestique ne peut être utilisée pour des emprunts extérieurs, ou à long terme pour des emprunts sur les marchés domestiques » (Eichengreen et Hausmann, (1999)). Selon le Trésor américain, sur les 84 milliards de dollars de dette émise par les économies émergentes, seulement 2.6 milliards était libellée dans la monnaie de ces pays à la fin de lannée 2001 et sur les 648 milliards de dette détenue par les Etats-Unis, 98% était libellée dans les cinq monnaies fortes dollar US, euro, yen, livre sterling et franc suisse (Hausmann et Rigobon,