UNIVERSITE DE PAU ET DES PAYS DE LADOUR Centre Universitaire de Recherche Scientifique CERTIFICATINTERNATIONALDECOLOGIEHUMAINE« HIP HOP TEMPOS » Ce qui manque à la culture est le go « ût de la germination anonyme innombrable » Jean Dubuffet
Garance LACOSTE Octobre 2002 Directeur de mémoire : Bernard DUPERREIN
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TABLE
-PRESENTATION page 1 -QUEST-CE QUI FAIT UVRE (dart) ? 5 - 7QUI FAIT UVRE ? -LE STATUT DU CREATEUR 9 - 12LA RECEPTION DE LUVRE - 19LE HIP HOP - 26LE HIP HOP « EN PIED DIMMEUBLE » Dont tiré à part (pages de couleur) De I à XVIII -EN MANIERE DE CONCLUSION 28
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PRESENTATION LHomme candidat à la présidence de la République 2002 déclara : « Rap et Techno, qui ne sont pas des expressions musicales, seront évidemment privés de tout soutien public » puis, ayant dit, il entonna : « Tiens, voilà du boudin, voilà du boudin » couplet et refrain.
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Ce qui peut susciter de lémoi dans cette déclaration, ce nest pas l ffirmation dun jugement esthétique, mais linsécurité que fait peser une a telle parole sur ceux qui sont concernés : créateurs et récepteurs (le public), car, la négation du statut dexpression musicale conduit à sinterroger, en prolongement, sur le rejet induit de ceux qui en sont porteurs, et ce, bien au-delà de leur production culturelle. Ceci remet en mémoire de sombres prises de position sur linacceptable dans lart à certaines époques, le refus de certaines uvres dites « dégénérées » ou « anti-sociales » selon le contexte, voire lélimination physique de leurs auteurs. Mais pour autant, si le contenu ou la forme étaient alors jugés inacceptables, la qualité duvre (dart) demeurait et le statut dartiste des auteurs nétait pas remis en cause ! Les poètes maudits restent des poètes.
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Alors, pourrait-on voir à notre époque, que non seulement forme et contenu soient contestés, mais aussi la personnalité même de ces acteurs culturels. QUEST-CE QUI EST EN CAUSE ? - une contestation du droit à lexercice dune telle activité par des pratiquants non homologués par les experts culturels accrédités ? - la négation de la capacité dune catégorie de la population à produire une expression artistique en dehors des apprentissages spécifiques classiques ? - lalibi du jugement esthétique dans une réfutation sociale ? Dans le but dexplorer le rapport de lespace (la Cité) à lidentité, ce travail se voulait être initialement une balade au travers de ces formes dites « émergentes » représentées par la culture Hip Hop. - On emploie ici le mot culture car on ne sait pas désigner autrement le contenu et la forme dune expression matérialisée par des sons, des mots (rap), des images (graff), une gestuelle (Break Dance) -La prise de position électorale citée en a changé lorientation et conduit à un voyage au travers du « dit » à propos de la réception de certaines uvres au cours du temps, sur des formes nouvelles de représentation et la qualité de leurs auteurs.
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«Lesuvresdartnesefontpas,eleA»ntneenviads)1(.OCCIRAB. Comment « advient » telle culture, à telle époque, de quoi, doù émerge-t-elle ? Puisquil sagit ici de culture urbaine (existant néanmoins en dehors de la Cité), les lieux imprègnent-ils les hommes qui y vivent ? Le rythme répétitif du rap, la gestuelle propre à la Break Dance auraient-ils quelque chose à voir avec le tracé et les constructions à angle droit des cités, et même avec la dureté de certains rapports sociaux ? Pourquoi lapparence esthétisante et colorée du graff vient-elle occuper certains emplacements (murs délaissés, espaces le long de la voie ferrée, etc), sortes de « non-lieux » de la vie urbaine ? Quelle (s) identité (s) culturelle (s) produit la ville, qui à son tour est rendue identifiable par ce qui se déroule dans son espace public ? Lorsquon se déplace dans la ville, lil est capté par des milliers de supports de messages, qui ont pignon sur rue, occupent une large part de lespace, imposent une représentation sociale labellisée « conforme ». A côté (ou plus loin) de ces espaces habités par limage promotionnelle de la société marchande existent dautres espaces, plus « relégués » où sinscrivent dautres formes de messages, dont les objectifs ont peut-être également une visée de communication, voire de reconnaissance. (1) Alessandro BARICCO - lAme de Hegel et les vaches du Wisconsin. Albin Michel 1998 -
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De quelle signature, culturelle, identitaire, leurs auteurs veulent-ils marquer lespace urbain par la médiation de leur travail ? Quest ce qui leur est contesté ? Si«lespaceestmoyendecommunication»,(1)quellemédiationjouentlesactions qui sy déroulent ? (1) E. HALL Le langage silencieux Seuil 1984
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QUEST-CE-QUI FAIT UVRE (dart) ? Ce travail impose de franchir quelques haies pour envisager de désigner et qualifier ce qui est présenté comme « nétant pas une expression artistique » mais qui, tout de même, existe, et a fait le tour de la terre. On évitera ici de ségarer dans la forêt des définitions de ce que peut être lart. Où commence cette activité humaine, où finit-elle ? Le langage lui-même offre une profusion de sens : lart pictural, sacré, cinématographique, oui, mais aussi lart floral, lart daimer, lart et la manière, lart de la table Et si lexpression uvre (dart) semble être de moindre ampleur, du hors-d'uvre au chef duvre en passant par la main duvre, luvre de charité ou luvre gravé, on peut encore hésiter. Il faudra cependant établir quelques repères, appuyés sur des points de vue choisis ici pour la chair quils apportent à cette interrogation. Selon Paul Klee : «Luvreestaupremierchefgenèseetsonhistoirepeutseprésenterbrièvementcommeuneétinceltnjiarieusemeemystéleidon,oùiqusnetai enflammelesprit,actionnelamain,etsetransmettantcommemouvementàlamatière,devientuvre».(1)(1) Paul Klee Texte de 1925 Théorie de lart moderne Ed. Médiations 1964
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En prolongement de ce « comment » advient luvre. Paul Klee précise lobjet de lart : «Ilnereproduitpaslevisible,ilrendvisible».A quoi, Nicolas BOURRIAUD (1) ajoute et précise ce que lart rend visible : «Cestuneactivitéconsistantàproduiredesrapportsaumondeàlaidedesignes,deformes,degestesoudobjets».Et cette étincelle qui rend visible sinscrit pour Merleau-Ponty dans lespace-temps : « Luvre existe au-delà de lHistoire et de lépoque, dans une éternité rêveuse » (2) (1) Nicolas BOURRIAUD Esthétique relationnelle Les presses du réel 1998 (2) MERLEAU-PONTY lil et lEsprit Gallimard 1964
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QUI FAIT UVRE (dart) ? Les écoles dart nont pas toujours existé, lart se transmettait directement du maître à lapprenti dans lespace privé de latelier. Dans la majeure partie des cas, les pratiques artistiques sont pendant des siècles principalement le fait de personnes qui font de la création leur activité principale, et même exclusive, supposant une formation spécifique. Dans lAmour de lArt (1), P. Bourdieu a étudié de très près les conditions daccès aux uvres légitimes (musées), mais aussi laccès aux pratiques culturelles, traditionnellement mises au compte des « dispositions personnelles » Bourdieu se livre à une critique de la croyance en linnéité des « dispositions cultivées », pour mettre en évidence le rôle primordial de « linculcation » (via la famille, lécole, etc). Cette imprégnation se fait aussi via les médias, la Bande Dessinée, les moyens de reproduction musicale, la circulation (à léchelle mondiale) de produits artistiques culturellement appropriables par une large part de la population. Il en résulte une sorte « décole permanente » dans laquelle on peut exercer (1) P. BOURDIEU LAmour de lArt Editions de Minuit 1979
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sa compétence, développer ses capacités. Cest ainsi que nombre de personnes et en particulier de jeunes « de quartiers » ont une pratique musicale, graphique, gestuelle, « technologique » que lon pourrait qualifier, au sein de lécole permanente de la rue, dapprentissage « sur le tas », par imitation et confrontation. Pratiques légitimées par des pairs, et parfois, par les industries du spectacle et du disque. Aujourdhui, les artistes reconnus comme tels, labellisés, continuent, majoritairement davoir reçu une formation spécifique. Cependant, les frontières de lart subissent un élargissement. LArt contemporain est marqué par une constellation de nouvelles pratiques, mêlant peinture, sculpture, vidéo, photo, urbanisme, voire philosophie. «Ainsisexpliqueaujourdhuilesuccèsduterme«plasticien»plusneutrequeceluidartiste».(1)EtlonpeutaussiavecDubuffetévoquerlArtBrut«celuiquisépanouitenpleinchampdudélire,danslesasilesoulescheminsdudimanche».(2)(1) Nathalie HEINICH La Sociologie de lArt Ed. La Découverte 2001 (2) DUBUFFET Asphyxiante Culture JJ. Pauvert - 1968
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LE STATUT DU CREATEUR Qui étaient les géniaux créateurs de lart pariétal ? Quel était leur rôle au sein de la communauté humaine à laquelle ils appartenaient ? La très grande maîtrise manifestée (compte tenu du lieu et des moyens) peut déjà laisser penser, sinon à une « spécialisation », du moins à une compétence entretenue. Mais comment seffectuaient lapprentissage et la transmission de ce savoir, ici compris au sens de la « technè » grecque, incluant savoir, savoir-faire et intelligence de la matière dans la maîtrise de la forme. Quel était le statut social de ce pratiquant ? Puis, apprentissage et transmission directe en atelier- ont lieu pendant des siècles, pour cette activité alors plutôt considérée comme artisanale : le décor à la fresque ornant édifices, tombeaux, etc On dit que cest Giotto qui, à lissue dune joute oratoire (Decameron) fit historiquement consacrer un changement : le passage du statut du peintre de « barbouilleur de muraille » à celui de prétendant intellectuel à lart. Pour autant, lactivité artistique, bien que reconnue, le statut de lartiste resta longtemps celui dartisan créateur commandité (Mozart, etc). Le substantif « artiste » ne sest imposé quà la fin du 18esiècle pour désigner peinture et sculpture.