Cahiers GUTenberg n˚31 — décembre 1998 45
Petite histoire des
signes de correction typographique
Jacques ANDRÉ
Irisa/Inria — projet Imadoc
Campus universitaire de Beaulieu
F 35042 Rennes cedex, France
jacques.andre@irisa.fr
Résumé. On raconte l’histoire des principaux signes de correction typographique ; ceux ci sont
aussi vieux que l’imprimerie ! Ce qui prouve le besoin constant de qualité graphique mais aussi
que les vrais garants de la langue écrite sont les correcteurs.
Abstract. The history of the most important proofreader’s marks is shown. These marks are
as old as printing. This fact is a sure indication that typographical quality has always been a
major preoccupation of printers and that proofreaders are the genuine guarantors of the written
language.
1. Introduction
Depuis quelques années paraissent des méthodes informatisées de correction de textes
électroniques à l’aide d’outils graphiques : souris/écran, tablettes graphiques, stylo,
etc. (voir dans [31] une bibliographie sur le sujet). Toutes font plus ou moins implicite-
ment appel à la notion de signe de correction typographique. Par ailleurs, diverses ten
1tatives de modernisation, simplification ou formalisation du « code typographique »
sont en cours (voir notamment [9, 30, 29, 40]). Aussi proposons nous de faire le point
dans ces Cahiers sur ces signes, leur histoire, leur fonction, leur rôle et leur ergono
mie. Dans ce premier article, nous donnons quelques précisions de nature historique,
voire paléographique, sur ces signes, même si nous n’approfondirons leurs fonctions
que dans un prochain article !
1. Il n’y a pas, contrairement à ce que peut faire croire l’expression « le Code typographique » (avec un
C majuscule comme au « Code Napoléon ») de règles françaises officielles équivalentes au Dictionnaire de
l’Académie, mais seulement des marches ou protocoles « maison » comme les Règles typographiques en
usage à l’Imprimerie nationale [24], des manuels de composition à l’usage des correcteurs comme [11, 17,
20] (voir [26]) et dont le Code typographique [12] n’est jamais qu’un choix de règles à l’usage des auteurs
et des professionnels du livre. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas un consensus global sur ces « règles ».
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2. Corriger quoi et comment?
Dès à présent, il faut relever une erreur fréquente, signalée il y a déjà trois quarts de
siècle par Brossard : Même parmi le monde lettré l’usage s’est établi de considérer et
de voir exclusivement dans le correcteur « celui qui lit les épreuves pour corriger les
fautes d’impression ». [6, page 1]
2C’est qu’en effet le rôle du correcteur ou du préparateur de la copie est de corriger
d’abord l’emploi du français (ce qui explique que nombre des codes typographiques
donnent des dictionnaires de mots à problèmes), l’homogénéité des notations, abrévia-
tions, etc., le respect des usages typographiques (emploi de l’italique ou des capitales
par exemple), la micro typographie (usage des espaces, choix des fontes, etc.) sans ou
blier le respect de la maquette (justification, renfoncements, etc.). Voir notamment [2].
Les erreurs dues au compositeur ne sont finalement qu’une infime partie de celles re
levées par un correcteur ! C’est cette méprise qui fait que les correcteurs sont souvent
mal compris [1, 5].
Avant de donner brièvement un historique des signes de correction typographique,
3voyons sur un exemple du début du siècle ce que sont ces signes et la façon de les
utiliser.
La figure 1 montre le principe de la correction (la colonne de gauche n’est ici qu’une
explication et n’existe pas bien sûr dans les épreuves). Un texte, une fois composé,
est imprimé en un exemplaire (épreuve). Un correcteur signale alors les fautes en
indiquant
– dans la colonne du texte lui même (ici la colonne centrale) l’endroit où faire la
correction (à l’aide de signes comme « / » qui veut dire « à la place du signe
barré », « /–/ » qui veut dire « à la place des signes barrés » ou qui signifie
« insérer ici », etc.) ;
– dans la marge (ici colonne de droite) la correction à faire ; celle ci reprend le
signe de localisation (/ ou ) suivi (ou, comme ici, précédé) de la modification
à faire : des lettres ou signes indiquent les caractères à insérer ou remplacer, ou
indiquent d’autres actions (retourner un caractère, supprimer un ou plusieurs
signes, permuter un ou plusieurs signes, etc.) ; la figure 2 en donne les plus
fréquents.
Un compositeur reprenait alors la galée (l’ensemble des lignes correspondant à une
page de texte), la desserrait et faisait ligne par ligne, caractère par caractère, les modi
fications demandées.
2. La copie, dans le jargon des typographes, c’est le manuscrit donné à composer, même s’il est au
Ajourd’hui informatisé, par exemple un fichier LT X. Les signes de « préparation de la copie » sont parfoisE
différents de ceux de correction, mais peu d’ouvrages font la distinction sauf, de façon notable, [10, 20].
3. Cette façon est rarement décrite, seuls quelques auteurs comme Bausinger [3] explicitent la façon de
procéder.e
Histoire des signes de correction typographique 47
FIG.1–Début d’un inventaire des signes de correction d’un code typographique du
début du XX siècle [11]
Suppression (Deleatur)
Retourner des caractères
(Vertatur)
Insérer
Transposer des signes
FIG.2–Quelques signes graphiques de corrections typographiques et quelques-unes
de leurs variantes nationalese
e
e
e
e
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La correction typographique est fondée sur le principe que la personne qui signale les
fautes (le correcteur ou l’auteur) n’est pas la personne qui fera, plus tard, les modi-
fications correspondantes dans les galées ou dans le texte source électronique. Ceci
implique que les modifications à apportées soient
– précisément localisées,
– claires et non ambiguës.
3. Du temps des manuscrits
Même s’il ne s’agit bien sûr pas de correction « typographique », il est important
de rappeler que la notion de correction existait bien avant l’imprimerie et perdure
4d’ailleurs pour les manuscrits .
Dès le V siècle, les copistes signalent qu’une lettre a été écrite par erreur. Cette ex-
ponctuation (suppression) se faisait soit par un point placé au dessus de la lettre à
supprimer, soit plutôt par un point dans un cercle ouvert. Ce signe est devenu le signe
indiquant qu’une lettre ou un mot est douteux ; c’est la cruphie, cryphie ou cryphia
selon Paput [28]. D’autres signes étaient également employés, par exemple des petits
traits (") pour indiquer les inversions, des croix, des astérisques, etc. (voir Brossard [6,
page 296]).
Au XIII siècle, selon Jean Vezin [8, tome 1, pages 37 sqq], le développement des
universités nécessita de multiplier les copies (peciae, pièces) d’un même texte ori
ginal, appelé exemplar. Une commission était chargée de s’assurer de l’intégrité de
l’exemplaire et de sa correction et laissait une indication sur la copie (corr.).
De même, dans la bible on a compté exactement le nombre de lettres de chaque livre
ou verset de façon à garantir une certaine authenticité des textes sacrés.
5Alors que la lecture silencieuse était devenue habituelle depuis le IV siècle ,au
XIV siècle c’est à voix haute et avec l’aide d’une tierce personne qu’un auteur re
lit son œuvre :
Pétrarque veut faire éditer ses Bucoliques. Il en fait faire plusieurs exem-
plaires, et son ami Boccace l’aide à en faire la correction : il lit tout
haut l’exemplar, et Pétrarque corrige. (cité par [8, page 61] ; on trouvera
dans [21, pages 16 17] des copies autographes de Pétrarque avec correc
tions de l’auteur).
4. Même en cette fin de XX siècle, il est intéressant de noter que les corrections faites dans les actes
notariés, voire dans les contrats de location, sont toujours certifiées par des signatures en marge avec des
expressions du type « n mots barrés » !
5. On attribue l’« invention » de cette pratique à St Augustin et à St Ambroise [25, page 59].e
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Cette technique de lecture en double et à voix haute relève du bon sens et a été toujours
utilisée par les correcteurs typographes (par exemple en 1762 [27, page 260]) et l’est
toujours en cette fin de XX siècle :
Quand on vérifie à deux l’intégrité d’un texte « à risques » (par exemple
écrit par un académicien, par le propriétaire du journal... ; ou au « J.O. »
ce qu’on appelle « la 1014 », la liste au centime près des augmentations
de salaire des fonctionnaires), le premier intervenant, le « correcteur »,
lit à haute voix l’épreuve (on dit qu’« il chante la copie ») ; le second, le
« teneur de copie » (les vieux ouvrages de typo nous disent qu’il s’agissait
d’un « enfant »... un apprenti, sans doute), écoute et signale les bourdons,
doublons et autres anomalies. Eh bien ! Pour gagner du temps et lever des
ambiguïtés, les ponctuations sont « prononcées » selon un rite :
– point d’exclamation : « clame » ;
– trait d’union : « div » ;
– point d’interrogation : « rogue » (d’où les expressions « j’ai rogué l’au
teur » ; « je vais roguer la copie »);
– points de suspension : « suce » ;
– guillemet : « guille » ;
– parenthèses : « ouvre » ou « ferme »,etc.
Donc le bout de phrase « le métro (inventé par Bienvenüe !...) » se lit « le
métro ouvre inventé par Bienvenüe cap couilles clame suce ferme ».
(J. D. Rondinet [38, 26 janvier 1998]).
On voit donc que dans tous ces documents manuscrits dont nous avons parlé, correc
tion rime avec authenticité et qu’il y a codification ou normalisation des signes de
correction.
Mais, par manuscrit il faut aussi entendre les brouillons personnels, voire les manus-
crits d’écrivains. Et là, on sait bien que chaque personne, chaque auteur a sa propre
6façon de corriger, barrer, modifier un texte . Une exception bien connue toutefois :
Balzac modifiait les épreuves de ses romans en utilisant les signes de correction (fi
gure 3) mais en se servant aussi de celles-ci comme on se servirait aujourd’hui d’un
système de traitement de texte par ordinateur.
Enfin, il convient de remarquer que la correction