Les intellectuels s intéressent-ils au patrimoine monumental et architectural ? Un siècle de pétitions en France - article ; n°1 ; vol.5, pg 129-153
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Livraisons d'histoire de l'architecture - Année 2003 - Volume 5 - Numéro 1 - Pages 129-153
Le patrimoine (architectural, monumental) intéresse-t-il les intellectuels ? En France, différents blocages institutionnels et culturels n'ont pas empêché que surgissent des écrits vigoureux émanant de la société civile, alors même que l'État prétend avoir toute latitude pour imposer dans ce domaine une démarche unitaire et univoque. De fait, il est possible de distinguer trois périodes dans l'histoire des pétitions. La première (fin du XIXe siède- 1918) est celle des mauvais départs : le sérieux des débats portant sur la protection d'un héritage menacé ou vandalise est souvent compromis par les excès idéologiques, qu'il s'agisse de réaction, de confusion des ordres esthétique et politique, d'anticléricalisme, ou de nationalisme xénophobe. La seconde période, des années 1920 aux années 1950, voit la mise en place d'un lobby patrimonial soucieux de modernisme ; il ne veut plus seulement défendre la cité (singulièrement Paris) contre l'affairisme immobilier, mais proposer un nouveau modèle urbain ; les avant-gardes artistiques, quant à elles, se montrent hostiles au patrimoine, assimilé au passéisme. La dernière période étudiée, couvrant les années 1960 à 1980, voit la formation d'un front patrimonial plus large et contestataire que les précédents, en particulier à l'occasion de la fameuse « Bataille des Halles » (contre la destruction des halles de Baltard), dont l'envergure amorce une anti-politique publique. De nos jours, l'engagement en faveur des « vieilles pierres » se trouve transféré des seuls intellectuels nationaux aux « usagers locaux du patrimoine ».
In France different institutional and cultural obstacles did not prevent the civil society from expressing itself in vigorous writings, even if the State pretends to be the only one able to impose its views in a one-to-one relation in this field. It is possible to distinguish three different periods in the history of petitions. The first, from the end of the nineteenth century to 1918, was defined by the deformation, by ideological excess of serious debates on a threatened or destroyed heritage (reaction, confusion of aesthetic and political systems, antidericalism, xenophobic nationalism). The second one, from 1920's to 1930s, was marked by the development of heritage lobby concerned with modernism : it did not only want to defend the city (especially Paris) against racketeer property business, but to promote a new urban scheme. As for the artistic avant-guard, it was hostile to heritage, assimilated to an attachment to the past. In the last period studied, from 1960's to 1980's, a new heritage front was developed, larger and more anti-establishment than the latter, notably during the now famous Bataille des Halles (against the destruction of the old glass-covered market built by Baltard). Nowadays, battles for old stones are no longer the domain of French intellectuals, but of local users of Heritage.
Immobilienspekulation verteidigen, sondern auch ein neues urbanes Modell vorschlagen. Die künstlerischen Avantgarden wiederum erwiesen sich als patrimoine-feindlich, das sie als eine vergangenheitsverhaftetes Konzept denunzierten. Im letzten Untersuchungszeitraum, die 1960er bis 1980er Jahre abdeckend, entstand eine patrimoine-Phalunx, die breiter war und sich kämpferischer gab als die vorangehenden, insbesondere anlässlich der berühmten « Schlacht um les Halles» (gegen die Zerstorung der Markthallen Bakards), deren Ausmafi eine öffentliche Gegenpolitik in die Wege leitete. Heutzutage ist das Engagement zugunsten der vieilles pierres von den Intellektuellen der Nation auf die « lokalen Nutzer des patrimoine» übergegangen.
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 72
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Laurent FERRI
Les intellectuels s'intéressent-ils au patrimoine monumental et
architectural ? Un siècle de pétitions en France
In: Livraisons d'histoire de l'architecture. n°5, 1er semestre 2003. pp. 129-153.
Citer ce document / Cite this document :
FERRI Laurent. Les intellectuels s'intéressent-ils au patrimoine monumental et architectural ? Un siècle de pétitions en France.
In: Livraisons d'histoire de l'architecture. n°5, 1er semestre 2003. pp. 129-153.
doi : 10.3406/lha.2003.937
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lha_1627-4970_2003_num_5_1_937Zusammenfassung
Immobilienspekulation verteidigen, sondern auch ein neues urbanes Modell vorschlagen. Die
künstlerischen Avantgarden wiederum erwiesen sich als patrimoine-feindlich, das sie als eine
vergangenheitsverhaftetes Konzept denunzierten. Im letzten Untersuchungszeitraum, die 1960er bis
1980er Jahre abdeckend, entstand eine patrimoine-Phalunx, die breiter war und sich kämpferischer gab
als die vorangehenden, insbesondere anlässlich der berühmten « Schlacht um les Halles» (gegen die
Zerstorung der Markthallen Bakards), deren Ausmafi eine öffentliche Gegenpolitik in die Wege leitete.
Heutzutage ist das Engagement zugunsten der vieilles pierres von den Intellektuellen der Nation auf die
« lokalen Nutzer des patrimoine» übergegangen.
Abstract
In France different institutional and cultural obstacles did not prevent the civil society from expressing
itself in vigorous writings, even if the State pretends to be the only one able to impose its views in a one-
to-one relation in this field. It is possible to distinguish three different periods in the history of petitions.
The first, from the end of the nineteenth century to 1918, was defined by the deformation, by ideological
excess of serious debates on a threatened or destroyed heritage (reaction, confusion of aesthetic and
political systems, antidericalism, xenophobic nationalism). The second one, from 1920's to 1930s, was
marked by the development of heritage lobby concerned with modernism : it did not only want to defend
the city (especially Paris) against racketeer property business, but to promote a new urban scheme. As
for the artistic avant-guard, it was hostile to heritage, assimilated to an attachment to the past. In the last
period studied, from 1960's to 1980's, a new heritage front was developed, larger and more anti-
establishment than the latter, notably during the now famous "Bataille des Halles" (against the
destruction of the old glass-covered market built by Baltard). Nowadays, battles for old stones are no
longer the domain of French intellectuals, but of local users of Heritage.
Résumé
Le patrimoine (architectural, monumental) intéresse-t-il les intellectuels ? En France, différents blocages
institutionnels et culturels n'ont pas empêché que surgissent des écrits vigoureux émanant de la société
civile, alors même que l'État prétend avoir toute latitude pour imposer dans ce domaine une démarche
unitaire et univoque. De fait, il est possible de distinguer trois périodes dans l'histoire des pétitions. La
première (fin du XIXe siède- 1918) est celle des mauvais départs : le sérieux des débats portant sur la
protection d'un héritage menacé ou vandalise est souvent compromis par les excès idéologiques, qu'il
s'agisse de réaction, de confusion des ordres esthétique et politique, d'anticléricalisme, ou de
nationalisme xénophobe. La seconde période, des années 1920 aux années 1950, voit la mise en place
d'un lobby patrimonial soucieux de modernisme ; il ne veut plus seulement défendre la cité
(singulièrement Paris) contre l'affairisme immobilier, mais proposer un nouveau modèle urbain ; les
avant-gardes artistiques, quant à elles, se montrent hostiles au patrimoine, assimilé au passéisme. La
dernière période étudiée, couvrant les années 1960 à 1980, voit la formation d'un front patrimonial plus
large et contestataire que les précédents, en particulier à l'occasion de la fameuse « Bataille des Halles
» (contre la destruction des halles de Baltard), dont l'envergure amorce une anti-politique publique. De
nos jours, l'engagement en faveur des « vieilles pierres » se trouve transféré des seuls intellectuels
nationaux aux « usagers locaux du patrimoine ».Par Laurent Ferri
LES INTELLECTUELS S'INTÉRESSENT-ILS
AU PATRIMOINE MONUMENTAL ET ARCHITECTURAL ?
UN SIÈCLE DE PÉTITIONS EN FRANCE
S'il est vrai que la pétition est cet « observatoire », ce « sismographe permettant
de saisir les ondes et les frémissements ayant parcouru [la] société intellectuelle
française au fil du [vingtième] siècle » ', alors il faut concéder que les monuments et
architectures du passé n'ont guère mobilisé les clercs collectivement. Bien souvent,
en France, les engagements ont été le fait d'individualités : Quatremère2 et Victor
Hugo, Montalembert, Veuillot3 et Proust, Barrés, Giraudoux, Fermigier4. La diffi
culté à rassembler des signatures, à fédérer des énergies, s'explique probablement
de trois façons : d'abord par l'ignorance ou l'indifférence (réelles ou supposées) des
élites5, qui préfèrent s'enrôler pour la liberté de création et d'expression ; ensuite,
par le bête procès de misonéisme fait aux défenseurs du « patrimoine » ; enfin, par
la modestie et la réserve psychologique ou professionnelle des mieux informés, les
conservateurs et restaurateurs. Néanmoins, ces blocages n'ont pas empêché que sur
gissent des textes portés par la société civile, dans un pays où, « seul arbitre des
différentes formes d'intérêt », l'État souvent prétend avoir « toute latitude pour
imposer une démarche patrimoniale unitaire et univoque »6. C'est pourquoi l'étude
des pétitions permet non seulement de mesurer l'intensité de la curiosité publique
pour l'architecture et l'urbanisme, mais aussi de comprendre l'attitude des citoyens
face au Pouvoir.
1. Jean-François Sirinelli, Intellectuels et passions françaises, 1990, p. 20.
2. En janvier 1787, Quatremère de Quincy adressa au Journal de Paris une protestation contre les
destructions opérées ou envisagées à l'occasion de la suppression du cimetière des Innocents (lettre
reproduite par Jean-Pierre Babelon et André Chastel, La Notion de patrimoine, 1994).
3. Louis Veuillot (1813-1883), rédacteur en chef de L'Univers.
4. André Fermigier, agrégé des lettres classiques, enseignant d'histoire de l'art à la Sorbonně, chroni
queur au Nouvel Observateur (1961-1973), puis au Monde (1973-1986).
5. André Hallays écrivait en 191 1 : « Ils sont indifférents à la ruine des églises par esprit de secte mais
aussi, quoi qu'ils en disent, par béotianisme » (Journal des débats, 15 décembre 1911). Le même
reproche revient en 1 978 sous la plume d'un rédacteur de la Revue de l'art : « Les appels d'hommes
de lettres et journalistes ne rencontraient, comme les vœux de la Commission du Vieux Paris, que
le silence amusé des classes "cultivées" et l'ignorance totale des autres ».
6. Jean-Michel Leniaud, « Le droit à la mémoire », Le Magazine littéraire, n° 307, février 1993, p. 40.
Livra'uorw d'h'utoire de l'architecture n° 5 130 LAURENT FERRI
Notre souci n'est certainement pas de prouver l'efficacité ou l'inefficacité des
pétitions, d'ailleurs difficiles à évaluer7. Nous ne prétendons pas plus recenser de
manière exhaustive tous les manifestes ayant paru dans la presse ou circulé sous le
manteau : au fait, à partir de quelle proportion de clercs une pétition devient-elle
un protestation d'intellectuels ? Ne trouve-t-on pas, çà et là, des signatures d'intel
lectuels ayant accepté de souscrire en tant que résidents, ou touristes, sans être plus
engagés en tant que tels ?
L'intérêt d'un corpus limité est qu'il nous amène à replacer chaque campagne
importante dans son contexte historique : « on ne lui fait donner tout son suc qu'à
cette condition8. » Surtout, il donne un fil directeur à notre propos : le phénomène
pétitionnaire, en matière patrimoniale, est fonction autant de la situation qu'il
s'agit de combattre, de décrier ou d'encourager, que des précédents connus. Nous
avons bien affaire à un genre polémique. Quelles en ont été les lois et les

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