PASCAL PERRINEAU Professeur des universités à Sciences Po, chercheur au Cevipof LAISSANTplaner jusqu’à la fin de l’année l’incertitude sur sa candidature à l’élection présidentielle de 2017, François Hollande ne parvient pas à réunir les conditions favorables à sa réélection. Pascal Perrineau examine les facteurs qui plombent les tentatives de retour dans le jeu politique du chef de l’État :« Jamais président n’avait été aussi impopulaire(…).Les sondages lui contestent non seulement la capacité de s’inviter au second tour mais aussi celle d’occuper le poste peu enviable de troisième homme. »Première sous e la V République, le président sortant n’est pas le candidat naturel de son camp ; celuici lui impose l’épreuve de la primaire, quand une partie milite contre sa candidature. Marginalisé à gauche par le cavalier seul de Mélenchon, Montebourg, Hamon, le président sortant est d’autant plus en quête de marges de manœuvre que l’échappée Macron met à nu sonisolement.■J. A.
L E F I G A R O mercredi 14 septembre 2016 CHAMPS LIBRES 15 ÉTUDES POLITIQUES
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l’institut Elabe les 6 et 7 septembre est très en deçà du pronostic : 12 % seule ment des personnes interrogées sou haitent la candidature de François Hollande et – chiffre très préoccupant pour l’actuel locataire de l’Élysée – ils ne sont que 29 % parmi ses anciens électeurs du premier tour de 2012. Il n’y a plus beaucoup de désir de Fran çois Hollande au sein même du« peu ple de gauche ». D’autres figures ont peu à peu pris la place : Manuel Valls, Martine Aubry, Emmanuel Macron… Dans l’enquête Ifop, 51 % des électeurs de François Hollande de 2012 disent que si ce der nier n’était pas candidat à la prochaine élection présidentielle, ils seraient « prêts à voter pour Manuel Valls ». Le pourcentage est de 49 % pour Martine Aubry, 42 % pour Emmanuel Macron, 32 % pour JeanLuc Mélenchon et 25 % pour Arnaud Montebourg. L’après Hollande semble se préparer dans la tête des électeurs de gauche. Aucun sondage d’intentions de vote ne donne François Hollande en capa cité de s’inviter au second tour de l’élection présidentielle de 2017. Dans un sondage BVA réalisé du 8 au 10 juillet, François Hollande était cré dité, selon les hypothèses de candida ture, de 13 à 13,5 % d’intentions de vote, à plus de 22 points derrière Alain Juppé, plus de 14 points derrière Mari ne Le Pen et 10 points derrière Nicolas Sarkozy. Même la situation peu envia ble de « troisième homme » lui est contestée par JeanLuc Mélenchon et François Bayrou, tous deux crédités de 13 à 13,5 % des intentions de vote. Le dernier sondage TNS Sofres réalisé du 2 au 5 septembre laisse présager qu’en cas de candidature Macron, François Hollande serait relégué en quatrième ou cinquième position avec 11 à 12 % des suffrages. Jamais un président sor tant, même s’apprêtant à être battu, n’avait été dans un rapport de forces aussi dégradé. Pour espérer un retour en selle, il faudrait que François Hollande voie se réunir la conjonction de quatre condi tions favorables : une primaire de gau che incapable de révéler une candida ture alternative crédible, une capacité de François Hollande à rapiécer le manteau déchiré d’une gauche qui ne cesse depuis trois ans de cultiver ses petites et ses grandes différences, une droite sous influence sarkozyste qui réveillerait les vieux démons de l’anti sarkozysme qui ont fait la victoire de François Hollande en 2012 et,last but not least, une embellie économique qui transformerait des tendances écono miques encore fragiles (hausse de 1,6 % du pouvoir d’achat des ménages en 2015, baisse du nombre de deman deurs d’emploi par rapport à juin, pro jection de croissance du PIB supérieure au taux envisagé de 1,5 %) en données durables et pérennes.■ »Lire aussi : le blues des députés + socialistesPAGE 4
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e représenter à l’élection tuerie de Nice) et de prendre de la La tâche est immense. Huit mois présidentielle pour un pré hauteur présidentielle avec un activis avant l’élection présidentielle, jamais sident sortant n’a jamais me diplomatique évident en août (visi un président n’a été aussi impopulaire. Sen 1969 été une mince affaire. Sur te du Pape à Rome le 17 août, sommet À huit mois de l’élection présidentielle les six présidents que la avec Matteo Renzi et Angela Merkel de 1981, Valéry Giscard d’Estaing – qui e V République a connus sur l’Europe le 22 août, réunion des di allait être battu – bénéficiait de 54 % avant la présidence de François Hollan rigeants sociauxdémocrates le 27 août de confiance ! Jacques Chirac, qui allait de, deux ne se sont pas posé la question et rencontre du président du Conseil être réélu en 2002 contre JeanMarie (Charles de Gaulle démissionne européen Donald Tusk le 31 août). Le Pen, attirait, huit mois auparavant, et Georges Pompidou meurt en fonc Tous ces efforts pour se remettre au 47 % de confiance de la part des Fran tion en 1974), quatre ont tenté d’être centre du jeu politique n’ont pas été çais. Et même le président impopulaire réélus (Valéry Giscard d’Estaing, Fran couronnés de succès. q u ’ é t a i t çois Mitterrand, Jacques Chirac, Nico Le processus des primaires et de mul Nicolas Sarkozy atteignait 24 % de ni las Sarkozy) avec des fortunes diverses. v e a u d e Deux des tentatives de réélection se confiance La démission récente d’Emmanuel Macron sont soldées par un échec (Giscard enhuit mois 1981 et Sarkozy en 2012), les deuxet son lancement dans une logiqueavant sa dé autres ont été couronnées de succès faite de 2012. de candidature présidentielle occupent (Mitterrand en 1988 et Chirac en 2002). Aujour maintenant l’espace à droite du président Fin 2016, François Hollande se pose la d’hui, seules PASCAL PERRINEAU question et tente d’organiser depuis des 17 % des per mois les conditions favorables à sa ré sonnes inter élection. Pour l’instant la réussite de la tiplication des candidatures annoncées rogées dans le baromètre politiqueFi stratégie du retour se fait attendre. Le ou sousentendues (Benoît Hamon, Argaro Magazine(TNS Sofres Kantar, président qui comptait échapper au naud Montebourg, Gérard Filoche, Ma septembre 2016) déclarent« faire processus des élections primaires s’est rieNoëlle Lienemann, François deconfiance à François Hollande pour ré vu imposer celuici par ses proches. Le Rugy, JeanLuc Bennahmias…) s’estsoudre les problèmes qui se posent en conseil national du Parti socialiste a enclenché et contribue à la banalisationFrance actuellement ». Elles ne sont voté, le 18 juin, une résolution pour dé de la candidature du président sortant. que 35 % parmi« le peuple de gauche », signer son candidat par la voie d’une L’espace à gauche de celuici est déjà 12 % parmi les ouvriers et 10 % parmi élection primaire « ouverte aux acteurs fortement occupé. La démission récente les employés. La base à la fois politique de la Belle Alliance populaire » (PS, d’Emmanuel Macron et son lancement et sociale de François Hollande semble écologistes progouvernementaux et dans une logique de candidature prési se dérober sous ses pieds. Pourtant, peutêtre le Parti radical de gauche). dentielle occupent maintenant l’espace une très forte majorité de Français res Durant l’été, François Hollande a à droite du président. Il ne reste plus à tent persuadés que François Hollande tenté tout à la fois de valoriser les pre François Hollande qu’un espace politi sera candidat à la prochaine élection miers signaux fragiles d’une récession que qui se réduit comme peau de cha présidentielle. Interrogées par l’Ifop du chômage, d’apparaître comme ce grin. Comment rassembler un camp so en avril dernier, 67 % des personnes lui qui tenait la barre (à la fois sur le cialiste si divisé, une gauche si fracturée pensent qu’il sera candidat et le pour terrain de l’unité gouvernementale, de avant de prétendre au rassemblement centage atteint même 77 % dans son la fermeté adoptée à l’occasion de la loi du peuple sans lequel il n’y a pas de vic ancien électorat de 2012. En revanche, El Khomri ou encore à l’occasion de la toire présidentielle possible ? le souhait de candidature mesuré par Souhait de voirFrançois Hollande candidatà la prochaine élection présidentielleEN % DES RÉPONSES Source : Elabe BFMTV, 6 et 7 septembre 2016 12% Plus d’infos surLEFIGARO.FR 36% « CE QUE LES FRANÇAIS ATTENDENT DES CANDIDATS EN GÉNÉRAL ET DES CANDIDATS À LA PRIMAIRE 29%DE LA DROITE ET DU CENTRE » LUC ROUBAN Infographie EN % dans le président de la Républiquehuit mois avantl'élection présidentielle(cote de confiance TNS Sofres) Source : TNS SOFRES SEPTEMBRE 1980 SEPTEMBRE 1987 SEPTEMBRE 1994 SEPTEMBRE 2001 SEPTEMBRE 2006 SEPTEMBRE 2011SEPTEMBRE 2016 47% 43% 25% 24% 17% FRANÇOIS JACQUES JACQUES NICOLASFRANÇOIS MITTERRAND CHIRAC CHIRAC SARKOZYHOLLANDE
1 ENSEMBLE DE L'ÉCHANTILLON ÉLECTEURS PROCHES DU PARTI SOCIALISTE ÉLECTEURS DE FRANÇOIS HOLLANDE* er *au 1 tour de la présidentielle de 2012 2La confiance
54% 61% VALÉRY GISCARD FRANÇOIS D'ESTAING MITTERRAND
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PROPOS RECUEILLIS PAR JOSSELINE ABONNEAUjabonneau@lefigaro.fr
DIRECTEUR de recherche au CNRS pour le Cevipof, Luc Rouban examine les modes d’exercice du pouvoir prési dentiel et les confronte avec les attentes qui soustendent la demande d’autorité des Français.
LE FIGARO. – La quasitotalité des candidats à l’élection présidentielle de 2017 se réclament de l’autorité. Estce à dire qu’ils se ressemblent tous ? Luc ROUBAN. –Les électeurs vont de voir trancher non seulement sur le fond mais aussi sur deux styles de pouvoir différents. Le rapport au président s’ancre, audelà d’un calcul d’intérêts, dans la dimension humaine de la per sonnalité qui peut éventuellement de venir un personnage historique. C’est e en cela que la V République hérite de la monarchie dans sa réalité charnelle, ce
qui piège tous les candidats y compris ceux qui veulent en finir avec l’institu tion présidentielle. La question se pose dans l’affrontement entre la droite, la gauche et le Front national mais égale ment au sein de chaque camp. Il émerge d’un côté un modèle notabiliaire et de l’autre un modèle charismatique. À droite, Alain Juppé et François Fillon se positionnent plutôt dans le style nota biliaire même si les programmes atti rent des électeurs aux profils différents. Nicolas Sarkozy, lui, s’appuie sur son expérience présidentielle et son savoir faire dans les opérations de communi cation pour s’affirmer comme un leader au destin singulier. À gauche, la même distinction peut être faite entre des per sonnalités comme François Hollande et Manuel Valls aux talents d’organisa teurs et des personnalités comme Jean Luc Mélenchon volontariste au verbe haut. La question est tranchée au Front national où Marine Le Pen incarne un pouvoir personnel fort.
Les autres partisans d’un renouveau po litique, Bruno Le Maire, Emmanuel Ma cron, Arnaud Montebourg, forts de leur posture « antisystème », ont adopté un style ambigu : ils jouent sur leur person nalité tout en construisant des réseaux, ce qui peut s’avérer être un handicap, un
Les Français veulent avant tout des changements concrets LUC ROUBAN candidat à la présidence de la Républi
que devant pouvoir produire une image
sociale d’autorité.
En quoi ces deux modèles se différencientils ? Les représentants du modèle charisma tique jouent la carte du changement ra dical et de la rupture. Il s’agit de mettre
fin aux facteurs qu’ils désignent être au cœur de l’impuissance publique : des débats interminables débouchant sur des réformes très partielles comme la loi travail, une juridicisation trop forte des décisions, l’exclusion politique des caté gories populaires. Les représentants du modèle notabiliaire recherchent une solution de compromis social acceptable, jouent la carte de l’ajustement et du réalisme réformiste, s’appuient sur des appareils. La question centrale n’est donc pas tranchée puisque le modèle notabiliaire semble plus pru dent, il risque fort au lendemain de la présidentielle de laisser voir que le pou voir est toujours aux mains des profes sionnels de la politique. Quant au modèle charismatique qui exi ge un haut fait, il appelle des succès rapi des. Il est propice aux désillusions et aux effondrements brutaux de notoriété.
D’après les enquêtes, vers quel modèle vont les préférences des Français ?
Les Français veulent avant tout des chan gements concrets, qu’il s’agisse de régler les questions économiques qui arrivent toujours en tête des préoccupations ou les questions relatives à l’insécurité. Cette appétence pour le « concret » montre que, pour eux, le hiatus entre les discours et la réalité de terrain est de plus en plus visible et insupportable. Ce contraste en tre le vécu quotidien et le discours politi que reste placé au cœur de tout le débat politique. Il ne s’agit pas pour les élec teurs de stigmatiser l’impuissance mais l’irréalisme : forces de l’ordre ou hôpi taux sans moyens, multiplication des normes et des contraintes pesant sur les entreprises, appels à la bonne volonté ci toyenne pour régler le problème envi ronnemental, discours sur l’intégration sans promotion sociale, etc. C’est bien cette demande qui soustend l’attente d’autorité qui n’est pas recherchée pour ellemême. Reste à savoir comment cette autorité réelle peut être établie, par la né gociation ou par la décision unilatérale.■