Dossier sur l homophobie dans le dancehall
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Dossier sur l'homophobie dans le dancehall

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Extrait

Juin 2005, 12 des 13 concerts de Capleton sont annulés sur le territoire français. Capleton en entrevue, en juillet 2005 sur Inter-France, se dit victime de racisme. Pendant la même période, six
des huit concerts de Sizzla sont annulés. Ces annulations sont le résultat d’une campagne nationale entamée par les organisations gaies et lesbiennes, qui vise à empêcher des artistes à propager
des messages haineux envers les homosexuels. Cette situation qui semble nouvelle pour la France est loin de l’être. En fait, depuis le début de la campagne «Stop Murder Music» (trad. Arrêts de
la Musique Meurtrière), instiguée par le groupe britannique OutRage! en juillet 2004, plus de 60 concerts d’artistes Dancehall ont été annulés en Europe et en Amérique du Nord. Leur
revendication : l’arrêt complet de la diffusion de masse des chansons violentes et qui, dans certains cas, assez fréquents, appellent au meurtre de la communauté homosexuelle. La proportion
des annulations a forcé l’industrie du Dancehall à s’assoir à la table des négociations avec les organisations LGBT. En février 2005, une entente entre les deux camps a été conclue : la campagne
«Stop Murder Music» allait être levée et en retour, l’industrie allait arrêter de promouvoir ce type de chansons.
Alors pourquoi la majorité des concerts de Capleton et Sizzla ont-ils été annulés quatre mois après la trève? La situation n’est pas simple. En fait, l’accord a été effectué entre les trois
compagnies de disques majeures (VP, Greensleeves et JetStar), plusieurs promoteurs ainsi que le Black Gay Men’s Advisory Group et OutRage!, deux organisations britanniques. Comme chaque
organisation LGBT agit indépendamment l’une de l’autre, les associations françaises, qui ne s’étaient jusque-là pas prononcées sur le sujet, ont senti le besoin de manifester leur colère et leur
dégoût faces aux paroles véhiculées par certains chanteurs jamaicains. OutRage! leur a fait part de la trève, mais ils l’ont ignorée, se tenant au fait que les chanteurs visés n’avaient jamais émis
d’excuses envers leur communauté. Ils ont usé de leur influence pour faire stopper les concerts. Quand la gérance de Sizzla et celle de Capleton ont senti la soupe chaude sur le territoire
français, ils ont toutes deux émis une note d’excuse, au nom de leur artiste respectif. Mais les organisations ont refusé les notes d’excuses, sous prétexte qu’elle ne s’adressaient pas aux
communautés LGBT, qu’elles étaient trop vagues. Cela a probablement révolté plusieurs amateurs de Dancehall.
Au même titre que les compagnies de disques ne peuvent pas obliger les artistes à ne plus performer leurs chansons, OutRage! ne peut pas répondre des décisions des associations gaies et
lesbiennes dans les autre pays. La trève est un pas dans la bonne direction. Ving mois après la signature, les compagnies de disques semblent avoir assez bien collaboré. On peut entendre
quelques chansons à caractère homophobe sur les nouveaux disques, mais la proportion a énormément diminuée et il ne semble plus y avoir de messages qui appelle au meurtre. En Angleterre,
seulement deux concerts ont été annulés depuis la trève (1). Il faut comprendre la situation qui comporte plusieurs angles afin de pouvoir porter un jugement éclairé sur les événements présents
et futurs.
EXPLICATION DE L’HOMOPHOBIE JAMAïCAINE
Tout d’abord, un homosexuel ne choisit pas sa sexualité, il naît, attiré par les gens du même sexe. Cette personne peut choisir de vivre ou de refouler sa sexualité. Cette décision est souvent
influencée par le milieu dans lequel ils évoluent. Bien que les droits des homosexuels aient connu une croissance fulgurante en Occident dans les 40 dernières années, l’homophobie peut être
palpable à différents niveaux n’importe où sur la planète. La Jamaique, pour des raisons sociales, a beaucoup plus de difficulté à gérer la non-conformité sexuelle. Le pays a toujours dans son
code pénal une vieille loi britannique, qui date de 1864, qui permet une peine de dix ans pour les hommes qui ont (ou sont même soupsonnés) d’avoir des rapports sexuels avec un autre
homme (2). Un Jamaïcain gai ne peut simplement pas vivre sa sexualité ouvertement. Les réactions de la population sont plutôt violentes et parfois même meurtrières spécifiquement dans les
régions plus touchées par la pauvreté. En général, l’homme d’origine africaine, tout comme celui d’origine latine, a un comportement beaucoup plus macho que celui des autres groupes
ethniques, ce qui explique partiellement la non acceptance d’un comportement féminin chez l’homme. À celui-ci, si nous ajoutons le contexte social de pauvreté extrême où les gens choisissent
de se réfugier dans le salut de la religion, qui condamne les rapports avec les gens de même sexe. Larry Chang, activiste gai d’origine chinoise, né en Jamaïque, explique que selon lui, la source
remonte à l’esclavage. La fonction première qui définissait l’esclave en tant qu’homme était la reproduction. Donc un homme qui ne correspond pas à cette catégorie, ou pire encore, qui ne
désire pas correspondre à cette catégorie, devient automatiquement une menace pour la sécurité psychologique de l’identité personnelle du mâle jamaïcain moyen. Les bases de sa virilité
reposent sur la procréation et voilà qu’un homme se pointe et dit, “non, ce n’est pas ce que je veux faire de ma vie, je veux faire quelque chose de complètement différent”. Donc,
l’homosexualité déstabilise et renvoi un questionnement sur la fonction première de l’homme (3). Phillip Pike, auteur du documentaire «Songs of Freedom: Stories of Jamaica Gays & Lesbians»
relate une anecdote racontée par sa cousine, étudiante en droit à l’University Of The West Indies, une université régionale qui regroupe des étudiants de tout la Caraïbe. Lorsque venait le temps
d’aborder le thème des lois sur la sodomie, c’était toujours les hommes d’origine jamaicaines qui avaient les réactions les plus virulentes. La raison avancée serait que la Jamaique aurait souffert
d’un mode d’esclavage plus rude, plus laid, plus sale que plusieurs autres Îles des Caraïbes.
CONTEXTE CULTUREL ET RELIGIEUX
Les Jamaïcains sont des gens pour qui la religion occupe une place prépondérante dans leur vie. Certains disent même que c’est l’endroit au monde où il y a le plus d’églises par habitant. 80%
de la population est catholique, la majorité étant protestante. Les cinq autres dénominations les plus populaires sont : Église de Dieu (21,2%), Adventiste du Septième Jour (9%), Baptiste
(8,8%), Pentecôte (7,6%), et Anglicans (5,5 %) (4). Les religions non chrétiennes sont nombreuses, la plus populaire étant le Rastafarisme. L’Indouisme et le Boudhisme sont également présents,
mais en faible pourcentage. Le Rastafarisme, dont la majorité des musiciens de Reggae ont adhéré, est divisé en plusieurs branches. Les quatres plus populaires sont : Les Rastas Orthodoxes,
L’Ordre Nyahbinghi, Les Douze Tribus d’Israël et Les Bobo Shantis. Toutes ces religions vont dans le même sens : elles condamnent l’homosexualité. Huit passages biblique sont sité par les
chrétiens afin de démontrer que l’homosexualité serait un pécher (5). Le plus fréquemment utilisé étant Lévitique 18:22 “Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une
femme. C'est une abomination”. Ajoutez à cela une loi qui renforce les valeurs véhiculées par les Églises, qui donne 10 ans d’emprisonnement; plus une police répressive qui semble prendre goût
à humilier et violenter les gens qui sont soupçonnés d’être gai; plus une musique jouissant d’une popularité extrême, qui condamne de façon violente l’homosexualité. Ce cocktail explosif a
établi un contexte hyper défavorable pour quiconque a une sexualité différente. À moins de vivre dans un des quartiers aisés, il est pratiquement impossible d’être ouvertement gai en Jamaïque.
Et la violence a connu une croissance marquée avec la vague massive de chansons homophobes diffusées sur les ondes depuis le milieu des années 90.
DANCEHALL : LES CONSÉQUENCES
Comme le Reggae le faisait dans les années 70 et 80, le Ragga/Dancehall s’impose comme la musique des sans voix des nouvelles générations à partir du milieu des années 80. Il jouit d’une
extrême popularité dans les Caraïbes et trouve une plateforme d’adeptes au niveau international. Mais contrairement au Reggae qui se voulait un combat contre l’oppression et un message
d’amour universel, le Dancehall donne souvent dans la vulgarité et malheureusement glorifie le pouvoir de l’arme. Plusieurs chanteurs choisissent d’exprimer leur point de vue sur l’homosexualité
à travers leurs chansons. Des chanteurs tels Yellowman et Shabba Ranks auraient été les premiers à divulger des messages de haine vis-à-vis la communauté LGBT. La vague de violence promue
dans le Dancehall remonterait à 1989, avec la chanson «Mumma Man» de Shabba Ranks où il exhorte de tuer les homosexuels. Trois ans plus tard, Buju Banton, qui n’en est qu’à ses débuts,
obtient un de ses premiers hits avec la chanson «Boom Bye Bye». En décembre 1992, Buju Banton est invité à l’émission de variété britannique “The World”, où on souhaite lui donner la
chance de présenter ses excuses à la communauté LGBT. Une entrevue de Shabba Ranks est diffusée pendant l’émission, où il apporte son soutien à Buju Banton, en disant que les gais méritent
la crucifixion. Sa carrière internationnale va en être grandement affectée. Suite à ces incidents, la scène Dancehall aurait ralenti en popularité à l’extérieur des Caraïbes. Vers la fin des années 90,
la vague de chansons homophobes ressurgit en Jamaïque et cette fois en proportion déraisonnable : Elephant Man, Beenie Man, Sizzla, Capleton, Bounty Killer, Spragga Benz et Vybz Kartel
(pour ne nommer que ceux-là) semblent bien avoir compris que ce genre de chansons excite leurs fans. Chacun de ces artistes va faire des dizaines de chansons de haine et appelant la population
à se débarrasser de ce qu’ils considèrent comme une impureté au niveau de la race.
Souvent incompréhensibles pour bien des amateurs de Dancehall, les termes dérogatoires utilisés sont : «Freaky Man», «Funny Man», «Poop Man», «Bugger Man», et les très populaires «Batty
Man» (butt-man, c’est-à-dire homme de derrière) et «Chi Chi Man». Dans le jargon jamaïcain, «Chi Chi» signifie termite ou vermine. À ce point, on ne parlait plus d’une dizaine de chansons,
mais probablement de plus de 300 chansons a être endisquées dont certaines ont connu une immense popularité dans les Caraïbes et sur la scène internationale. La violence engendrée envers la
communauté LGBT en Jamaïque a augmenté considérablement suite à la diffusion massive de ces chansons (5).
BOOM BYE BYE INNA BATTY BOY HEAD
De tous les artistes homophobes, Buju Banton est peut-être le mieux placé pour comprendre les répercussions que des chansons homophobes peuvent entraîner sur une carrière. Avec «Batty
Rider» et surtout «Boom Bye Bye», deux titres enregistrés en 1992, il subit toujours les conséquences 14 ans plus tard. Les paroles de «Boom Bye Bye» ne sont pas à prendre à la légère : elles
appellent au meurtre : «tirez une balle dans la tête des gais, donnez-moi une semi-automatique, mieux encore un Uzi, tirez-les... leur peau doit se décoler (référence à verser de l’acide), brûlez-
les comme de vieux pneus». Sa carrière internationale qui était promettante en 1995 a été parsemée d’embûches aux États-Unis après que des organisations gaies et lesbiennes aient réussi à
faire annuler sa campagne promotionnelle télévisée et à faire retirer son album des stations de radios. Malgré les nombreuses opportunités qui lui ont été offertes, l’artiste ne s’est jamais excusé.
En 1999, il disait en entrevue : “rien n’a changé, car ma vision d’une famille n’a pas changé. Cette chanson comporte un (bon) message” (6). Cette chanson est devenue l’hymne à la violence
contre les gais en Jamaïque. Selon son agent, l’artiste ne performe plus cette chanson, sauf qu’il en est autrement dans la réalité : en 2001, la chanson a été incluse sur une compilation
officielle de l’artiste et il la performe encore à quelques occasions, et pas plus loin qu’en 2006 (7). En juin 2004, Banton a été accusé de faire parti d’un groupe de gens armés qui est entré dans
une maison où résidaient 6 gais, les ont traînés dehors et les ont tabassés devant une foule qui encourageait leurs actes. Certaines des victimes ont porté plainte. Ce n’est que 15 mois plus tard
que la police jamaicaïne a procédé à son arrestation, où il fut relâché sous liberté conditionnelle. En janvier 2006, il était acquitté pour manque de preuves. Amnesty International, qui a
recueuilli les déclarations des victimes en juin 2004 et qui était présente au procès ne va pas dans le même sens : Banton est été acquitté à cause de sa notoriété et d’un système de justice
défaillant (8). Fait à noter : en mai 2005, entre les accusations et son proces, Banton enregistre un cover de Peter Tosh : «Them A Fi Get A Beaten» (trad. «ils doivent se faire tabasser»...
coïncidences?
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