Dossiers de lIFEA, n° 3. Istanbul, Institut français détudes anatoliennes - Georges Dumézil (IFEA), 24 p.
Introduction et préliminaires
Table des matières
1.Origines de la présence albanaise en Turquie 1.1.Lempire ottoman 1.2.Les guerres balkaniques et la première guerre mondiale, jusquau traité de Lausanne 1.3.Les Albanais de Yougoslavie, avant et après la deuxième guerre mondiale 1.3.a. La colonisation du Kosovo (1918-1941). 1.3.b. La répression des années 1950 et 1960. 1.4.Les Albanais dAlbanie depuis la chute du communisme 1.4.a. Les premiers départs (1990-1991). 1.4.b. La crise de lannée 1997.
2.Formes et organisation de la présence albanaise 2.1. Définition de lalbanité. 2.2. Tentative de cartographie. 2.2.a. Les « anciens Albanais ». 2.2.b. La « nouvelle émigration ». 2.3. Vie sociale : associations, aide sociale, activités professionnelles. 2.3.a. Les associations. 2.3.b. La vie professionnelle. 2.3.c. Le cas des Albanais dAlbanie. 2.4. Discours et représentations 2.4.a. Les Albanais et la Turquie. 2.4.b. Les Albanais entre eux : permanence de quelques frontières.
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3.Les Albanais de Turquie et la question albanaise dans les Balkans
3.1. Présentation de la question albanaise
3.2. Limpact de la crise du Kosovo
3.3. Linstabilité politique en Albanie
3 4 Tirana et la diaspora albanaise. . .
Annexes
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Introduction et préliminaires.
Ce dossier a pour objectif de donner une image des communautés albanaises et dorigine albanaise en Turquie et plus particulièrement à Istanbul : leur origine, leur fonctionnement et leurs relations avec les autres communautés albanaises dans les Balkans (Albanie, ex-Yougoslavie, Grèce), dans le contexte géopolitique des années 1990. Ce contexte est bien sûr marqué à la fois par les crises successives qui ont marqué la décomposition de la Yougoslavie, dont la dernière, dans la province du Kosovo (1998-1999), a posé la question de la position des Albanais dans les Etats balkaniques où ils constituent une part significative de la population, et par lévolution politique, économique et sociale que connaît lAlbanie depuis la chute de la dictature communiste, au début des années 1990. La guerre du Kosovo des années 1998 et 1999 a rendu visible un trait marquant de la population albanaise, à savoir limportance numérique, économique et politique de la diaspora et de lémigration : les communautés albanaises dEurope occidentale (principalement en Allemagne et en Suisse) et dAmérique du nord (Etats-Unis et Canada) ont joué un rôle non négligeable dans le financement des opérations militaires des Kosovars albanais et ont servi de relais entre ceux-ci et lopinion internationale, en particulier par lorganisation de manifestations de soutien dans la plupart des grandes villes européennes et nord-américaines et par la transmission dinformations et de représentations géopolitiques vers les médias occidentaux. La Turquie abrite une partie de la diaspora et de lémigration albanaises. Les liens qui existent entre les Albanais et la Turquie ne tiennent donc pas uniquement à lhistoire de lempire ottoman, mais reposent sur la présence effective dAlbanais et de gens dorigine albanaise dès les débuts de la République. Parmi eux, une part importante est originaire du Kosovo ou de Macédoine, quils ont quittés au cours du 20e à plusieurs reprises et dans des circonstances qui sont siècle, directement liées aux événements des deux dernières années. Ne serait-ce que pour cette raison, la crise du Kosovo a eu un impact sur la population albanaise de Turquie, qui justifie que lon sintéresse à la situation présente de cette population, à la fois segment de la diaspora albanaise et de la société turque.
Albanais dIstanbul ou de Turquie ? Le matériel contenu dans ce dossier a été recueilli exclusivement à Istanbul, qui rassemble la majorité de la présence albanaise en Turquie. On y traite donc avant tout des Albanais dIstanbul. Lenquête effectuée au mois de février 2000 ne constitue cependant que la première étape dun travail de recherche portant sur lensemble de la communauté albanaise de Turquie, et nous avons à ce titre inclus un certain nombre de données
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relatives à dautres villes et régions dimplantation albanaise. Il faut préciser que, à la différence de celles recueillies à Istanbul, ces dernières ne sont pas issues dune enquête de terrain et nont pu faire lobjet dune observation directe. Signalons enfin quelques points de méthode. Ce qui suit ne constitue pas une étude historique des Albanais en Turquie, mais sattache à décrire la situation présente. Les références à lhistoire ne visent quà éclairer certains aspects de la situation telle quelle est observable aujourdhui. Par ailleurs, parler dAlbanais en Turquie ou dAlbanais de Turquie pose un problème de définition : qui est Albanais, qui ne lest pas ? Nous avons choisi de regrouper sous ce terme les gens qui ont effectivement la nationalité albanaise (les moins nombreux) ainsi que tous ceux qui se reconnaissent une origine albanaise (en Albanie comme en ex-Yougoslavie ou en Grèce) à partir du moment où la revendication de cette origine sappuie sur une expérience personnelle ou familiale datable. Il sagit donc dune définition subjective, reposant sur lidentification des gens à la catégorie « Albanais », qui ne tient pas compte de critères objectifs comme la nationalité (citoyenneté), la langue ou le lieu de naissance. En conséquence, la question du nombre des « Albanais » ainsi définis nest pas la plus importante, et on ne cherchera pas à la préciser. Nous employons le terme « communauté » pour désigner lensemble ou un sous-ensemble des Albanais de Turquie. Ce mot doit être entendu dans le sens où lentendait Max Weber : ce sont les gens qui ont quelque chose en commun, ici le fait dêtre, eux-mêmes ou leurs ascendants, arrivés de régions albanaises des Balkans. Il ne sous-entend jamais un groupement organisé, doté dune structure propre et tendant vers un objectif commun (« sociation » dans le vocabulaire wébérien). Comme on le verra, la plupart des Albanais ainsi définis ne remettent pas en cause leur appartenance à la nation turque. Enfin, ce dossier ne prétend pas être exhaustif, il ne représente quune étape de la recherche et nous avons à ce titre volontairement donné la priorité aux sources et au point de vue albanais, moins accessibles et moins connus, tout en nous appuyant sur un certain nombre de travaux non-albanais.
1.Origines de la présence albanaise en Turquie.
Cette première partie sattache à rappeler certains événements historiques qui sont à lorigine de mouvements migratoires des Albanais vers la Turquie et Istanbul en particulier, et qui pèsent aujourdhui encore sur les représentations des gens dorigine albanaise, cest-à-dire sur la façon dont ceux-ci perçoivent leur expérience, tant individuelle que collective. On distingue quatre grandes périodes : lempire ottoman jusquen 1912, les guerres balkaniques jusquau traité de