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Le TibetLe pays, le peuple, la religionLéon FeerOrné de gravuresBibliothèque ethnographique, vol. VII1886Chapitre premier : Géographie physique. Productions du sol.Chapitre II : Géographie politique. Gouvernement. État social.Chapitre III : Mœurs. Caractère. Développement intellectuel.Chapitre IV : Religion. Croyances et pratiques.Chapitre V : Moines et Lamas.Chapitre VI : Histoire. Voyages.Le Tibet : I§ 1er. — NOM DU TIBETLorsque, partant de la plaine de l’Hindoustan, et se dirigeant vers le nord, on a franchi, par quelqu’un des cols ou passages quipermettent de la traverser, la formidable barrière connue sous le nom de Himâlaya, où se dressent les plus hautes cimes qui soient àla surface de notre globe, on entre dans un pays très élevé, au milieu de chaînes de montagnes par lesquelles il faut encore passeravant d’atteindre un vaste plateau à peu près inexploré. Cette région est le Tibet, dont le nom se trouve aussi écrit Thibet et parfoisTubet.[1]Le véritable nom est Bod , et, si nous voulions être exacts, nous dirions : pays de Bod. L’appellation en usage vient, à ce que l’oncroit, des Turks, des Persans, des Mongols, qui disent Tibet, Tebet, Tobbet, Tubet ; le terme chinois correspondant est Thou-po. On aessayé de rattacher ce nom de Tibet aux mots tibétains Thoub-phod qui signifient « très fort. » Il est plus probable que c’est unealtération de Tho-bod (« le haut pays, » par opposition au bas pays des vallées). Quoique les deux étymologies ...
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Le Tibet : ILe TibetLe pays, le peuple, la religionLéon FeerOrné de gravuresBibliothèque ethnographique, vol. VII6881Chapitre premier : Géographie physique. Productions du sol.Chapitre II : Géographie politique. Gouvernement. État social.Chapitre III : Mœurs. Caractère. Développement intellectuel.Chapitre IV : Religion. Croyances et pratiques.Chapitre V : Moines et Lamas.Chapitre VI : Histoire. Voyages.§ 1er. — NOM DU TIBETLorsque, partant de la plaine de l’Hindoustan, et se dirigeant vers le nord, on a franchi, par quelqu’un des cols ou passages quipermettent de la traverser, la formidable barrière connue sous le nom de Himâlaya, où se dressent les plus hautes cimes qui soient àla surface de notre globe, on entre dans un pays très élevé, au milieu de chaînes de montagnes par lesquelles il faut encore passeravant d’atteindre un vaste plateau à peu près inexploré. Cette région est le Tibet, dont le nom se trouve aussi écrit Thibet et parfoisTubet.Le véritable nom est Bod [1], et, si nous voulions être exacts, nous dirions : pays de Bod. L’appellation en usage vient, à ce que l’oncroit, des Turks, des Persans, des Mongols, qui disent Tibet, Tebet, Tobbet, Tubet ; le terme chinois correspondant est Thou-po. On aessayé de rattacher ce nom de Tibet aux mots tibétains Thoub-phod qui signifient « très fort. » Il est plus probable que c’est unealtération de Tho-bod (« le haut pays, » par opposition au bas pays des vallées). Quoique les deux étymologies justifient l’emploi de l’h et même de l’ u dans le nom du Tibet, nous pensons que le mieux est d’écrire de la façon la plus simple, en s’écartant le moinspossible de l’usage reçu, le nom qui nous a été transmis. Nous écrivons donc Tibet par un i et sans h.§ 2. — MONTAGNES, FLEUVES, LACSSystème de montagnes. — Le Tibet occupe en Asie une situation analogue à celle de la Suisse en Europe ; il est suspendu aumassif himâlayen comme les cantons helvétiques au massif alpin. Mais les Alpes asiatiques sont bien plus hautes que les Alpeseuropéennes, et l’altitude du Tibet est de beaucoup supérieure à celle de la Suisse.Le système himâlayen est formé de trois chaînes parallèles (méridionale, centrale, septentrionale), qui s’écartent de plus en plus ens’avançant vers l’est et décrivent un arc de cercle dont la convexité, tournée vers le midi, s’avance jusque vers le 28e de latitudeboréale, tandis que les deux extrémités remontent au nord jusque vers le 36e de latitude et s’avancent à l’ouest jusque vers le 73e, àl’est jusque vers le 100° de longitude orientale. Les chaînes septentrionale et centrale sont comprises tout entières dans le Tibet, lachaîne méridionale ne l’est qu’en partie. Elles se traversent toutes les trois par un assez grand nombre de cols ou défilés appelés laen tibétain : nous citerons le Mariam-la, le Ka-la, le No-la, le Khamba-la, le Tipta-la (4,760 m.) [2], dont le passage est toujours plus oumoins dangereux. Les sommets tibétains les plus élevés sont le Gang-ri (Kailâsa des Hindous, 7,654 m.), dans la chaîneseptentrionale, et le Kantchendjonga (8,582m.), dans la chaîne méridionale.Chaînes transversales. — A l’extrémité orientale, les trois chaînes, de plus en plus divergentes, sont coupées par la chaîne
transversale des monts Bayan-Kara, importante ligne de partage des eaux, dont la direction est de l’ouest à l’est, et par des chaînessecondaires se dirigeant sensiblement vers le sud, et qui enferment les bassins des cours d’eau sortis des chaînes principales.A l’extrémité occidentale, la chaîne septentrionale, qui prend le nom de Karakoroum, se relie aux monts Kien-loun. Ceux-ci, sedirigeant de l’ouest à l’est, unissent en quelque sorte les deux extrémités de l’arc décrit par la chaîne septentrionale, forment la cordede cet arc, et enferment avec lui un vaste espace très peu connu, à peine exploré, que nous appelons, à tout hasard, le plateautibétain, et qui doit être soigneusement distingué du Tibet propre, tout entier compris dans le massif himâlayen.Fleuves orientaux. — Ce massif donne naissance à de puissants cours d’eau se déversant au sud, à l’est, à l’ouest. On peut dire,d’une manière générale, que tous les fleuves de la Chine, de l’Indo-Chine, de l’Hindoustan descendent du Tibet. Pour commencer parla région la plus reculée à J’est, nous avons d’abord le Kin-tcha, qui vient du plateau, prend sa source au delà de la chaîneseptentrionale,, par de nombreux ruisseaux dont l’un porte le nom mongol significatif de Mourouï oussoun (eau tortueuse), traverse lachaîne septentrionale, Suit les monts Bayan-Kara dans le versant méridional, descend ensuite vers le sud, puis, tournant à l’est,devient le Yang-tse-kiang, le « fleuve Bleu » de la Chine. C’est le seul fleuve important qui vienne du plateau tibétain. Après lui, noustrouvons le Lan-tsan, formé de la réunion du Dza et de l’Om, qui devient le Mé-kong, fleuve du Cambodge ; puis le Na qui devient leSalwen de la Birmanie.A ces trois fleuves, dont deux sont indo-chinois et un chinois, nous pouvons ajouter le Hoang-ho, ou « fleuve Jaune » de la Chine, quiprend sa source sur le versant nord des monts Bayan-Kara, dans une région où l’élément mongol prédomine, mais qu’on peutconsidérer comme l’extrémité nord-est du Tibet.Fleuves occidentaux. — Passons à l’ouest : le grand fleuve du Pendjab, l’Indus et son principal affluent, le Satledge, prennent tous.lesdeux leur source en territoire tibétain.Fleuves méridionaux. — Si le Gange et la Djemnah ne viennent pas, à proprement parler, du Tibet, ils naissent sûr la frontière etdans des régions habitées par des races tibétaines ou affiliées aux Tibétains. Nous en dirons autant de la Tista et des autresaffluents du Brahmapoutre. Ce dernier nom soulève un problème géographique.Fleuve Central. — Il n’y a, dans le centre du Tibet, qu’un seul cours d’eau important, c’est le Yarou-tsang-bo-tchou ou simplementTsang-bo [3], qui prend sa source non loin de celle du Satledge, et coule de l’ouest à l’est, recevant un certain nombre d’affluentsparmi lesquels nous citerons le Gharta, le Raka et le Ki sur la rive gauche, le Painom sur la droite. Mais par où ce fleuve s’écoule-t-il ?Que devient-il ? Les uns ont soutenu qu’il descend dans la Birmanie en suivant une direction sud-est et devient l’Irawadi, les autres,qu’il fait un coude, tourne à l’ouest et devient le Brahmapoutre. Toutes les recherches faites, toutes les explorations entreprisestendent à prouver la vérité de la deuxième hypothèse. Il est à peu près admis que le Tsang-bo-tchou tibétain, le Dihong qui traversel’Assam, et le Brahmapoutre de la plaine indienne sont un seul et même cours d’eau. Toutefois, la démonstration complète etdéfinitive est encore à faire. Il reste aussi à déterminer si le Tsang-bo-tchou est le fleuve principal ou un simple tributaire. Quant àl’Irawadi, fleuve delà Birmanie, il est à peu près reconnu qu’il prend sa source en Birmanie même, mais à la lisière du Tibet.Fleuves du Plateau. — Tel est le régime des eaux dans le Tibet propre. Celui du plateau paraît être de très peu d’importance. ; à partles sources du fleuve Bleu au nord-est et quelques affluents de gauche du Tsang-bo-tchou au sud, les faibles cours d’eau de cetterégion se perdent dans les sables ou se déversent dans des lacs intérieurs. Les lacs y sont en effet nombreux ; mais ils ne le sont pasmoins dans le Tibet propre. Nous citerons les principaux.Lacs. — A l’extrémité occidentale, nous trouvons le Pang-kong (4,245 m.), qui forme une série de lacs ; puis, en suivant la directiondu sud-est au pied du Kailâsa, deux lacs voisins communiquant entre eux, dont l’un, le plus oriental, le Manasarovar, est célèbre dansles traditions indiennes, l’autre est celui dont sort le Satledge ; au centre du pays, et au sud du Tsang-bo, le Phalgo, le Tchomto-dong(4,480 m.), le Kalo et le Gham communiquant entre eux et d’où s’écoule le Painom, surtout le lac Palte (4,114 m.) très voisin duTsangbo, dont il est séparé par le Khamba-la. Il a une forme à peu près ovale et 72 kilomètres de tour : au centre s’élève une îlemontagneuse ou une agglomération d’îles qui occupe la plus grande partie de la superficie, et autour de laquelle l’eau forme commeun anneau ou une ceinture large de 4 à 5 kilomètres. Le plus grand lac à l’est est le Paso.Tels sont les lacs de la région himâlayenne. Dans le plateau nous trouvons au sud-est le lac « Céleste » (Nam), plus connu sous sonnom mongol de Tengri, à une altitude de 4,629 m. ayant 96 kilomètres de long sur 126 à 40 de large. L’eau en est salée. Un peu aunord, le petit lac appelé Boul fournit du borax [4]. Au nord-ouest, deux lacs assez importants, l’un plus grand, l’autre plus petit, etconnus sous le nom mongol de Namour (automne) sont reliés par un cours d’eau flanqué d’une multitude de petits lacs. Dans làrégion sud-ouest se trouvent plusieurs lacs, l’un desquels, le Ghalaring, a une île centrale comme le Palte. Il y a aussi plusieurs lacs aunord et à l’est du plateau. Enfin, tout au nord-est du Tibet, dans la région montagneuse entre les monts Bayan-Kara et leprolongement des monts Kien-loun, il y a plusieurs lacs d’assez grande étendue ; et, au delà de ce prolongement, le grand lac Bleu(Keuké-nor en mongol) à 3,199 mètres d’altitude, dans une région où prédomine l’élément mongol, mais d’où l’élément tibétain n’estpas absent, où l’influence tibétaine est prépondérante et qui, nous l’avons déjà dit, forme l’extrémité nord-est du Tibet.§ 3. — CLIMAT. PRODUCTIONS NATURELLESAspect ; climat. — Le Tibet est un pays très accidenté. C’est le plus élevé du monde, disent les Chinois. — Le plus beau, répondentles Tibétains. De hautes montagnes y alternent avec des vallées profondes. La plupart des cours d’eau y sont des torrents impétueux.De presque tous les côtés, des cimes neigeuses attirent les regards. L’air y est froid et très sec, d’une pureté extraordinaire ; labrume et le brouillard y sont à peu près inconnus. A moins que l’atmosphère ne soit obscurcie par la neige qui tombe avecabondance, ou par la poussière que soulèvent des tourbillons de vent, aucune vapeur ne s’aperçoit à l’horizon, et, surtout d’octobre àmai, la vue est fatiguée par une éblouissante clarté. Les hivers sont longs et rigoureux ; et le pays est sous la neige une grande partiede l’année. « Pays de la neige » (Kha-va-tchan [5]) est un des noms que les Tibétains se plaisent à donner à leur patrie.
Minéraux. — Le sol du Tibet est riche en productions minérales de tout genre. L’or, caché dans la terre ou charrié par les eaux, yabonde ainsi que l’argent, le fer, le cuivre, le zinc (appelé titsa), le mercure, le cinabre, le cobalt, le cristal de roche, le sel gemme et lesel fourni par les eaux, le borax, le soufre, le salpêtre. Dans le seul bassin du Me-Kong, M. Desgodins signale quarante-neuf mines dediverse nature, sept sur la rive droite, quarante-deux sur la rive gauche. Les sources minérales chaudes ou froides sont trèsnombreuses.Animaux. — Le règne animal est très richement représenté et offre des particularités remarquables. On a, au Tibet, des chevaux, desânes, des mulets, des cochons et des chiens se distinguant les premiers par la petitesse, les seconds par la grandeur de leur taille.Le mouton y abonde, précieux animal qui habille le Tibétain avec sa peau et sa toison, le nourrit de sa chair et lui porte ses fardeaux ;le mouton tibétain est d’une espèce particulière, assez petite, ayant la tête généralement noire et la queue très large. La finesse desa laine est renommée ; le Tibet est le pays de la laine par excellence.Le bœuf ordinaire y est petit et moins commun qu’une espèce bovine particulière, le bœuf grognant à longs poils, appelé yak, quiexiste à l’état sauvage et à l’état domestique. Même privé, le yak est encore farouche ; mais, en le croisant avec la vache ordinaire,on obtient un métis appelé dzo, plus fort et plus doux que le yak, propre au labourage, tandis que le yak n’est guère employé qu’autransportées marchandises. Le dzo ne se reproduit pas, et les croisements qu’on en peut effectuer avec le yak le font toujours revenirà l’espèce primitive. Les femelles de ces différents animaux, bœuf ordinaire, yak, dzo donnent beaucoup de lait.Le Tibet possède plusieurs espèces d’antilopes : d’abord le tsod qui paît en nombreux troupeaux sous la garde des bergerstibétains : il a deux cornes juxtaposées presque droites, son poil est employé à divers usages, notamment à la fabrication deschâles ; c’est la « chèvre du Tibet. » Le sérou [6] est plus rare et sauvage ; on prétend qu’il a une seule corne et répondrait ainsi, àcertains égards, à la définition de la licorne. Malgré les témoignages apportés en faveur de l’existence de cet animal, le nom tibétainqu’il porte, la désignation scientifique (antelope Hodgsoni) qui lui a été donnée, tous les doutes ne sont pas dissipés, et il n’est pasencore certain que le sérou (licorne tibétaine) soit bien distinct du tsod (chèvre du Tibet). Une troisième espèce d’antilope porte lenom de go-va, c’est le procapra picticaudata.Le daim porte musc, appelé gla-va par les Tibétains est aussi une des curiosités de leur pays et une source de produits pour leurcommerce.On trouve encore au Tibet des ânes sauvages, surtout près du lac Pang-kong, peu de lièvres, mais beaucoup de cerfs, desmarmottes, des loutres, des lynx, des loups, des renards, des écureuils, des ours bruns et jaunes, des léopards. La volaille n’y est pasfort abondante ; à cela près, les volatiles de tout genre, surtout les oiseaux de proie y pullulent. Les rivières sont poissonneuses, maisla pêche est interdite dans les sept premiers mois de l’année ; la chasse aux oiseaux est prohibée en tout temps.Végétaux. — La rudesse du climat est cause que, dans la plus grande partie du Tibet, il y à fort peu d’arbres ; en revanche, on ytrouve d’excellents et abondants pâturages qui nourrissent d’innombrables troupeaux. La culture, en raison même du climat, est trèsrestreinte. Oh sème en mai et l’on récolte en septembre. La principale céréale est l’orge, dont il existe trois espèces, une précoce quimûrit en soixante jours, une moyenne, et la troisième tardive ; celle-ci est la meilleure. Le froment est aussi cultivé, mais sur une moinsgrande échelle. Le riz ne croît pas au Tibet ; il y est importé. Divers légumes tels que les pois que l’on concasse pour les donner àmanger aux bestiaux, le navet, le radis, l’ail qui est très abondant, et l’oignon qui est très petit, y sont l’objet d’une culture assezétendue. Dans certaines vallées méridionales, on trouve quelques fruits, des noix, dès pèches, même du raisin. Enfin le Tibet estriche en plantes tinctoriales et médicinales, parmi lesquelles nous citerons la garance et la rhubarbe.Races humaines. — Le Tibet, pris dans toute son étendue, est habité par trois races ou familles principales, la Tibétaine, laMongole, la Turke. Les Turks, appelés Hor par les Tibétains, se trouvent dans le plateau ; les Mongols, appelés Sog, quelquefois Hor,se trouvent dans le même plateau et dans la partie nord-est de la région himâlayenne. On peut ajouter que l’élément chinois estreprésenté à. l’orient dans une assez forte proportion. Au sud et à l’ouest, dans des contrées qui n’appartiennent plus au Tibet, oumême ne lui ont jamais appartenu, ta race tibétaine ou des races qui lui tiennent de près sont en contact avec l’élément hindou. C’estpar exception que, au cœur du Tibet, dans les grandes villes, surtout dans la capitale, l’élément chinois, hindou, mongol, estreprésenté par des colonies étrangères, comme il s’en trouve dans tous les centres importants.La race tibétaine n’est pas partout et toujours égale à elle-même ; elle présente des variétés qui n’ont pu être étudiées, mais qui ontété signalées. Nous n’avons pas à entrer dans ces détails. Voici le portrait que l’on peut tracer en gros du Tibétain : Taillegénéralement moyenne, quelquefois un peu plus élevée ; forte carrure ; tète rectangulaire, souvent terminée au menton par un angle ;cheveux noirs, sourcils et cils noirs et fins ; yeux étroits, horizontaux, quelquefois un peu inclinés ; nez peu proéminent et narinesdilatées ; pommettes des joues assez saillantes, front assez droit ; derrière de la tète très développé ; bouche bien fendue ; barbenulle ou peu fournie, teint généralement basané, comme par les effets du hâle, rarement blanc ou cuivré, Le Tibétain est souple etagile comme le Chinois, fort et robuste comme le Mongol ; il marche fièrement, balançant vigoureusement son bras droit toujours àdécouvert.Par ses traits physiques, la race tibétaine rappelle la race mongole dont elle parait être un rameau. Cependant, le caractère moraldes deux races n’est pas le même, et surtout la langue, qui est un sérieux élément de comparaison dans l’étude de la parenté despeuples, diffère totalement.Nous venons de jeter un coup d’œil sur le Tibet physique ; jetons-en un maintenant sur le Tibet politique.
setoN1. ↑ Il paraît qu’on prononce : Peu.2. ↑ Les nombres exprimés en mètres donnent l’altitude, c’est-à-dire la hauteur au-dessus du niveau de la mer.3. ↑ Ce mot Tsang-bo, qui veut dire pur, s’applique à d’autres cours d’eau de moindre importance.4. ↑ Boul est le nom même du borax en tibétain.5. ↑ Il est à remarquer que cette qualification est presque une traduction du mot Himâlaya qui signifie en sanscrit demeure de laneige.6. ↑ Ce nom se trouve aussi écrit tchirou. L’orthographe tibétaine est bse-rou.Le Tibet : II§ 1er. — GÉOGRAPHIE POLITIQUEGrandes divisions. — Le Tibet, qui s’étend en longueur de l’ouest à l’est, se divise naturellement (non compris le plateau), en troisrégions ; occidentale, centrale, orientale. Ces divisions naturelles correspondent à des circonscriptions administratives.Tibet occidental. — La région la plus occidentale est le Ladak, dont la capitale est Leh. Conquise depuis un demi-siècle par le radjade Cachemire, elle a été incorporée à ce petit État. Elle est donc détachée du Tibet et soumise à l’influence anglo-indienne. LeBaltistan, situé à l’extrémité nord-ouest, n’est tibétain que par la langue ; pour tout le reste, c’est l’influence afghano-persane quiprédomine.Au sud-est du Ladak est le Ngari ou Ngari-Khor-Soum (Ngari aux trois districts), à cause des trois provinces dans lesquelles il sedivise ; Routhok au nord-ouest ; Gougué au sud-est, et Pourang à l’est. Il est tout entier compris dans le bassin de l’Indus et duSatledge qui y prennent leur source. Parmi les localités remarquables, nous citerons Tchabrang (en Gougué), Gartok (4,737 mètres),où une foire importante se tient tous les ans au mois d’août ; Djya-tchan, Tho-ling (3,768 mètres). La partie du plateau qui avoisinecette province est riche en or et en borax ; c’est là que se trouve Thok-djaloung dans une vaste plaine désolée à 4,977 mètresd’altitude, la mine d’or la plus importante dû Tibet, et, si je ne me trompe, la seule exploitée, l’or recueilli partout ailleurs provenant descours d’eau.Tibet central. — Le Tibet central est compris tout entier dans le bassin du Tsang-bo ; il se divise en deux provinces distinctes, maisdont les noms sont souvent prononcés ensemble, Tsang (pur) au sud-ouest, Ou [1] (centre) à l’est. Les deux grands pontifes ou lamasdu Tibet résident dans ces deux provinces centrales.La capitale du Tsang est Chi-ga-tse ou Digarfchi [2] (4,952 mètres) près du Tsang-bo, sur la rive droite à l’extrémité de la vallée duPainom qui est assez large, mais enfermée dans des montagnes escarpées. La population est de neuf mille âmes. Sur la pointe d’undes rochers s’élève la forteresse avec une garnison de cinq cents hommes ; un peu au sud-ouest, sur la hauteur, mais dans Uneposition abritée, Tachiloumpo, résidence du second pontife tibétain. Quatre routes se croisent à Digartchi : l’une se dirige vers leNépâl et le Bengale au sud, une autre vers le Ladak et le Tibet occidental à l’ouest, une troisième vers Lhassa et le Tibet oriental àl’est, la quatrième vers le plateau du Tibet et la Mongolie au nord.Les autres localités remarquables sont Djangla-tché avec un fort et un monastère, au-dessus du Confluent du Raka ; le fleuve ydevient navigable. Plus à l’ouest est Tadoum, où il y a un monastère ; au sud du fleuve, Dingri-Meidan (ou Terigri-Meidan) où se livraune bataille en 1792, et Sa-skya, célèbre par son monastère.La province de Ou a pour capitale Lha-sa (terre des bons génies), première ville du Tibet et siège du gouvernement central, sur le Ki,affluent de gauche du Tsang-bo, à 40 kilomètres de la jonction des deux cours d’eau, dans une plaine longue de 19 kilomètres, largede 11 (3565 mètres). On y cultive l’orge, le blé, les pois, la moutarde et divers légumes, radis, carottes, pommes de terre, haricots,etc. Les vaches, les yaks, les moutons, les poneys, les ânes et les cochons ; les poules, les pigeons et les canards y sont en trèsgrand nombre. Deux espèces d’arbres importés (le tchang-ma et le dja-var) se trouvent dans les jardins ; les hauteurs environnantessont dénudées et ne présentent qu’une plante épineuse appelée sia.La ville n’a guère que 4 kilomètres de tour. Au centre est un grand temple entouré de bazars tenus par des indigènes et desétrangers. Car les commerçants Népâlais, boutaniens, cachemiriens et chinois y constituent une part assez importante de lapopulation totale estimée à quinze mille âmes, dont neuf mille hommes et six mille femmes. La principale industrie est le tissage et lateinture delà laine ; on y fabrique aussi des bâtons à odeur et des écuelles en bois. Dans le centre, les rues sont larges et animées ;les faubourgs sont sales et mal bâtis. Les maisons sont grandes, mais peu confortables. La multitude des chiens errants est un desfléaux de cette capitale. Elle a une garnison composée de mille Chinois et cinq cents Tibétains armés de fusils à pierre, avecquelques pièces de canon.
Il y a, aux environs de Lha-sa, de nombreux et riches monastères très peuplés ; le premier de tous par le rang, sinon par le nombre deses habitants, est le Potala, résidence du premier pontife tibétain, le Dalaï Lama, situé sur une hauteur à quinze ou vingt minutes àl’ouest de la ville.Parmi les autres localités de la province, nous citerons, sur la rive droite du Tsang-bo, Tchotang, à 64 kilomètres de la capitale, aussigrande que Digartchi ; sur la rive gauche Savé, où l’on garde le trésor tibétain, à 56 kilomètres de Lha-sa ; plus loin encore vers lenord et à une plus grande distance du fleuve, Guyamda, ville peuplée et commerçante dont les environs fournissent la meilleurerhubarbe. La localité la plus orientale est Chobando, à deux journées de marche de la frontière du Tibet oriental, avec une garnisonde vingt-cinq hommes et deux lamaseries dont l’une possède une imprimerie.Tibet oriental. Khams. — Le Tibet oriental porte le nom de Khams et est situé à l’est de la vallée du Tsang-bo ; il est traversé, du nordau sud, par les fleuves de l’Indo-Chine et de la Chine, et confine à ces deux pays. L’influence chinoise s’y fait sentir à mesure qu’onavance vers l’est, comme l’influence indienne se fait sentir dans le Tibet occidental.La capitale du Khams est Tsiamdo (ou Tchamtou) entre les deux cours d’eau qui se réunissent pour former le Mé-kong, et près deleur jonction. Elle est située à deux cent cinquante lieues de Lha-sa ; il faut trente-six Jours pour franchir la distance. Les montagnesenvironnantes sont élevées, là plaine est peu fertile. La ville est grande et vaste ; mais beaucoup de maisons sont en ruines et deterrains inoccupés. La population nombreuse présente l’aspect de la misère. La magnificence du riche monastère établi sur uneéminence à l’ouest contraste avec l’état de déchéance de la ville, gardée par une garnison de trois cents hommes.Au sud-est, se trouve Djaya avec une garnison de vingt-cinq hommes et une importante lamaserie. À l’est du fleuve Bleu, Ba-thang(plaine des vaches), dans une plaine ravissante qui donne deux récoltes par an et d’où l’on retire du cuivre et du mercure. La ville, quia une garnison de trois cents hommes et plusieurs couvents, est peuplée et prospère. Au nord-est, et bien plus loin du fleuve, Li-thang(plaine de cuivre) est moins heureusement située et moins riche ; la garnison y est de cent hommes. Le dernier village à l’est deLithang est Ta-tsien-lou, à soixante lieues de cette ville. Là finit le pays tibétain ; mais nous avons déjà dit que toute la région à l’est duKin-tcha (lé fleuve Bleu) a été soustraite aux autorités tibétaines et soumise directement aux autorités chinoises. Aussi l’élémentchinois l’a-t-il fortement envahi.La route de Lha-sa aux provinces chinoises de Sse-tchuen et de Yun-nan traverse le Khams. Cette route bifurque à Tsiam-do ; unebranche se dirige vers le Sse-tchuen, l’autre vers le Yun-nan. La première est de beaucoup la plus suivie ; elle est souvent parcouruepar des fonctionnaires et des courriers, indépendamment des caravanes marchandes. Aussi le gouvernement chinois y a-t-il faitétablir, de place en place, des relais et des magasins de vivres. Mais la route est dangereuse ; il faut constamment traverser desmontagnes couvertes de neige, franchir des précipices sur des ponts de bois souvent branlants et d’une solidité douteuse, côtoyerdes abîmes où les animaux et les hommes roulent quelquefois malgré la sûreté du pas des mulets, des ânes et des yaks qui portentles voyageurs et les bagages.Amdo. — La partie nord du Tibet oriental, qui forme l’extrémité nord-est de tout le pays, porte le nom particulier de Amdo (Khams-mdo) c’est là que se trouve le célèbre monastère de Koun-boum, peuplé de quatre mille moines, où vit le souvenir de Tsong-ka-pa.On y conserve un arbre né, selon la légende, de la chevelure du réformateur, lorsqu’on la lui coupa à l’âge de sept ans, pour faire delui un moine. On prétend que chaque feuille de cet arbre porte l’image d’une lettre tibétaine. Hue assure avoir constaté la réalité dufait. On dit que le nom de Koun-boum (qui signifierait « cent mille images ») vient précisément de cette prétendue curiosité ; mais oninterprète aussi ce nom d’une autre manière.Contrées limitrophes. Boutan, Népâl, Sikkim. — Nous avons dit que les régions extrêmes du Tibet ont été réunies celles de l’Ouestà l’Inde, celles de l’Est à la Chine. Nous ne parlerons pas de la frontière du Nord parce qu’elle est trop indécise ; mais nous devonsdire quelques mots de la frontière méridionale. Entre cette frontière et l’Inde, il y a comme un bourrelet de populations plus ou moinsindépendantes, et plus ou moins apparentées avec les Tibétains qui leur donnent en général la qualification de Mon.Du 78° au 91° de longitude orientale, cette frontière est occupée par les trois États himâlayens de Boutan à l’est, Népâl à l’ouest, etSikkim, enserré entre les deux, du 88° au 89°. A l’est du Boutan, il n’y a que des peuplades sauvages et indomptées. A l’ouest duNépâl jusqu’au cachemire, la frontière anglo-indienne est formée par les provinces de Kamaon, Garhwal, Lahoul, Spiti, devenuesparties intégrantes de l’empire britannique, mais généralement tibétaines de race et de langue.Des trois États cités plus haut, le Boutan, dont Pounakha est la capitale en hiver et Tassissoudon en été, est celui qui a la plus grandeanalogie avec le Tibet, par son nom, sa race, sa langue : c’est presque un appendice du Tibet. On y trouve le Tchamalhari qui s’élèveà une hauteur de 7,297 mètres. C’est dans le Népâl que se voit la plus grande sommité de l’Himalaya, le Gaurisankara (8,840mètres) [3] ; le Dhavalaguiri n’a que 8,176 mètres. La capitale du pays est Kathmandou (1,330 mètres). Plusieurs races sont enprésence au Népâl : la plus nombreuse parmi les indigènes est celle des Nevars qui ne sont pas des Tibétains, mais ont plusd’affinité avec eux que les Gorkhas de race hindoue, devenus maîtres du pays par conquête vers le milieu du XVIIIe siècle. C’est au
Népâl que se sont conservés, au moins en partie, les originaux indiens dont les livres religieux du Tibet ne sont que la traduction.Quant au Sikkim, la principale race de ce petit pays, appelée Leptcha, n’est pas tibétaine ; du moins, elle a une langue et une écritureà elle, le rong. L’influence du Tibet y est néanmoins très grande, et la ville de Dardjiling (2,184 mètres), située dans la portion du paysque les Anglais ont réunie à leur empire, porte un nom tibétain.§ 2. — GOUVERNEMENT. — ADMINISTRATION. — INDUSTRIERapports avec la Chine. — Ce qui domine au Tibet, au point de vue politique, c’est l’influence chinoise. Le pays n’est, en réalité,qu’une dépendance de l’empire du Milieu. Les garnisons, peu considérables, du reste, qui veillent à sa sûreté, sont composées deChinois et de Tibétains, la majorité des soldats et la totalité des officiers étant chinoise. Toutes les forces militaires réparties sur toutle territoire sont sous les ordres de deux Tong-ling ou colonels chinois dont l’un réside à Lha-sa, l’autre à Tsiamdo. Mais, en général,la Chine laisse au Tibet son autonomie, et se contente d’exercer une sorte de surveillance, prêts à intervenir s’il se produit quelquedissension, et surtout soigneuse d’écarter les étrangers, à quelque titre qu’ils se présentent. Pour cela, l’empereur de la Chineentretient à Lha-sa deux Kin-tchai ou délégués impériaux qui le renseignent sur tout ce qui se passe et reçoivent ses instructions surla conduite à tenir. Il ne se mêle pas ostensiblement de la direction des affaires locales et laisse le pays se gouverner, au moins enapparence, par ses propres lois.Gouvernement, administration. — Il est assez difficile de définir le gouvernement du Tibet. C’est au fond une théocratie. Si lesmoines ne gouvernent pas en principe, ou ne détiennent pas exclusivement l’autorité, tout se fait d’après leurs inspirations. L’autoritésuprême appartient au dalaï-lama, qui est le souverain pontife du pays, mais dont le pouvoir, généralement respecté, n’est peut-êtrepas obéi partout avec une entière soumission. Toutefois, le dalaï-lama ne gouverne pas lui-même, il délègue ses pouvoirs à unfonctionnaire nommé à vie qui porte le titre de de-sri, et qu’on désigne quelquefois sous le nom mongol de homokhan (roi de la loi).C’est lui qui est réputé le « roi » ou « régent » du Tibet. Il gouverne avec le concours de quatre ministres appelés kalon, qui ont sousleurs ordres seize hauts fonctionnaires entre lesquels sont répartis les diverses branches de l’administration. Ce pouvoir central estreprésenté dans les provinces par divers fonctionnaires dont les principaux sont les de-pa et les chel-ngo qu’on peut assimiler à nospréfets et à nos sous-préfets. Les fonctionnaires de l’ordre inférieur sont nommés par les kalons ; les depa et les fonctionnairesélevés le sont par le de-sri qui relève du dalaï-lama. Il n’y a aucun moyen de contrôler l’administration qui est despotique etoppressive.Justice. — La justice est rendue par des tribunaux composés de trois juges. On peut appeler d’un premier jugement à un tribunalsupérieur, de celui ci aux kalons, même au de-sri. L’appel au dalaï-lama a été supprimé, surtout en matière criminelle, parce que cemonarque débonnaire faisait toujours grâce. Les tribunaux siègent pendant tout le temps que les boutiques des marchands sontouvertes. Quand la preuve par écrit ou la preuve testimoniale fait défaut, les juges ont alors recours, en matière civile, aux ordalies ouépreuves judiciaires ; en matière criminelle, à la question.Le plaideur, pour gagner son procès, doit obtenir le plus de points en jetant les dés, ou retirer, sans se brûler, une boule blancheplacée avec une boule noire dans l’huile bouillante, ou promener impunément sa main le long d’un fer rouge. En matière criminelle,pour obtenir un aveu, on plonge l’accusé dans l’eau froide, on lui fait des piqûres sur lesquelles on met du sel, on l’expose nu tout unjour sur la place publique, ou on l’attache les bras et les mains écartés à un gibet appelé kyang-ching.La prison, l’amende, la bastonnade sont les peines appliquées aux délits secondaires. La perte d’une main ou des deux mains, lamort à coups de flèches, la submersion dans un fleuve, l’enterrement avec le corps de la victime après y avoir été attaché vingtquatre-heures, sont les principales peines réservées aux grands crimes. A part ces barbaries de procédure et de pénalité, lesdispositions de la loi pour les cas les plus communs, vol, meurtre, adultère, sont assez équitables, et la justice tibétaine pourraitmériter une approbation relative si elle était aussi gratuite en fait qu’elle l’est en principe. Mais on assure qu’elle est essentiellementvénale, qu’on peut, avec de l’argent ou des présents, se soustraire à la torture ou à la peine ; et que celui qui donne le plus esttoujours sûr de gagner son procès.Population. — Ce vaste pays est loin d’être peuplé en raison de son étendue. Certains observateurs attribuent à l’immoralité lafaiblesse relative du nombre de ses habitants. Il faut cependant bien admettre que la rigueur du climat y est pour quelque chose. Lenombre des habitants ne s’élève pas au-dessus de cinq ou six millions ; peut-être même est-il de quatre millions seulement. Cettepopulation se divise en deux grandes classes : les moines (dont il sera question plus tard) et les laïques. Ceux-ci se subdivisent ennobles, commerçants, cultivateurs, bergers, mendiants, bandits.Par nobles, nous entendons les familles des fonctionnaires. A très peu d’exceptions près, les dépositaires de l’autorité, à un degréquelconque, sont pris dans les mêmes familles qui forment ainsi une véritable aristocratie.La classe des commerçants est fort nombreuse ; elle comprend les étrangers établis au Tibet ou qui y viennent pour leurs affaires. Onprétend même qu’il faudrait y faire entrer le peuple tout entier sans excepter les moines, que l’esprit mercantile est très développéchez cette nation, et que, dans toutes les classes, on fait plus ou moins du négoce. Les cultivateurs sont surtout établis dans lesvallées méridionales mieux exposées et plus fertiles. Les bergers, qui vivent sous la tente et gardent les troupeaux de yaks, demoutons, de chèvres dans les contrées nord-est, sur le plateau septentrional et dans toutes les hautes régions du pays, forment uneclasse nombreuse et importante. Celle des mendiants, principalement composée de gens ruinés par l’usure ou frappés par la justice,est dans une trop forte proportion et se confond presque avec celle des brigands qui infestent les grandes routes, surtout dans lesrégions désertes et éloignées, de sorte que, pour franchir de grandes distances, notamment pour passer en Chine et en Mongolie, ouvenir de ces deux pays, les voyageurs sont obligés de se réunir en caravanes et quelquefois de se faire protéger par une escorte.Industrie et commerce. — Quelques mots de lus sur la classe spécialement vouée à l’industrie et au commerce.La fabrication et la teinture des étoffes de laine est peut-être la principale industrie des Tibétains. Leurs moutons et les plantes que
produit le sol leur fournissent pour cela des matériaux qu’ils savent utiliser. Ils ont une certaine habileté pour fondre et travailler lesmétaux ; les sabres et les fusils qu’ils fabriquent pour leur usage ne sont pas sans valeur. Ils ont une grande passion pour les pierresprécieuses et en font grand usage ; mais ils ne savent pas bien les travailler, les tailler surtout.Les principaux objets d’exportation du commerce tibétain sont : le produit de leurs mines, principalement l’or, le cuivre, le sel, leborax ; les pièces de laine longues et étroites appelées Pou-lou qui se débitent surtout en Mongolie et en Chine, mais dont la plusgrande partie fait l’objet du commerce intérieur ; la laine de leurs moutons et le poil de leurs chèvres, \e& queues de yak, dont on faitdes chasse-mouches, très recherchées dans l’Inde, les bois de cerf, le musc, les peaux de leurs animaux (lynx, léopard, renard, loutre,ours, écureuil).Les principaux articles d’importation sont : les cotonnades, les soieries et la porcelaine de la Chine, les pierres précieuses de l’Inde,les draperies de la Russie et de l’Inde britannique, beaucoup de produits de l’industrie européenne que le Cachemire et le Népâl fontpénétrer au Tibet, principalement à Lha-sa. Le thé, dont on fait au Tibet une grande consommation, vient presque exclusivement deChine ; cependant, depuis quelque temps, les Anglais ont réussi à y introduire celui du versant méridional de l’Himalaya. Le théchinois arrive sous forme de brique ; l’expression « thé en brique » est usuelle.Le commerce extérieur est fait surtout par des étrangers, hindous, chinois, mongols. Les Tibétains ne quittent pas volontiers leurpays ; mais, depuis quelque temps, ils ont commencé à s’adonner au commerce extérieur.Monnaie. — Le commerce se fait quelquefois par échange. Le plus souvent, les grandes opérations se règlent au moyen de lingotsque l’on pèse. La monnaie ne sert que pour le petit commerce ; elle est assez variée. Les pièces chinoises et même, depuis quelquetemps, les roupies anglaises ont cours au Tibet. La principale monnaie tibétaine est une pièce valant environ un franc et qui peut sefractionner en plusieurs parties, selon les nécessités du commerce.Calendrier. — Nous terminerons ce chapitre par un mot sur la question très complexe du calendrier.Les Tibétains font dater leur ère de l’an 1026 de la nôtre, à cause de l’introduction parmi eux de la doctrine de l’Adi-Bouddha (dont ilsera question plus tard). Leur année étant lunaire, ils sont obligés d’ajouter tous les trois ans un mois intercalaire. Ils ont emprunté auxChinois et aux Hindous deux cycles, l’un de douze ans, dans lequel chaque année est désignée par un nom d’animal, et un cycle desoixante ans qu’ils constituent en associant les douze animaux du cycle duodénaire avec les cinq éléments ou les cinq couleurs. Levulgaire, embarrassé de cette complication, laisse aux savants les supputations chronologiques, et aime mieux dire : tel événements’est passé il y a tant d’années que de dire : « Dans l’année du serpent de feu » ou « dans l’année de la souris de bois, » etc.setoN1. ↑ Ce nom s’écrit Dbous ; on transcrit quelquefois Ous2. ↑ La véritable orthographe et la prononciation de ce nom ne sont pas bien connues.3. ↑ Connu aussi sous le nom de mont Everest. C’est la plus haute cime du globe.Le Tibet : III§ 1er. — MŒURS ET COUTUMESJe voudrais donner maintenant quelques notions sur le genre de vie des Tibétains.Habitations. — Les tentes des nomades sont de deux sortes : à une ou à deux colonnes. Les maisons des Tibétains sédentairessont généralement en pierre, à plusieurs étages, quelquefois avec cour intérieure ; le rez-de-chaussée est le plus souvent réservé auxanimaux. Le toit est plat ; l’escalier est en bois, très grossier et très incommode. Il n’y a pas de cheminée : le feu est allumé au milieude la chambre, et la fumée s’échappe par les portes et par les fenêtres, ou par un trou pratiqué dans le toit. Le combustible employéest, vu la rareté du bois, la fiente des animaux que l’on recueille et que l’on fait sécher. On la classe d’après les espèces dont elleprovient, selon la plus grande quantité de chaleur et la plus petite quantité de fumée qu’elle peut donner. Les intérieurs tibétains sont,en général, mal tenus ; les ustensiles y sont pêle-mêle ; les sièges y sont à peu près inconnus, les Tibétains ayant l’habitude des’asseoir par terre sur des peaux de bête.
Vêtements. — La principale pièce de l’habillement des hommes est une sorte de robe en peau de mouton dont la laine est endedans. Celle des riches est doublée à l’extérieur de drap ou de soie, celle des autres est tannée au beurre et noire de crasse. Enété, elle est remplacée par une robe de laine. La coiffure est un chapeau en feutre à larges bords retenu par un cordon noué sous lementon ; les chaussures sont des bottes en drap de diverses couleurs. Les femmes portent un gilet qui couvre la poitrine, une jupe delaine attachée aune ceinture et une camisole qui recouvre le gilet. La boite à amulette, appelé gaou, qui se porte suspendue au cou,est une partie essentielle du costume des deux sexes, qui se parent aussi de boucles d’oreilles et de bracelets ; les femmes ont descolliers de perles et ornent de perles leurs coiffures : les Tibétains ont la passion des ornements. Les femmes réunissent leurscheveux en une tresse pendant derrière le dos. L’usage des hommes était de laisser tomber les leurs sur leurs épaules, en lesraccourcissant de temps à autre ; mais l’habitude de les réunir en une ou plusieurs tresses s’introduit peu à peu,La tenue des Tibétains laisse beaucoup à désirer ; ils sont malpropres sur leurs personnes et dans leurs maisons ; Ils ne se laventpresque jamais. On dit que c’est à cause du froid et surtout de la sécheresse de l’air. Il paraît cependant que, une fois par an, au moisd’octobre, à un jour réputé heureux, ils prennent un bain, non par amour pour la propreté, mais en vue d’obtenir une bénédiction. Lasuperstition, qui fait en général tant de mal, a quelquefois l’avantage d’imposer ou de consacrer certaines pratiques hygiéniques.Nourriture. — Le principal aliment des Tibétains est le Tsam-pa. On appelle ainsi des grains d’orge ou de blé, mais surtout d’orge,grillés, puis réduits en une farine qu’on détrempe et qu’on pétrit dans du thé beurré et salé. Le repas peut se compléter avec de laviande qui est presque un mets de luxe. Cette viande, ordinairement du mouton, est crue. On la mange quelquefois saignante, mais leplus souvent après l’avoir fait sécher et l’avoir longtemps conservée dans cet état, On fait ainsi sécher des moutons entiers après lesavoir vidés, et on les garde quelquefois un an et plus. Outre le thé, les Tibétains ont une liqueur fermentée faite avec de l’orge. Lesbergers s’en préparent une semblable avec du lait aigri.Moyens de locomotion ; voyages. — Les routes sont fort peu entretenues au Tibet ; surtout elles présentent fréquemment despassages très difficiles dans les montagnes et traversent des fleuves et des torrents ; les chutes de neige viennent souvent accroîtreles obstacles. On ne fait pas grand usage de voitures ; les voyages s’exécutent surtout à dos de cheval, d’âne et de mulet ; lesmoutons et les yaks portent les bagages. Quand la neige a rendu les chemins impraticables, on envoie des yaks en avant pour lapiétiner et frayer un sentier. Les précipices et les fleuves se traversent au moyen soit de bacs, soit de ponts. Les ponts sont deplusieurs espèces ; il y en a en fer, en bois, en corde. Les premiers sont appuyés sur des chaînes tendues d’une rive à l’autre. Lesponts en bois consistent en de simples poutres qui s’appuient sur les deux bords dans le cas où ils sont assez rapprochés l’un del’autre. Dans le cas contraire, une première série de poutres s’avance de chacun des bords au-dessus du fleuve ; une deuxièmesérie, superposée à la première, s’avance encore davantage au-dessus de l’abîme, et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’écartement soitassez faible pour que l’on place les dernières poutres qui remplissent le vide. Il existe cependant, notamment aux environs deTsiamdo, des ponts en bois appuyés sur des piles en pierre grossièrement édifiées dans le lit du fleuve. Les ponts en corde sontformés d’une corde allant d’un bord à l’autre, avec une certaine inclinaison, et d’une auge, suspendue à cette corde, dans laquelle semet le voyageur ; il se laisse glisser par son propre poids le long de la corde, en s’aidant des mains pour atteindre la rive opposée.Ce système exige deux ponts, l’un pour aller de la rive droite à la rive gauche, l’autre de la rive gauche à la rive droite.Il n’y a pas d’hôtels au Tibet. Le voyageur qui arrive dans une ville est obligé de trouver une ou deux chambres à louer, à moins qu’unami ne lui offre l’hospitalité. Dans la campagne, on est reçu dans les maisons avec plus ou moins d’empressement et de générosité,selon la qualité que l’on a ou les relations qui peuvent exister entre le voyageur et l’habitant.Mariage. — Le jeune homme qui recherche une jeune fille en parle aux parents. Si sa demande est agréée, on fixe un jour où les deuxfamilles, avec les amis de l’une et de l’autre, se réunissent chez le futur. Le mariage est accompli lorsque chacun des fiancés arépondu affirmativement à la demande du père de l’autre sur sa volonté de se marier et qu’on lui a mis un morceau de beurre sur lefront ; après quoi, on s’acquitte de quelques devoirs religieux et on festoie pendant plusieurs jours.Il n’y a là cependant qu’un commencement d’union si le mari a des frères, car tous deviendront aussi les maris de la même femme. Ilen est ainsi au Tibet : des frères n’ont jamais qu’une seule épouse ; on prétend même que l’usage existe également pour desproches parents qui ne sont pas frères. On a proposé plusieurs explications pour cette coutume singulière appelée polyandrie [1](pluralité des maris). La plus généralement admise est celle qui l’attribue au désir de ne pas morceler les héritages.Il paraît que la polyandrie n’empêche pas la polygamie ordinaire, et que les riches au Tibet se donnent le luxe d’avoir plusieursfemmes.Condition des femmes. — Les femmes jouissent au Tibet d’une liberté qu’elles ne connaissent ni en Chine ni dans l’Inde. Elles vontet viennent sans entraves ; leur principale occupation, outre les soins du ménage, est de tisser la laine. Ce sont elles surtout quifabriquent les pou-lou dont on fait un si grand usage au Tibet et dans les pays voisins. On assure que, par ordre supérieur, elles nesortent pas sans se couvrir la figure (au moins à Lha-sa), d’un vernis destiné à empêcher la séduction que leurs charmes seraientcapables d’exercer, mais que c’est là un impuissant palliatif et que les mœurs n’ont rien gagné à l’emploi de ce substitut du voiletraditionnel,Sépulture, funérailles. — La sépulture ordinaire consiste à donner les corps morts en pâture aux chiens, aux animaux sauvages etsurtout aux oiseaux de proie. Les cimetières sont des plates-formes choisies ou préparées sur des lieux élevés de manière que l’onpuisse y jeter facilement les corps ; et l’on y pratique même des sentiers pour en faciliter l’accès aux animaux. Quelquefois on porteles morts dans un lieu désert, de préférence sur le sommet de quelque montagne. Il parait que souvent on coupe les corps enmorceaux que l’on distribue aux chiens ; les restes du repas de ces animaux sont ensuite jetés dans le fleuve voisin.Ce mode d’ensevelissement, qui répugne si fort à nos mœurs, peut tenir en partie à la rareté du bois dans le pays ; mais il est enparfaite harmonie avec la croyance des Tibétains. Selon eux, le corps mort est un habit usé qu’on laisse pour en reprendre un neuf.Cet habit qu’on a quitté n’a plus aucune valeur, ne peut plus rendre aucun service, et il y a même du mérite à en faire profiter d’autresêtres. Ce genre de sépulture n’exclut pas d’ailleurs le respect pour les morts que l'on pleure, et dont on porte le deuil en supprimant telou tel ornement dans la toilette, surtout dans celle des femmes, pendant un temps plus ou moins long, selon le degré de parenté.
Il y a une exception pour la sépulture des lamas et des personnages réputés saints ; leur corps est brûlé solennellement, et leurscendres recueillies sont, ou bien jetées dans l’eau courante, ou façonnées en petites boules que l’on conserve comme un objet derespect et une sorte d’amulette.Politesse tibétaine. — Les Tibétains sont liants et entrent facilement en relations. Nous citerons deux traits de leur politesse. On nes’aborde pas, on ne fait pas une visite ou un envoi quelconque sans offrir un khata ou « écharpe de félicité, » petite pièce de soie demince valeur. On peut y joindre un présent de plus grand prix ; l’offrande du khata, seul ou non, est de rigueur : on n’envoie pas unelettre sans l’accompagner d’un khata. Aussi a-t-on toujours sur soi une petite provision de cette sorte de mouchoir. L’autreparticularité à citer est 1e mode de salutation ; en même temps qu’on ôte son chapeau, on tire la langue et on se gratte l’oreille.Divertissements, danse. — Les Tibétains sont remplis d’entrain et de gaieté ; ils aiment le bruit et le mouvement. La danse surtoutest un de leurs grands divertissements ; il n’y a point de fête sans danse. Leurs danses sont des rondes menées par les hommes etpar les femmes qui se répondent sans se mêler. Le mélange des hommes et des femmes dans la danse est considéré comme toutce qu’il y a de plus inconvenant et absolument interdit. On chante tout en dansant ; un petit groupe placé au milieu de la ronde donnele ton à l’ensemble. Les danses sont ordinairement suivies d’une comédie plus ou moins improvisée entre deux personnages quiamusent l’assistance par leurs lazzis et leurs gambades.En général, ces divertissements ont lieu la nuit ; ils sont les accompagnements obligés des fêtes de famille et des fêtés publiques.Ces fêtes sont assez multipliées, nous citerons seulement celles du nouvel an qui tombent en février et durent plusieurs jours.Musique. — Les Tibétains ont beaucoup de goût pour la musique. Il paraît qu’ils ont la voix juste, forte et pleine. Leurs chants religieuxsont d’un grand effet ; et leurs chants profanes, pour ne rien dire des chants lascifs qu’ils se permettent quelquefois, ne sont pas sanscharme. Ils se servent de plusieurs instruments de musique fabriqués par eux ; tels sont la conque marine, diverses trompettes encuivre, en corne, en os, cette dernière espèce faite avec un fémur humain ; des flûtes en bambou, des tambours en peau de chèvre,des cymbales. Toutefois, ces instruments sont spécialement à l’usage des moines. Les particuliers se servent surtout d’une espècede guitare à deux cordes qu’ils font vibrer avec une dent de daim et dont ils jouent avec assez d’habileté.§ 2. — CARACTÈRE DES TIBÉTAINSLes détails qui précèdent donnent déjà une idée du caractère de ce peuple ; mais il faut aller plus avant. Les appréciations desvoyageurs ont quelque peu varié ; et l’accord qui semble peu à peu s’établir entre eux n’est pas à la gloire des Tibétains. Si quelques-uns ont vanté leur douceur, leur bonté, leur empressement, la modération de leurs passions, d’autres qui les ont vus de plus près etplus longtemps nous les dépeignent comme vindicatifs, dissimulant jusqu’au moment favorable pour satisfaire leur ressentiment,arrogants avec les faibles ou quand ils se croient forts, rampants avec les forts ou quand ils sentent leur faiblesse ; sachant supporterles privations, la faim, la soif, mais se dédommageant par des excès, si l’occasion s’en présente. On leur reproche en outre l’amourde l’argent se traduisant par le mercantilisme, l’usure, la vénalité, et une grande dépravation de mœurs.L’esprit religieux est un des traits essentiels du caractère tibétain. Il a produit dans ce pays les effets les plus singuliers. Mais lareligion s’y manifeste surtout par des croyances et des pratiques superstitieuses ; et, malgré toutes les preuves qu’ils donnent d’unedévotion poussée à l’excès, les Tibétains n’ont pas la foi candide, simple et naïve de leurs voisins, disciples et frères en religion, lesMongols.§ 3. — DÉVELOPPEMENT INTELLECTUELInstruction. — Malgré l’imprimerie, malgré une classe « savante » très nombreuse, l’ignorance est grande au Tibet. Ceux quidevraient être les maîtres sont loin d’avoir les connaissances requises ; très peu même savent l’orthographe : il est vrai qu’elle est loind’être simple, au Tibet.Langue. — La langue tibétaine est monosyllabique. Tout élément du discours est une syllabe ; les simples affixes sont des syllabesisolées et des mots. Ces monosyllabes, réduits quelquefois à une lettre (chacune des lettres de l’alphabet est un mot de la langue)sont souvent d’une complication extrême à cause des consonnes qui s’accumulent soit à la fin, soit au commencement des mots, etdont plusieurs ne se prononcent pas ou se font à peine sentir. De là, une différence très grande entre la prononciation etl’orthographe ; par exemple, le nom qui se prononce Tchanrezi s’écrit Spyan-ras-gzigs. Pareille différence se remarque même pourdes mots très simples ; M. Desgodins nous dit que le Tibet s’appelle Peu ; or, nous savons que ce nom s’écrit Bod.Il y a, en tibétain, certaines consonnes initiales qui, en disparaissant ou permutant entre elles, peuvent changer le sens ou le rapportgrammatical du mot. C’est ce qui arrive en particulier pour les verbes ; les quatre formes qu’ils peuvent avoir (présent, passé, futur,impératif) s’expriment généralement au moyen de ces suppressions ou de ces substitutions de lettres. Du reste, ces mêmes rapportset d’autres s’expriment aussi à l’aide d’auxiliaires et de périphrases.Les relations grammaticales des noms, la pluralité et les autres accidents sont rendus par des postpositions ou monosyllabes placésà la suite du nom sans faire corps avec lui.La syntaxe tibétaine suit la construction appelée indirecte, c’est-à-dire que le mot déterminant précède le déterminé, l’adjectif venantavant le substantif, le complément avant le verbe.Le tibétain présente cette particularité, qu’il a du reste en commun avec d’autres langues asiatiques, que beaucoup d’idéess’expriment par des mots différents selon la qualité des personnes ; il y a un langage respectueux et un langage vulgaire. Ainsi on dirapha, ma en parlant du père, de la mère d’un homme du commun, mais yab, youm s’il s’agit d’un grand personnage. Le lecteur aurapeut-être remarqué que pha, ma rappellent le latin pa-ter, ma-ter et par suite les langues indo-européennes, tandis, que yab, youm
font penser aux mots hébreux et arabes ab, om, et aux langues sémitiques. Je fais cette observation sans prétendre en tirer aucuneconclusion.Il y a une différence notable entre la langue écrite et la langue parlée, de même qu’il y en a une entre la langue actuelle et celle deslivres sacrés. Depuis dix siècles que ces livres ont été écrits, la langue a dû se modifier. Celle de ces livres n’en reste pas moins lalangue classique. Quant à celle qui se parle, elle varie de province à province, comme cela arrive dans tous les pays du monde.La grammaire comparée du groupe de langues auquel appartient le tibétain n’est pas encore faite. On retrouve dans le tibétainplusieurs racines chinoises ; mais c’est surtout avec le birman qu’il paraît avoir de l’affinité, tant par l’existence de plusieurs racinescommunes que par le génie et la physionomie générale des deux idiomes. Malgré cela, ils sont notablement différents l’un de l’autre.Une étude approfondie fera très probablement constater des relations qu’on n’aperçoit pas à première vue.Écriture. — L’écriture usitée au Tibet est d’origine indienne. Ce sont des Indiens qui ont apporté leur alphabet au nord de l’Himalayaet, sans doute, ont travaillé la langue et créé l’orthographe, d’accord, cela va sans dire, avec les savants indigènes. Il y a, du reste,deux alphabets : l’alphabet" « avec tête » (bou-tchan) des livres imprimés et des manuscrits soignés, qui est le vrai type de l’alphabettibétain ; l’alphabet « sans tête » (bou-med) qui n’est qu’une forme cursive de l’autre, très difficile à déchiffrer.Il existe un troisième alphabet, l’alphabet landza, indien et uniquement appliqué au sanscrit qui, du reste, peut s’écrire, mais moinscommodément avec l’alphabet tibétain.Il y a, parmi les Tibétains, d’habiles calligraphes qui copient les livres religieux quelquefois sur papier noir avec encre d’or. Lesmanuscrits sont généralement ornés de figures peintes.Livres. — Les livres ne sont pas rares au Tibet ; chaque monastère a sa bibliothèque, et dans beaucoup d’entre eux il y a uneimprimerie où l’on imprime des éditions de luxe, des éditions vulgaires, et des feuilles volantes. Le papier qui sert à l’impression estfait avec la plante appelée Daphne Cannabina. On imprime avec des planches rectangulaires oblongues : les feuilles, non cousues,empilées les unes sur les autres, sont placées entre deux ais qu’on assujettit avec une courroie. Cette disposition n’est pas spécialeau Tibet, elle est indienne et indo-chinoise.Le livre est respecté au Tibet ; mais on attache plus d’importance à l’acte mécanique de la lecture qu’aux choses lues, et plus de prixà l’imprimé lui-même qu’à l’acte mécanique de la lecture.Littérature. — La littérature tibétaine est très vaste, mais surtout religieuse, et lettre close pour le vulgaire. Le Kandjour, recueil deslivres sacrés distribués en cent ou cent huit volumes, le Tandjour, composé d’ouvrages de tout genre, mais surtout de commentairesdes ouvrages du Kandjour et formant un ensemble de deux cent cinquante volumes, en constituent, pour ainsi dire, la base. La plupartdes ouvrages qui existent en dehors de ces deux compilations, les écrits de Tsong-ka-pa, par exemple, sont exclusivement religieux.Milaras-pa, ascète du XIe siècle, improvisa des chants religieux qui eurent un grand succès et qui ont été conservés. Le recueil deses chants et le récit de sa vie pleine de merveilles se partagent avec les récits des exploits des Tibétains dans leurs guerres contreles Chinois, les Mosso (peuplade du sud-est) et les Mongols, la faveur publique. Ces derniers récits sont fabuleux ; mais ils serapportent à des faits de l’histoire nationale. Les Tibétains ne supporteraient pas la simple narration des faits ; il faut toujours les leurprésenter entourés de circonstances merveilleuses.Les chants populaires, s’il en existe, seraient le genre littéraire le plus propre à faire connaître l’esprit et le génie de cette race, enmême temps que le langage qui lui est familier ; mais l’existence n’a pas encore pu en être constatée.setoN1. ↑ Nom proposé par George Bogie. Narratives of the mission of’ G. Bogle etc, by Clements R. Markham, p. 122.Le Tibet : IV§ 1er. — DUALITÉCoexistence de deux cultes. — Il y a, au Tibet, deux religions, l’une ancienne, primitive appelée Bon ou Bon pa, l’autre, plus récente,
apportée de l’Inde, et qui est le Bouddhisme. On est convenu de donner au bouddhisme tibétain le nom de Lamaïsme, à cause d’uneparticularité extraordinaire de sa hiérarchie religieuse.Nous parlerons plus tard de cette hiérarchie ; nous nous en tenons ici aux croyances vulgaires et aux pratiques habituelles.Culte de Bon. — La religion de Bon, dont nous ne connaissons pas les livres, si toutefois il en existe, parait consister dans le cultedes bons et des mauvais génies, et dans les pratiques de sorcellerie auxquelles il faut recourir pour gagner la faveur des uns et sesoustraire à la malveillance des autres. Ce culte n’est certainement plus ce qu’il fut à l’origine ; il a fait au bouddhisme beaucoupd’emprunts. Mais le bouddhisme lui en a fait de son côté ; car il a dû composer avec la religion du pays. Beaucoup de divinités quel’on croit bouddhiques et qui portent des noms bouddhiques, appartiennent en réalité au culte de Bon. La religion de la plupart desTibétains n’est, au fond, sous une forme ou sous une autre, que le culte des bons et des mauvais génies.Bouddhisme. — Le bouddhisme étant de création indienne, et s’étant répandu dans toute l’Asie centrale et orientale, nous ne dironsici que ce qui concerne le Tibet.La compilation des livres sacrés du Tibet, appelée Kandjour, se divise en sept sections que l’on peut ramener à quatre : 1° leDoul-va qui raconte surtout l’établissement du monachisme ; 2° le Cher-tchin qui contient la métaphysique ; 3° le Do qui renferme ladoctrine fondamentale ; 4° le Guyoud (sk. Tantra) où se trouvent principalement les formules sacrées, les paroles magiques, et lesenseignements que le lamaïsme préfère. Les cent ou cent huit volumes de cette compilation ne sont guère lus. Les textes réputés lesplus importants sont imprimés à part ; la connaissance des choses qu’il importe de savoir s’acquiert sans feuilleter tant de volumes.N’insistons pas davantage sur cette littérature, et tâchons de résumer ce qu’il y a de plus important dans les croyances et dans lespratiques religieuses des Tibétains.§ 2. — CROYANCESBouddhas et Bodhisattvas. — Le suprême objet d’adoration des bouddhistes, c’est le Bouddha. Mais Çâkya-mouni, qui est le vraiBouddha, n’est pas le seul. On lui a donné une infinité de prédécesseurs échelonnés dans les siècles passés et une infinité desuccesseurs échelonnés dans les siècles futurs.Ces successeurs éventuels, qui portent le nom de Bodhisattvas sont honorés, dès à présent (au moins quelques-uns), comme lesbouddhas de l’avenir. On se tourne vers eux comme vers le soleil levant, tandis que les bouddhas passés sont non pas oubliés, maislaissés quelque peu dans l’ombre.Le Bodhisattva qui doit revêtir le premier la dignité de Bouddha est Maitreya. Il est naturellement fort vénéré ; mais d’autres le sontencore plus que lui. Ce sont, en particulier, Avalokiteçvara et Mandjouçri ; Avalokiteçvara, appelé en tibétain Tchanrezi, est le patrondu Tibet : c’est un disciple de Çâkya-mouni dont l’existence est fort douteuse, mais auquel, à défaut d’histoire véritable, on a forgéune histoire légendaire très fournie. Mandjouçri (tib. Djam-pal) [1] représente la sagesse et la douceur persuasive. En prétendant queThon-mi-Sambhota, le premier tibétain qui alla dans l’Inde chercher les livres bouddhiques, était une incarnation de ce Bodhisattva,les Tibétains montrent bien qu’ils lui attribuent un rôle important dans l’histoire de leur conversion au bouddhisme. Toutefois, salégende n’est pas aussi riche que celle d’Avalokiteçvara, et il reste au second rang.Adi-bouddha. — Pour remédier à l’inconvénient de la multitude des bouddhas, on a imaginé un bouddha primordial (ce que signifiele sanskrit Adi-bouddha) dont tous les autres ne sont qu’une émanation ou une manifestation. Cet Adi-bouddha, les Tibétainsl’honorent sous le nom de Vadjradhara (sk. porte-sceptre) qui est comme le maître suprême de toutes choses, surtout le chef desbons génies : on lui donne aussi le nom de Vadjrasattva, dont on fait d’ailleurs une personnalité distincte. La conception de l’Adi-bouddha est une tentative monothéiste propre au bouddhisme tibétain où Népâlais.Dhyâni-bouddhas ; Amitâbha. — Parmi les nombreux bouddhas dont l’existence est admise, il en est cinq auxquels on accorde uneattention particulière. Ce sont : le bouddha historique, Çâkya-mouni, ses quatre prédécesseurs et son prochain successeur Maitreya.Mais celui-ci n’est pas encore apparu, et les quatre autres sont tombés dans le sombre et mystérieux abîme du Nirvana. On a doncimaginé cinq bouddhas qui en sont comme le reflet et avec lesquels on peut entrer en relation par la méditation profonde appeléeDhyâna (sk.), De là, le nom de Dhyâni-bouddhas (bouddhas de la contemplation), qui leur a été donné par opposition aux« bouddhas humains » (sk. Manouchi-bouddhas) dont ils sont l’image.Ces Dhyâni-bouddhas ont chacun leur nom : celui d’entre eux qui correspond à Çâkya-mouni s’appelle Amitâbha (tib. Od-pag-med.,édat sans mesure) et aussi Amitâyouèh (tib. Tsé-dpag-med, durée de vie illimitée). Le culte d’Amitâbha a eu un immense succès auTibet, et au dehors. Ce Dhyâni-bouddha habite la région occidentale ; sa résidence Soukhavati est un lieu de délices où les bons ont1 espoir de parvenir. Il a presque effacé son Manouchi-bouddha ; car le paradis d’Amitâbha est bien plus séduisant que le Nirvana deÇâkya-mouni.
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