Handicap, recherche et changement social. L’émergence du paradigme  émancipatoire dans l’étude
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Article« Handicap, recherche et changement social. L’émergence du paradigme émancipatoire dansl’étude de l’exclusion sociale des personnes handicapées » Normand BoucherLien social et Politiques, n° 50, 2003, p. 147-164. Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante :http://id.erudit.org/iderudit/008285arNote : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir.Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.htmlÉrudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documentsscientifiques depuis 1998.Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Document téléchargé le 20 September 2011 06:12LSP 50-2 29/06/04 15:02 Page 147Handicap, recherche et changement social.L’émergence du paradigme émancipatoire dans l’étudede l’exclusion sociale des personnes handicapéesNormand Bouchercristallisent aujourd’hui autour deLe handicap ne peut être envisagé en dehors de l’univers social qui le produit; illa nécessité de transformer lan’existe pas à l’extérieur des ...

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« Handicap, recherche et changement social. L’émergence du paradigme émancipatoire dans l’étude de l’exclusion sociale des personnes handicapées »  Normand Boucher Lien social et Politiques, n° 50, 2003, p. 147-164.    Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/008285ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir.
Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html
Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca  
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Handicap, recherche et changement social. L’émergence du paradigme émancipatoire dans l’étude de l’exclusion sociale des personnes handicapées
Normand Boucher
Le handicap ne peut être envisagé en dehors de l’univers social qui le produit; il n’existe pas à l’extérieur des structures où il est placé et des significations qui lui sont données 1 (Mike Oliver). Dans la plupart des sociétés pos- pées au sein des pays de l’Union tindustrielles, « le champ du handi- européenne, et 500 millions à cap » s’est radicalement transformé l’échelle mondiale (Barnes, 2002). depuis une quarantaine d’années. Bien qu’il faille demeurer fort pru-Le changement s’est surtout accé- dent dans l’interprétation de ces léré au cours des deux dernières données, elles fournissent néan-décennies, sous l’impulsion de phé- moins des paramètres généraux sur nomènes sociaux qui débordent la ce phénomène de la déficience ou réalité singulière des personnes han- de l’incapacité et du handicap, qui dicapées. Selon les plus récentes n’est pas le fait d’une minorité de estimations de l’Institut de la statis- personnes mais d’un ensemble en tique du Québec et de Statistique croissance constante. Canada, le Québec compte un peu plus d’un million de personnes han- La compréhension du phénomène dicapées (15,2 % de sa population), a également évolué. Dans la foulée et le Canada 3,6 millions (12,4 %) du développement d’un « mouve-(Guillemette et al., 2001, cité dans ment social des personnes handica-OPHQ, 2002; Statistique Canada, pées », les débats théoriques sur la 2001, cité dans DRHC, 2002). définition du handicap entretenus Cinquante millions de personnes par les principaux acteurs (mili-sont considérées comme handica- tants, intellectuels et chercheurs) se
cristallisent aujourd’hui autour de la nécessité de transformer la recherche sur le handicap, notam-ment à l’intérieur des sciences sociales (Rioux et al., 1994; Barnes et al., 1999). Ce processus a notam-ment mené au développement d’un champ interdisciplinaire d’études et de recherches sur le handicap, les Disability Studies. Il s’accompagne aussi d’une transformation de la pratique de la recherche et de l’ap-parition d’un « paradigme émanci-patoire » orienté vers l’amélioration des conditions de vie des personnes handicapées. Ce courant est nette-ment plus marqué dans les pays anglo-saxons, et les États-Unis et la Grande-Bretagne y font figure de chefs de file depuis les deux der-nières décennies. Ce nouveau para-digme met en évidence les facteurs sociaux, politiques et économiques de l’exclusion des handicapés et suppose le renouvellement de la
Lien social et Politiques – RIAC, 50, Société des savoirs, gouvernance et démocratie, Automne 2003, pages 147 à 164.
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recherche sur le handicap, c’est-à-dire des rapports entre le chercheur et le sujet de la recherche. À la suite de Michel Foucault, on reconnaît que depuis l’aube du 20 e siècle au moins, et même aupa-ravant, la déficience ou l’incapacité a été « problématisée », objectivée, socialisée, sous la forme de la diffé-rence corporelle. La société occi-dentale a créé le handicap ou le régime du handicap tout en cher-chant à l’effacer (Sticker, 1997, 1999). Entendue comme « l’élabo-ration d’un domaine de faits, de pra-tiques et de pensées qui semblent poser des problèmes à la politique », la problématisation fait en sorte qu’une question, ici la déficience ou l’incapacité, « se constitue comme objet pour la pensée (que ce soit sous la forme de la réflexion morale, de la connaissance scienti-fique, de l’analyse politique, etc.) » (Foucault, 1997 : 593, 670). De fait, ce n’est pas tant la déficience ou l’incapacité qui « pose problème à la politique », que la personne frappée par elles. La personne, poursuit Foucault (p. 594), « n’existe pas sans un rapport à des structures, des exigences, des lois, des réglementa-tions politiques qui ont pour elle une
importance capitale », même si elles n’apportent pas l’ultime solution au problème qu’elle représente, c’est-à-dire ne rétablissent pas sa place au sein de la société. La problématisation des rap -ports entre les personnes handica-pées et la société s’est manifestée comme enjeu dans le développe-ment de la réadaptation et de l’in-tégration, de la normalisation et de la lutte émancipatrice menée par le mouvement des personnes handi-capées, qui s’est voué à l’affirma-tion de leur existence et de leur appartenance à la fois individuelle et collective à la société, en tant qu’acteurs de changement et de développement. Cette problématisa-tion a touché les sciences sociales, où l’on observe l’apparition d’une approche nouvelle à l’étude du handicap qui donne forme à un nouveau paradigme. Cet article traite du développe-ment d’une pratique de recherche basée sur le paradigme « émanci-patoire », de ses principales carac-téristiques, de son apport à la compréhension des politiques sociales et du handicap, et de ses limites. Dans la première partie, nous rappellerons les transforma-tions sociales et politiques qui ont entouré l’apparition de cette nou-velle approche du handicap au sein des sciences sociales. Nous exami-nerons le concept de handicap et l’introduction d’un nouveau modèle d’analyse dans le champ de la recherche et de l’enseignement universitaire. Dans la deuxième partie, nous aborderons le nouveau paradigme et son application au champ de la recherche sur le handi-cap à partir, principalement, de
l’expérience britannique. Dans la dernière partie, nous analyserons l’apport de cette démarche à la compréhension du handicap et à la transformation de ses conditions de production, en cherchant à dégager les principaux enjeux liés au rôle et à la position des acteurs et aux choix qui accompagnent l’élabora-tion d’une pratique de recherche participative susceptible d’influen-cer les politiques sociales 2 . Transformations sociopolitiques et apparition d’une nouvelle lecture du handicap au sein des sciences sociales Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les personnes handicapées, devenues une réalité démographique et sociale incon-tournable, se regroupent pour faire entendre leur voix dans plusieurs pays occidentaux 3 . C’est au cours de cette période qu’apparaissent les premières interventions gou-vernementales les concernant, notamment en Grande-Bretagne, en France, aux États-Unis et au Canada. Ces mesures, qui coïnci-dent avec le développement de l’État providence, conduisent aussi, selon plusieurs analystes, à la ségré-gation des personnes handicapées (Rioux et al., 2002; Valentine et Vickers, 1996; Rioux et al., 1994; Enns, 1981). Dans la plupart des pays, elles mènent à la mise en place d’institutions spécialisées, à l’image des écoles spéciales, des ateliers de travail protégé ou des institutions d’hébergement; ce mode d’intervention est axé sur le « traitement » et surtout le « gar-diennage » des personnes handica-pées, qui se trouvent ainsi exclues et maintenues en marge d’une par-
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ticipation aux activités ordinaires de la société. Les conditions réservées aux personnes handicapées dans ces institutions font l’objet de critiques croissantes au sein d’une société alors soumise à une agitation poli-tique qui touche toutes les sphères d’activité. Simultanément, certains phénomènes sociaux servent de révélateur et de déclencheur dans le milieu des personnes handica-pées. Les mouvements de lutte pour les droits civiques des Noirs américains, ceux des femmes, des écologistes, des personnes gaies et lesbiennes, des jeunes, nourrissent l’imaginaire identitaire caractéris-tique des nouveaux mouvements sociaux. Nouveaux, ces mouve-ments le sont dans la mesure où ils rompent avec les formes tradition-nelles de participation politique, tel le système des partis. Ils critiquent les modes de fonctionnement de la société capitaliste et proposent des modèles alternatifs d’organisation sociale; ils orientent leurs luttes vers l’établissement d’une démo-cratie participative et d’une justice et d’une égalité sociales plus grandes au sein de la « culture industrielle » en crise (Touraine, 1978). Ils ont également en com-mun de mettre en perspective les rapports de domination inhérents aux interventions, jugées technocra-tiques, de l’État providence dans les différentes sphères sociales. Ils criti-quent la régulation étatique du social et les conflits qui l’accompagnent, refusant « la colonisation du monde vécue » (Habermas, 1981 : 434). Ils contestent l’imposition d’un modèle et de normes qui ne permettent pas l’affirmation et l’autonomie du sujet individuel et collectif, dans le res-
pect de ses particularités. Le débat s’articule notamment autour du développement et de la mise en place de politiques sociales univer-selles et tenant compte de la diver-sité, qu’elle tienne à l’orientation sexuelle, au genre, à l’origine eth-nique, à l’appartenance religieuse, à la déficience ou à l’incapacité. Le mouvement en faveur de la désins-titutionnalisation, porteur, notam-ment dans le domaine de la santé mentale, d’un discours critique de la pratique asilaire et de l’institu-tion, se situe dans ce contexte favorable à l’épanouissement des « minorités ». Cette effervescence se mani-feste dans des sociétés « d’abon-dances » caractérisées par la croissance économique et la trans-formation des rapports sociaux, soulignent Campbell et Oliver (1996) dans leur présentation histo-rique du mouvement britannique des personnes handicapées. Fagan et Lee, qui analysent aussi l’appari-tion de ce mouvement, le rattachent à la production de nouveaux types de conflits sociaux par le processus de redéfinition des rapports entre l’État et l’économie. Avec la fin des « trente glorieuses » (Fourastié) s’implante l’ère postindustrielle (ou post-fordiste, ou capitaliste avancée, selon les thèses). L’éducation, la santé, l’information occupent une place centrale; on observe un dépla-cement « du débat politique du champ de la propriété et de l’organi-sation du travail vers celui des industries culturelles » (Touraine, 1993 : 18). Les interventions de l’État providence keynésien et uni-versaliste sont contestées, le marché du travail est transformé par l’essor du secteur des services et la pré-
sence de plus en plus importante des femmes, les institutions et la repré-sentation politiques sont en crise. Campbell et Oliver mettent en évidence la transformation des formes de l’action collective dans le champ du handicap. Le « mouve-ment social » succède aux groupes de pression traditionnels. Les per-sonnes handicapées dirigent et contrôlent elles-mêmes leurs orga-nisations. Celles-ci sont axées sur la défense collective des droits et ne sont pas structurées autour d’un seul type de déficience, mais privi-légient une approche multidéfi-ciences (cross-disability) qui rend l’action politique plus efficace en évitant aux divers groupes d’être en concurrence pour l’obtention des ressources et de présenter des dif-férences artificielles, comme dans le précédent schéma d’organisa-tion. On veut, de cette façon, abor-der le handicap à l’intérieur d’une perspective plus large en montrant le caractère systémique de l’exclu-sion dont il fait l’objet au sein de la société postindustrielle. Ainsi se produit une « politisa-tion » du handicap, par le passage d’une réalité individuelle et patho-logique à une réalité sociale et col-lective portée par un mouvement voué à l’émancipation sociopoli-tique des personnes handicapées. On a parlé à ce propos de « dernier mou-vement social important de défense de droits sociaux » (Driedger, 1989). Ce mouvement a d’abord conduit au développement d’un discours critique à l’égard de la conception dominante, tributaire du modèle biomédical du handicap et du caractère ségrégationniste des interventions gouvernementales à
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l’égard des personnes handicapées; son discours et sa pratique s ap-puient sur une conception entière-ment sociale du handicap, qui apparaît comme le produit de l’or-ganisation sociale, plus particuliè-rement d’une structure économique capitaliste et oppressive 4 . La sociologie et le handicap La déficience est une réalité qui se situe à la frontière du biologique et du social. Sa lecture théorique oscille entre le déterminisme indivi-duel et le déterminisme de l’organi-sation sociale. La déficience est inhérente à l’expérience humaine et présente au sein de toutes les socié-tés (Stiker, 1997). On en prend acte dans les contributions théoriques et conceptuelles qui ont porté sur le handicap dans le champ des sciences sociales au cours des trois dernières décennies, de même que dans les critiques qui leur ont été adressées. Cet examen a conduit à un nouveau paradigme d’analyse du handicap (au sens de Kuhn, 1962), soit l’approche émancipatoire, qui, aux plans théorique, méthodolo-gique et politique, relève de la sociologie critique. À la manière du sociologue américain C. Wright
Mills, les principaux représentants de ce courant font appel à « l’ima-gination sociologique » pour analy-ser les interactions entre les individus dans leur vie quotidienne et l’ensemble plus large que forme la société (Barnes et al., 1999). Ils reprochent aux sciences sociales, et spécialement aux sociologues non handicapés, leur incapacité d’abor-der la question du handicap telle qu’elle est vécue par les personnes handicapées (Barnes et al., 1999; Barnes et Oliver, 1993). Ils s’inspirent aussi des travaux de l’École de Chicago, qui a déve-loppé l’interactionnisme symbo-lique et les notions phares de stigmates et de déviance, de Goffman (1963) et de Becker (1963), qui ont posé les jalons d’une grille de lecture sociologique per-mettant, sans chercher à retracer l’apparition du phénomène du « handicap », d’en étudier les consé-quences pour les personnes qui en souffrent. Le handicap est saisi comme un statut social doté d’une certaine visibilité, produisant sur le corps un effet de marquage qui, reconnu par l’autre, entraîne une mise à l’écart ou des comporte-ments singuliers dont résulte une mise hors normes (Boucher, 2001; Stiker, 1999). Empruntée à la pra-tique du marquage des esclaves dans la Grèce antique, cette notion de stigmate apparaît, dans le contexte moderne, comme le résul-tat de l’interaction sociale entre la personne jugée « normale » et la personne dite « anormale » en raison de ses caractéristiques physiques et mentales; la stigmatisation se solde par l’exclusion des personnes souf-frant de déficiences ou d’incapacités (Barnes et Oliver, 1993).
On a accordé de l’attention à la notion de « sick role », développée par Parsons, qui associe la mise hors circuit temporaire de la personne malade à une perturbation provi-soire et involontaire du fonctionne-ment du système social. Les variations de ce concept — « impai-red role », « rehabilitation role » 5 n’ont pas permis de dépasser cette approche, qui repose sur l’idée d’ajustement (individuel) plutôt que sur la notion de changement social. Postuler la perfectibilité du corps humain, sa capacité de s’améliorer et de s’adapter aux changements de son environnement, c’est traduire le handicap en termes de réalité et de responsabilité individuelles, pour rejoindre en fin de compte, selon certaines critiques, la médicalisation et ses conséquences (définies en termes de contrôle social) pour les personnes frappées de déficiences ou d’incapacités. De ce creuset théorique marqué par l’École de Chicago, mais en s’en distinguant, va naître un nouveau courant d’analyse sociologique : le modèle social du handicap, qui relève de la sociologie critique et s’oppose à la conception biomédi-cale dominante du handicap. La ver-sion britannique 6 , inspirée par le matérialisme historique et la pen-sée du théoricien italien Antonio Gramsci, est particulièrement inté-ressante pour notre propos. À la dif-férence de ce qui était mis de l’avant jusqu’alors par différents courants théoriques, elle pose que ce n’est pas le fait que la personne ait une déficience quelconque qui fait d’elle une personne handicapée, mais plu-tôt l’échec de la société capitaliste à répondre à ses besoins (Barnes, 1991; Oliver, 1990; Finkelstein,
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1980). Cette approche rejoint les courants d’analyse développés par le mouvement des femmes et cer-tains autres groupes, notamment ceux des Noirs américains et britan-niques. Elle est en lien avec un mou-vement social de changement où la situation des opprimés est présentée comme la conséquence de l’organi-sation sociale. Dans cette perspective, l’inter-prétation du handicap s’articule autour d’un déterminisme lié à l’or-ganisation sociétale et à ses trans-formations historiques, touchant notamment le mode de production économique et le travail. Certains auteurs (comme Finkelstein, 1980; Enns, 1981; Valentine et Vickers, 1996) relient ainsi les grandes phases du développement histo-rique, l’évolution des processus sociaux et les représentations des personnes handicapées au sein des sociétés occidentales. Finkelstein dégage trois phases qui correspon-dent à des types singuliers de représentations et de rapports sociaux : pré-capitaliste, capita-liste, et capitaliste avancée ou pos-tindustrielle. Au cours de la première phase, un ensemble de pratiques, singulières et générales, se constitue autour de « l’infirme ». Durant la deuxième phase, dominée par la représentation du handicap, des pra-tiques, spécialisées et ségrégatives, prennent forme autour de l’institu-tion. Avec l’industrialisation, les personnes affligées de déficiences ou d’incapacités, ou perçues comme telles, sont exclues de la production économique en raison de leur non-productivité et vont rejoindre les masses pauvres et paupérisées de cette période. Ces personnes apparaissent dès lors
comme un « poids » pour la société et surtout pour la famille; la charité et l’assistance publique assurent leur régulation et leur entretien, à l’extérieur du régime du travail. Leur prise en charge, au plan éta-tique, se fonde sur la création admi-nistrative de la notion de besoin et de handicap 7 , qui va conduire, au 20 e siècle, au développement de structures spécialisées. La dernière phase, actuellement en cours, est marquée par le début de la lutte pour l’émancipation des personnes handi-capées et le combat contre la discri-mination systémique dont elles sont l’objet (Finkelstein, 1980 : 6-8). Cependant, Finkelstein, à l’instar d’autres « Disability Writers » (Campbell et Oliver, 1996), voient dans le développement technolo-gique un facteur d’inclusion des personnes handicapées dans les activités ordinaires de la société. Pour les tenants du modèle social du handicap, le processus historique a conduit à la création de la dépen-dance, c’est-à-dire à la constitution d’une situation qui nourrit une représentation de la personne handi-capée comme dépendante, sans pouvoir, asexuelle, ayant toujours besoin des autres, des services, des politiques, etc. Créée par la struc-ture économique, cette situation est renforcée par les politiques sociales, qui sont destinées à aider les per-sonnes démunies et dépendantes mais ne visent pas à développer leur autonomie (empowerment) et leur responsabilité (accountability). Elle est encore aggravée par le rôle joué par les professionnels qui dispen-sent les services, dont les rapports avec leurs « clients » participent, à cause des relations de pouvoir et des valeurs qui y sont inhérentes, à la
création de cet individu dépendant, sans pouvoir et assujetti. Dans ce modèle, le rôle professionnel lui-même est déterminé par l’organisa-tion économique. Ces théoriciens sociaux pensent que « le personnel est politique » (Oliver, 1990) et que le handicap produit par les transformations sociales au cours de l’histoire est un construit. Cette création sociale oppressive 8 est l’envers de la défi-nition de l’individu comme être « physiquement et mentalement sain et socialement apte et valo-risé » 9 , autour duquel s’organise le fonctionnement de la société. Le modèle social du handicap conteste cette conception qui imprègne les interventions politiques à l’égard des personnes handicapées. L’action sociale et politique que mène le mouvement des personnes handi-capées pour leur faire une place au sein de l’espace démocratique commun va dans le même sens. Est également combattue l’approche individuelle du handicap, c’est-à-dire les analyses qui ne prennent pas en considération le rôle des facteurs sociaux, politiques et éco-nomiques dans le processus de pro-duction du handicap et d’exclusion de la personne handicapée. Le tableau 1 illustre les principales caractéristiques de ce que Barnes et al. (1999) appellent, après Oliver, les approches individuelle et sociale du handicap. Se référant au concept d’hégé-monie 10 de Gramsci, Oliver pré-sente le handicap comme une réalité multidimensionnelle. Ses dimensions — ontologique, épisté-mologique et de l’expérience vécue — peuvent être distinguées au plan
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analytique et étudiées à l’aide des outils théoriques et méthodolo-giques appropriés à chacune. Mais, dans les faits, elles demeurent en interaction et produisent une tota-lité, plus précisément l’hégémonie du handicap telle qu’elle existe au sein de la société capitaliste (Oliver, 1996 : 128-130). Elles ren-voient à trois questions : quelle est la nature du handicap ? Quelles en sont les causes ? Comment est-il vécu ? Cette distinction analytique importe pour Oliver dans la mesure où chaque élément pèse sur la façon dont le handicap est vécu, tant par les personnes handicapées que par celles qui ne le sont pas. Il l’intègre dans la démarche qu’il a entreprise pour développer une théorie sociale générale du handi-cap. C’est sans doute dans la possi-bilité d’étendre la portée du modèle social que réside l’intérêt actuel pour le développement d’une « sociologie de la déficience » qui ne se résume pas à sa dimension biomédicale. La définition exclusivement sociale du handicap, ou le handicap comme relation sociale oppressive (Finkelstein, 1980), fait l’objet de critiques parce que la réalité et
Tableau 1. Les caractéristiques des deux approches du handicap Approche individuelle Approche sociale La théorie du drame personnel La théorie de l’oppression sociale Le problème personnel Le problème social Le traitement individuel L’action sociale La médicalisation L’entraide La domination professionnelle La responsabilité individuelle et collective L’expertise L’expérience L’identité individuelle L’identité collective Les préjugés La discrimination Les soins Les droits Le contrôle Le choix Les politiques La politique L’adaptation individuelle Le changement social
Source : Oliver, 1996 : 34. Notre traduction. l’expérience de la déficience n’y ont pas de place. Le déterminisme social ne tient pas compte des dif-férences individuelles, qui sont susceptibles d’enrichir la compré-hension du handicap et les modali-tés politiques d’intégration des personnes handicapées à l’espace démocratique commun. La néces-sité de comprendre l’expérience individuelle et collective du handi-cap est la dimension pivot des cri-tiques adressées à la fois à la recherche sur le handicap prise dans son ensemble et au modèle social. Bon nombre d’entre elles sont formulées par des analystes féministes qui déplorent en outre que la réalité des femmes handica-pées, négligée à la fois par l’ap-proche féministe et par le modèle social du handicap, soit ainsi dou-blement exclue (Morris, 1992; Crow, 1996; Thomas, 1999). D’autres critiques concernent le silence du modèle eu égard à l’ori-
gine ethnique et à l’orientation sexuelle (Vernon, 1997; Barnes et al., 1999). Ces débats sont encore récents et les interrogations qui s’en dégagent nécessitent un approfon-dissement (Oliver, 1996). Il apparaît déjà que le racisme ou le sexisme ne sont pas des formes d’oppression qui se superposent au sein du modèle, ce qui appellerait une dis-tinction hiérarchique. Certains par-lent plutôt d’une médiation de l’expérience du handicap opérée par l’appartenance à une minorité culturelle (Barnes et al., 1999 : 90) ou le genre. Ces dimensions font sens dans l’analyse des politiques et du handicap, en jetant un éclai-rage sur leurs fondements sociaux et culturels. Il est primordial d’aller au-delà d’une logique d’assem-blage des formes d’exclusion pour toucher le cœur de leurs interac-tions complexes. Presque toutes renvoient directement ou indirecte-ment à des enjeux identitaires, l’identité des personnes ou des
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groupes étant souvent construite autour de la figure de l’exclu. La compréhension des rapports entre la société et les personnes souffrant de déficiences ou d’incapacités implique ainsi le développement d’une démarche de recherche basée sur leur participation et sur l’utili-sation d’outils méthodologiques permettant de saisir leur expérience individuelle et collective. La recherche émancipatoire, entre l’engagement et la responsabilité des acteurs La double dynamique des trans-formations sociales et politiques et du renversement de la probléma-tique de la recherche sur le handi-cap a mené à la formation du champ d’études et de recherches appelé « Disability Studies », qui tire son originalité de la conjugai-son de trois éléments : la place accordée aux personnes handica-pées, l’interdisciplinarité et la défense des droits (Albrecht et al., 2001 : 45). Le modèle social, nous l’avons vu, met l’accent sur la dimension essentiellement sociale du handicap, sur les obstacles que les personnes ayant des déficiences ou des incapacités doivent vaincre pour participer aux activités ordi-naires de la société. Dans ces tra-vaux, l’analyse de ces obstacles est abordée sous l’angle de l’expé-rience individuelle et collective du processus de production du handi-cap, et débouche sur une compré-hension du rôle des acteurs et une mise en cause de la recherche. En Angleterre, au début des années 1990, ce nouveau paradigme a engendré une pratique visant à développer une approche émanci-patoire de la recherche sociale sur
le handicap, en vue de transformer à la fois les conditions de vie des personnes handicapées et les condi-tions de production de la recherche (Barnes, 1992; Finkelstein, 1992; Oliver, 1992, 1996, 2002; Zarb, 1992, 1995, 1997; Priestley, 1999) 11 . Loin d’être spécifique au champ du handicap, ce paradigme a été utilisé dans des études féministes ou eth-niques ou encore dans des travaux sur le développement et la coopéra-tion entre les pays du Sud et du Nord (Maguire, 1987; Smith et al., 1997; Greenwood et Levin, 1998; Kemmis et McTaggart, 2000). Son développement par les chercheurs britanniques dans le champ du han-dicap a été influencé par ces travaux et ceux de Touraine (1978, 1985). Poursuivant explicitement des objectifs de changement social, les figures de proue de cette approche prennent place dans le débat lancé dans les années 1970 par le socio-logue américain Howard Becker autour de la question : « Whose side are we on ? ». Leurs critiques à l’endroit de la recherche sur le handicap concernent la domination du paradigme positiviste, qui a déformé l’expérience du handicap et n’a pas produit de résultats per-mettant d’améliorer les conditions de vie des personnes handicapées et les politiques destinées à les aider; il lui reprochent également d’avoir échoué à faire reconnaître le carac-tère essentiellement politique des luttes menées par les personnes handicapées, et le handicap lui-même comme un problème poli-tique et non pas de santé (médical) ou de bien-être (Oliver, 2002 : 2). Le renversement de probléma-tique qui marque l’étude du handi-
cap a aussi à voir avec les « sciences de la réadaptation ». Le modèle de la réadaptation, très important en Europe (et au Québec), aborde le handicap sous l’angle des défi-ciences et des incapacités, qu’il s’agit de compenser pour permettre à la personne de fonctionner et de s’adapter au monde social (Albrecht et al., 2001 : 45-46) 12 . Oliver distingue, dans le déve-loppement de la recherche au cours de l’histoire, trois phases qui sont représentées à la figure 1. C’est entre les deux dernières que l’on est passé d’une approche définis-sant le handicap comme un pro-blème social à une autre où il est conçu comme un problème poli-tique. Dans le paradigme interpré-tatif, qui découle des idées des Lumières, le handicap est un pro-blème social inscrit au registre des « besoins » caractéristique du déve-loppement de l’État providence. Oliver dresse à son propos le même constat que pour le paradigme posi-tiviste : l’approche interprétative n’améliore ni les services et poli-tiques destinés aux personnes han-dicapées ni les conditions de vie de ces dernières. Cette démarche, écrit-il, « ne modifie pas fonda-mentalement les rapports sociaux qui entourent la production de la recherche […]. La recherche n’a aucun lien direct et explicite avec la définition des politiques; elle inspire le processus qui l’entoure, fournit l’arrière-plan des décisions, aide les décideurs à choisir les ques-tions qu’ils vont poser, mais ne met pas de réponses dans leur bouche » (1992 : 109) 13 . En somme, cette approche profite aux chercheurs plus qu’elle ne concourt à l’amélio-ration des conditions de vie des
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personnes handicapées par l’élimi-nation des obstacles qui s’opposent à l’exercice de leur citoyenneté. Cette désillusion incite Oliver à se tourner, avec d’autres, vers le para-digme émancipatoire, à l’intérieur duquel le handicap est défini comme un problème politique à inscrire, cette fois, au registre des droits sociaux, des droits de la personne. Il s’agit alors de transformer les condi-tions matérielles de production de la recherche et les conditions de vie des personnes handicapées, de viser une « reconnaissance et une con-frontation du pouvoir structurant des relations sociales de production de la recherche », de travailler à la « démystification des structures idéologiques qui caractérisent ces relations » (Oliver, 1992 : 110-111). Cette approche met en cause le contrôle des priorités de recherche par les organismes subvention-naires et par les responsables de l’élaboration des programmes et des politiques, ainsi que le rôle du chercheur et sa posture d’« expert porteur d’une objectivité et d’une neutralité », interprète d’une réalité exempte de représentations et saisis-sable par des outils appropriés. À la suite de Hammersley, Oliver qualifie
Figure 1. Évolution des approches de recherche sur les politiques sociales dans le champ du handicap Source : d’après Oliver (2002). Notre traduction.
cette conception d’« Investigatory Foundationalism » (Hammersley, 2001, cité par Oliver, 2002 : 8). Par ailleurs, il est d’avis que la recherche participative et la recherche-action ne modifient pas les relations sociales et matérielles de production de la recherche, car elles cherchent simplement à améliorer la situation existante (1997 : 26). Les approches positiviste et interprétative ne font en général que renforcer l’exclusion et l’aliénation des personnes handica-pées, du fait qu’elles ne changent rien à la façon dont la recherche est faite, organisée et financée, autre-ment dit rien à ses relations sociales et matérielles, qui orientent l’en-semble du processus. Souvent, les chercheurs sont ainsi coincés dans un dilemme opposant la pratique —
construite autour d’une frontière bien délimitée entre le chercheur (l’expert) et les personnes handica-pées (l’objet passif de l’étude) — et l’organisation, déterminée surtout par des facteurs extérieurs. Devant ce dilemme, les cher-cheurs adoptent diverses stratégies qui reposent sur des positions idéo-logiques représentées à la figure 2. L’ empowerment et la réciprocité sont les deux principes fondamen-taux (Oliver, 1992; Zarb, 1992). Le premier n’est pas un élément donné; il s’acquiert, à l’intérieur d’un pro-cessus dont la personne handicapée est l’acteur central et durant lequel une pratique de recherche appro-priée doit être développée afin de la soutenir dans sa démarche. Pour Barnes, la participation et la respon-
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sabilité (accountability) des per-sonnes handicapées et surtout de leurs organisations sont également des principes importants à l’inté-rieur de ce paradigme (1992 : 121; 2001 : 7-8). Bien qu’il soit l’un des principaux instigateurs de l’approche émanci-patoire, Oliver refuse de préciser les caractéristiques qui permettent de la reconnaître. Priestley (1999) en a réuni les principaux éléments à partir d’une revue de la littérature (tableau 2). La recherche émancipatoire ne suppose pas seulement une partici-pation accrue des personnes handi-capées. Elles doivent aussi avoir le contrôle des différentes étapes de la réalisation des travaux. Les cher-cheurs doivent donc « apprendre à mettre leur science et leur savoir-faire à la disposition des per-sonnes sur lesquelles porte la recherche et laisser celles-ci s’en servir à leur convenance » (Oliver, 1992 : 111) 14 . Cette proposition bouscule sans nul doute certaines représentations de la structure de pouvoir au sein de la recherche et ne devrait pas susciter d’engoue-ment parmi la « communauté des chercheurs ». Elle a soulevé de nombreux débats dans le champ de la recherche sociale sur le handi-cap au cours des dernières années, débats sur le rôle respectif des chercheurs et des personnes han-dicapées et de leurs organisations, sur les impératifs du milieu uni-versitaire, à concilier avec ceux de l’engagement social et politique dans la lutte pour l’émancipation, débats enfin sur la place des cher-cheurs non handicapés et handica-pés à l’intérieur de l’approche
Figure 2. Fondements idéologiques des stratégies des chercheurs Source : d’après Oliver, 1997 : 15-31. Notre traduction.
Tableau 2. Principes de base du paradigme de la recherche émancipatoire L’adoption du modèle social du handicap comme fondement des recherches L’abandon de la prétention d’objectivité au profit de l’engagement dans les luttes du mouvement de défense des droits des personnes handicapées La volonté d’entreprendre des recherches qui auront des retombées pratiques pour l’amélioration de l’autonomie des personnes handicapées ou l’élimination des barrières auxquelles elles font face La délégation du contrôle sur le processus de production de la recherche afin d’assurer la pleine responsabilité des personnes handicapées et de leurs organisations La capacité de donner une place à la dimension personnelle du handicap tout en mettant en relief le caractère collectif de l’expérience de l’exclusion et des obstacles à la parti-cipation des personnes handicapées à la société La volonté d’adopter diverses méthodes pour la cueillette et l’analyse des données, compte tenu des besoins changeants des personnes handicapées Source : Priestley, 1999 : 16. Notre traduction.
émancipatoire (Shakespeare, le fait de souffrir d’une déficience 1997; Drake, 1997; Bury, 1996; n’est pas indispensable à la réali-Stone et Priestley, 1996). sation d’études et de recherches Sur ce dernier point, Oliver et sur le handicap dans le cadre Barnes sont tous deux d’avis que d’une approche émancipatoire;
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l’écart culturel qui sépare le champ de la recherche de l’univers des personnes handicapées a trait à des variables comme la classe sociale, l’instruction, le travail etc., plutôt qu’à la déficience. Ce qui importe, c’est d’adopter le modèle social du handicap, puis de reconnaître que les personnes handicapées sont l’objet de pra-tiques institutionnalisées de dis-crimination (1992, 1992). Barnes insiste là-dessus : « l’objectif de la recherche émancipatoire est la démystification systématique des structures et des processus qui créent le handicap et l’ouverture entre la communauté des cher-cheurs et les personnes handica-pées d’un “dialogue” qui pourra aider celles-ci à devenir auto-nomes » (1992 : 122) 15 . Pour le chercheur, l’important demeure d’apprendre à mettre ses compé-tences et aptitudes au service de l’émancipation des personnes han-dicapées. La relation entre l’ex-pertise et l’expérience, leur place respective au sein de la pratique de recherche et la politisation de cette dernière structurent ces débats. Certains, comme Tom Shakespeare, attirent l’attention
Tableau 3. Critères d’évaluation d’une recherche fidèle au paradigme émancipatoire
• Qui décide du sujet de la recherche et de la manière dont elle sera réalisée ? • Jusqu’à quel point les personnes handicapées participent-elles à la réalisation de la recherche ? • Les personnes handicapées ont-elles la possibilité de critiquer le projet et d’en influencer les orientations ? • Les résultats de la recherche seront-ils diffusés, et comment ?
Source : Zarb, 1992 : 29. Notre traduction.
sur la fonction critique de l’intel-lectuel : « En tant qu’universitaire, je peux me payer le luxe de réflé-chir et d’examiner les choses de l’extérieur. Je pense qu’il est par-fois de mon devoir de me montrer critique, de soulever des questions et de me demander si certaines n’ont pas été oubliées dans le feu des discussions politiques. […] Le discours sociologique est critique mais aussi réflexif, dans la mesure où son examen porte sur lui-même. Il se distingue par là du langage politique » (1997 : 251-252) 16 . Cette nuance est de nature à établir dans le processus de recherche un meilleur équilibre entre le monde des idées et de la réflexion et celui de l’action, et à favoriser ainsi le changement social dont le paradigme émanci-patoire est porteur : « à mon avis, poursuit Shakespeare, la division du travail entre universitaires et militants est nécessaire : si la red-dition de comptes et la représenta-tion sont des notions adaptées au contexte politique, l’engagement et le dévouement sont plus propres à la sociologie » (1997 : 253) 17 . Sans y correspondre en tout point, les recherches qui se réfèrent
au paradigme émancipatoire se sont multipliées depuis dix ans. Citons les travaux de Barnes (1990, 1991), Zarb (1997), Priestley (1999) et Barnes et al. (2000) 18 . Zarb formule cinq questions qui permettent d’évaluer la fidélité d’une recherche aux principes de cette approche (tableau 3). Très critique des approches plus anciennes qui tendaient à défor-mer l’expérience du handicap, les tenants du paradigme émancipa-toire accordent une importance toute particulière à la méthodolo-gie. De manière générale, ils prô-nent le recours aux méthodes qualitatives, empruntées notam-ment à l’ethnographie, comme les récits, l’analyse de contenu, les groupes de discussion et les entre-tiens non directifs (Albrecht, 2001). Barnes énumère trois rai-sons qui les font opter pour ce type de méthodes : a) au plan analy-tique, il est impossible au cher-cheur de s’abstraire de l’univers social qu’il veut étudier afin d’at-teindre l’objectivité; b) au plan méthodologique, la logique statis-tique et expérimentale ne convient pas à l’étude des significations de la vie quotidienne dans un monde
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