ETUDE D UN DOSSIER
14 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
14 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

J. 5833MINISTER E DE L’EQ UIPEM EN T , DES TR A NSPORTSET D U LO G EM EN TEX A MEN DU BEP ECA SERSession du 14 novembre 2001ETU DE D’U N DOSSIERCoe fficient : 1 – D urée : 3 he uresSujet: « V IOLEN CES - I NCIVILI TES - I NSECURITE»Faites une synthèse de s doc uments contenus da ns le dos sier, pui s da ns une conclusion, exprimez vot re opi nion pe rsonnelle sur l a que stion t raitée da ns le sujet ou s ur un a spect qui vous a pa rticulièrement m arqué.1 / 14-2-SOMMA IRE• Violence et c riminalité 3• La mon tée des vi olences 4• Une société plus inquiète 6• Qu’e st-c e - que l’insécurité ? 7• La vi olence urbaine9• La vi olence à l’é cole10En coopérant avec les institutions, le citoyen coproduit de la sécurité. Il retrousse ses manches et la pol ice est là pour c ompléter s on t ravail ; la pol ice n’e st pa s pl aquée sur un qua rtier pa ssif. D ans certains pays, les policiers sont notés par rapport à la satisfaction de la population ! A Harlem, des mères de famille, des jardiniers, des retraités… se postent quotidiennement devant les écoles afin que, dans leur cité très dangereuse, la sortie se passe bien. Cha cun ressent la nécessité de faire quelque chose. Je pense qu’i l faut s’a utoriser à intervenir, à s’i nvestir dans l’e space public en vertu d’un accord sur les normes sociales que nous nous sommes choisies. La notion de « se faire confiance» est centrale dans une dynamique de quartier. En France coopérer avec la police serait ...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 158
Langue Français

Extrait

MINISTERE DE L’EQUIPEMENT , DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT
EXAMEN DU BEPECASER
Session du 14 novembre 2001
ETUDE D’UN DOSSIER Coefficient : 1 – Durée : 3 heures
J. 5833
Sujet: « VIOLENCES - INCIVILITES - INSECURITE» Faites une synthèse des documents contenus dans le dossier, puis dans une conclusion, exprimez votre opinion personnelle sur la question traitée dans le sujet ou sur un aspect qui vous a particulièrement marqué.
1 / 14
-2-
SOMMAIRE
· Violence et criminalité · La montée des violences · Une société plus inquiète · Qu’est-ce - que l’insécurité ? · La violence urbaine 9 · La violence à l’école  10
3 4 6 7
En coopérant avec les institutions, le citoyen coproduit de la sécurité. Il retrousse ses manches et la police est là pour compléter son travail ; la police n’est pas plaquée sur un quartier passif. Dans certains pays, les policiers sont notés par rapport à la satisfaction de la population ! A Harlem, des mères de famille, des jardiniers, des retraités… se postent quotidiennement devant les écoles afin que, dans leur cité très dangereuse, la sortie se passe bien. Chacun ressent la nécessité de faire quelque chose. Je pense qu’il faut s’autoriser à intervenir, à s’investir dans l’espace public en vertu d’un accord sur les normes sociales que nous nous sommes choisies. La notion de « se faire confiance» est centrale dans une dynamique de quartier. En France coopérer avec la police serait considéré comme de la délation dans des quartiers problématiques. L’attitude générale consiste à se décharger sur l’Etat, à se dire que c’est à lui d’agir. 60 % des Français disent vouloir plus de police et de gendarmes, mais les citoyens prêts à s’impliquer dans le domaine de la sécurité ne sont que 3 %.
Sophie Body-Gendrot, politologue, spécialiste des phénomènes de violences en France et à l’étranger. TERRITOIRES — mai 2000 « Violence de jeunes – L’approche éducative »
2 / 14
-3-
VIOLENCE ET CRIMINALITE
Beaucoup de discours sur la violence se concentrent aujourd’hui sur la criminalité dont ils dénoncent la montée. Cette progression de la violence criminelle n’est guère établie. Mieux vaudrait dire qu’on assiste, en dépit du paradoxe apparent, à une pacification progressive de la société : les moeurs se sont civilisés. Que l’opinion publique ressente néanmoins une insécurité grandissante n’a rien à voir avec le volume effectif de la criminalité mais avec les normes à partir desquelles les phénomènes criminels sont appréhendés. A la différence du passé, les sociétés que nous connaissons sont habituées à une sécurité qui ne dépend pas seulement des chiffres de la criminalité mais autant et plus de l’organisation de la solidarité collective, des assurances et de la sécurité sociale, de l’homogénéité d’un espace de libre circulation, de la régulation de multiples aspects de la vie par l’Etat. Même les catastrophes naturelles font désormais l’objet d’indemnisation. Sur ce fond de sécurité grandissante, les comportements criminels et délinquants sont alors perçus avec une anxiété disproportionnée. Il est difficile de disposer de renseignements quantitatifs sûrs pour un passé lointain, mais notre ignorance n’est pas complète ; tout ce que nous savons va, en tout cas, dans un sens que nous pouvons aisément deviner : la violence fut la fatalité quotidienne de périodes entières du passé. En ce qui concerne le Moyen Age et le début des temps modernes, les historiens les plus sérieux s’accordent pour reconnaître l’insécurité de la vie et l’omniprésence de la violence dans les rapports humains... A Paris, en juin 1488, sur une centaine de personnes arrêtées en une semaine, la moitié le sont pour violences physiques, 13 % pour des vols et 12% pour dettes.. Cette criminalité urbaine est liée à la brutalité de la vie, à la pauvreté et aux handicaps, elle tient aussi à la marginalité des groupes déracinés par les changements ruraux, les cataclysmes et les épidémies. Les individus partent vers les villes et la communauté ne peut plus assurer sa propre régulation de la violence et de la délinquance. Pour des périodes plus récentes, les études informées confirment un haut niveau de violence criminelle et de brutalité, particulièrement dans les villes où la population est pauvre, constituée pour partie de migrants et de personnes sans domicile fixe. Les violences physiques et les vols forment l’ordinaire de la criminalité... Cette violence est une violence de pauvres entre eux : violence sur les marchés, au travail (entre ouvriers, entre maîtres et apprentis, entre maîtres et domestiques), violence entre les conjoints, violences sexuelles. Elle ne s’en prend pas aux classes supérieures, sinon en visant les forces de maintien de l’ordre. Si l’on envisage l’évolution de la criminalité depuis le XIXème siècle à partir des statistiques sanitaires et judiciaires, on constate à peu près partout une régression des homicides. S’il y a une montée de la violence, elle ne provient donc pas de la criminalité ; il est en revanche indiscutable que nous sommes devenus extraordinairement sensibles à une insécurité qui n’a probablement jamais été aussi faible.
Yves MICHAUD « La violence » Collection « Que sais-je » Presses Universitaires de France - Septembre 1999
3 / 14
-4-
LA MONTEE DES VIOLENCES
La délinquance s’est considérablement transformée au fil du temps. Les faits comptabilisés hier diffèrent de ceux recensés aujourd’hui. Les Trente Glorieuses, marquées par la progression fulgurante des vols, faisaient l’objet d’une délinquance de prospérité. Cette délinquance se distingue de la violence dite de comportement qui, à partir de 1975, résonne des maux nouveaux que constituent la crise et la réduction des possibilités d’insertion. Ainsi, dans les années 1945-1975, ère de rapide expansion où une abondance de biens nouveaux est mise en circulation, la délinquance est plutôt liée au profit. Les vols augmentent de 4,5 pour mille en 1945 à 23,3 pour mille en 1975, alors que les violences demeurent plutôt stables (1,4 pour mille en 1945, 1,7 pour mille en 1975). Les causes de cette délinquance sont alors moins imputées à la pauvreté, à l’absence d’éducation ou de «valeur morale» - même si celles-ci peuvent y concourir - qu’à la frustration, au désir d’acquérir ce qu’on se sent en droit d’attendre d’une société en expansion. A partir de 1975, la progression des viols, des coups et blessures volontaires, des vols avec violence infléchissent le sens d’une délinquance mâtinée de crise, la part des homicides restant, elle, marginale. Cette délinquance, qui prend des formes interpersonnelles et collectives, exprime le conflit du face à face et l’altercation avec l’institution. L’évolution des vols se fait à un rythme beaucoup plus lent que dans la période précédente, alors que le taux des délits contre les biens et les personnes double quasiment (1,7 pour mille en 1973, 3,3 pour mille en 1995). La croissance de ces délits s’accélère même à partir de 1988 : ils représentent 14 % de la criminalité en 1988 et couvrent 23 % des délits en 1996. Parallèlement, les destructions et dégradations de biens publics et privés connaissent une forte hausse, passant de 14,1 % en 1988 à 24,6 % de la délinquance de voie publique en 1997. La délinquance des mineurs, en augmentation depuis 15 ans, focalise aujourd’hui l’attention. En 1999, 23 % des mises en cause concernent des mineurs. Cette violence, de plus en plus expressive, revêt des allures de Fronde. Les vols liés à la voiture, par exemple, délits auxquels les jeunes restent très associés, le révèlent. Motivés par le seul besoin de possession, ils se déploient de manière ostentatoire à partir des années 80. L’intérêt change d’objet : les autoradios sont moins convoités que les voitures. Les vols de voiture, exercés hier à des fins de profit, s’apparentent plus aujourd’hui à des emprunts ou des jeux. Depuis le milieu des années 70 également, la tendance est à l’augmentation de la violence physique : on agresserait plus aujourd’hui qu’hier. L’agression devient un risque réel ainsi que les enquêtes en témoignent : en 1994 et 1995, une personne sur vingt se dit affectée. Mais, cette augmentation ne sous-tend pas pour autant que notre époque soit gagnée par une plus grande propension à l’effusion de sang. Comme les soulignent les enquêtes du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), lorsqu’une personne se sent agressée, celle-ci se réfère une fois sur deux à des injures, une fois sur quatre à des blessures : une fois sur vingt, la blessure conduit à une hospitalisation ou un arrêt de travail… L’agression, comme la prédation dont la fréquence augmente avec la taille de l’agglomération, est souvent associée au fait urbain. L’anonymat inhérent à la grande ville, la dislocation de l’ancienne entité quartier - qui mariait en un même lieu, travail, habitat et vie sociale -, le passage d’une sociabilité de voisinage à une sociabilité éclatée dans les différents territoires de la ville, conduisent à la baisse du contrôle social informel et de la vigilance
4 / 14
-5-
communautaire, en bref, de la surveillance qu’assurait autrefois le particulier sur ses propres biens. Toutefois, le phénomène de l’agression semble moins se définir par sa connotation urbaine que par sa concentration sur certaines catégories de population. Ainsi, les jeunes de certains quartiers dits populaires y sont-ils soumis de manière répétitive. Ceux-là même, qui aujourd’hui constituent les principaux acteurs de cette nouvelle délinquance d’exclusion, sont également les principales victimes des agressions. Les enquêtes de victimisation du CESDIP tendent à suggérer que nombre d’agressions s’avèrent être des querelles entre jeunes qui les vivent comme des bagarres... La violence, autrefois dispersée dans l’espace urbain, trouve son terrain d’élection dans les départements (à taux d’urbanisation égal) et les communes qui cumulent le plus fort taux de chômage et de population étrangère avec les habitants les moins mobiles. Les quartiers dits d’exclusion apparaissent ainsi comme la terre nourricière de bon nombre de délits : le plus souvent, les jeunes délinquants interpellés proviennent de quartiers qui concentrent échec scolaire des jeunes, familles monoparentales, bénéficiaires de l’aide sociale. Ces quartiers, qui affichent une population de plus en plus « captive » depuis 1985, sont également les plus exposés à la violence dite expressive exercée par les jeunes qui y résident. A l’inverse, les espaces plus anonymes de la ville - zones de chalandise des centres-villes, aires résidentielles - recensent une délinquance d’acquisition, fait des jeunes également incriminés dans les quartiers dits sensibles. « VILLE ET VIOLENCE » Dossier documentaire réalisé par le Centre de Documentation de l’Urbanisme - D. LEFRANCOIS et F. PORCHET - octobre 2000 Evolution des atteintes aux biens (vols) et atteintes aux personnes (violences) en France (statistiques de la police et de la gendarmerie) Dates Atteintes aux biens Atteintes aux personnes 1950 187 496 58 356 1955 191 138 59 906 1960 345 945 53 272 1965 423 216 62 975 1970 690 899 77 192 1975 1 233 186 87 738 1980 1 624 547 102 195 1985 2 301 934 117 948 1990 2 305 600 134 352 1995 2 400 644 191 180 1998 2 304 882 230 023 Sebastian Roché « La société d’hospitalité» Editions du Seuil 2000
5 / 14
-6-UNE SOCIETE PLUS INQUIETE
La violence inquiète. Selon un sondage IPOP de 1998, huit Français sur dix estiment que les violences dans les villes ont atteint un niveau alarmant… La violence urbaine préoccupe d’autant plus qu’il s’avère aujourd’hui difficile de lui donner un sens, contrairement aux accidents de la route. Bien que l’automobile soit très meurtrière, sa pratique n’est pas pour autant perçue comme plus risquée. La nuit du nouvel an 1999, alors qu’une cinquantaine de morts était imputée aux accidents de la route, la France retenait son souffle : des voitures étaient à nouveau incendiées à Strasbourg. L’accident de la route, à l’heure où la population a massivement adhéré à la voiture, est perçu, à contrario  des incidents survenus en banlieue, comme le prix à payer de la modernité et du mode de vie qui en découle... Les Français ont peur. Le sentiment d’insécurité se renforce depuis les années 80... La crainte reposerait moins, comme on a pu l’entendre dire, sur les violences les plus spectaculaires - le terrorisme, l’émeute - dont les effets sur l’opinion sont réduits dans le temps, que sur la délinquance et la criminalité et surtout les incivilités, le vandalisme... Les incivilités regroupent des actes a priori peu graves en soi - les crachats, les bagarres, les attitudes irrespectueuses, les insultes, les menaces - mais difficiles à supporter au quotidien. D’autant qu’à mi-chemin entre la violence symbolique et la violence physique, elles ne sont pas réprimées par la loi. Avec le vandalisme et les nuisances sonores, qui, eux, sont des délits relevant de la justice, elles sont au coeur du sentiment d’insécurité. Les incivilités ne sont pas une nouveauté : simplement plus nombreuses aujourd’hui, dit-on, elles sont surtout moins tolérées. Les repères sociaux d’une société autrefois plus normée et structurée par classes permettaient de mieux les supporter. Les bagarres, les affrontements verbaux, les excès de vitesse dans le quartier, pouvaient être considérés comme un moment passager, propre à l’adolescence. En outre, la culture ouvrière et populaire admettait plus facilement le débordement de violence. Le dénigrement de la force physique, qui hier était valorisée sur le plan économique et perçue comme un bien, une force de travail, tend à renforcer l’intolérance à l’égard des turbulences des bandes. Aujourd’hui, les insultes et bagarres sont associées à la déliquescence sociale, à l’affaiblissement des normes, des ordres sociaux que recouvraient la famille, l’école, l’entreprise ; elles sont imputées à la défaillance des surveillances publiques (un policier moins enclin à s’occuper des affaires du quartier), et privées (les différents groupes sociaux, les communautés de voisinage d’antan). Les incivilités sont-elles plus nombreuses ou l’intolérance à leur égard est-elle plus importante ? Au regard de la diversité des points de vue de chercheurs, la question reste à trancher... Quoiqu’il en soit, les incivilités tendent à renforcer l’intolérance à l’égard des bandes de jeunes, qualifiées souvent comme les nouvelles classes dangereuses. Expressives et ludiques, moins tournées sur le profit, elles s’inscrivent avec l’émeute, le rodéo de voiture, les attaques contre les institutions, dans le nouveau répertoire d’une délinquance juvénile dont on ne connaît ni le sens ni les modes d’expression.
« VILLE ET VIOLENCE » Dossier documentaire réalisé par 1e Centre de Documentation de l’Urbanisme - D. LEFRANCOIS et F. PORCHET - octobre 2000
6 / 14
-7-
QU’EST-CE-QUE L’INSECURITE ?
(Extraits de questions posées à Sebastian ROCHE, l’un des meilleurs spécialistes de l’insécurité, par Jean-Louis SCHLEGEL)
Commençons par l’essentiel: qu’est-ce que les spécialistes appellent « insécurité » ? La définition qu’ils en donnent en 2000 n’est pas celle de 1980 : L’insécurité bouge, évolue, elle a une histoire. Aujourd’hui comme hier, bien sûr, on y met les vols et les agressions, mais il faut y ajouter les incivilités , qui ne sont ni des vols ni des agressions, ainsi que les manifestations de révolte des jeunes, c’est-à-dire les agressions qu’ils commettent contre des cibles perçues comme des institutions publiques ou officielles : bus, mairies, commissariats de police. Mais maintenant, on met aussi et surtout dans l’ « insécurité» le sentiment d’insécurité qui résulte de tout cet ensemble un peu disparate, dont les motivations sont d’ailleurs diverses (on peut voler pour le profit, mais on s’attaque à un commissariat à cause d’un sentiment d’injustice après une « bavure», réelle ou supposée, des policiers). Le sentiment d’insécurité peut naître de petits faits, apparemment anodins, mais très perceptibles ou palpables : un regard trop insistant, une file d’attente qui n’est pas respectée, un ticket de bus qui n’est pas payé, des décibels en trop sortis d’une radiocassette, des deux-roues qui font un bruit d’enfer, des dérapages automobiles dangereux dans les tournants, sur un parking... Intégrer le sentiment d’insécurité, c’est tenir compte de l’émotion des gens, de leurs réactions, de la manière dont ils perçoivent la violence ou le désordre. C’est refuser de dire d’avance ou d’emblée : « Tout cela, c’est des fantasmes ! », mais considérer que ces réactions ou ces perceptions sont une composante de l’insécurité aujourd’hui. Vous diriez donc: « Depuis 1960, les violences ont augmenté, l’insécurité ne repose pas seulement sur des fantasmes » ? Je dirais plutôt : il ne faut pas opposer les deux aspects : sensibilité à la violence/violence réelle. D’un côté, cette sensibilité plus grande à la violence existe ; elle est liée aussi à l’individualisme contemporain, à une conscience beaucoup plus forte et précoce de soi-même, de l’individualité de chacun, de son corps (dont on est « propriétaire »). Ainsi, aujourd’hui, des petites filles victimes d’attouchements de la part du père ne garderont plus le silence mais iront se plaindre, des femmes n’accepteront plus le harcèlement sexuel au bureau. Les couches modestes qui accèdent à la société de consommation trouvent un statut avec l’achat d’une voiture (symbole de liberté), d’une télévision et d’autres biens que la plupart des gens possèdent généralement à notre époque. Elles sont donc très sensibles à tout ce qui touche à ces propriétés. Mais, en même temps, il faut souligner que le nombre d’actes délinquants a fortement augmenté : toutes les sources statistiques en notre possession vont dans ce sens. En particulier, les agressions contre les personnes et les vols se sont incontestablement accrus. Depuis les années 60 et plus encore depuis 1975, la «géographie de la peur» correspond à la géographie des délits : dans les petites villes, on a moins peur, ou on a un sentiment de sécurité plus fort que dans les grandes métropoles et dans certaines banlieues.
7 / 14
-8-
Opposer les deux hypothèses (celle d’une violence imaginaire à celle d’une violence réelle) paraît élégant et suggestif, mais ce n’est pas la bonne voie. Incontestablement, la peur correspond à une réalité double : elle est liée à la fois à une délinquance en augmentation et à une sensibilité accrue. Cependant, vous ne niez pas que, dans le sentiment d’insécurité, il y a aussi une part d’imaginaire, de fantasmes. Bien entendu. Comme disent les sociologues, le risque est «construit» socialement. D’un côté, l’inquiétude qui s’est accrue dans la population me paraît proportionnelle à une augmentation réelle de la délinquance, du danger. Mais, de l’autre, peut-on dire que les gens ont peur de ce qui les menace le plus ? Pas du tout, car ce qui les menace le plus, et de loin, ce sont les maladies cardio-vasculaires, les accidents de la route, les chutes accidentelles... Seulement, chacun fait tout naturellement la différence entre la violence intentionnelle, la violence destructrice venue d’autres individus, qui porte atteinte aux biens et aux personnes en menaçant la cohésion sociale, et les risques librement consentis et choisis en prenant la voiture, en pratiquant tel sport extrême, etc.
Sebastian ROCHE « La société d’hospitalité» Editions du Seuil — mars 2000
Pourcentage de déclarations des faits par les victimes aux autorités en France (International Crime Victimization Survey, 1996, ministère de l’Intérieur) Taux de déclaration Vol de voiture 95,7 Vol de moto 81,1 Cambriolage 78,4 Vol dans la voiture 61,3 Vol avec violences 57,4 Vol sans violence 47,7 Vol de bicyclette 47,3 Vandalisme sur la voiture 46,9 Tentative de cambriolage 44,4 Violences ou menaces 29,7 Agression sexuelle 29,8
Mode de lecture, ligne 1 : 95,7% des victimes de vol de voiture ont déclaré le vol à la police ou à la gendarmerie ou à la justice. Sebastian ROCHE « La société d’hospitalité » Editions du Seuil — mars 2000
8 / 14
-9-LA VIOLENCE URBAINE Dans la plupart des pays développés, l’insécurité est un phénomène urbain… En France, c’est dans les banlieues que la violence se banalise. On comptait en 1995 environ 1000 quartiers difficiles, dont près de 700 sont le lieu de violences à répétition de la part de bandes de jeunes de plus en plus jeunes (les 13-16 ans sont de plus en plus nombreux parmi les fauteurs de trouble). Les rapports de la police ont identifié des pics saisonniers : à l’automne (après la rentrée scolaire) et au printemps. Ces incidents revêtent des degrés de gravité variable : depuis les rodéos de motocyclettes et les razzias de groupe dans les supermarchés jusqu’aux attaques et embuscades préméditées contre les forces de police en passant par le vandalisme contre les locaux publics (gymnases, écoles, véhicules de police ou de pompiers), les agressions verbales et les attroupements hostiles contre les représentants de l’autorité (professeurs, animateurs, pompiers, policiers). Face à une agressivité qui peut à tout moment basculer dans la violence, les forces de l’ordre sont de plus en plus démunies et doivent intervenir de manière très discrète. Se créent ainsi des zones de non - droit, d’où les habitants fuient, d’où les commerces disparaissent, où les établissements d’enseignement fonctionnent mal. Les approches des autorités politiques, quelles que soient leurs différences d’accent, comportent plusieurs volets correspondant aux multiples causes du phénomène. L’emploi est une donnée importante. Il s’agit de redonner une activité à des populations durablement au chômage, parfois à la seconde génération du chômage. D’où l’idée d’emplois d’utilité sociale pour reconstituer des services collectifs à la population. D’où aussi le projet de créer des incitations fiscales (zones franches) à l’implantation d’entreprises dans ces zones désertées par les commerces, l’artisanat et l’industrie. Un autre aspect touche à la rénovation urbaine : destruction des bâtiments dégradés, réhabilitation des centres commerciaux et de l’environnement urbain, amélioration des dessertes (et souvent création de dessertes) par les transports en commun. Un troisième élément concerne le retour des services publics dans ces zones à risque — renforcement des effectifs de fonctionnaires, création d’antennes de services publics, rééquilibrage des effectifs de police entre banlieues et centres des villes. Une attention particulière doit être donnée à l’enseignement et à la formation. Un dernier élément concerne la répression, notamment des mineurs multirécidivistes et des trafiquants, dont il faut revoir les conditions de responsabilité. A travers ces différents axes d’action, il apparaît que la crise des banlieues relève à la fois d’un état architectural et urbain et d’une situation d’exclusion sociale. Les banlieues sont le produit du rêve moderniste d’un habitat normalisé, concentré, si possible « à la campagne» et pas cher. Ni l’urbanisme ni la desserte de ces zones n’ont jamais été envisagés sérieusement. La solution du problème passe par la reconsidération de l’architecture et plus encore de l’urbanisme de ces espaces — en concertation avec les usagers. Quant à l’exclusion, elle a de nombreux aspects : elle est affaire d’inactivité (chômage), d’absence d’intégration culturelle (immigration), d’absence de perspectives de mobilité sociale, d’absence de formation (école, apprentissage), le tout étant recouvert par une politique d’aide et d’assistance qui renforce entre la passivité et la résignation des exclus. Quand on considère l’ensemble de ces facteurs, on ne peut pas être surpris de la violence des banlieues, mais l’on voit assez clairement sur quoi agir.
Yves MICHAUD « La violence » Collection « Que sais-je » Presses Universitaires de France -Septembre 1999
9 / 14
-10-LA VIOLENCE A L’ECOLE La violence à l’école est vraiment une des grandes injustices sociales. Cela a entraîné le lancement, en 1997-1998, d’un plan interministériel de lutte contre la violence scolaire… Ce plan, expérimental, portait sur 411 établissements de quartiers difficiles, auxquels on donnait des moyens importants en personnel. Au démarrage du plan, que mon équipe a été amenée à évaluer, nous avons pu mesurer l’évolution de la situation dans un échantillon d’établissements très défavorisés. Le constat a été spectaculaire. Premièrement, une très forte augmentation du sentiment d’insécurité: en 1994-1995, à peu près 21 % des élèves disaient qu’il y avait énormément ou beaucoup de violence dans leur collège; ils étaient 41 % en 1998, presque le double. Chez les enseignants, c’était encore plus spectaculaire: en 1994-1995, 7 % évoquaient une forte agressivité des élèves à leur encontre; trois ans plus tard, 49 %, sept fois plus ! Est-ce seulement parce que la violence à l’école a été l’objet de toutes les inquiétudes ces dernières années ? La délinquance en milieu scolaire change de sens et de mode d’expression, comme c’est le cas de la délinquance juvénile en général. Les agressions directes contre les membres du personnel, surtout verbales mais aussi physiques, ont fortement augmenté. La délinquance est devenue une délinquance d’opposition, une violence contre les institutions et leurs représentants, comme le « caillassage » des bus, les agressions contre des médecins, des pompiers aussi bien que des policiers. Cela se construit en termes « ami-ennemi », « eux et nous », comme si l’école était considérée par un certain nombre d’élèves non plus comme une alliée possible pour leur intégration, mais au contraire comme la représentante d’une société qui ne tient pas ses promesses d’intégration. Enfin c’est une délinquance, non de bandes durables mais de groupes occasionnels. On ne compte pas plus de victimes parmi les élèves, ce qui rejoint les résultats de toutes les enquêtes internationales : 6 % à 9 % des élèves d’un établissement peuvent être concernés. Mais la violence a augmenté en intensité : les victimes parlent de violences beaucoup plus dures. On constate une radicalisation, avec des cérémonies curieuses comme le « bonnet » : on enfonce un bonnet sur la tête d’un gamin et on tape dessus, à huit ou à dix. Dans cette violence de groupe, on ose davantage, on fait plus mal. La victime risque donc plus... C’est le collège qui est malade aujourd’hui : 400, 500 ou 600 élèves pour un collège en zone sensible, c’est trop. Il faut faire de petits établissements plus conviviaux, où l’on peut abolir ce sentiment de distance d’où naît en grande partie la violence contre l’école. Ou, si on ne peut le faire rapidement pour des raisons financières, on peut du moins essayer de couper en deux les plus gros, en formant deux unités, avec des équipes de direction distinctes, etc. Le style éducatif français accroît aussi ce sentiment de distance, ainsi que l’idée que l’école est une forteresse assiégée — ne serait-ce qu’une forteresse du savoir, qu’il faut protéger des offensives de hordes barbares venues de l’extérieur. C’est là qu’on éprouve au quotidien la fameuse « fracture sociale ». D’autant que les politiques de classes de niveau, l’administration de punitions plus fréquentes à certains types d’élèves — garçons « bronzés», par exemple -peuvent également recréer ces distances avec certains groupes.
10 / 14
—11— Cela s’accompagne d’une conception de la violence comme « éruption », qu’on traite comme un pur phénomène de délinquance, sans politique de prévention, en pensant qu’elle ne peut être réglée que par l’exclusion des perturbateurs ou par la répression. On parle parfois d’ « échec du tout-prévention », mais j’aimerais bien voir où l’on trouve ce «tout-prévention » chez nous...
Par rapport à certains pays étrangers, il y a peu de vraies politiques de prévention précoce en France. Les programmes sont peu suivis, commencent souvent bien tard, au collège. Je le constate lors des rencontres organisées par la Commission européenne avec des équipes de différents pays pour élaborer des programmes communs de lutte contre la violence scolaire. C’est vrai aussi au Brésil. Ce qui me frappe, en comparant la France et le Brésil, c’est la proximité de nos problèmes. Evidemment, l’intensité est différente car dans les favelas brésiliennes, des centaines de milliers d’enfants ne sont pas scolarisés et le narco-trafic et les armes font des ravages. Mais 5 % environ des écoles brésiliennes sont touchées par la violence, c’est-à-dire à peu près la même proportion qu’en France.
Aux Etats-Unis, il y a une énorme sensibilité à la violence scolaire, due à des événements dramatiques, des meurtres, à la présence d’armes à feu. Le gouvernement fédéral a lancé un énorme projet d’évaluation de tous les programmes, communautaires ou fédéraux, menés pour lutter contre cette violence ou la prévenir, avec des moyens considérables et des chercheurs qui travaillent sur le sujet depuis vingt ans, et qui peuvent être des références pour nous. Quatre-vingt-deux programmes ont été évalués, des milliers d’élèves ont été interrogés, de la maternelle à la fin de l’école secondaire. D’ores et déjà, ces évaluations montrent que les programmes de prévention ont un impact. Elles confirment que l’implication des responsables d’établissement, des équipes éducatives et des élèves eux-mêmes ont une importance décisive. Enfin, elles montrent aussi qu’on ne peut compter seulement sur le volontariat : dans les établissements où seuls sont impliqués des volontaires et non l’ensemble des enseignants, cela finit par créer des conflits et provoquer le découragement...
Extrait d’un entretien avec Eric DEBARDIEUX, directeur de l’Observatoire européen de la violence scolaire, propos recueillis par Julien BRUN.
Le Monde des Débats mars 2000
11 / 14
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents