Contre le travail
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"... Peu importe ici la définition “ scientifique ” du travail. Je postule qu’il y a travail dès lors que nous produisons, et peu importe que ce travail soit salarié, payé à la tâche, voire non rémunéré comme dans le cas de l’esclavage - cela reviendrait à discuter des modalités de notre négation. En revanche, faisons sortir la chasse-cueillette de la chaîne marxiste des modes de production. Dans la chasse-cueillette, l’être humain ne produit rien ; c’est la Nature qui produit ce que l’être humain ne fait que récolter. La chasse-cueillette n’est donc pas un mode de production au sens marxiste du terme, sauf à distordre la réalité pour la faire entrer dans la logique théorique et abstraite des “ stades de production ”, et du même coup, en faire le modèle d’un prétendu communisme “ primitif ”, antichambre dialectique du communisme “ évolué ” après passage par tous les stades d’une pensée correcte selon le point de vue hégélien. Communisme “ primitif ” ? Il semble bien que le système de chasse-cueillette ne corresponde pas à l’Eden antiproductiviste dont rêvent certains. S’il faut refuser en bloc les vieilles visions d’un homme préhistorique apeuré, à moitié affamé et soumis aux caprices diaboliques de la Nature, la vision primitiviste n’est pas non plus acceptable parce qu’elle est incohérente. En effet, si la chasse cueillette avait été, partout et toujours, le meilleur mode de vie, jamais des groupes humains ne se seraient sédentarisés et ne se seraient mis à pratiquer l’agriculture, donc à travailler. Il a bien fallu que la sédentarisation et le travail agricole primitif apparaissent comme plus favorables pour que des groupes de chasseurs-cueilleurs nomades abandonnent leur mode de vie..." Philippe Godard

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Publié le 21 septembre 2011
Nombre de lectures 291
Langue Français

Extrait

diogene éditions ilrbse
Contre  le  travail !
Philippe Godard
publié en pdf par diogene.ch
copyright/copyleft Godard/Diogene.ch 2008. Le texte est disponible selon les termes de la licence libre "créative commons" (http://creativecommons.org/licenses/by-nc/2.0/fr/%20 )
Le texte qui suit est un résumé de Contre le travail , publié en avril 2005 par les éditions Homnisphères (Paris).
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Nous avons abandonné depuis sans doute trop longtemps la critique de certains des piliers de cette société. Le travail en est un. Et, en toute logique, critiquer le travail revient à écorner tous les présupposés sur lesquels le système s’appuie pour nous dominer, nous domestiquer, détruire en nous les tendances à l’émancipation.
Très brève critique du progrès
Peu importe ici la définition “ scientifique ” du travail. Je postule qu’il y a travail dès lors que nous produisons, et peu importe que ce travail soit salarié, payé à la tâche, voire non rémunéré comme dans le cas de l’esclavage – cela reviendrait à discuter des modalités de notre négation.
En revanche, faisons sortir la chasse-cueillette de la chaîne marxiste des modes de production. Dans la chasse-cueillette, l’être humain ne produit rien ; c’est la Nature qui produit ce que l’être humain ne fait que récolter. La chasse-cueillette n’est donc pas un mode de production au sens marxiste du terme, sauf à distordre la réalité pour la faire entrer dans la logique théorique et abstraite des “ stades de production ”, et du même coup, en faire le modèle d’un prétendu communisme “ primitif ”, antichambre dialectique du communisme “ évolué ” après passage par tous les stades d’une pensée correcte selon le point de vue hégélien.
Communisme “ primitif ” ? Il semble bien que le système de chasse-cueillette ne corresponde pas à l’Eden antiproductiviste dont rêvent certains. S’il faut refuser en bloc les vieilles visions d’un homme préhistorique apeuré, à moitié affamé et soumis aux caprices diaboliques de la Nature, la vision primitiviste n’est pas non plus acceptable parce qu’elle est incohérente. En effet, si la chasse cueillette avait été, partout et toujours, le meilleur mode de vie, jamais des groupes humains ne se seraient sédentarisés et ne se seraient mis à pratiquer l’agriculture, donc à travailler. Il a bien fallu que la sédentarisation et le travail agricole primitif apparaissent comme plus favorables pour que des groupes de chasseurs-cueilleurs nomades abandonnent leur mode de vie.
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Le rôle décisif dans ce saut dans le progrès est joué par l’apparition et la propagation des outils en métal. On peut penser que, tant que les outils pouvaient être façonnés par les agriculteurs eux-mêmes (comme les outils de pierres taillées et polies, malgré la précision des gestes pour les obtenir), sans nécessité d’un savoir-faire aussi complexe que le façonnage du métal, la coupure d’avec la Nature n’était pas irréversible. Avec l’apparition de cette première technique complexe, l’agriculteur primitif se dessaisit d’une part de son activité au profit d’artisans spécialisés. À partir de là, tout a dû aller assez vite à l’échelle de l’histoire humaine : technique spécifique complexe, naissance du pouvoir de ceux qui maîtrisent les diverses
Le travail agricole, même sous sa forme primitive, marque donc un passage décisif à un monde autre, celui où l’humanité commence à se couper de la Nature. Bien entendu, tout cela se passe sur des milliers d’années, puisque l’agriculture néolithique est apparue il y a douze mille ans pour les zones les plus avancées dans la voie de ce prétendu progrès. Mais les faits sont là, irréfutables : que l’on prenne le cas de la Mésopotamie, de l’Inde, de la Chine, de l’Amérique centrale ou andine, qui sont les principaux foyers de naissance de l’agriculture, l’on constate que, partout, cette coupure d’avec la Nature a entraîné plus ou moins rapidement l’apparition des États.
Cette évidence est même une loi de la Nature : comme le démontre Ian Tattersall 1 , un avantage obtenu par une espèce animale ou végétale dans une zone donnée tend à se propager et non à être écrasé sous le poids de la stagnation des zones alentour. On peut étendre ce principe aux activités humaines : les agriculteurs sédentaires n’auraient pas survécu s’ils n’avaient eu aucun avantage sur les chasseurs-cueilleurs nomades. Ce principe est finalement à la base du progrès, sauf que, dans la Nature, l’extension d’un avantage crée de la diversité et n’entraîne pas forcément la disparition d’espèces moins évoluées. Ainsi, les crocodiles n’ont pas disparu, malgré l’apparition des félins, car les crocodiles restent adaptés à leur milieu, avant l’apparition des félins comme après. Le progrès de l’humanité, lui, suppose à l’inverse la disparition des stades antérieurs, jugés archaïques.
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techniques y compris l’écriture 2 , apparition des cités-États, des rois et des dieux.
D’une certaine façon, le schéma de départ s’est peaufiné jusqu’à nos jours, pour en arriver à une Terre surchargée d’être humains, courbés sous le joug du pouvoir, travaillant de plus en plus dans des villes, produisant des marchandises de plus en plus étrangères aux propres besoins de leurs producteurs, etc.
Le travail n’est donc qu’un des aspects de ce processus. Ce qui compte ici est de mettre en évidence le caractère central du travail dans la construction de ce que Jacques Ellul appelait “ le Système technicien ” et Lewis Mumford la “ Mégamachine ” (et peu importe qu’Ellul ait critiqué la Mégamachine de Mumford). Le travail se trouve au cœur du monde contemporain. Sans travail, à l’évidence, rien de ce Système n’est possible, d’où l’intéressante perspective de sortir du système en arrêtant de travailler, à la condition cependant de ne pas en faire une voie individuelle qui correspondrait à un parasitisme social ou à une radicalité de façade – ce que sont notamment la vie de rentier et celle de voleur.
Le pouvoir face au travail
Dans la lutte entamée au XIX e siècle entre Capital et Travail, la fin du XX e siècle a marqué une nouvelle avancée. Certes, le travail reste le fondement des besoins matériels réels et prétendus – manger, laver sa vaisselle, s’équiper en meubles et en bureautique, posséder une voiture… –, mais le capital a déplacé d’autorité la lutte sur un autre terrain où il a choisi d’asseoir sa suprématie : l’argent pur, informe, invisible, flux plutôt que matière sonnante et trébuchante, équivalence laconique et cynique du pouvoir désincarné de la Structure 3 . De
2 : Ainsi, en Mésopotamie, l’écriture sert d’abord à compter le nombre de têtes de bétail et à mesurer la quantité de blé produit par les campagnes alentours et centralisé (déjà !) dans les villes. 3 La Structure est l’organisation de la société développée, organisation que plus personne ne domine. La Structure est l’ensemble des rapports sociaux, économiques, administratifs, répressifs, etc., que plus personne ne pense pouvoir modifier dans leurs fondements.
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même, la circulation des “ savoirs ” et des informations est devenue l’affaire d’actifs coupés du travail concret : professeurs d’université, journalistes, ou encore chercheurs et scientifiques lancés dans la course à la découverte.
Le Capital, ce sont désormais à la fois les États, dont l’armature administrative et répressive reste nécessaire à l’économie – et leurs grands serviteurs, les banquiers suisses, les mafieux siciliens, nigérians et russes, les trafiquants de tous ordres, les hommes politi-ques corrompus, etc. Ces personnages ne “ travaillent ” pas au sens traditionnel du terme : ils sont des éléments d’un flux – écluses ou turbines, freinant ou accélérant les flux, les régulant en tout cas plutôt que les rouages d’une machinerie. Ils incarnent le Capital, mais celui-ci naît pourtant et encore du travail des misérables fourmis. Le travail, dans sa forme la plus rustique, reste ainsi, malgré tout, incontournable.
Car il est remarquable que, dans le même temps, le travail est toujours le seul et unique  moyen de survivre pour toujours plus d’humains (au XX e siècle, la population mondiale a crû plus vite que le nombre de morts de faim et de misère, et cette augmentation du nombre de travailleurs est le seul progrès dont peuvent se targuer les partisans du travail).
Ces travailleurs appauvris n’ont aucune chance de posséder un jour le moindre des “ signes de la richesse ” qui signifient, dans ce monde aliéné, une forme de pouvoir retrouvé sur leur propre vie – en réalité le pouvoir de jouir du travail d’autrui et de consommer les marchandises proposées par la Structure.
La richesse est devenue en un sens virtuelle : l’accumulation de millions de dollars correspond à un “ pouvoir ”, à une “ possession ”, mais il s’agit de pouvoir de décision et de possession d’entreprises . Il faudrait plusieurs vies aux riches pour profiter de tout ce qu’ils accumulent. Ce faisant, ils sont tombés dans le piège tendu à la classe moyenne, elle aussi satisfaite de virtualité, mais à un niveau beaucoup plus modeste, juste suffisant pour lui faire préférer son confort au chaos.
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4 tiré (avec l’ignoble Charlton Heston, hélas), puisqu’il semble que le roman soit depuis longtemps épuisé
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Il devient impossible de définir la richesse, de la cerner avec certitude : est-elle marchandise ou flux virtuel ? D’ailleurs il devient impossible de distinguer marchandises concrètes et marchandises virtuelles, et même de déterminer ce qu’est une marchandise puisque tout peut le devenir, même l’activité fournie au sein de la cellule familiale. Impossible de garantir que ce qui n’est pas une marchandise aujourd’hui ne le sera pas demain. L’industrie du déchet le montre bien, qui prouve que tout déchet est une marchandise, et surtout que toute marchandise n’est elle-même qu’un déchet. L’homme est devenu une marchandise au XIX e  siècle ; il est, depuis, devenu lui aussi un déchet 4 .
Il est tout autant remarquable que les milliards d’êtres humains dominés restent indispensables au fonctionnement des flux virtuels de richesses, soit qu’ils accumulent des crottes de mouches dont l’amoncellement finit par représenter de pseudo-biens, soit que, trop pauvres et en marge du système, ils en sont le repoussoir ou le réservoir éventuel de consommateurs au cas où l’économie parviendrait finalement à les intégrer à son giron maternel. Le “ mystère du Capital ” révélé par Marx, ce qu’il a choisi d’appeler la plus-value, est désormais considérablement transformé, dans une version fondée sur l’opacité du chemin parcouru – de la production locale de marchandises à l’informe flux intercontinental –, et sur l’indéfinition de la place des pauvres dans cet ensemble complexe.
Ne rien produire, c’est se libérer !
Le monde du XXI e siècle se construit à l’aide de machines de plus en plus “ perfectionnées ”, mais sur la base d’idées anciennes. Ainsi, les idées socialistes remontent au XVIII e -XIX e  siècle, mais le néolibéralisme aussi, qui trouve ses origines fondamentales chez Adam Smith, David Ricardo et Jean-Baptiste Say. Les machines, la Technique, la Structure seules progressent, sans que, dans le même
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temps, leur servant humain soit capable de penser cette progression –    ce qui est la condition de départ pour espérer la maîtriser, la guider.
On pourrait croire qu’il suffira de produire une nouvelle idéologie pour reprendre le contrôle de la Structure. C’est à ce jeu que se livrent les médiocres penseurs contemporains du néolibéralisme, qui théorisent en brodant sans cesse sur les idées de la “ main invisible ” qui donne un sens au libre marché (Smith), sur les avantages réciproques qu’ont les différents acteurs à produire ce qu’ils savent le mieux faire et à moindres frais (Ricardo), et sur la production qui entraîne la consommation, l’offre qui entraîne la demande (Say). Ces idées sont inadaptées au monde technique actuel et aux défis qu’il a lancés à notre milieu ambiant en l’exploitant sans retenue.
Quelle idéologie pourrait donc concilier le Progrès avec la survie de notre milieu ? Le premier s’appuie sur la consommation à outrance du second, jusqu’à sa destruction. Une perspective se précise cependant : les idéologues produiront une justification “ écologique ” à la dictature ; ils concilieront ainsi la conservation de ce qui restera de la nature, réduite au minimum nécessaire à la survie, avec la dictature nécessaire pour plier les marchés, les sociétés et les individus à accepter les mesures de conservation du milieu. La seule idéologie politique restant à produire sera donc celle d’une dictature mondiale à justification écologique et démocratique (démocratie en effet dans ce bonheur totalitaire au nom du peuple et pour le peuple). Ce qu’il s’agit à l’évidence d’éviter.
Au lieu d’adapter le monde des humains au monde des machines qu’ils ont construites, reste encore la voie de détruire le monde des machines pour aller vers un nouveau monde des êtres humains et de leur vrai milieu. Pour cela, il n’est nul besoin de produire une idéologie. Détruire ce qui nous nie et cesser d’agir contre notre milieu passe par le démontage de toutes les idéologies. Ne rien produire, c’est se libérer !
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déqint e poLrée mesumpsi slep el suliliu erbc les  vit avel hmoema niis: 
En réalité, nous n’avons pas le choix : travail ou libération.
Les mouvements émancipateurs ont cru qu’il était possible de ruser avec le travail, de le contourner, de l’enfermer dans une dialectique ou de le libérer. Ils se sont trompés – ce qui n’est que de peu de conséquences… –, mais nous trompent aussi. Faux critiques de l’existant, ils nous font croire que le travail actuel n’est néfaste que parce qu’il procure du profit à des non-travailleurs, des parasites, ou parce que les travailleurs sont surexploités, ou encore parce que le travail capitaliste manque d’éthique… Comme si ce n’était pas le travail en soi qui était nuisible. Comme si le profit n’était pas lié fondamentalement au travail, et l’appropriation le fondement de toute économie. Comme si l’on pouvait travailler sans être exploité – donc surexploité, toute exploitation étant “ surexploitation ”, puisque intolérable à tous points de vue. Comme si le travail pouvait s’accommoder d’une éthique de la libération.
Les faux critiques de l’existant
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5 richesses qui l’entourent, grâce à celles-ci et en fonction de celles-ci.
La probabilité d’en finir avec le travail est faible, surtout avant  la catastrophe (nucléaire, dissémination génétique, nanotechnologies, guerre civile mondiale due à la faim, aux migrations, nous avons le choix du programme !), et à peine plus forte après  ladite possible catastrophe. Donc autant poser pour tout de suite ce qui est le futur de l’humanité, ou plutôt une autre voie qui, outre la perspective totalitaire, nous demeure ouverte. En effet, les progrès du totalitarisme, dont le mode de travail actuel dans le système démocratique est la plus parfaite illustration puisqu’il combine l’asservissement violent d’une large partie de l’humanité à l’asservissement confortable de l’autre partie, le tout sous couvert de démocratie et de liberté, font que l’alternative est toujours de plus en plus outrancière, de plus en plus extrême. Il n’y a plus aucun moyen terme – en fait, il n’y en a jamais eu, mais plus l’on s’éloigne du point d’équilibre possible 5 , plus la liberté est bannie et les richesses dilapidées, plus l’alternative semble
“ mortelle ” : totalitarisme ou libre accès de tous aux richesses. Ou plutôt aux désormais maigres richesses.
Tout le drame tient dans ce mot : “ maigres ”. Il illustre les formidables destructions opérées par les hommes ces derniers millénaires, depuis l’apparition de l’agriculture. C’est par le travail que l’humanité a modelé le monde, c’est-à-dire a détruit la nature sauvage, qui est pourtant, qu’on le veuille ou non, notre unique milieu, notre unique source de richesse 6 .
Non-agir de nos jours, est-ce possible ?
L’idéologie du travail a reçu une première et véritable défaite il y a quelque deux mille cinq cents ans en Chine, lorsque les taoïstes prônaient le non-agir. Ils n’intervenaient pas sur leur environnement et invitaient ceux qui venaient parler avec eux à réfléchir à ce retrait, non pas du monde, mais de l’agir.
Le non-agir ne constitue pas un programme. Il ne peut entraîner des manifestations de prosélytisme. C’est dans la tension  vers une  réalisation individuelle et collective plus aboutie que le non-agir pousse à l’agir politique, pour créer les conditions plus favorables à son extension. Ne pas agir contre le monde vivant pousse donc à la désorganisation du cycle du progrès puisque c’est la Structure qui nous soumet au travail, que le travail est destruction du monde, remplacement des êtres vivants par de la matière inerte.
Le non-agir ne reste pas, dans ses effets, confiné à la sphère individuelle, puisqu’il suppose de cesser de travailler pour des entreprises qui participent directement – dans un premier temps – à la destruction de cette planète (armement, pétrole, banques, biotechnologies, automobile…). Aussi il est tension vers la désorganisation des forces répressives, politiques, économiques et
6 Même les ordinateurs et les automobiles sont produits en dernière analyse avec des matériaux extraits de la Nature et assemblés par des travailleurs ayant mangé des produits issus de la Nature ! 10
autres qui compriment individus et communautés humaines. Le non-agir invite en outre à réfléchir, en dehors de toute référence idéologique, à ce qui, de façon très concrète, peut être fait sans agir contre notre milieu. Cela permet d’évacuer la question de l’idéologie qui domine depuis bien trop longtemps le débat sur l’émancipation de l’humanité puisque ce n’est pas de théoriser dont il s’agit, mais d’exister, d’être .
Le non-agir est dépassement de l’affrontement mortel entre la thèse marxiste-productiviste ( L’homme est contraint de produire sa vie ”) et la thèse rousseauiste du bon sauvage comme archétype de l’humanité heureuse, dont la synthèse actuelle consiste en une société productiviste des loisirs. On détruit d’un côté, on profite de ce qui ne semble pas encore détruit pour se “ ressourcer ”, selon un néologisme ridicule… Ces deux propositions sont “ les deux mâchoires d’un même piège à cons ”, pour reprendre les derniers mots du héros nihiliste du film Nada . Mais le héros de Nada est vaincu, alors que le monde nous appartient et que nous appartenons au monde. Le monde n’est pas notre prison, il est notre terrain de jeux. Comme dans tout jeu, il y a des règles. Il n’y en avait qu’une seule : ne pas l’abîmer. Non pas par respect et soumission, mais parce qu’en l’abîmant, on se condamne à terme à ne plus pouvoir jouer. Il y a longtemps que nous ne pouvons plus jouer le monde…
La transgression généralisée de la règle de conservation de la nature nous a enfermés dans un piège. Cette règle était la seule raisonnable et acceptable par tous, parce que non contraignante en réalité, et parce qu’elle était la condition même de la liberté et de la communauté de tous les êtres vivants . Cette règle a été oubliée, et, du coup, ont surgi des règles sans nombre, rendues nécessaires par le fonctionnement de la Structure qui nous coupe de la nature et nous ôte notre liberté. Il n’y avait qu’une seule règle à ne pas transgresser, il faut maintenant nous battre à la fois contre toutes les règles et contre toutes les transgressions !
Point de rupture entre système productiviste et individus opprimés, entre progrès et communautés humaines, entre économie et liberté, entre travail et émancipation, la critique abstraite du travail reste nécessaire. La pratique éventuelle du non-agir ne nous en dispense pas. En ce sens, la tâche – parmi d’autres – que vise la
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