Révolution digitale
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€ 3,00 F: - 208 L 15174 QUAND LES FINTECH ET LES BANQUES FONT AMI-AMI> P. 14 HUGUES LE BRET SUR L’AVENIR DE COMPTENICKEL AVEC BNP> P. 17 O DU JEUDI 13 AU MERCREDI 19 AVRIL 2017-N 208-3€ MÉDICAMENTS VENDUS À L’UNITÉ DU RÊVE À LA RÉALITÉ> P. 18 HALTE AUX«FAKE NEWS»! L’INITIATIVE DE FACEBOOK, JUSTE UN«COUP DE COM’»?> P. 23 ENTRETIEN AVEC GILLES BABINET « Digital champion » français auprès de la Commission européenne Révolution numérique «À LA RECHERCHE DE PRODUCTIVITÉ LA PERDUE» « LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO POUR LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. » - L’ORIGINE GÉOGRAPHIQUE DU PAPIER : PERLEN (SUISSE) - LE TAUX DE FIBRES RECYCLÉES : MINIMUM 80% LA CERTIFICATION DES FIBRES UTILISÉES : ECOLABEL, FSC, PEFC, BLAUE ENGEL © Reuters 6 M É T A M O R P H O S E S O LA TRIBUNE|JEUDI 13 AVRIL 2017|N 208|WWW.LATRIBUNE.FR LA RÉVOLUTION DIGITALE à l’épreuve de l’économie Multi-entrepreneur, «!digital champion!» représentant de la France auprès de la Commission européenne sur le numérique, Gilles Babinet a écrit de nombreux livres sur l’impact des nouvelles technologies sur l’économie et la société. En exclusivité pourLa Tribune, il analyse dans cet article le mystère du « paradoxe de Solow » : on voit la révolution digitale partout, sauf dans les statistiques de productivité.

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Publié le 21 avril 2017
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Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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3,00 F:
- 208 -
L 15174
QUAND LES FINTECH ET LES BANQUESFONT AMI-AMI> P. 14
HUGUES LE BRET SUR L’AVENIR DE COMPTE-NICKEL AVEC BNP> P. 17
O DU JEUDI 13 AU MERCREDI 19 AVRIL 2017-N208-3
MÉDICAMENTS VENDUS À L’UNITÉDU RÊVE À LA RÉALITÉ> P. 18
HALTE AUX«FAKE NEWS»! L’INITIATIVE DE FACEBOOK, JUSTE UN«COUP DE COM’»?> P. 23
ENTRETIEN AVEC GILLES BABINET « Digital champion »français auprèsde la Commission européenne
Révolution numérique «À LA RECHERCHE DE PRODUCTIVITÉ LA PERDUE»
« LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO POUR LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. » - L’ORIGINE GÉOGRAPHIQUE DU PAPIER : PERLEN (SUISSE) - LE TAUX DE FIBRES RECYCLÉES : MINIMUM 80% LA CERTIFICATION DES FIBRES UTILISÉES : ECOLABEL, FSC, PEFC, BLAUE ENGEL
© Reuters
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M É T A M O R P H O S E S
O LA TRIBUNE|JEUDI 13 AVRIL 2017|N208|WWW.LATRIBUNE.FR
LA RÉVOLUTION DIGITALEà l’épreuve de l’économie
Multi-entrepreneur, «digital champion» représentant de la France auprès de la Commission européenne sur le numérique, Gilles Babinet a écrit de nombreux livres sur l’impact des nouvelles technologies sur l’économie et la société. En exclusivité pourLa Tribune, il analyse dans cet article le mystère du « paradoxe de Solow » : on voit la révolution digitale partout, sauf dans les statistiques de productivité. La semaine prochaine, nous publierons la deuxième partie de son article, sur les liens entre la productivité et l’emploi à l’heure de l’intelligence artiicielle.
GILLES BABINET @babgi
AUTEUR DE : L’Ère numérique, un nouvel âge de l’humanité
Big data, penser l’homme et le monde autrement
Transformation digitale, l’avènement des plateformes
Editions Le Passeur
n ne compte plus les rapports qui évoquent sans cesse la « fin immi-O nente du travail »; selon une étude de Roland Berger, ce sont 42% des emplois qui devraient disparaître à court terme. McKinsey parle de cinq millions d’emplois potentiellement à risque, uni-quement dans les transports aux États-Unis. Les acteurs politiques ne sont pas en reste; s’ils ne comprennent générale-ment que mal les enjeux de la révolution digitale, ils n’hésitent pas à exacerber les aspects les plus anxiogènes de celle-ci pour mieux apparaître comme des sau-veurs providentiels, disposant des solu-tions pour vivre dans la société de l’après-travail. Ainsi, un candidat à la présidentielle évoque la disparition du travail comme certaine; il proposera comme solution la mise en place d’un revenu minimum universel. Rapidement, des analyses faites par lethink-tankMon- Institut taigne démontreront le coût exorbitant d’une telle mesure. L’idée, sympathique au premier abord, est soudainement devenue irréaliste. Et tant pis s’il ne semble pas y avoir de solution à un chômage de plus en plus ancré dans le « modèle français », et s’il ne paraît y avoir que peu d’alternatives aux potions amères de typezero-hour jobsou loi Hartz, telles que le Royaume-Uni et l’Allemagne les ont adoptées pour revenir au plein-emploi.
En réalité, il existe un sous-jacent important aux politiques publiques liées à l’emploi, et plus largement à l’en-semble des politiques publiques. Ce sous-jacent se dénomme productivité. Ce qui, fondamentalement, permet à l’économie et au système social de la France d’être tout à fait différent de ceux des pays à faibles revenus, c’est avant tout la productivité. Avec une pro-ductivité horaire de 63 $ par heure en 2015 (OCDE), la productivité française est de dix à vingt fois plus importante que celle des pays en développement les moins avancés. Or, cette productivité est issue d’un mix de facteurs rarement ana-lysés ensemble : la qualité de la forma-tion, la disponibilité du capital, les eets de spécialisation des acteurs écono-miques dans une région donnée, etc.
QUELLE TRADUCTION DANS LA RÉALITÉ ÉCONOMIQUE ?
L’autre facteur intéressant à confronter à la productivité, c’est celui de la révolu-tion digitale. Si révolution industrielle ou économique il y a, elle doit nécessaire-ment se traduire en termes d’accroisse-ment de la productivité. Une évidence qu’il serait bon de rappeler à tous ceux qui ne cessent de nous alarmer sur la dis-parition imminente du travail par l’auto-matisation de toutes les tâches. S’il est
indubitable que la technologie initie de grands changements, cela ne se traduit que peu dans les indices économiques. L’enjeu est ici justement de comprendre cette dichotomie entre ce que les machines nous donnent à voir et leur tra-duction en réalités économiques. Ce document est scindé en deux par-ties:L’enjeu de la productivité– ce que l’on observe et ce que l’on peut en attendre en matière de productivité– et Productivité et emploi, soit l’impact actuel et futur sur l’organisation du travail et n de la formation.
Les changements technologiques aboutiront-ils à la disparition du travail par l’automatisation de toutes les tâches? Les indices économiques ne le montrent pas.
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O LA TRIBUNE|JEUDI 13 AVRIL 2017|N208|WWW.LATRIBUNE.FR
1IL’ENJEU DE LA PRODUCTIVITÉ
roductivité, révolution digitale et Intelligence artificielle : quelles P relations?Si, comme l’écrit si bien Paul Krug-man, «la productivité n’explique pas tout, mais sur le long terme, elle explique presque tout», elle devrait être un sujet majeur d’intérêt.Or, elle n’intéresse générale-ment que peu le néophyte, et est souvent mal comprise. On l’évoque fréquemment comme une constante, sur laquelle les politiques publiques et parfois même les
1IPIB par personne (base dollars 1990)
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200 400 Source : Angus Maddison
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modèles de management n’ont que peu, ou pas, d’impact. Qu’est ce que la productivité?Elle fait que nous ne risquons plus – du moins en Occi-dent – de faire face à des famines de masse, elle permet toute la prospérité qui nous entoure : routes, voitures, chauage, nour-riture, éducation, santé, loisirs… sont fina-lement le résultat de la productivité. Depuis le début de la Renaissance, la pro-ductivité par habitant de l’Europe s’est élevée d’un facteur supérieur à 100. La richesse produite par un Européen était alors de 200$ par an, pour s’élever aujourd’hui à environ 35000 $, soit 175 fois plus, créée dans un délai beaucoup plus court qu’autrefois(voir illustration I). Or, alors qu’on ne peut pas consulter un quelconque média sans être confronté à la notion de «révolution numérique», il convient de juger celle-ci à l’aune de la seule unité de mesure vraiment pertinente à l’égard d’une révolution que l’on dit a minima économique : celle de la producti-vité. Et si révolution il y a, cela doit néces-sairement se traduire par des améliorations notables de la productivité, comme cela fut chaque fois observé lors des deux précé-dentes révolutions industrielles.
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C’est bien là où le bât blesse, car, à l’égard iStock de l’informatique, il a toujours existé une polémique récurrente en matière de pro-ductivité. Dès les années 1970, les écono-mistes mirent beaucoup d’espoir dans cette discipline que l’on dénommait alors cyber-nétique (du grec «gouvernail»). De plus en plus de sociétés s’en servaient alors pour des tâches très répétitives, comme la réali-sation des bulletins de paie. Au début des années 1970, l’expertise technologique était alors limitée à quelques très grandes socié-tés telles que la Compagnie des machines Bull, International Business Machine (IBM), la Compagnie Générale d’Informatique (CGI) et quelques autres acteurs de second plan. Les choses changèrent en quelques années lorsque l’on comprit que l’informa-tique était capable d’eectuer des tâches plus complexes, de comptabilité, de gestion financière, ou encore de production indus-trielle… Bien avant le boom des années 2000, l’informatique en tant que secteur économique à part entière connut un fort développement. Tout le monde s’attendit à un accroisse-ment rapide de la productivité, particuliè-rement dans les services, grâce aux ordina-teurs. Nombre de revues de vulgarisation et de livres d’anticipation évoquaient la possi-bilité d’automatiser et de robotiser massi-vement tous types de tâches : les ordina-teurs dessineraient pour nous les voitures de demain, calculeraient la façon la plus solide de construire des ponts, les robots feraient le ménage, et les hôtels ne seraient plus administrés que par des ordinateurs. Mais on fut déçu. En 1987, l’année même où il reçut un prix Nobel, l’économiste Robert Solow déclara :«On peut voir l’ère digitale partout, sauf dans les statistiques de la produc-tivité», signifiant par là que les techniques informatiques n’augmentaient pas plus la productivité que celles qui préexistaient. L’ensemble de ce constat partait d’une ana-lyse détaillée des trois facteurs qui contri-buent à la croissance : la mise à disposition du capital, la qualité du travail et le progrès technologique. Une économie idéale permet de faire en sorte que le système productif puisse disposer d’une ressource abondante en capital, d’une main-d’œuvre dont la qua-lité augmente régulièrement et surtout, que les innovations technologiques permettent d’accroître la productivité et la demande des consommateurs. Solow donne une impor-tance toute particulière à ce dernier facteur, qu’il considère largement prépondérant. C’était à peu près le paradigme des années glorieuses, à ceci près qu’il était biaisé par un accès à une énergie bon marché, qui a longtemps masqué nombre de dérèglements aectant l’outil productif. Dans un premier temps, Robert Solow avait été un fervent défenseur de l’idée que les ordinateurs pourvoyaient à l’augmentation de la productivité dans tous les secteurs, tant cela démontrerait l’importance de son troisième facteur productif – l’innovation technologique – et il chercha longtemps à faire la démonstration de son intuition. Mais qu’il s’agisse d’analyses macroscopes ou sectorielles, il observait – comme l’en-semble des économistes à cette époque – un clair décrochage dans la croissance de la productivité entre les périodes 1950-1970 et 1970-1980. Dans la première période, les gains de productivité – très variables d’une région à l’autre de la planète – avaient
Depuis le début de la Renaissance, la richesse produite par un Européen a été multipliée par 175
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M É T A M O R P H O S E S
été de l’ordre de 2% à 3% par an, tandis que dans la seconde, ils se situaient poussi-vement entre 1% et 1,5%. Malgré le caractère particulièrement inno-vant de l’ère informatique, Solow fut inca-pable de traduire cela en accroissement de la productivité. Sa déclaration devint si célèbre qu’elle est aujourd’hui couramment dénommée par les médias «paradoxe de Solow». Solow devint d’ailleurs, tout au moins aux États-Unis, une star des plateaux de télévision consacrés à l’économie, cela d’autant plus que la pro-ductivité continue, trimestre après tri-mestre, de provoquer des sueurs froides c h e z le s m a c ro - é c o n o m is te s , q u i connaissent mieux que personne son importance pour améliorer le sort d’une nation.
LA BAISSE DE LA CROISSANCE E DE LA PRODUCTIVITÉ AU XXI SIÈCLE
Les choses furent loin de s’améliorer : mal-gré une petite remontée au cours des années 1990, la croissance de la productivité a continué à se réduire. Entre 2000 et 2008, elle n’a été dans la plupart des grands pays de l’OCDE que de l’ordre de 1,1% par an et depuis la crise de 2008 – et pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale – elle est devenue inférieure à 1%, tout au moins dans un certain nombre d’économies parmi les plus avancées. Ainsi, au Royaume-Uni, elle fut même négative pendant les années de l’après-crise financière, ce qui représente une perspective plus qu’inquié-tante car, sans gains de productivité, il n’y a pas d’accroissement de richesses autrement qu’en déshabillant Paul pour habiller Pierre. La question de la baisse de la croissance de la productivité fait largement débat et plu-sieurs thèses s’arontent. L’une, défendue avec brio par l’économiste Robert Gordon, postule tout simplement le fait que les grandes découvertes sont terminées (moteur à explosion, chimie fine, électricité, etc.) et qu’il nous faut nous résoudre à une grande « stagnation séculaire » où les nations devraient évoluer dans un contexte de changements très lents en matière de productivité, et donc de création de surcroît de richesse. Si Robert Gordon reconnaît que les innova-tions continuent de se produire, il considère qu’elles n’ont plus la même amplitude :«Quand les gens utilisent Facebook, cela ne crée pas plus d’emplois, et cela ne permet pas aux entreprises de payer des salaires plus impor-tants… C’est quelque chose que les consomma-teurs apprécient, mais pas quelque chose qui diffère radicalement de ce qu’était la télévision une génération auparavant». Robert Gordon est particulièrement critique à l’égard de la révolution digitale dont il considère qu’elle n’a amené que des innovations mineures, certainement pas comparables avec celles de la précédente ère. En cela d’ailleurs, il est rejoint par l’entrepreneur Peter Thiel, cofondateur de Paypal avec Elon Musk, qui déclara un jour «Nous voulions avoir des voi-
2IPRODUCTIVITÉ PAR HEURE
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4 Dollars (1982-1984) par heure
2
0 1800 1825 1850 1875 1900 1925 1950 1975 2000 Source : “Two Centuries of Compensation for U.S. Production Workers in Manufacturing” – Lawrence H. Oficer
tures volantes, nous avons eu des messages de 140 caractères à la place». Mais la thèse de la stagnation séculaire est largement contestée. Nombreux sont d’ail-leurs les chercheurs qui considèrent même que le thermomètre de la productivité est contestable. Des économistes comme Bruce Chew font ainsi observer que l’on a mis des décennies à mesurer à peu près convenable-ment la productivité industrielle, qui a ensuite migré dans les services et pour les-quels la méthodologie de mesure de la pro-ductivité a dû être reconstruite. Or, alors que celle-ci ne se mesure en eet qu’à l’inté-rieur des entreprises, il n’est pas impossible que l’apport du numérique aecte avant tout la productivité domestique. Il est éga-lement possible que les employés de bureau soient plus productifs à l’intérieur du temps imparti et qu’ils aient plus de temps libre, temps invisible des analyses économiques de productivité, car ce temps serait utilisé au sein de l’entreprise, à la cafétéria par exemple. Ainsi, en théorie, un cadre qui ferait son travail en trois fois moins de temps mais qui continuerait à aller travailler huit heures par jour ne serait pas identifié comme étant plus productif qu’auparavant. D’autres économistes, comme Jonathan Rothwell (Gallup), ou encore Martin Baily (Brookings Institution) pensent, eux, que la baisse de la productivité est plus généra-lement due à une mauvaise régulation empêchant les facteurs innovants d’appa-raître, tout en protégeant les acteurs tradi-tionnels de façon exagérée. Ce serait selon eux le cas du monde de la finance ou encore de l’assurance, mais également du monde des transports aériens ou de celui de la santé qui tous seraient excessivement pro-tégés, empêchant de nouveaux acteurs d’apparaître. Nombreuses sont les variantes de cette thèse : des économistes de l’OCDE, comme Giuseppe Nicoletti, arment que c’est tout simplement l’excès de régulation qui alté-rerait la croissance en réduisant les gains de productivité au travers de normes de plus en plus contraignantes. Dans l’autre camp se trouvent principalement Erik Brynjolfs-son, qui s’est rendu célèbre dès 1993 pour avoir écrit le manifeste The productivity paradox of information technology ainsi qu’Andrew McAfee avec lequel le premier écrivit en 2009Le second Age de la machine, ouvrage où tous deux prophétisaient d’im-portants gains de productivité à venir. Cette thèse, longtemps considérée comme manquant de fondements, semble désor-mais étayée par diérents travaux. Dès 2007, une étude signée par l’économiste Robert Atkinson arma que les gains de productivité issus du numérique étaient
O LA TRIBUNE|JEUDI 13 AVRIL 2017|N208|WWW.LATRIBUNE.FR
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Quand les gens utilisent Facebook, cela ne crée pas plus d’emplois
considérables, et cette étude fut une pre-mière étape dans la mesure où elle docu-mentait assez précisément le surcroît de productivité des entreprises digitales, com-parées à leurs consœurs traditionnelles. Pour la première fois, l’étude souligne qu’«il est improbable que le secteur du numérique crée un nombre proportionnel d’emplois avec sa taille. En partie car la productivité de ce secteur est telle qu’elle lui permet de produire beaucoup avec moins de travailleurs.» Puis, en 2015 et 2016, de nouveaux travaux de l’OCDE, menés par des équipes indépen-dantes les unes des autres, démontreront que les firmes globales ayant réussi à mettre en œuvre des hauts degrés de capital humain et de technologies sont sensible-ment plus compétitives que les autres et que leur productivité croît beaucoup plus vite qu’ailleurs, et surtout qu’auparavant. Les chires qui y sont rapportés sont sans équivoque : les études menées sur des mil-liers d’entreprises parmi les plus perfor-mantes montrent des niveaux de producti-vité sensiblement plus importants que ceux que l’on observe au sein des firmes les moins performantes… Il s’agit là encore une fois de ratios élevés, et plus élevés que ceux que l’on observait par le passé, semblant ainsi attester de l’existence d’un nouveau paradigme en matière de production. En mars 2017, une étude approfondie, réalisée par l’Information Technology and Innova-tion Foundation, a également fait le constat de l’existence de gains de productivité très significatifs (trois à cinq fois supérieurs à ce
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3IPROFITABILITÉ PAR EMPLOYÉ DES ENTREPRISES DIGITALES VERSUS ENTREPRISES TRADITIONNELLES (calcul effectué sur les donnéesiscales couvrant la période 2015-2016)
Berkhire Hathaway
Apple
Alphabet (Google)
Source : G.B
Facebook
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365496$
270527$
qui était initialement envisagé par les pro-tagonistes les plus optimistes). Dès aujourd’hui comparer les résultats par employé d’Apple, Google et Facebook par rapport à la holding de Warren Buet (Ber-kshire Hathaway), considérée comme la plus rentable au monde, démontre que le niveau de productivité dans les entreprises de la première catégorie est sensiblement supérieur. Il semble donc désormais possible de réfuter l’armation de Robert Solow et de faire la démonstration statistique qu’une révolution productiviste, et peut-être plus, est en cours. Cela soulève cependant deux questions d’importance. Pourquoi donc ces tech-niques ne se diusent pas plus largement dans le monde et pourquoi n’observe-t-on pas des gains de productivité à une échelle macroéconomique, et pourquoi ceux-ci sont-ils visibles seulement de façon micro-économique? Seconde question : pourquoi les nations ont-elles réussi à entrer succes-sivement dans deux révolutions indus-trielles et pourquoi y aurait-il plus de di-cultés à y parvenir cette fois-ci?
CAPITAL FINANCIER, HUMAIN ET PRODUCTIVITÉ
Nombreux sont les partisans de la théorie de l’«absence de demande», dont le porte-drapeau est certainement Larry Summers.
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Ceux-là considèrent que la baisse de la pro-ductivité est due à une trop faible demande, ne poussant pas susamment les entre-prises à créer assez d’innovations pour répondre à de nouveaux marchés ou sim-plement pour produire plus à moindre coût. Comme Larry Summers l’a déclaré en 2014 lors de son passage à Davos, «sans classe moyenne vigoureuse, il n’y a plus d’accroisse-ment de la consommation, et sans accroissement de la consommation il n’y a plus de croissance […] et sans croissance, il n’y a plus d’investisse-ment, […] nous avons donc tous un problème». Son analyse principale consiste à penser que les surcroîts de richesse sont mal répartis : les bénéfices des entreprises ne sont plus redistribués sous forme de salaires et cela se traduit en une moindre consommation qui ne pousse pas les producteurs à amélio-rer leurs appareils productifs, à innover. C’est une approche assez simple, mais que les chires ne semblent pas démentir. Que ce soit sous forme de distribution sous forme de capital ou de travail, la diraction est réelle entre les revenus intermédiaires et ceux des très hauts revenus (dirigeants d’entreprise, actionnaires etc.). Confronter les chires des tableaux 4 et 4b à la croissance de la productivité aboutit d’ailleurs au même constat : les gains de productivité n’ont pas été équitablement répartis entre producteurs – rémunération du capital – et travailleurs. La question reste toutefois de savoir s’il y a un rapport entre la répartition des richesses et la baisse des gains de productivité. L’une des conséquences probables de cette rupture dans l’équité de la distribution pourrait se traduire dans le fait que les sala-riés ne se forment plus à de nouvelles tech-niques par manque de temps et de moyens. Larry Summers pense d’ailleurs également que l’absence de capital humain bien formé est l’un des problèmes qui expliquent la baisse de la productivité. Si, au cours de la première révolution indus-trielle, le capital humain représentait un facteur probablement très secondaire, dans la mesure où les quasi-esclaves qui travail-laient avec les hauts-fourneaux et métiers à tisser n’avaient besoin que d’une formation rudimentaire pour mettre en œuvre ces techniques, il est devenu surdéterminant à une ère – celle de la seconde révolution industrielle – où les technologies se sont
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4AIDIFFRACTION DES REVENUS SUR UNE PÉRIODE DE 35 ANNÉES Revenu moyen des ménages Évolution de la répartion des revenus avant imposition base 1979, après imposition 2 M 150% TOP 1% TOP 20% 120% SECOND 20% 1,5 M THIRD 20%90% THIRD 20% BOTTOM 20%60% 1 M 30%
0,5 M
0%
-30%
9
0 M 1979 1983 1987 1991 1995 1999 2003 2007 1979 1983 1987 1991 1995 1999 2003 2007 Source : Congressional Budget Ofice 4BIDISTRIBUTION DES REVENUS ET DE LA PRODUCTIVITÉ DEPUIS 1975 90 % PRODUCTIVITÉ 80 %80,4 % 70 % 60 % 50 % RÉMUNÉRATION HORAIRE MOYENNE 39,2 % 40 % 33,2 % 30 % RÉMUNÉRATION FÉMININE MÉDIANE 20 % RÉMUNÉRATION HORAIRE MÉDIANE 10 %10,7 % 0,1 % 0 % RÉMUNÉRATION MASCULINE MÉDIANE -10 % -20 % 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010
sophistiquées et nécessitaient des niveaux d’expertises élevés pour être mises en œuvre. Savoir lire, écrire et compter est ainsi nécessaire pour pouvoir envoyer un télégramme, monter un moteur électrique sur une unité de production ou provoquer une opération de catalyse dans les proces-sus de transformation chimique. Ce n’est donc pas un hasard si l’éducation devint e alors obligatoire à la fin du%i%siècle dans la plupart des pays qui aujourd’hui com-posent l’OCDE : la nécessité de d i s p o s e r d ’u n capital humain
Source : Reuters Macroscope
De même, le décrochage de l’Italie depuis le milieu des années 1990 peut s’expliquer pour partie, d’après une étude récente, par l’insu-sance des investissements éducatifs. » Il s’agit d’une analyse certes radicale, mais finalement assez dicile à contester, tant la maîtrise des techniques est un élément déterminant de la productivité. La note du Trésor à laquelle fait d’ailleurs référence Piketty est assez élégante dans sa démons-tration. Au cours des Trente glorieuses, la qualification du capital humain avait également eu l ’ o c c a s i o n d e propre à mettredémontrer son en œ uvre desUne moindreimportance dans techniques plusla croissance de la consommation a v a n c é e s p r o d u c t i v i t é . d e v i n t i n d i s - Ainsi, lorsque les p e n s a b l e a u missions de pro-développementne pousse pasductivité furent des nations. Et,i n s t i t u é e s p a r eles producteurs tout au long dul’économiste Jean % %l a s i è c l e , Fourastié, au cours d u r é e é d u c a -de l’année 1949, il tive a continuéà innoverparvint à accroître la productivité de n o m b r e u s e s filières (textile, construction automobile, agroalimentaire etc.) simplement en envoyant des milliers de contremaîtres, ingénieurs, ouvriers aux États-Unis pour apprendre les meilleures techniques en matière de production. Ainsi, la confection d’un costume passa de 240 heures à 70 heures, celle d’une automo-bile de 17000 heures à environ 4500 heures, et ainsi de suite. Incidemment, il est intéressant de relever l’observation des économistes Jean-Michel Boussemart et Michel Godet : selon eux, il existerait une relation nettement visible entre les gains de productivité et la part des jeunes actifs qui sont eectivement au tra-vail. Mieux : les caractéristiques des périodes de très forte croissance du PIB et de la productivité (les Trente glorieuses sont prises en exemple) coïncideraient à des moments où les jeunes actifs seraient par-ticulièrement mobilisés au sein de l’outil productif. Ce type d’observation rejoint d’ailleurs les observations faites par
à c r o î t r e . E n F r a n c e p a r e x e m p l e , l a durée obligatoire de l’éducation est passée de 8 à 15 ans en trois générations environ. L’économiste Thomas Piketty relève d’ail-leurs avec justesse que le retard européen observé durant des décennies par rapport aux USA en matière de productivité s’expli-querait« par un relatif retard éducatif : la faible population américaine est entièrement e alphabétisée dès le début duxixsiècle, alors qu’il faut attendre la fin du siècle pour qu’il en soit de même en France, à un moment où les États-Unis sont déjà passés à l’étape suivante (l’enseignement secondaire de masse, puis le supérieur). C’est l’investissement éducatif des Trente glorieuses qui permet à la France et à l’Allemagne d’eectuer un rattrapage historique sur les États-Unis entre 1950 et 1990. Le véri-table enjeu aujourd’hui est de maintenir et d’amplifier cette évolution. À l’inverse, le retard persistant de la producti-vité britannique, qui n’a jamais atteint le niveau américain, est généralement attribué aux fai-blesses historiques de son système de formation.
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M É T A M O R P H O S E S
l’économiste Paul David qui note que les techniques sophistiquées sont générale-ment plus aisées à mettre en œuvre par les jeunes générations. En particulier, il s’inté-ressera longuement à l’émergence des tech-niques de la seconde révolution industrielle, dont les gains de productivité se matériali-sèrent, selon lui, plus de quarante ans (soixante-dix ans dans le cas du moteur électrique) après leur invention, tant il est dicile pour les responsables d’outils pro-ductifs de comprendre ce que ces tech-niques nouvelles impliquent.
CAPITAL HUMAIN ET RÉVOLUTION NUMÉRIQUE
Or, cela a été dit plus haut, la grande carac-téristique de cette révolution digitale, c’est d’être avant tout composée de KBC : Knowledge Based Capital,comme le définit l’OCDE. En d’autres termes, ce n’est plus principalement la disponibilité du capital financier, et même l’innovation technolo-gique – les technologies numériques sont, au moins pour leur part logicielle, étonnam-ment ouvertes et libres de droits– qui sont les sous-jacents de l’avantage compétitif des temps à venir, mais en premier lieu la qua-lité du capital humain. Nombreuses sont à cet égard les analyses qui démontrent que les nations les plus dynamiques sur le plan économique sont également celles qui dis-posent du meilleur capital humain. Il est donc assez aisé d’en déduire que les nations qui vont également le mieux réussir à moyen terme seront celles qui auront
Les compétences manquent cruellement
réussi à massifier des systèmes de formation de qualité. Ces investissements se révèlent donc d’ores et déjà plus performants en gains de productivité que les autres, parti-culièrement ceux eectués dans le logiciel. Dans la même logique, une analyse prélimi-naire consistant à comparer le DESI(The Digital Economy and Society Index)avec la performance éducative semble démontrer que les nations les plus dynamiques sont aussi celles qui disposent de systèmes édu-catifs de qualité. Mais, dans la mesure où la révolution digi-tale est faite de technologies qui sont parti-culièrement sophistiquées, la marche à franchir pour disposer d’une base de capital humain de bonne qualité à volume élevé est particulièrement haute : le directeur tech-nique de Google France concède préférer recruter «en priorité à l’École Normale Supé-rieure et à Polytechnique […], les autres écoles venant… après». Ce qui donne une idée assez claire du niveau d’expertise requis… Pour l’instant, les travailleurs digitaux sont incroyablement peu nombreux, de l’ordre de 10 à 15 millions à l’échelle de la planète; ils ne représentent donc pas plus d’1% de l’ensemble des travailleurs. Rien ne promet que la transition vers un monde du travail où ces travailleurs seraient nettement plus nombreux soit réellement possible. Il ne faut d’ailleurs pas s’étonner que les n a t i o n s l e s p l u s p e r f o r m a n te s e n matière digitale sont généralement des nations d’immigration ou/et disposant d e g ra n d e s d ia s p o ra s ( É ta ts -U n is , Chine, Royaume-Uni, Israël…); leurs creusets initiaux de compétences, aussi pointues soient-elles, ne parvenant pas à suffire pour répondre aux besoins de
sociétés hypertechnologiques et hypers-pécialisées. Tout cela répond particulièrement bien au modèle décrit par Erik Bryndjolfsson et Andrew McAffe : celui de nations technologiques, où le marché du travail absorbe sans difficulté la vaste majorité des diplômés du supérieur, malgré leur accroissement très sensible, tandis que les travailleurs peu qualifiés voient leurs rémunérations proportionnellement baisser et le travail se raréfier, tant ces types de positions sont en concurrence avec la machine. Cette tendance devrait s’avérer immanqua-blement assez croissante. En eet, malgré un phénomène certain de «démondialisation» et de remontée des barrières douanières, l’une des caractéristiques du monde qui vient est la globalisation des idées, des techniques et dans une vaste mesure, des services numé-riques. Ainsi, l’apparition d’un service numé-rique comme WhatsApp, inventé à l’autre bout des États-Unis, ne mettra que quelques trimestres avant de commencer à perturber de nombreux marchés, en apparence fermés, d’opérateurs de télécoms nationaux. Dans certains pays, la part de minutes de télé-phones utilisant WhatsApp est déjà supé-rieure à celle utilisant les réseaux télépho-niques traditionnels. L’innovation de rupture se substitue donc à l’innovation incrémentale et les compétences nécessaires pour la mettre en œuvre différent largement de celles qui précèdent. L’importance du capital humain n’en est que plus aiguë, et s’exprime au travers d’une double injonction : la nécessité de former largement et à un niveau élevé les populations; la part plus relative de la formation initiale par rapport à la formation continue, pour répondre aux enjeux de cycles d’innovations plus raccourcis et globalisés. Il est donc vraisemblable que si la révolution digitale ne s’exprime que très partiellement, c’est la consé-quence du fait que les compétences manquent cruellement. Il est remar-quable d’observer que plus de 80% des eectifs de Google aux États-Unis sont composés d’ingénieurs (soit environ 50000), tandis que le pays entier n’en forme qu’un peu plus de 90000 par an. Une seule société peut ainsi disposer de plus de la moitié d’une promotion annuelle d’ingénieurs! Certes, il n’y a pas que les ingénieurs au cœur de cette révolution. On y trouve éga-lement des designers, des programmeurs, des experts du marketing. Mais les ingé-nieurs sont parmi les rares à disposer de compétences scientifiques et techniques assez homogènes dans un grand nombre de disciplines. Ils disposent aussi de forma-tions en mathématiques assez poussées, une dimension essentielle dans la part algorith-mique que comprend la programmation.
SCÉNARIOS POUR LA PRODUCTIVITÉ : DES FACTEURS POSITIFS…
Il est dicile de prédire ce que pourrait être le devenir de la productivité, tant les scéna-rios sont variés. Or, si la productivité ne croît pas, il sera dicile de parler de révo-lution industrielle. Dans la mesure où son origine est largement multifactorielle, elle reste dépendante de la conjonction de nombreuses hypothèses, positives pour certaines, négatives pour d’autres. Dans les facteurs positifs, on trou-vera donc :
L’autoformation massive via les Moocs et plateformes en ligne. Il y a deux ans, la plateforme Codeaca-demy disposait de 24 millions d’utilisa-teurs. Elle est ainsi devenue l’un des sites les plus populaires –avec Codeschool, le français OpenclassRooms (Fr), data-Camp…– pour l’enseignement de codes tels que Python, le code le plus populaire
iStock
actuellement aux États-Unis. Il est pro-bable que le développement des Moocs et autres plateformes de formation vienne accélérer ce phénomène et permettre une massification de la distribution des connaissances dans le domaine du numé-rique, s’aranchissant aussi largement des disparités qualitatives existant entre les nations en matière de qualité éducative. Il n’est pas impossible d’envisager que d’ici à cinq ans, sensiblement plus de 100 mil-lions de personnes auront accès à une for-mation au code via une plateforme numé-rique. L’impact d’une telle dynamique est donc relativement fort.
Doublement global du nombre de diplô-més issus des STEM (Sciences, Techno-logy, Engineering and Mathematics) dans les cinq ans à venir. La dynamique est régulièrement relevée par les statisticiens : il existe une accélération forte en matière d’étudiants diplômés dans les « STEM », emmenée par la Chine, mais également, l’Inde, l’Indonésie, l’Iran. Des pays comme la France, les États-Unis, le Royaume Uni, ont également des politiques d’expansion, plus ou moins ecaces dans ces filières. Si la probabilité qu’on assiste à un doublement du nombre d’ingénieurs diplômés est importante d’ici à cinq ans, l’impact pourrait en être plus modéré. D’une part, cette massification se fait au
O LA TRIBUNE|JEUDI 13 AVRIL 2017|N208|WWW.LATRIBUNE.FR
détriment de la qualité des cursus dans de nombreux pays, et d’autre part, ces forma-tions ne comprennent que dans une mino-rité de cas des volets numériques susam-ment consistants pour permettre la mise en œuvre de ces technologies. Toutefois, comme observé plus haut, même en dou-blant le nombre d’étudiants qualifiés dans les « STEM », leur nombre resterait presque insignifiant face à la masse générale des travailleurs arrivant sur le marché du travail sans qualification ou avec des qualifications intermédiaires. Il est possible que le point central de la concrétisation de la révolution industrielle se trouve là.
« Packaging » du code en mode accessible pour les développeurs. Des technologies complexes, comme le cloudil y a dix ans, ou l’intelligence artifi-cielle d’ici à quelques années, deviennent de plus en plus accessibles à des déve-loppeurs non spécialisés du fait de la mise en place de solutions pré-packagées. Ainsi Amazon Web Service a été un acteur de premier plan dans la démocratisation des solutions decloud, en industrialisant des ores sophistiquées, simples d’accès pour le monde numérique. Il est vraisemblable que cette démocratisation ait un impact significatif sur la dissémination des tech-nologies numériques dans des secteurs plus traditionnels.
FIG. 5INOMBRE D’ANNÉES NÉCESSAIRES POUR ATTEINDRE 100 MILLIONS D’UTILISATEURS, PAR TYPE DE TECHNOLOGIE
TÉLÉPHONE TÉLÉPHONE PORTABLE INTERNET ITUNES FACEBOOK APPLE APP STORE WHATSAPP INSTAGRAM CANDY CRUSH 0
10
20
30
40
50
60
70
1878 1979 1990 2003 2004 2008 2009 2010 2012 80
Source : Boston Consulting Group, Statista, BCG resesearch, Mobilephonehistory.co.uk, Scientiic American, Internet Live Stats, iTunes, Fortune, OS X Daily, VentureBeat, Wired, Digital Quarterly, TechCrunch
252 245 247 242 242 218 201 202 198353 $ 390 $ 188 191 329 $ 261 $ 257 $ 152 152 143 224 $ 216 $ 221 $ 133 204 $ 199 $ 111174 $ 148 $ 140 $ 129 $ 123 $ 102 $
MONTANT DES INVESTISSEMENTS (M $)
2020
NOMBRE D’OPÉRATIONS D’AMORÇAGE
1990 ÉLEVÉE
2000 FAIBLE
CHIMIE FINE ÉNERGIE THERMIQUE ÉNERGIE NUCLÉAIRE ÉNERGIE SOLAIRE TELECOM. CELLULAIRE 2G TELECOM. CELLULAIRE 3G CLOUD 4G LTE DATE NON-STRUCTURÉE AI. CYBER SECURITY MGT. AI. LEGAL & CONSULTING 1970 & <
1980 ÉLEVÉE
Source : G. B.
2010
Impossibilité de démocratiser les compétences les plus pointues. En France, le besoin endata-scientistsserait,
Concentration des plateformes. Dans de nombreux pays, les autorités de la concurrence voient avec une inquiétude croissante l’émergence d’acteurs qui, ne sui-vant pas les règles classiques de l’économie, parviennent à se créer des situations de position dominante très solides. Le risque est évidemment de créer des situations de rente, et de limiter les opportunités d’émer-gence d’innovations susceptibles de rempla-cer les acteurs dominants. On évoque d’ail-leurs souvent le principe du gagnant qui prend tout «winner takes it all» à l’égard des Gafa et de leurs semblables. Si ce risque est important, il n’est pas certain. Ainsi chacun des Gafa est potentiellement en situation de perdre sa position dominante, notamment en raison de ruptures technologiques. Il serait par exemple intéressant de savoir comment Google va réussir à perdurer avec autant de succès lorsque l’on ne fera plus requête dans Google mais que l’on parlera à une intelligence artificielle, capable de com-prendre des demandes beaucoup plus éla-borées. Le passage à des économies où les
Concentration des capitaux. La concentration des capitaux est, selon Larry Summers, l’un des principaux enjeux de notre économie contemporaine. A défaut de croire en la théorie (non démontrée) du ruissellement, il est vraisemblable que les stocks de capitaux soient autant d’opportu-nités perdues de création de richesses. Les plateformes, en accentuant la non-redistri-bution, amplifient ce phénomène. S’il est dicile de dire comment y remédier, l’étude d’une situation comparable lors de la tran-sition entre la première et la seconde révo-lution industrielle a vu cette concentration se résorber lorsqu’une concurrence accrue est apparue. Il n’en est pas moins vrai que ces phénomènes se jouent sur le temps long et créent des dysfonctionnements impor-tants sur le temps court. Des taux d’intérêt continuellement bas accroissent significati-vement la portée de ce phénomène. Il est toutefois à noter que la concentra-tion des capitaux aurait au moins une vertu : si elle est la conséquence de for-tunes faites grâce aux caractéristiques de la globalisation des marchés ou/et de l’émergence de l’économie numérique, ces fortunes ont plus souvent tendance à être réinvesties dans l’économie numérique, sous forme de capital-risque. Il est notable que l’accroissement de la disponibilité des capitaux pour l’économie numérique a connu une véritable explosion au cours des dix à quinze années passées.
Éviction des compétences, par pays et / ou par filières. Si les compétences essentielles venaient à manquer, ce qui est déjà le cas, il est à craindre que les secteurs les moins ren-tables, ou les économies les moins produc-tives, se trouvent face un « effet de marche » et, ne parvenant pas à attirer les compétences essentielles, se déclassent peu à peu, tandis que les experts rejoignent des sociétés ayant des gains de productivité et donc des marges plus fortes du fait de leur expertise digitale. Un phénomène que l’on peut déjà observer au niveau des PME en France. Celles-ci, du fait de leur faible rentabilité, ne par-viennent que dicilement à attirer les compétences digitales, accélérant d’autant leur retard dans leur transformation.
Émergence massive de l’intelligence artificielle. Dans l’intelligence artificielle, on assiste à des logiques semblables à ce qui est expli-qué dans le précédent paragraphe : l’IA, encore réservée il y a peu de temps à des experts chevronnés ou même à des cher-cheurs, peut désormais être mise en œuvre par des codeurs qui n’ont pas nécessaire-ment la compréhension de «ce qui est dans la boîte». Dans la mesure où le propre de l’intelligence artificielle consiste à automa-tiser des tâches à fort niveau d’incertitude (conduire une voiture, converser avec un être humain, etc.), il est raisonnable d’at-tendre des gains de productivité très impor-tants grâce à cette technologie et cela dans un temps d’autant plus rapproché que celle-ci a fait des progrès considérables ces der-nières années, du fait de découvertes (GPU, gestion des couches réseaux de neurones…) que l’on peut qualifier de fondamentales.
Accroissement du capital disponible pour l’innovation. Il est notable que partout dans le monde le capital-risque croît. Cela correspond aux besoins d’une nouvelle ère, où l’innovation de rupture a remplacé l’innovation incré-mentale du fait que la connaissance est désormais largement accessible et que les innovations « par associations de tech-
Régulations inappropriées. Les normes de sécurité, sociales, environ-nementales sont parfois considérées comme autant de facteurs contraignants, apparus au cours des dernières décennies et expliquant la relative baisse des gains de productivité. À l’égard de la transition numérique, l’enjeu est également signifi-catif. Ainsi, la France et l’Allemagne dis-posent de réglementations assez contrai-gnantes, qui pourraient par exemple expliquer l’absence de système de santé numérisé, ou de système d’identité élec-tronique. Il en résulte probablement une absence de gains de productivité significa-tifs du système de santé publique ainsi que des services administratifs.
selon Yves Poilane, le président de l’école d’ingénieurs Suptelecom ParisTech, trois à quatre fois supérieur au nombre de diplô-més dans cette discipline. Les débouchés très valorisants que l’on trouve dans ces métiers ne sont peut-être pas assez média-tisés. Il est à craindre que le manque de data-scientists, en France comme ailleurs, ait une origine plus structurelle : l’impossibilité de trouver des compétences initiales, en mathématiques, qui soient d’un niveau suf-fisant. Si cela ne pose pas de problème majeur pour mettre en œuvre des techno-logies «pré-packagées », c’est beaucoup plus pénalisant pour faire de la recherche ou développer des technologies sophisti-quées. Il est vraisemblable que la clé de l’accélération de la révolution digitale se trouve soit dans la capacité à massifier les compétences digitales, soit en celles qui consistent à démocratiser les technologies également digitales. L’illustration 7 le met clairement en évi -dence : si, en dehors du nucléaire, les tech-nologies de la seconde révolution indus-trielle ont été maîtrisées, ce n’est pas encore le cas de celle de la révolution digitale où les compétences continuent à manquer dans bien des domaines essentiels.
La fin de la loi de Moore. Souvent annoncée, pas encore eective-ment constatée, la loi de Moore[la puissance des microprocesseurs double tous les ans, ndlr]devrait toutefois, selon les experts, connaître une fin brutale pour des raisons physiques (les transistors approchent de la taille des atomes), d’ici quelques années. Pour autant, l’impact devrait en être limité dans la mesure où d’autresdesignsdevraient permettre de continuer à augmenter la vitesse de calcul des processeurs. De sur-croît, des technologies alternatives appa-raissent (photoniques, quantiques, amélio-ration des logiciels).
… ET DANS LES FACTEURS NÉGATIFS
FIG. 6ICOMPLÉXITÉ DE MISE EN COMMERCIALISATION DE QUELQUES TECHNOLOGIES FONDAMENTALES
cycles d’innovations sont plus resserrés semble limiter au moins partiellement les positions dominantes durables.
Amélioration des expériences utilisateurs (UX). D’une façon générale, le ranement des expériences utilisateurs, qu’il s’agisse de produits ou de services disponibles dans des environnements professionnels, ou encorede consommateurs disposant d’interfaces plus conviviales, est également de nature à impacter la productivité. Il permet en eet au plus grand nombre, et en particulier à ceux qui n’ont pas nécessairement de fortes compétences digitales, d’accéder à des outils sophistiqués, comme l’intelligence artificielle.
Source : cbinsights.com
Le nombre de data-scientists diplômés serait trois à quatre fois inférieur au besoin
FIG. 7IFINANCEMENT D’AMORÇAGE ET TENDANCE DES OPÉRATIONS (T1 2011 -T4 2014)
11
Fragmentation géopolitique de l’Internet Si le risque d’une fragmentation totale de l’Internet semble limité, il n’en reste pas moins exact que l’isolationnisme numérique de la Chine consiste en une limitation forte à la propagation de certaines techniques. Un renforcement de cette dynamique, pour l’instant peu plausible, et l’émergence de standards locaux pourraient avoir un impact très préjudiciable sur le développement de la révolution numérique. Le renoncement à Tafta, le traité transatlantique de libre échange, quoi que l’on puisse en penser, a largement achoppé sur le volet « données », tant la relation Europe-États-Unis était n déséquilibrée sur ce sujet. La semaine prochaine, la suite de notre dossier «Productivité et emploi».
niques » sont désormais plus faciles d’accès. Il est également notable que les pays dispo-sant d’un accès aisé au capital-risque (États-Unis, Chine, Suède, Royaume-Uni, Israël…) disposent d’un niveau de développement de leurs scènes startups sans précédent. Les rendements croissants du capital-risque tendent à généraliser la disponibilité de ce type de financement, tant dans les pays mentionnés que dans l’ensemble des autres, où se trouvent des startups.
Augmentation du coût de l’enseignement. Il s’agit là d’un constat en apparence contre-intuitif, mais diérents travaux de recherche tendent à démontrer que le coût de l’ensei-gnement supérieur ne cesse de croître, une dynamique qui tend à ralentir une massifi-cation de l’accès des classes populaires à l’enseignement. Toutefois, si cette dyna-mique est préoccupante, elle relève égale-ment l’importance que prend le savoir au sein d’une ère dont il est tout simplement devenu la matière première.
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