Migration et classement social : Enquête auprès de migrants marocains au Québec
202 pages
Français

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Description

Les politiques en matière d’immigration que privilégient les instances publiques québécoises sont conçues pour être un gage de performance économique. Pourtant, nombreuses sont les recherches sociologiques qui pointent le haut taux de chômage des migrants, leur forte représentation parmi les travailleurs précaires ainsi que la déqualification dont ils font l’objet.
Dans cet ouvrage, l’autrice offre un angle de vue original, car elle appelle le lecteur à décentrer son regard pour mieux « déséconomiciser » la sociologie des migrations. Elle considère ainsi le phénomène de migration non pas comme une finalité, mais comme une stratégie de classement social qui prend racine dans le pays d’origine et qui se poursuit bien en aval de l’immigration.
Au cours de son enquête démarrée au Maroc, elle a rencontré une quarantaine de ces individus qualifiés qui ont quitté leur pays pour le Québec, et où certains sont finalement retournés. À bien des égards, leur parcours permet de décloisonner les spécialités disciplinaires et de comprendre que la migration n’est pas susceptible d’une seule lecture.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 janvier 2022
Nombre de lectures 4
EAN13 9782760645097
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Stéphanie Garneau
MIGRATION ET CLASSEMENT SOCIAL
Enquête auprès de migrants marocains au Québec
Les Presses de l’Université de Montréal




L’autrice tient à remercier le Conseil canadien de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH), le Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM) ainsi que la Faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa pour le soutien financier accordé à la présente publication.
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Titre: Migration et classement social: enquête auprès de migrants marocains au Québec / Stéphanie Garneau. Noms: Garneau, Stéphanie, 1975- auteur. Collections: PUM. Description: Mention de collection: Collection PUM | Comprend des références bibliographiques. Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20210063610 | Canadiana (livre numérique) 20210063629 | ISBN 9782760645073 | ISBN 9782760645080 (PDF) | ISBN 9782760645097 (EPUB) Vedettes-matière: RVM: Marocains—Québec (Province)—Enquêtes. | RVM: Immigrants—Québec (Province)—Enquêtes. | RVM: Québec (Province)—Émigration et immigration—Enquêtes. | RVMGF: Enquêtes démographiques. Classification: LCC FC2950.M4 G37 2021 | CDD 305.892/7640714—dc23 Mise en pages: Folio infographie Dépôt légal: 1 er trimestre 2022 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Les Presses de l’Université de Montréal, 2022 www.pum.umontreal.ca Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).





Remerciements
Mes chaleureux remerciements vont à Mustapha El Miri, Kamal Mellakh, Dahlia Namian et Albena Tcholakova, pour leur lecture rigoureuse et attentionnée de certaines parties de ce livre, ainsi qu’aux évaluateurs du manuscrit, dont les remarques m’ont permis d’y apporter de pertinentes précisions. Plus que tout, ma sincère gratitude va aux personnes migrantes qui ont accepté avec beaucoup de générosité de me confier leur parole, parfois avec émotion. Puisse ma compréhension de sociologue non marocaine être à la hauteur de leur confiance et ne pas trahir leur expérience.


Introduction
Juin 2013. Je suis dans le train qui me ramène à Rabat, où je réside. Je rentre de Tanger, où je suis allée rencontrer d’anciens migrants 1 revenus s’installer au Maroc après quelques années passées au Québec. Je voyage en deuxième classe, et je partage mon compartiment avec trois employés de la Royal Air Maroc (RAM), deux hôtesses de l’air et un steward âgés de la fin de la vingtaine, peut-être du début de la trentaine, qui rentrent chez eux après un vol en provenance d’Europe. Les discussions sont animées, ils parlent haut et rient beaucoup. Mes connaissances du darija 2 sont trop sommaires pour que je puisse comprendre tout ce dont ils parlent, mais les bribes de phrase que je perçois, truffées de mots en français ici ou là, me permettent de savoir qu’ils évoquent une émission de téléréalité, puis qu’ils racontent plusieurs anecdotes à propos des passagers de la RAM. Les discussions se font légères, et l’une des hôtesses de l’air est particulièrement animée. Après avoir terminé de consigner mes notes de terrain de la journée, je ferme mon ordinateur et me montre plus ouverte. À l’approche de Kenitra, elle m’adresse la parole en français, me demandant s’il y a longtemps que je suis au Maroc. Je lui réponds que cela fait maintenant un mois et demi. «Vous êtes la bienvenue au Maroc», me déclare-t-elle. Je la remercie. «Vous êtes là pour le travail?» J’acquiesce: «Oui, si on veut. Je fais de la recherche et je m’intéresse aux Marocains qui ont émigré au Québec. Si je suis là en ce moment, c’est pour comprendre les raisons pour lesquelles certains d’entre eux choisissent de rentrer au Maroc. Et pour savoir comment ça se passe pour eux.»
La conversation s’engage. J’explique brièvement que le gouvernement du Québec s’adonne à une immigration sélective et que ce sont souvent des personnes qualifiées, par exemple des ingénieurs ou des pharmaciens, qui émigrent là-bas. Je précise toutefois qu’une fois au Québec, ces professionnels qualifiés se heurtent généralement à plusieurs obstacles qui les empêchent d’obtenir un poste à la hauteur de leurs qualifications, et que d’après les observations que j’ai faites jusqu’ici, il s’agit de l’une des raisons majeures de leur retour. Lorsque je tente d’indiquer que tous ne disposent cependant pas des mêmes ressources afin de revenir s’installer au pays, elle me lance d’un ton assuré: «Ceux qui restent là-bas, de toute façon, c’est ceux qui n’ont pas réussi!»
Bien qu’il s’agisse là d’une affirmation de la pensée commune, qui n’est de surcroît peut-être pas représentative de ce que pourraient penser tous les Marocains du Maroc s’ils venaient à être sondés, l’observation n’est pas du tout dénuée de clairvoyance. On sait en effet que dans certaines configurations migratoires, comme la migration de travail vers les pays du Golfe, partir a souvent pour finalité de faire fortune avant de rentrer au pays.
Il n’empêche que si cette opinion lancée au détour d’une conversion informelle est intéressante, c’est surtout parce qu’elle tranche nettement avec deux idées reçues souvent rencontrées durant l’enquête. La première est que «tout le monde, au Maroc, veut émigrer». Que ce soit lors de conversations tenues avec des dignitaires, des dirigeants politiques et des responsables des administrations universitaires marocains et québécois, ou lors de mes rencontres avec des migrants et des non-migrants, il est couramment admis que l’émigration vers l’Europe ou l’Amérique du Nord est un rêve caressé par tout Marocain, et l’on pourrait d’ailleurs entendre en sous-texte «par toute personne originaire d’un pays non riche et non occidental». Une telle pensée n’est effectivement pas sans alimenter les théories du «déferlement», qui ont abondamment cours dans les démocraties occidentales aujourd’hui et sur lesquelles s’appuient les pouvoirs politiques des pays de destination afin de justifier le contrôle accru des frontières. Or, quoique nous assistions à une diversification sociologique des profils des émigrants, tous les habitants des pays non occidentaux ne partent pas, et certains reviennent. Dès lors que l’on prête attention à ces constats, il nous faut faire un pas de côté afin d’interroger plus avant non pas les causes de la migration, mais leurs conditions de possibilité: quelles sont les propriétés et dispositions sociales de celles et ceux qui partent, particulièrement au Québec? Dans quelles circonstances partent-ils? Qui sont celles et ceux qui reviennent et, par opposition, celles et ceux qui ne reviennent pas? Ce n’est qu’à la condition de prendre au sérieux ces questions que nous pouvons arriver à mieux saisir la diversité et la complexité des situations migratoires; que nous pouvons mieux comprendre pour quelles raisons Massi, l’un des migrants marocains rencontrés dans le cadre de cette enquête, me disait: «Si tu ouvres les portes aux Marocains, ils vont tous sortir. Tous. Il n’y a personne qui va rester là [au Maroc]», tandis que Rachid, un autre participant à ma recherche, me confiait au contraire: «Moi, je n’ai jamais pensé un jour que je serais dans la peau d’un immigrant. J’ai toujours senti, bien, je veux dire… Je réussirai [sans émigrer]».
L’autre conception courante contre laquelle s’inscrit cette «idée» que la réussite des migrants se mesurerait par le retour dans la société d’origine concerne les sociétés d’accueil, et dans le cas présent, la société québécoise. Du point de vue de la société québécoise – dont je suis issue en tant que chercheuse et d’où je parle –, le couplage migration-réussite, en complémentarité d’ailleurs avec l’idée précédente que «dans les pays non occidentaux, tout le monde veut partir», se pense d’abord et avant tout dans la société d’installation, et en des termes exclusivement économiques, qui plus est. L’ im migration des personnes qualifiées est politiquement envisagée au Québec comme durable, et la réussite des migrants se mesure à l’aune de leur contribution à l’économie de la société d’accueil. La réussite individuelle constitue dès lors une non-préoccupation, puisqu’elle est conçue comme un effet auxiliaire et inéluctable de cette participation à la prospérité économique du pays d’installation. En tout état de cause, la rhétorique officielle des sociétés québécoise et canadienne ne s’attarde guère, pour ne pas dire aucunement, aux volontés de retour dans leur pays des migrants qualifiés. Les pâles allusions aux migrations de retour concernent les étudiants internationaux, et ne sont pas moins pensées en termes économiques, ces derniers étant perçus comme susceptibles ou bien de servir de recruteurs éventuels pour les universités québécoises, ou bien de contribuer au développement du commerce avec le Canada. Si les problèmes persistants d’insertion professionnelle des migrants ont toutefois conduit les autorités québécoises, au fil des dernières années, à se préoccuper plus directement du sort réservé aux nouveaux arrivants sur le marché du travail local, ce n’est cependant jamais sans perdre de vue l’utilité économique projetée de ces derniers.
Ce que nous rappelle surtout l’opinion prise sur le vif de cette hôtesse de l’air, toutefois, c’est que les migrants peuvent aussi partir avec pour finalité non pas tant de «réussir» dans la société d’immigration, mais de réussir at home ou ailleurs, sinon de façon home made , c’est-à-dire en vertu de barèmes de réussite qui ont été historiquement et socialement construits dans la société d’origine et intériorisés au prix d’un long processus de socialisation. Même dans l’hypothèse où cette jeune femme aurait tout simplement souhaité, par sa remarque, conforter son propre parcours de vie (rester au Maroc), la l

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