Signé L Affreux
79 pages
Français

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Description

Madame Valentine Jullien, riche veuve fondatrice d’une œuvre caritative aidant les déshérités à s’en sortir, ne donne plus signe de vie depuis plusieurs jours.


Le commissaire Henri MERVILLE, chargé de l’enquête, craint rapidement, devant le peu d’indices, de devoir clore l’affaire.


Mais après avoir fait publier, dans les journaux, la photo de la disparue, MERVILLE ne tarde pas à recevoir une lettre contenant le message suivant :




Inutile de chercher Valentine Jullien. Je l’ai tuée !



Signé : L’Affreux



Bientôt, d’autres personnes vont s’évaporer mystérieusement...


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 août 2023
Nombre de lectures 0
EAN13 9782385012007
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LES ENQUÊTES
DU
COMMISSAIRE MERVILLE

SIGNÉ L'AFFREUX
Récit policier

Lydie SERVAN
CHAPITRE PREMIER

C'était une dame fort respectable que M me Jullien. Fort respectable et aussi fort respectée, comme peut l'être la veuve d'un sénateur, précieux époux qui n'avait pas voulu laisser dans le besoin la compagne de sa vie, puisqu'à soixante ans (l'âge qu'elle avouait dans un petit rire coquet), M me Jullien se trouvait propriétaire d'un immeuble fort cossu boulevard Raspail, de plusieurs domaines en France et d'une maison de rapport à Montréal. Il faut avouer qu'elle avait grand air et que, dans ces réunions mondaines, où brillaient de tous leurs feux les lustres de ses immenses salons, elle avait dû, habillée par Lanvin et parée de ses bijoux, faciliter, sinon la carrière, du moins le standing de feu son mari.
À présent, elle n'était plus, apparemment, qu'une bourgeoise parisienne semblable à toutes les autres. Elle s'habillait de noir : cela ne signifiant nullement qu'elle renonçait à toute coquetterie. Ses tailleurs portaient la griffe d'une coupe impeccable, ses chapeaux venaient apparemment du faubourg Saint-Honoré. Et dès neuf heures du matin, lorsque, déjà pomponnée et harnachée de pied en cap, elle sortait, ne fût-ce que pour acheter chez le pâtissier voisin les croissants de son petit déjeuner, elle portait son clip de brillants et des pendentifs d'oreilles, diamants si gros qu'on avait peine à les croire véritables.
Car M me Jullien n'avait pas de domestiques. Depuis son veuvage, elle menait une vie très retirée, un peu secrète. Des langues méchantes prétendaient que son immense appartement, rempli de magnifiques œuvres d'art, disparaissait sous la poussière et la crasse depuis qu'aucun domestique ne l'entretenait plus. À plusieurs reprises, des femmes de ménage avaient été employées chez la vieille dame : leur règne n'excéda jamais trois semaines, et de leurs sous-entendus, on ne pouvait déduire rien de bien flatteur pour la veuve du sénateur... Une époque de calme et de silence succéda à ces essais infructueux. Et puis les commerçants alentour connurent peu à peu la nouvelle bonne de M me Jullien : une fille de la campagne, entre deux âges, indéfinissable, rougeaude, muette et butée, qui ne répondait que par des grognements monosyllabiques à toutes les tentatives de conversation. De quoi décourager les curiosités les plus invincibles...
Exactement ce qui advint. Et tout le quartier cessa de s'intéresser à M me Jullien...

* * *

Elle travaillait, assise à son bureau, par un quelconque après-midi, calme et sans histoire. Dans un décor très « vieille France », sous l'œil bovin des personnages des tapisseries immenses recouvrant les murs de son petit salon, elle se penchait sur le manuscrit de son roman en cours. Car, sur le tard, s'était éveillée en elle une vocation littéraire irrésistible ! Il faut ajouter qu'elle ne faisait en cela qu'obéir à une marotte qui, depuis quelque temps, envahissait les salons de ses amies : tout le monde avait, présentement, « un livre à l'édition ». Les unes s'adonnaient aux contes pour enfants, les autres donnaient dans l'ouvrage « à thèse », à tendances moralisatrices et éducatives. Il n'était pas jusqu'au curé de la paroisse, le digne homme, que ne chatouillât le démon du stylo ! Et toutes ces rombières affolées de littérature faisaient les beaux jours de quelques obscurs éditeurs, versant sans barguigner les « frais d'édition » qu'on leur réclamait, sacrifice payé au centuple par la joie de se voir imprimées, et de dédicacer leurs « œuvres » dans des réceptions de presse.
M me Jullien, donc, racontait les aventures d'un petit garçon de Paris élevé à la campagne et que tout étonne. Sa descendance assez nombreuse lui fournissait amplement la documentation nécessaire, encore que sa famille ne la fréquentât guère, un peu choquée par ses prétentions littéraires et ses allures de vieille folle. Collectionnant les balbutiements des marmots, elle avait vite transformé les quelques notes et souvenirs en un roman « si vrai, si pur et si pris sur le vif, ma chère ! » Un sourire attendri naissait sur ses lèvres tandis qu'elle relisait certains passages...
Tout au bout de l'appartement retentit le timbre de l'entrée. M me Jullien n'y prêta que peu d'attention : sa bonne s'entendait à éconduire les importuns. Un moment passa, puis on frappa discrètement à la porte du bureau de l'écrivain :
— Ce monsieur se recommande de l'œuvre des « Foyers familiaux », Madame, grogna la bonne en tendant un bristol.
« Pierre Fougerais », lut M me Jullien.
Apparemment un inconnu. Mais bienvenu, puisqu'il venait au nom du « Foyer ».
— Vous ferez entrer dans cinq minutes exactement, Adèle.

* * *

Puisque ce M. Pierre Fougerais lui était envoyé par les « Foyers », il ne pouvait qu'appartenir à la plus haute société.
« Les Foyers familiaux », encore une œuvre, encore un souvenir de Gustave Jullien. Parmi les gestes humanitaires à son actif, la veuve du sénateur accordait à celui-ci toute son exclusive préférence. Quatre fois la semaine, elle prenait la présidence du comité directeur, vérifiait les comptes de l'administration et poussait la magnanimité jusqu'à payer de sa personne en visitant les bénéficiaires des « Foyers ». En effet, dans ses locaux assez vastes, l'œuvre abritait régulièrement et temporairement, il faut bien l'ajouter, une bande de clochards, de miséreux des deux sexes, à qui l'on accordait au maximum quarante-huit heures d'abri, de soupe chaude et de bons conseils. Après quoi, on les dirigeait automatiquement vers une quelconque corvée baptisée « premier pas vers le travail, source de vie saine ». Et s'ils avaient la bêtise ou l'imprudence de se représenter au Foyer, on leur faisait nettement sentir que les paresseux sont indésirables au sein des bienfaiteurs... En somme, une manière d' Armée du Salut, à cette différence près, que l'on y « triait la racaille » et qu'on omettait totalement de faire l'équilibre de la lettre et de l'esprit...
Tel qu'il était, le Foyer plaisait à M me Jullien. Il lui avait valu nombre de décorations et honneurs, ajoutés aux salamalecs des pauvres en quête d'un secours. Il lui apporterait peut-être plus encore, lorsqu'elle publierait l'ouvrage auquel elle songeait. Quelle mine, toutes ces choses vues !
Elle se serait accordé encore quelques instants de rêve complaisant si l'on n'avait frappé de nouveau à sa porte. Les cinq minutes écoulées, Adèle, stylée, introduisait le visiteur. Et, en le découvrant, M me Jullien eut un petit sursaut, tandis que son sourire se faisait plus aimable. On n'est jamais déçue, fut-on canonique dame patronnesse et écrivain, de recevoir un beau garçon...
Ce M. Pierre Fougerais n'appartenait nullement à la catégorie des messieurs caducs et chevronnés qui formaient l'habituel des relations masculines de M me Jullien. Quarante ans, c'était l'âge qu'on lui attribuait a priori, et l'on ne devait pas se tromper beaucoup. Il entra d'un pas souple, alerte et un peu glissant, contrastant avec la raideur quelque peu britannique de son salut à la vieille dame. Il lui baisa la main ; il avait des lèvres charnues, une bouche un peu grande, des dents éclatantes, presque pointues, juste ce qu'il fallait pour ne point paraître efféminé, avec ses traits réguliers. Mais, ce qui frappait en lui, c'était surtout le regard. Un regard froid, direct, à demi voilé par des cils épais ; un regard de chat sauvage. Non point cruel, non point sadique : sensuel, oui, terriblement sensuel... Et M me Jullien, en écrivain observateur, pensa que bien peu de femmes devaient pouvoir résister à l'appel de ces yeux-là... Ne fut-ce que pour conquérir le droit de glisser des doigts caressants dans les vagues soyeuses de la chevelure châtain aux reflets dorés...
Pierre Fougerais ne se perdait pas en préambules : tout dès l'abord dénotait en lui l'homme d'affaires. C'est en effet à ce titre qu'il se présentait à M me Jullien. Il le fit avec une courtoisie de bon aloi, peu commune chez ce genre de représentants. Car Pierre Fougerais appartenait à cette corporation et après ses offres de services au siège même des « Foyers familiaux » s'était vu indiquer par la secrétaire l'adresse personnelle de M me Jullien.
— Il s'agit, Madame, de linge pour votre œuvre. Nous sommes une très importante filature du Nord et nous nous spécialisons principalement dans les fournitures pour communautés, orphelinats, secours de toutes sortes. Nos articles répondent exactement à cette clientèle.
Tout en parlant, il présentait à M me Jullien des échantillons à l'appui de son offre. Rassurée, édifiée par les papiers et certificats qu'il lui avait montrés au préalable, elle se penchait avec intérêt sur les petits carrés de tissu étiquetés. Elle ne pouvait échapper à la fraîche odeur, mélange de lavande et de fleur de tabac, qu'il exhalait. Pour se ressaisir, car ce parfum lui rappelait de lointains souvenirs de flirts et de romantiques clairs de lune, elle se mit à discuter affaires :
— Ce n'est pas tellement sur le prix – bien sûr, vous savez qu'il s'agit d'une œuvre entièrement gratuite et que nous ne possédons pas de fonds secrets ! – mais sur la qualité, sur l'apparence extérieure, que je... que nous nous basons. Nous ne voudrions à aucun prix, par exemple, de draps trop fins, comprenez-vous ? Ces gens-là ne doivent pas s'imaginer que le « Foyer » est un hôtel meublé, gratuit. Vous saisissez ce que je veux dire ?
— À merveille, Madame, dit le représentant de sa voix grave, égale, commerciale. Voici donc ce que je vous propose...
Il tenait en main un carré de jute écru. Mme Jullien le palpa avec un sourire satisfait : imaginer un corps de pauvre dans cette toile à sac la comblait d'aise. Et sans hésiter plus avant, elle passa une importante commande.
Pierre Fougerais notait, impersonnel. Ses yeux de chat sauvage disparaissaient derrière ses longs cils, et si ses doigts se crispaient un peu, c'est seulement parce que son bon de commande devait être rédigé

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