N être qu une illusion
256 pages
Français

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N'être qu'une illusion , livre ebook

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Description

Les évènements racontés ici se sont produits dans la partie centrale du dernier siècle, autour des années 50-60. Un alcoolique, facteur de profession, décrit l'évolution de sa maladie et du monde d'idées, d'émotions et d'épisodes historiques qui se greffe sur elle. C'est une sorte de journal dont la rédaction s'arrête au moment où le personnage atteint ce qui devrait être la phase terminale d'une chute inévitable et probablement brève. Il s'agit naturellement d'une œuvre d'imagination, mais elle a été bâtie à partir de personnages et de faits réels ayant pour cadre La Rochelle, belle cité d'Aunis et phare de la région.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 juillet 2018
Nombre de lectures 1
EAN13 9782414252558
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-25256-5

© Edilivre, 2018
1.
Je suis vivant. Pour moi, c’est un formidable cadeau de la providence. Je voudrais ressembler à tout le monde mais on me dit que j’aurai beaucoup d’efforts à faire pour y arriver. Plus je m’examine et moins j’ai de raisons de croire que je reste, malgré tout, un homme de bonne volonté. A force de me cogner à tous les murs, je ne sais plus quelle est la vérité, je ne sais même plus s’il y en a une. Quelque chose me fait peur, une espèce de vide. Il me semble que tout bascule autour de moi. Je regarde, je tâte, je pousse à peine et ça cède, comme si tout n’était qu’illusion, moi compris. Les bouquins qui sont sur l’étagère, devant moi, seraient comme les reliures factices des marchands de meubles. Je dois ressembler à ma chaise par l’immobilité, tant je me sens inerte, creux, fondant. Les murs bleus de ma chambre m’écrasent et, il n’y a pas si longtemps, des fleurs blanches et d’affreuses créatures y dansaient, jusqu’à ce que je ferme les yeux. Je me sentais au bord de la folie à cause de ce cinéma qui me tournait dans la tête…
Tout avait commencé chez un oncle de ma femme. Nous étions allés y passer le dimanche. Dans la salle commune, sur fond d’embrassades et de rires des retrouvailles, l’oncle sortait les verres et la bouteille de vin, remplissait les gobelets. Et ce fut tout de suite la catastrophe. Je n’ai pas eu le temps de boire. C’est au moment où j’allais m’y mettre que je me suis senti devenir froid. Ma main s’est ouverte, lâchant le verre, et je suis tombé comme une pierre. Il y a eu mes lèvres de plomb et le dialogue chuchoté autour de moi, puis le transport à La Rochelle, mon lit, les soins, le médecin à intervalles rapprochés, la renaissance progressive… Je ne voudrais pas revivre ces semaines de vie timide, et encore moins le coup de grâce de la fin, le médecin qui parlait de reprise du boulot avant de m’interdire, d’une voix sèche, de ne pas conduire ma voiture pendant trois mois. Le con, avec ses mines d’instit’… Et il a osé m’ordonner de ne boire que de l’eau. Rien d’autre, sinon la mort. Il a dit :
« C’est l’alcool, qui vous a mené là, que vous soyez d’accord ou pas, et ce ne serait pas vous rendre service que de vous ménager. Je vous ai encore tiré d’affaire cette fois-ci, mais si vous recommencez à jouer les irresponsables il n’y aura plus rien à faire !
– Vous allez un peu fort, non ? ai-je risqué. Il avait à moitié réussi à me faire peur, cet abruti. Il est reparti de plus belle :
« Continuer à boire équivaudrait à un suicide. Je ne peux pas approuver ça. Je suis contre l’imbécillité, parce qu’à ce degré-là, c’est vraiment de l’imbécillité ! ».
Il me semblait entendre mon frère aîné, Sébastien, la dernière fois que je l’avais vu. Il avait son visage d’attaquant :
« Cesse de boire comme un sous-prolétaire, et avec pas plus de conscience qu’une bête. Je ne sais pas dans quel état tu es à l’intérieur, mais je suis sûr que tu en baveras un jour ou l’autre, avec tes conneries !…
– De quoi je me mêle ? ai-je répondu en souriant. J’en ai rien à foutre, de tes conseils !… Tout le monde boit, grand frère, tu es le seul à ne pas le savoir. Moi, je suis le mouvement. Je me sens benaise comme je suis, alors fous-moi la paix ! Pour un peu, je boirais deux fois plus, rien que pour t’emmerder ».
Contre les censeurs, je me lançais toujours dans la contre-attaque. Mon bagout était une arme contre la famille, qui me tombait sur le dos et qui pullule, dans notre bijou de ville. Ceux qui désarmaient le moins, c’étaient ma mère, ma femme Amélie et, naturellement, Sébastien. Pendant des années, mes rencontres avec lui s’étaient transformées en batailles. De mots, bien sûr. Il est trop posé pour en venir aux mains (je parle de maintenant, depuis que nous sommes des hommes, parce qu’avant…). Plus je m’échauffais, plus il restait calme pour me sortir ses théories sur l’alcool et sur ma mort prochaine. Moi, je trouvais inutile de raisonner sur un mal que je ne sentais pas. J’étais solide, jambes élastiques et tête claire et j’entendais n’en faire qu’à ma tête :
« Écoute, Sébastien, tu pavoises parce que tu bois que du jus de pomme et du lait. Moi, c’est le vin, que je préfère. Du jus de pomme, enfin, tu rêves ! C’est de ça, que je crèverais, si j’en buvais, ah la la…
– Et en plus, je mets de l’eau dedans, figure-toi, parce que c’est trop sucré !
– Juste pour être original ?… Non mais, tu imagines un steack frites arrosé de jus de pomme ? C’est américain, ça, non ?…
– Le jus de pomme n’a rien de spécialement américain !
– En tous cas, moi, je veux pas de ça. Du jus de pomme et de la flotte… Ne parle pas de cette manie à n’importe qui, on se foutrait de ta gueule ! ».
Coincé dans son rôle d’apôtre, il relançait toujours la discussion. J’essayais de plaisanter mais mon tempérament reprenait vite le dessus. J’étais las d’aligner des mots. A ce jeu-là, j’étais sûr de perdre. J’aimais mieux lui crier qu’il m’emmerdait, avec ses recommandations idiotes, alors il voulait m’obliger à me taire, mais pas avant de s’être un peu rebiffé lui aussi :
« Tes gueulements, je connais. C’est l’argument des pauvres types quand ils savent plus quoi dire. C’est plus facile qu’un débat dans le calme. Tu fais du bruit mais ça ne règle rien ».
Il m’arrivait de me poser des questions sur tout ça, mais ça ne durait pas. Je disais très haut que j’étais plus intelligent que lui, mais il raisonnait mieux et il était plus savant que moi. C’est facile pour lui, qui a toujours eu le goût des livres et de l’étude. C’est l’intellectuel aéré, sportif, donc dangereux. L’équilibre de ces gens-là les rendrait presque indestructibles. La raillerie les survole… En plus, ils ont souvent la manie de la promotion sociale. C’est le cas de Sébastien, avec ses concours administratifs. Ce qu’il a pu me casser les pieds avec ça !… Quand je parle d’appels à la raison, je pense à nos jeux d’adultes. Avant ça, j’ai dit que c’était différent. Une fois, nous avions même frôlé la tragédie. Il était déjà très mesuré, alors que je poussais comme une mauvaise herbe, gênant pour les voisins, désespérant pour ma famille. D’être toujours comparé à lui me mettait hors de moi. Ce jour-là, tout avait commencé normalement, par une engueulade où je me déboutonnais avec générosité. Il m’a ordonné de me taire mais j’ai continué à l’incendier. Alors il s’est approché de moi et il m’a giflé. Il avait 18 ans mais il oubliait que j’en avais déjà 15. J’avais passé l’âge où il pouvait me coincer entre ses cuisses pour me taper sur les fesses jusqu’à ce que le sang y forme des plaques rouges. Je me suis jeté sur lui, je lui ai donné un coup de poing en pleine figure et j’ai rompu tout de suite. Il s’est précipité sur moi. Au milieu de la salle à manger, il y avait une grande table ronde en noyer. Je me suis mis à tourner autour en l’injuriant et en le narguant. Plus la séance durait, plus je voyais sa colère monter. Il ne pouvait pas me mettre la main dessus parce qu’il y avait la table entre nous, et puis je le gênais en lui lançant tout ce qui me tombait sous la main, même des objets fragiles, qui faisaient un bruit énorme en se cassant. Nos cris s’ajoutaient à ceux de notre mère, qui nous suppliait de nous arrêter. Sur le trottoir, le tintamarre devait faire se retourner les passants. Sébastien savait cela et son exaspération augmentait. Comme il était capable de sauter par-dessus la table, j’ai manœuvré pour atteindre la porte qui menait au couloir et, à l’instant où il était le plus loin de moi, je l’ai ouverte. Une fois dans le couloir, la rue était à deux pas. Il pouvait toujours courir, j’étais plus rapide que lui. Dès que j’ai mis le pied dans le couloir, j’ai compris qu’il y avait, pour les frères aînés, un dieu d’une horrible partialité : cette porte qui donnait sur la rue, presque toujours ouverte, était fermée à ce moment-là. Ça n’arrivait qu’une fois sur mille et je tombais sur cette fois-là. Il m’a sauté dessus avant que j’aie le temps d’attraper la poignée pour ouvrir. Acculé, je me suis mis dans le coin et j’ai répondu, des poings et des pieds, aux coups qui me tombaient dessus, mais le coin lui était plus favorable qu’à moi parce qu’il était plus grand, il avait plus d’allonge. Avec ça et son poids d’années de plus que moi, ça faisait une sacrée différence. J’ai commencé à souffrir et je me suis tassé, d’abord assis, puis en paquet mou. Je ne savais plus où j’étais, ni ce que je faisais. J’avais à peine la force d’espérer le secours de ma mère, qui essayait de tirer la brute vers l’arrière et criait affreusement :
« Arrête, Sébastien, tu vas le tuer, mais arrête ! ».
Je me suis demandé, après, ce qu’il aurait fait si elle n’avait pas réussi à l’arracher de là. Je ne lui ai jamais revu ce visage de bête furieuse. Je ne sais pas s’il a eu l’occasion d’exercer sur d’autres que moi cette sauvagerie, qui était peut-être un commencement de folie. J’ai du mal à comprendre comment il avait pu, pendant un moment, changer jusqu’à devenir un autre. Il était passé dans l’inhumain. Rien ne m’empêchera de penser que cette démesure est encore en lui. On ne peut pas, juste pour un moment, violer sa nature comme ça, changer le jeu des nerfs, des instincts. Si j’y pense encore et si j’ai le temps, j’essaierai de trouver une réponse à cette question. C’est peut-être lui qui me la donnera. Reste à voir comment. Je peux commencer à m’interroger, aujourd’hui où j’écris, sur ma table de salle à manger, à trois heures de l’après-midi. Dans le feu de l’action, je ne le pouvais pas et mon frère était devenu pour moi un étranger. Moi aussi, j’aurais pu le tuer. A tête reposée, je ne

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