L île du sacrifice
235 pages
Français

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L'île du sacrifice , livre ebook

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Description

À Hans-Erik PREMIÈRE PARTIE Je fais semblant d’être ordinaire Aussi ordinaire que possible Je fais semblant d’être ordinaire Mais comment font les gens ? Que font-ils ? Que faites-vous ? Olle Ljungström FREDRIK Dimanche 22 octobre, hôpital universitaire Karolinska, Solna. Il flottait dans le noir, se balançait en apesanteur dans un espace, quelque chose qui était plus grand que la nuit. Le monde n’avait pas de commencement, pas de fin. Ce noir compact n’était peut-être rien du tout. Et pourtant, il était là, conscient de se déplacer, d’errer dans l’espace. Ou peut-être dans le néant. Était-ce une expérience de mort imminente ? C’était cela, se tenir entre la vie et la mort ? un no man’s land où l’on n’est ni l’un, ni l’autre ? Ou bien était-il réellement mort ? Ce n’était pas désagréable, il ne souffrait pas, ne ressentait rien, hormis cette sensation de voguer dans un immense espace noir. Si ce bercement s’arrêtait, cesserait-il alors d’exister ? Ce mouvement était-il la vie ? La fin de la vie ? Pourtant il émettait des pensées. Et s’il pensait, c’est qu’il vivait. N’en allait-il pas ainsi ? Lorsqu’il essayait de cerner ses pensées, il se rendait compte qu’il ne pensait à rien d’autre qu’à ce bercement. Pouvait-on considérer cela comme une pensée ? N’y avait-il rien d’autre, aucune autre pensée qui fût sienne ? Il essayait, encore et encore… Mais comment faire ? C’était impossible. Il n’y avait rien d’autre que la nuit et le mouvement.

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Informations

Publié par
Date de parution 03 avril 2014
Nombre de lectures 1
EAN13 9782810412792
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À Hans-Erik
PREMIÈRE PARTIE

Je fais semblant d’être ordinaire
Aussi ordinaire que possible
Je fais semblant d’être ordinaire
Mais comment font les gens ?
Que font-ils ?
Que faites-vous ?
Olle Ljungström
FREDRIK

Dimanche 22 octobre, hôpital universitaire Karolinska, Solna.
Il flottait dans le noir, se balançait en apesanteur dans un espace, quelque chose qui était plus grand que la nuit. Le monde n’avait pas de commencement, pas de fin. Ce noir compact n’était peut-être rien du tout. Et pourtant, il était là, conscient de se déplacer, d’errer dans l’espace. Ou peut-être dans le néant.
Était-ce une expérience de mort imminente ? C’était cela, se tenir entre la vie et la mort ? un no man’s land où l’on n’est ni l’un, ni l’autre ? Ou bien était-il réellement mort ? Ce n’était pas désagréable, il ne souffrait pas, ne ressentait rien, hormis cette sensation de voguer dans un immense espace noir. Si ce bercement s’arrêtait, cesserait-il alors d’exister ? Ce mouvement était-il la vie ? La fin de la vie ? Pourtant il émettait des pensées. Et s’il pensait, c’est qu’il vivait. N’en allait-il pas ainsi ? Lorsqu’il essayait de cerner ses pensées, il se rendait compte qu’il ne pensait à rien d’autre qu’à ce bercement. Pouvait-on considérer cela comme une pensée ? N’y avait-il rien d’autre, aucune autre pensée qui fût sienne ? Il essayait, encore et encore… Mais comment faire ? C’était impossible. Il n’y avait rien d’autre que la nuit et le mouvement.
Antonia Capucci patientait en compagnie d’une autre infirmière du même âge près de l’admission des brancards. Elles scrutaient l’obscurité, mais ne pouvaient pas voir grand-chose, éblouies par les puissants projecteurs qui éclairaient l’hélisurface sur le toit.
Elles l’entendirent bien avant de le voir. Les moteurs vrombissant furieusement, accompagnés par les à-coups des pales du rotor, quelque part au-dessus d’elles, dans la nuit noire.
– J’appelle le bloc, dit l’autre infirmière en se dirigeant vers le téléphone mural.
Antonia regarda rapidement une nouvelle fois les notes sur la tablette à pince.
Homme, quarante-quatre ans, blessure crânienne, sans connaissance. La mention laconique « policier » faisait également partie des maigres informations. Le médecin qui accompagnait le transport leur donnerait plus de précisions en descendant dans l’ascenseur.
Et soudain, il fut là, au milieu des projecteurs : l’hélicoptère-ambulance rouge des services de secours Falck ronflant et fouettant l’air sous la carlingue. Une cordelette bleu clair s’envola au-dessus de la terrasse, emportée par le puissant souffle d’air. L’hélicoptère descendit les derniers mètres à la verticale et se stabilisa sur l’hélisurface. Le pilote éteignit les moteurs et le rotor ralentit son mouvement.
La collègue d’Antonia ouvrit les portes de la terrasse et l’équipage de l’hélicoptère se précipita vers l’arrière pour sortir le patient. Un policier blessé en service provoque toujours une plus grande agitation. Des journalistes commençaient à appeler, tout en sachant pertinemment que l’hôpital ne pouvait rien leur dire.
Le blessé arrivait de Gotland, mais ce n’était pas indiqué sur la tablette à pince qu’elle tenait dans ses mains. Elle compara le numéro d’identification personnelle sur le bracelet en plastique qu’elle devait mettre au poignet du patient avec celui inscrit sur sa feuille afin de vérifier qu’ils correspondaient bien. Puis le nom. Fredrik Broman. Elle essaya de le mémoriser.
1

Un cheval bondissant en tubes de néon se reflétait sur la façade en verre sombre, juste en face de l’appartement d’Arvid Traneus, à la limite des districts de Roppongi et d’Akasaka, dans le quartier Minato de Tokyo. Son allure était incertaine et à chaque pas il changeait de couleur dans une pluie d’étoiles. Avec son allure enfantine, il était loin de ressembler à un véritable cheval. On avait effacé les muscles saillants, le regard inquiet et la puissance phénoménale que possède tout animal de cette taille. Un corps massif capable de blesser facilement une personne sans le vouloir.
Un corbeau volait paresseusement entre les gratte-ciel, presque invisible dans l’obscurité. Il avait frissonné la première fois qu’il avait entendu ce long croassement. À Tokyo, ce n’étaient pas les mouettes qui prenaient possession de la ville lorsque les humains rentraient dormir chez eux. C’étaient les corbeaux.
On s’habituait.
Arvid Traneus tourna le dos à la nuit d’octobre de l’autre côté de la baie vitrée de la chambre, au cheval bondissant et aux lumières scintillantes. Il regarda Kass, la jeune femme qui venait d’entrer dans la pièce. Elle penchait légèrement la tête sur le côté et souriait tristement. Sa chevelure noire retombait sur ses épaules et sa robe en soie rouge. Elle tenait à deux mains un verre à vin qui contenait les dernières gouttes de la bouteille de cheval-blanc qu’il avait débouchée.
C’était un adieu.
Cela avait commencé comme une courte mission de consultant. Et finalement, il avait fait des allers-retours pendant sept ans, et s’était installé dans l’appartement trois ans auparavant, soit dix années au total à Tokyo, les deux dernières avec Kass. Et à présent, le moment était venu de rentrer chez lui. C’était terminé. Tout. Ce travail, cette ville, cette femme.
Il s’avança vers elle et elle vint à sa rencontre. Il lui prit le verre des mains et le posa sur le rebord de la fenêtre. Il l’attira vers lui et posa une main sur sa cuisse dorée qui s’échappait de sa courte robe. Elle se blottit contre lui.
– Kass, murmura-t-il dans ses cheveux, parsemés de petits nœuds brillants de la même couleur rouge que sa robe.
Elle avait éclairé ses deux dernières années dans cette ville. Lui avait rendu l’air plus léger pendant les courtes pauses qu’il s’accordait entre le travail et le sommeil.
Il mit sa main dans son entrejambe et écarta sa vulve glabre avec un doigt. Elle émit un gémissement fort et aigu. D’excitation, pensa-t-il d’abord, mais lorsqu’il déplaça ses doigts de la manière qu’elle aimait, il se rendit compte qu’elle s’était raidie. Elle était devenue de glace.
Elle laissa échapper un nouveau gémissement, mais plus aigu et qui n’était clairement pas de plaisir, cette fois. Elle haletait comme quelqu’un qui a vraiment peur.
Il la regarda. Elle fixait le cheval bondissant.
– Kass ?
Elle ne répondit pas.
– Kass, qu’y a-t-il ?
Il passa la main devant son regard fixe.
– Kazu-mi ! cria-t-il, comme à un petit enfant prêt à mettre la main sur une plaque électrique brûlante.
Elle sembla revenir à elle et lui jeta un regard fuyant et inquiet.
– Qu’y a-t-il ? demanda-t-il à nouveau.
Elle secoua la tête et se passa nerveusement la main dans les cheveux ; les nœuds rouges se détachèrent et tombèrent à terre.
– Je ne sais pas. Rien. Des bêtises…
Mais son regard revenait à la fenêtre et se perdait dans le lointain, comme si elle voyait autre chose que le galop saccadé du cheval en néon.
Le cheval animé n’était pas là, il y a encore six mois. Arvid Traneus avait choisi ce quartier parce que précisément, l’endroit était loin des néons et de la vie nocturne. C’était le quartier des bâtiments administratifs et des ambassades, avec de-ci de-là un îlot de bâtiments d’habitation entre les complexes de bureaux. Les trottoirs étaient déserts après 19 heures. Mais la ville était en constante évolution, à la surface comme en profondeur. De sa fenêtre, il pouvait voir quatre nouveaux gratte-ciel s’élever ; les grues les plus hautes avaient été arrêtées pour la nuit, seuls les feux de balisage aérien clignotaient.
Transformation permanente, croissance ininterrompue. Le néon clignotait. L’argent changeait de mains. Des montants, à côté desquels le budget d’un petit pays comme la Suède ressemblait à de la menue monnaie, transitaient chaque jour par les Bourses et les marchés de changes. Les multinationales travaillaient ensemble, se combattaient et s’exterminaient. Et c’était là qu’Arvid Traneus entrait en scène. Au moment de la mise à mort. Des entreprises, s’entend.
Après une très longue lutte, cette mission s’était mal terminée pour leur concurrent, qui avait connu une fin plus dure que prévu. Et ce carnage était vain, de toute façon. Son commanditaire ne pourrait occuper qu’une partie de cet espace laissé vide. Le reste tomberait entre les mains d’un autre concurrent reconnaissant.
Il caressa le dos de Kass.
– Tu vas mieux, maintenant ?
– Ça va, dit-elle en l’embrassant dans le cou. Fais-moi l’amour maintenant, chuchota-t-elle.
Elle leva les bras au-dessus de sa tête lorsqu’il enleva sa robe avec un bruissement. Elle était nue devant lui, et dégageait une odeur de terre et de caoutchouc due au vin rouge charpenté, de vanille avec une faible touche de citron provenant de son parfum, et de quelque chose d’autre, qui venait d’elle-même. De peau chaude et de sexe.
Kass le fit reculer jusqu’au lit tout en défaisant la ceinture noire récalcitrante qu’il avait achetée la semaine précédente. Elle déboutonna son pantalon et empoigna son sexe.
– Il a envie de Kass, chuchota-t-elle en pinçant légèrement ses lèvres et en laissant couler un petit filet de salive sur le gland pour le recueillir dans sa main, qu’elle avait placée en coupe juste au-dessous. Elle étala la salive d’un mouvement rapide et souple et il sentit ses jambes flageoler.
Dix ans. Cela en valait-il la peine ?
Pour lui, oui, définitivement. Il s’était constitué une fortune durant toutes ces années. Ce n’était qu’une toute petite partie de ce qu’il avait fait gagner à ses employeurs, et leur réponse serait très certainement « oui » également, s’ils avaient pu réfléchir en ces termes. Mais pour eux, la bataille n’était jamais terminée. Chaque victoire n’était que provisoire. Ils continueraient à se battre encore dix ans, puis dix ans encore.
À son arrivée, son rôle avait été de définir une stratégie permettant d’augmenter de cinq pour cent les parts de marché du groupe. C’était ce qui avait été convenu au départ. Ce n’était pas une

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