Trois femmes et un siècle
234 pages
Français

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Trois femmes et un siècle , livre ebook

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Description

« J’ai envie de parler de toi, maman. Je repousse ce moment depuis six semaines, ce moment de me retrouver face à toi, depuis six semaines que tu nous es morte, maman, ce chabbat, à l’hôpital, chambre 16. Et voilà que les larmes viennent. Je m’étonnais d’être presque toujours si normale, si insensible, si semblable à moi-même. Je me disais chaque jour : maman est morte, et j’écoutais vainement, je tentais, sans résultat, sèche et vide, de saisir l’écho de ces mots banals, dans mon cœur et ma tête. Rien. Du vide. Effet zéro. »


À la mort de sa mère, une femme évoque les souvenirs de sa famille. Trois générations de femmes juives, nées à trois époques si différentes. Trois mères. Trois filles.
Leur histoire commence dans les communautés juives rurales d’Alsace, où règnent paix et entente avec les autres habitants. Elle se poursuit dans l’horreur de la deuxième guerre mondiale pour s’achever aujourd’hui dans la grisaille et les lumières de nos villes.
La vie de ces trois femmes, l’histoire de leurs amours et de leurs relations de mères et de filles est une histoire d’hommes absents ou occupés, de conflits entre la tradition et le temps qui passe... Trois façons d’être femme et d’aimer.



Et par dessus tout la difficulté qu’il y a à se comprendre.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 juillet 2017
Nombre de lectures 1
EAN13 9782845742321
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0097€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Janine Elkouby
Trois femmes et un siècle
roman
LE VERGER ÉDITEUR
 
Ce livre est un roman. Si le contexte géographique et historique est fidèle à la réalité, les personnages, en revanche, sont des êtres de papier qui doivent tout à l'imagination de l'auteur.
 
Pour Jo
Pour Ariel et Esther
Yaël et Alain
Judith et Itshaq
Tanya et Prosper
Noémie et Nathaniel
Sarah et Emmanuel
Pour mes petits-enfants
 
Histoires qui viennent, histoires qui fuient
Histoires qui pèsent et qui explosent
Histoires perdues qui s’effilochent
Histoires sans rime ni raison
Histoires qui stagnent au cœur des mots
qui continuent sans s’arrêter
Histoires à remonter le temps
Histoires à nous descendre tous
Histoires de rage et de douleur
Histoires à rire ou à mourir
Histoires qui crèvent au fil des heures
comme des ballons remplis de vent
Histoires de filles histoires de mères,
Histoires de mères vieillies enfants,
Histoires de filles jamais nées
Histoires perdues dans le brouillard,
Histoires de neuves danses macabres
qui grimacent aux frontières,
Histoires à peine entrevues,
Histoires à peine émergées
des brumes grises de la mémoire.
P ROLOGUE
Juillet 2001
 
Le Grand Hôtel à Vittel. L’été règne sur le parc. Fauteuils bleus en similicuir autour de petites tables basses. Je suis assise, seule, un peu en retrait. Grandiloquence néo-classique du bâtiment 19 e .
Que m’importe ce décor ? J’ai envie de parler de toi, maman. Je repousse ce moment depuis six semaines, ce moment de me retrouver face à toi, depuis six semaines que tu nous es morte, maman, ce chabbat , à l’hôpital, chambre 16. Et voilà que les larmes viennent. Je m’étonnais d’être presque toujours si normale, si insensible, si semblable à moi-même. Je me disais chaque jour : maman est morte, et j’écoutais vainement, je tentais, sans résultat, sèche et vide, de saisir l’écho de ces mots banals, dans mon cœur et ma tête. Rien. Du vide. Effet zéro.
Tu nous es morte, maman, ce chabba t après-midi, il y a six semaines. Je te revois, allongée, immobile, souverainement et définitivement calme, silencieuse, si morte. Je t’ai découverte pour voir ton visage, et, malgré ton regard fixe – ce regard ne m’a pas frappée, pas gênée, peut-être parce que, depuis ton attaque, tu avais dans tes yeux, déjà, une absence de vie, de mobilité, tu t’étais retirée du monde – malgré ton regard fixe, tu semblais dormir. Je t’ai fermé les yeux – pourquoi les larmes qui montent, maintenant ? Juste maintenant ? – L’un de nous t’a appelée, une fois, deux fois, et j’ai protesté, chut…, choquée, comme si on risquait de troubler ton sommeil. Je t’ai embrassée, maman, moi qui ne le faisais jamais, sinon avec réticence, quand je ne pouvais m’y dérober, et ta peau était souple et chaude, vraiment comme si tu dormais. Nous étions là, tous, autour de ton lit, et la chambre était silencieuse, apaisée. Nous sommes restés près de toi à te veiller – c’est le mot consacré, mais il dit si mal notre présence autour de toi, maman, si absente, si loin, si morte. Nous avons récité des psaumes, litanies en hébreu, qui parlent de détresse et de consolation, de solitude et de rencontre, incantations de mots que nous dévidions inlassablement, nous berçant et te berçant de ces sonorités familières, qui avaient accompagné jadis ta mère, ta grand-mère, trame indémaillable de mots hébreux, tissant le lien indéfectible de l’histoire humaine, de l’histoire juive, de l’histoire familiale. Nous avons mangé quelques gâteaux, bu du café que Joël et Myriam nous ont apportés, car nous étions à jeun depuis le matin et le bien-être que nous avons éprouvé, maman, c’était un hommage à toi, à ta volonté de te battre, à ton amour de la vie.
Tu étais là, si parfaitement immobile, j’allais écrire si définitivement immobile, mais rien n’est plus faux, car précisément je n’avais pas, je n’ai toujours pas le sentiment que tu es partie définitivement. Non pas que j’imagine naïvement que tu reviendras, mais la conscience que j’ai de ta mort est purement cérébrale, comme si un mur étanche séparait mon cerveau de mes entrailles, comme si mon corps – mon cœur ? – était enfermé dans une forteresse inexpugnable, qui les empêche d’être atteints par ce savoir, qui m’empêche de faire véritablement connaissance avec la mort de ma mère. Mots aseptisés, vides, abstraits, étrangers. Mots passe-partout, mots squelettes, mots dépourvus de la chair du sens et de la souffrance.
J’ai dit, choquée : « chut ! ». Comme si nous risquions de te réveiller. Et je craignais, vraiment, de te réveiller. Et je comprends maintenant, brutalement, trois mois après ta mort, que j’ai mis en place, à ce moment-là, de quoi supporter ta mort, la mort : tu dormais. Je ne peux pas, aujourd’hui, repenser à ton visage, à ce moment-là, autrement qu’en le voyant endormi. Morte ? Ça veut dire quoi ? La mort, ça aurait quelque chose de violent, d’irréductible, d’absolument étranger. Tu étais endormie, simplement, ta peau était souple et chaude sous mes lèvres quand je t’ai embrassée, ton regard, avant que je ne baisse rituellement, abstraitement tes paupières, était à peine, si peu figé, à peine différent du regard abattu, terne, éteint, qui était le tien depuis neuf jours, depuis le choc de l’attaque cérébrale qui t’avait terrassée. Je me suis souvent dit, au cours de ces trois mois, que je n’arrivais pas à faire le lien avec le moment où je t’ai vue vivante pour la dernière fois, assise dans ton fauteuil, la respiration bruyante, rauque, la tête baissée, me jetant, d’en bas, un regard… comment le qualifier ? triste ? vide ? absent ? loin, déjà ? En tout cas, ce n’était pas, je ne le crois pas, je ne le vois pas, un regard de détresse ou de reproche ou de supplication. À quoi pensais-tu, maman, à cet instant où mes yeux ont rencontré les tiens pour la dernière fois ? Savais-tu que tu allais mourir ? Et comment le savais-tu ? Avec des mots dans la tête ? Avec les fibres de ton corps ? Avec de l’affolement ? De la révolte ? De l’acceptation ? Du soulagement ? De l’indifférence ? Je m’étais figuré ta mort comme une scène dramatique, où tu refuserais farouchement de mourir, secouant la tête, criant « non » à la face de la terre et du ciel… Quel lien entre ce moment où je t’ai vue vivante pour la dernière fois et le moment où je t’ai revue, allongée dans ton lit, à plat – c’est cela qui était inhabituel, plus encore que le drap qui te recouvrait, car, à cause de ton asthme, tu dormais toujours en position surélevée –, où je t’ai découverte, pour m’assurer, pour me rassurer, pour vérifier que tu n’avais pas étouffé, ma terreur, mon angoisse, ma révolte fondamentale. Il y avait là comme un mystère, une pièce de puzzle qui ne s’adaptait pas. Et je ne comprenais pas ma propre interrogation, ma perplexité, ma gêne. Je me demande aujourd’hui si cette rupture, ce hiatus, cette difficulté à nouer les deux images ne cache pas la manipulation, la mystification que j’ai montée, confondant la mort et le sommeil, me défendant contre le visage hideux de l’une en l’affublant du déguisement rassurant de l’autre. Parfois, je sens, à fleur de peau, à fleur de ventre, une crampe me tordre, quelque chose qui est là, têtu, discret encore, maintenu farouchement à l’ombre, contenu, pressé, écrasé, quelque chose, cependant, qui me rappelle sa présence ineffaçable, inéluctable.
 
 
Une jeune fille à la chevelure épaisse et bouclée, une comédienne, explique aux personnes assises à la table voisine de la mienne en quoi consiste son travail d’artiste de la scène. Elle est rejointe par un homme, un autre membre de la troupe, qui illustre son propos en entonnant un des chants du spectacle prévu pour le soir même ; c’est une chanson d’amour, à la gloire de l’été qui s’en va, de l’amour qu’il faut retenir, et sa voix chaude et sensible m’émeut, me fait, encore, monter les larmes – quelle sensiblerie pour quelqu’un qui s’est toujours refusé le droit de pleurer ! – et l’homme me sourit, à moi qui suis si loin de ses préoccupations, de sa vie, de son monde, et je réponds à son sourire, tandis qu’il crie à la cantonade : « Soyez heureux, la vie est belle ! ».
 
Deux fois, maman, la forteresse a cédé : à onze heures du soir, ce chabbat , au moment où le cercueil est arrivé à ta porte, au moment où tu allais quitter ce lit, cette chambre que je croyais, que je disais tiens, au moment de ce départ, quelque chose a crevé en moi, et je me suis abattue sur toi, pliée, cassée, et des paroles anciennes sont sorties de moi, déchirées, brisant le mur, des paroles d’autrefois, qui jamais plus, depuis, n’avaient pu franchir mes lèvres ni même être conçues par ma pensée, et je t’ai demandé pardon, me’hila , et c’était déchirant, et j’avais mal, et c’était vrai, pardon pour ma dureté, pardon pour ma colère, pardon pour ma rancune, pardon pour tout ce gâchis, pour tout ce qui n’a pas été dit, pour tout ce que je n’ai pas pu te dire, pardon pour n’avoir pas pu t’aimer, pour n’avoir pas su que je t’aimais, pardon pour n’avoir pas compris, pour n’avoir pas creusé les apparences, pour n’avoir pas cherché au-delà de la façade. Et j’ai à peine vu, aveuglée par mes larmes, assourdie par mes cris, qu’on te soulevait, qu’on te déposait dans la boîte. Et nous t’avons accompagnée au cimetière, et nous avons continué à te veiller toute la nuit, toute la journée du lendemain, et encore la nuit qui a suivi, et le second matin, à tour de rôle, jusqu’à ton enterrement. Et tes petits-enfants, maman, étaient là, venus d’Israël, de Paris, pour t’accompagner, et lorsqu’on a descendu le cercueil dans la fosse et qu’on a remonté les cordes, j’ai eu le désir fou, déraisonnable, d’empêcher qu’on t’enterre, d’ouvrir la boîte, de te prendre dans mes bras, de te réchauffer, de caresser ton visage, comme si cet amour tardif que j’éprouvais avait eu le pouvoir de vaincre l’immobilité et l’impassibilité qui avaient eu raison de toi.
Maman, pardonne-moi, maman, me’hila pour toute la douleur que je t’ai envoyée e

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