Le négrier
401 pages
Français

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Description

Edouard Corbière (1793-1875)



"Un jeune capitaine négrier, que j’avais connu à Brest dans mon enfance, me rencontra, en 1818, à la Martinique. Il se mourait d’une maladie incurable, contractée à la côte d’Afrique. « Si tu es encore ici quand je filerai mon câble par le bout, me dit-il dans le langage qui lui était ordinaire, tu ramasseras quelques paperasses que j’ai laissées au fond de ma malle. C’est le journal de ma vie de forban, écrit sur l’habitacle de ma goélette, en style d’écumeur de mer. Tu m’arrangeras un peu tout ce barbouillage, en ayant soin de cacher mon nom, par égard pour ma pauvre mère. C’est bien assez que je lui aie ravi tout ce qui la consolait de m’avoir mis au monde, sans que j’aille encore poursuivre les jours qui lui restent, du souvenir d’un garnement comme moi. » Je ne compris que plus tard le sens de ces derniers mots.


Cinq jours après notre rencontre, mon ami négrier expira dans mes bras, chez une mulâtresse. Quelques minutes avant d’exhaler son dernier souffle, ses lèvres charbonnées murmuraient encore une chanson de gaillard d’avant. Il voulait, disait-il, faire tête à la mort jusqu’au bout. Il tint parole.


On ouvrit son testament. Il me léguait son brick-goélette, superbe embarcation sur laquelle il avait fait trois voyages à la côte. Le reste de sa fortune revenait à sa mère. Je savais qu’il avait un frère qu’il aimait beaucoup, et je fus surpris de ne retrouver, dans l’expression de ses dernières volontés, aucune disposition favorable à celui-ci... Je ne voulus accepter que le journal de mer de mon compatriote. C’est cet écrit, aussi bizarre que les événements qui l’ont produit, que je me suis appliqué à mettre un peu en ordre, en traversant une douzaine de fois l’Océan."

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 16 mars 2023
Nombre de lectures 1
EAN13 9782384422043
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le négrier


Édouard Corbière


Mars 2023
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-204-3
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1202
À M ONSIEUR H ENRI Z SCHOKKE ,

À Arau.

Souvent je me suis rappelé l’émotion profonde que vous firent éprouver, en ma présence, la vue de la mer et l’aspect de ces êtres hardis qui se sont fait un métier d’en affronter les dangers. Les impressions d’un homme comme vous sont presque toujours des jugements portés sur les objets qui les ont produites. Vous avez désiré connaître les mœurs de ces marins, qui vous ont paru quelque chose de plus que des hommes ordinaires. J’ai passé ma jeunesse au milieu d’eux : leur profession a été vingt ans la mienne. Placé aujourd’hui en dehors de leur vie active, avec d’autres sensations et d’autres travaux, j’ai voulu peindre, comme d’un point de vue favorable à un artiste qui a parcouru le pays, leur caractère aventureux, et les habitudes de leur vie nomade, au milieu d’un élément dont ils se sont fait une patrie. J’ai fait un roman, enfin, avec quelques matériaux d’histoire traditionnelle, et je vous le dédie, comme à un des patriarches du genre.
N’allez pas croire toutefois, Monsieur, que la réputation élevée que vos ouvrages vous ont acquise soit le seul motif qui m’ait déterminé à placer sous l’égide de votre supériorité un essai trop peu digne de la protection que je semble vouloir lui chercher. Si j’avais connu un littérateur qui eût honoré plus que vous des fonctions publiques, ou un homme public qui eût porté, dans la littérature, un caractère plus pur et des prétentions plus modestes, c’est à lui que j’aurais offert le faible hommage que je vous prie aujourd’hui d’agréer, avec la bienveillance dont vous avez bien voulu m’honorer.

É D . C ORBIÈRE .
Introduction

Un jeune capitaine négrier, que j’avais connu à Brest dans mon enfance, me rencontra, en 1818, à la Martinique. Il se mourait d’une maladie incurable, contractée à la côte d’Afrique. « Si tu es encore ici quand je filerai mon câble par le bout , me dit-il dans le langage qui lui était ordinaire, tu ramasseras quelques paperasses que j’ai laissées au fond de ma malle. C’est le journal de ma vie de forban, écrit sur l’habitacle de ma goélette, en style d’écumeur de mer. Tu m’arrangeras un peu tout ce barbouillage, en ayant soin de cacher mon nom, par égard pour ma pauvre mère. C’est bien assez que je lui aie ravi tout ce qui la consolait de m’avoir mis au monde , sans que j’aille encore poursuivre les jours qui lui restent, du souvenir d’un garnement comme moi. » Je ne compris que plus tard le sens de ces derniers mots.
Cinq jours après notre rencontre, mon ami négrier expira dans mes bras, chez une mulâtresse. Quelques minutes avant d’exhaler son dernier souffle, ses lèvres charbonnées murmuraient encore une chanson de gaillard d’avant. Il voulait, disait-il, faire tête à la mort jusqu’au bout. Il tint parole.
On ouvrit son testament. Il me léguait son brick-goélette, superbe embarcation sur laquelle il avait fait trois voyages à la côte. Le reste de sa fortune revenait à sa mère. Je savais qu’il avait un frère qu’il aimait beaucoup, et je fus surpris de ne retrouver, dans l’expression de ses dernières volontés, aucune disposition favorable à celui-ci... Je ne voulus accepter que le journal de mer de mon compatriote. C’est cet écrit, aussi bizarre que les événements qui l’ont produit, que je me suis appliqué à mettre un peu en ordre, en traversant une douzaine de fois l’Océan.
Le négrier
 
I
Le départ
 
Vocation. – Le professeur athée. – Le corsaire le Sans-Façon . – Le capitaine Arnandault. – Mal de mer. – Cure radicale. – Maître Philippe. – Fil-à-Voile. – Combat. – Prise. – Coup de cape. – Contes du bord. – Le protégé du capitaine d’armes. – Petit Jacques.
 
Les circonstances de ma naissance semblèrent tracer ma vocation. Je reçus le jour en pleine mer, dans une traversée que mon père, vieil officier d’artillerie de marine, faisait faire à une jolie créole qu’il avait épousée aux Gonaïves, et qu’il ramenait en France à bord de sa frégate.
Un frère arriva au monde en même temps que moi, et je puis dire du même coup de roulis ; car ce fut dans la violence d’une bourrasque et au moment où notre bâtiment recevait le choc d’une lame effroyable, que ma mère accoucha de nous deux, après sept mois de grossesse.
En débarquant à Brest, notre destination, mon père n’eut rien de plus pressé que de faire baptiser ce qu’il appelait gaîment le double péché de sa vieillesse. Il voulut nous tenir, malgré les observations du curé de Saint-Louis, sur les fonts baptismaux, enveloppés du pavillon de poupe de sa frégate ; et par un hasard, qui fut accepté alors comme le plus heureux présage, en me débattant pendant la cérémonie, je passai ma petite tête dans un trou de boulet que le pavillon qui nous servait de langes avait reçu dans un combat mémorable. Les témoins de ce prodige en conclurent que je ne pourrais faire autrement que de devenir dans peu une des gloires de la marine française. Les vieux marins sont superstitieux ; mais leur crédulité n’a jamais rien que ne puisse avouer leur courage ou leur fierté.
À neuf ans, je savais nager et je ne savais pas lire. À douze ans, j’étais déjà aussi mauvais petit sujet qu’on peut l’être à cet âge. Mon frère remportait tous les prix de ses classes. Il faisait les délices de ses professeurs. J’en faisais le tourment. Quand on l’attaquait, je me battais pour lui : quand j’étais puni, il faisait mes pensums . Je l’aimais à ma manière, avec impétuosité et brusquerie. Il me chérissait de son côté ; mais son amitié, douce et caressante, avait quelquefois pour moi l’air du reproche. J’étais l’idole de mon père, qui retrouvait en moi tous les défauts de sa jeunesse. Ma mère ne pouvait vivre qu’auprès d’Auguste : c’était le nom de mon frère. Mon père avait voulu qu’on m’appelât, comme lui, Léonard . C’était à son avis un nom sonore, qui avait quelque chose de marin et de martial (1) .
Chaque semaine nos parents nous donnaient quelques sous, que nous employions selon nos goûts différents. Auguste achetait des livres avec ses petites épargnes. Moi, je me glissais dans les bateaux de passage du port, pour acheter, des bateliers, le plaisir de manier un aviron ou de brandir fièrement une gaffe. Souvent je parvenais à démarrer furtivement du rivage un canot sur lequel je me confiais seul aux flots que je voulais apprendre à maîtriser. Assis derrière une mauvaise embarcation, la barre sous le bras, bordant une misaine en lambeaux, je rangeais les vaisseaux de ligne mouillés sur rade, en fumant de mon mieux un cigarre détestable qui me soulevait le cœur. C’est dans ces moments que, m’abandonnant à la destinée que je me croyais promise, je rêvais avec ivresse et au bruit des vagues qui me berçaient, le jour où je pourrais affronter des tempêtes, les dompter ou périr au milieu d’elles.
Ces petites luttes, que mon inexpérience livrait aux lames et aux vents de la rade de Brest, sont les seuls amusements de mon enfance que je me sois toujours rappelés avec plaisir. Mes illusions n’avaient qu’un objet : ma mémoire n’a guère conservé délicieusement qu’un souvenir.
Les jeunes gens de Brest, comme tous ceux des ports de guerre, n’ont à choisir à peu près qu’entre trois carrières qui toutes conduisent au même but : servir sur mer, en qualité de chirurgien, d’aspirant ou de commis de marine. Il semble que, sur ces boulevards maritimes de la France, les hommes ne naissent aussi près de l’Océan, que pour être plus tôt prêts à en braver les dangers. Le temps était venu où il fallait que nos parents, privés de fortune, songeassent à nous donner une profession.
Les marins jurent sans cesse leurs grands Dieux, qu’ils aimeraient mieux étouffer leurs enfants au berceau que de leur laisser prendre le métier auquel ils ont quelquefois eux-mêmes consacré si inutilement leur vie ; et tous finissent par pleurer de joie quand leurs fils embrassent la carrière dans laquelle ils ont laissé un souvenir. Mon père ne se dissimulait pas les inconvénients d’une profession dont il n’avait retiré que des blessures, le scorbut, la fièvre jaune et une modique retraite ; mais un jeune homme ne lui paraissait venu au monde que pour servir la patrie. Il appelait ne rien faire, n’être pas militaire ou marin ; mais avoir essayé trois ou quatre combats, quelques naufrages ; mais avoir oublié un bras, une jambe sur un champ de bataille, c’était, à son avis, s’être acquitté de sa mission d’homme. Avec de telles idées, il n’était pas difficile de prévoir le métier qu’il serait bien aise de nous voir choisir.
La petite maison que nous habitions à Brest était placée sur le cours d’Ajot, et de chacune de ses croisées on pouvait découvrir la rade dans toute sa majesté. Un jour que les vaisseaux faisaient l’exercice à feu, mon père nous appela près de lui, et, ouvrant une fenêtre d’où il contemplait, depuis une heure, le magnifique spectacle d’un combat naval simulé, il nous demanda, enivré de la fumée de poudre que lui apportait la brise : Que voulez-vous être, mes enfants ? – Marin, si tu le veux, répondit mon frère avec sa soumission accoutumée – Et toi, Léonard ? – Marin ! quand bien même tu ne le voudrais pas, m’écriai-je presque avec colère. – Et peut-on être autre chose quand on voit cela ? s’écria l’auteur de mes jours en me pressant avec orgueil sur sa poitrine palpitante, et en proclamant, devant ma mère qui fondait en larmes, que je venais de faire une réponse digne de lui. Il fut donc décidé que mon frère et moi nous entrerions dans cette carrière qui commence par le grade de mousse, et qui finit, pour si peu de marins, par celui d’amiral.
Pour prétendre au titre d’aspirant, premier degré de l’échelle qu’ont à parcourir ceux qui se destinent à être officiers de marine, il fallait avoir servi un an au moins sur les bâtiments de l’état, et s’être fourré dans la tête un peu de mathématiques. Mon frère et moi nous fûmes embarqués sur un v

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