Félins pour l autre - Prix du Roman Miaou
124 pages
Français

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Félins pour l'autre - Prix du Roman Miaou , livre ebook

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Description

À tous les chats de ma vie, Prologue Tout est calme, rien ne laisse présager ce qui va se passer dans quelques minutes… La table du dîner est débarrassée. Le jardin bruisse de la musique de la nuit, et les parfums exaltants du soir montent de la terre encore tiède. J’ai envie de me lever de la balancelle où j’ai fait une petite sieste pour aller voir si les souris sortent de leur trou, ou pour chasser les papillons de nuit attirés par les lumières. Ils ont un vol si lourd et maladroit qu’ils sont vraiment faciles à attraper. Cependant, je sais que ma présence à cette table est nécessaire, et je résiste au désir de m’éloigner. Pour passer le temps, je fais un brin de toilette comme nous avons l’habitude de le faire, nous les chats, après un bon repas. Car oui, je suis un chat et ce moment important qui va changer le destin de mon humain, c’est moi qui l’ai provoqué. Je l’ai rêvé, j’y ai cru. Alexandre se détend sur sa chaise et s’étire discrètement de bien-être, pour ne pas sembler grossier. Après tout, il ne connaît sa voisine que depuis une petite semaine, et c’est leur premier dîner ensemble ! L’hôtesse a fini d’allumer les photophores, et elle se rassied en souriant. Un ange passe. Pour rompre ce silence, Alexandre tend la main vers le carton qu’il a apporté. À l’intérieur, des photos, dont des images de chats et de chiens qui ont vécu dans sa famille. Comme il partage l’amour des animaux avec sa voisine, il a eu envie de les lui montrer.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2020
Nombre de lectures 3
EAN13 9782819506263
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À tous les chats de ma vie,
Prologue

Tout est calme, rien ne laisse présager ce qui va se passer dans quelques minutes…
La table du dîner est débarrassée. Le jardin bruisse de la musique de la nuit, et les parfums exaltants du soir montent de la terre encore tiède. J’ai envie de me lever de la balancelle où j’ai fait une petite sieste pour aller voir si les souris sortent de leur trou, ou pour chasser les papillons de nuit attirés par les lumières. Ils ont un vol si lourd et maladroit qu’ils sont vraiment faciles à attraper. Cependant, je sais que ma présence à cette table est nécessaire, et je résiste au désir de m’éloigner. Pour passer le temps, je fais un brin de toilette comme nous avons l’habitude de le faire, nous les chats, après un bon repas. Car oui, je suis un chat et ce moment important qui va changer le destin de mon humain, c’est moi qui l’ai provoqué. Je l’ai rêvé, j’y ai cru.
Alexandre se détend sur sa chaise et s’étire discrètement de bien-être, pour ne pas sembler grossier. Après tout, il ne connaît sa voisine que depuis une petite semaine, et c’est leur premier dîner ensemble ! L’hôtesse a fini d’allumer les photophores, et elle se rassied en souriant. Un ange passe. Pour rompre ce silence, Alexandre tend la main vers le carton qu’il a apporté. À l’intérieur, des photos, dont des images de chats et de chiens qui ont vécu dans sa famille. Comme il partage l’amour des animaux avec sa voisine, il a eu envie de les lui montrer. Il plonge la main dans la boîte comme dans un chapeau de magicien pour en ressortir, tel un jeu de cartes, une pleine poignée d’images qu’il abat sur la table.
C’est ce moment que j’attendais ! Je sais que je peux me permettre ce que je vais faire. J’ai la réputation d’être joueur. Je saute sur la table au milieu des photos, et les lance en l’air. Le temps alors se ralentit, comme dans un film, lors d’une scène cruciale. La bouche d’Alexandre s’arrondit, entre surprise et indignation. Une image s’envole, fait un tour dans les airs, pour retomber sur les genoux de la jeune femme. Elle sourit de la situation, baisse les yeux, regarde la photo, et son expression vire d’un coup à l’étonnement le plus total. Bouleversée, elle balbutie :
– Ce n’est pas possible ! Comment as-tu eu cette photo ?
Pendant que les humains passent de la surprise à l’émerveillement, je revis dans ma tête de félin un après-midi décisif, il y a presque dix mois. Mon compagnon humain, Alexandre, écrivain de son état, s’était alors mis en tête de démarrer un nouveau roman, et avait décidé de fouiller le grenier de la maison familiale pour en tirer d’anciens documents susceptibles de nourrir son inspiration… Il avait trouvé le courage de se remettre au travail après une période difficile, et j’en étais ravi car je savais que j’allais pouvoir en profiter.
Je l’avais accompagné, il était plein d’appréhension. Mon ami avait encore peur des fantômes du passé et craignait de souffrir en faisant resurgir des émotions enfouies. Il s’était donc mis à ouvrir des cartons et je suivais avec curiosité l’avancée de ses découvertes. Sous une couche de jouets anciens qu’il avait écartés d’une main distraite pour me les abandonner, Alexandre avait déniché une carte postale aux coins écornés où apparaissait, sous les mouchetures, une lourde bâtisse sombre posée sur un terrain nu. Il avait déchiffré la légende semi-effacée, rédigée à la plume, qui s’étalait en travers de la photo.
– Maison… Mercier, rue de la Gare, janvier 1914.
Mon humain avait parlé tout haut à mon intention, pour m’intéresser à ses trouvailles. C’était gentil, mais c’est son autre langage, celui de ses yeux, de ses gestes, que je suis apte à comprendre.
J’avais repéré une lettre jaunie tombée au sol et la fleur sèche qui s’en était échappée. Je n’y détectai aucune odeur de jardin, rien que de la poussière qui me fit éternuer…
– Non, Mozart, fais attention, ne marche pas là-dessus. C’est fragile !
Alexandre avait voulu me repousser, mais je m’étais installé avec lourdeur sur la lettre qui crissait délicatement. Je n’avais pu m’empêcher de ronronner. Je savais qu’elle contenait un texte important, et que, même si c’était d’un peu loin et d’une façon indétectable, ce qui y était raconté me concernait aussi…
Mais n’allons pas trop vite en besogne, car si c’est récemment que j’ai commencé à manigancer pour créer cet instant, il m’a fallu beaucoup plus de temps pour comprendre mon rôle et acquérir la certitude que tout est lié en ce monde.
Cette histoire, que je vais vous raconter, commence il y a longtemps et par ma première vie, la première de mes neuf vies de chat…
PREMIÈRE VIE
In utero

Ma future mère de ce temps-là était une chatte noire que ses propriétaires appréciaient pour ses talents de chasseresse. Elle rapportait des souris, mais aussi des oiseaux de ses expéditions. Peu intéressés par les rongeurs, ses maîtres, Lucien et Ernestine Mercier, la remerciaient chaleureusement pour les volatiles qu’ils cuisinaient dans des soupes. Ils vivaient dans une ferme de l’Est de la France, un bâtiment lourd aux fenêtres étroites et aux formes pesantes souvent ruisselantes de pluie, avec comme toile de fond une période que les humains ont appelé « la Grande Guerre ».
Charbon – c’était le nom de ma mère, tout le monde ne peut pas avoir un goût sûr pour l’attribution des prénoms – était alors remerciée et recevait sa part de la carcasse de l’oiseau. Les souris et les rats lui étaient laissés.
Lors d’une expédition particulièrement risquée, Charbon avait eu son heure de gloire, en suscitant l’admiration de ses humains. Un peu inconsciente, car elle était enceinte, elle s’était aventurée dans une zone défendue. Je me trouvais dans son ventre à cette occasion, et le petit fœtus que j’étais y partagea ses émotions : anticipation, peur, détermination, courage et surtout générosité, car ma mère n’en manquait pas.
Charbon avait repéré une ferme habitée par des soldats. Ces hommes parlaient une langue différente de celle de ses maîtres. Pour Charbon, cela n’avait pas d’importance, elle n’entendait que les pensées. Mais les intonations gutturales de ces hommes ne lui plaisaient pas trop, car elle sentait que sa propre famille ne les aimait pas. Charbon avait repéré cette ferme où des odeurs de cuisine s’échappaient souvent par les fenêtres entrouvertes. C’était dans ses ordures que Charbon trouvait les meilleurs restes en cette période difficile où Ernestine ne la nourrissait presque plus. Elle avait repéré un cochon dissimulé dans une courette intérieure et, surtout, il y avait là encore quelques poulets.
Ce matin-là, Charbon rodait auprès du tas à purin sur lequel les soldats déversaient leurs déchets quand elle entendit des caquètements aigus. Prudemment, elle s’approcha de l’endroit où elle savait qu’étaient retenues les volailles. Charbon était mince et si fine qu’elle passait pour une ombre. Elle savait en jouer et se rendre invisible à volonté. Dans son sein, nous n’étions que trois, pas encore assez gros pour l’alourdir. Quand elle arriva sur le muret surplombant la cour, elle vit un homme qui s’était emparé d’un poulet et qui se dirigeait vers un billot de bois pour le décapiter. La hache tomba. L’adrénaline de Charbon nous arriva à travers le cordon ombilical. Le corps sans tête de la volaille courait en lâchant des jets de sang sur le sable, tandis que le soldat nettoyait ses outils en riant de ce qui paraissait être un jeu pour lui. Il savait que le poulet allait s’arrêter bientôt, dès qu’il aurait réalisé qu’il était mort. Alors que le corps finissait de tressauter, il le ramassa et se mit à lui arracher les plumes qu’il jetait dans une vaste bassine en chantonnant entre ses dents. Charbon frémit. Elle avait le souvenir de s’être roulée dans un de ces récipients quand elle était petite, et c’était délicieux. Si doux et si amusant. Elle avait jeté les duvets en l’air, les avait rattrapés, s’était mise à courir en rond à l’intérieur de la bassine, et s’était tellement amusée qu’elle avait fini par s’endormir cachée dans la profonde cuvette comme dans un nid douillet.
Le poulet plumé et vidé fut déposé dans un plat sur la table de la cuisine près de la fenêtre ouverte. Et le soldat, hache à la main, partit vers une autre tâche. Charbon ne savait pas ce qu’il allait faire et s’il en avait pour longtemps, mais elle sentait que c’était maintenant ou jamais. Elle bondit du muret, s’élança, sauta sur le rebord de la fenêtre, puis sur la table, planta ses dents en une prise ferme dans le dos du poulet et, sans perdre de temps, fit le chemin inverse. En se dissimulant et en suivant les fossés le long des routes, elle retourna chez ses maîtres.
Quand elle entra dans la cuisine, portant son trophée, Ernestine en laissa tomber la bûche qu’elle allait mettre dans le poêle. Quel cadeau ! Mais après l’enthousiasme vint la crainte des représailles. Quelqu’un avait peut-être vu Charbon ? Et ce n’était pas honnête de profiter du larcin d’un chat. Le soir, Lucien et Ernestine débattirent pour savoir s’il fallait aller rendre le poulet. Charbon entendit les mots « malhonnêteté, vol », mais aussi « sales Boches, pas de pitié ». Cela lui était égal ; et de toute façon elle n’y comprenait rien. Elle savait déjà comment cette histoire allait finir, elle attendait qu’on lui remette la carcasse encore bien garnie qu’elle savait mériter, et qui allait nous nourrir aussi dans son ventre. Car c’était une vraie mère, pleine d’amour par anticipation.
La maîtresse de Charbon était une ancêtre d’Alexandre – mon humain actuel –, son arrière-grand-tante ou quelque chose comme cela, je n’ai pas le sens de la famille. Elle vivait dans une demeure où Charbon était la bienvenue, sauf la nuit où on la mettait systématiquement dehors. À cette époque, on pensait que les chats devaient rester à l’extérieur dès le soir tombé. Ce qui n’est pas faux, mais pas tout à fait vrai non plus. L’hiver, Charbon devait chercher un tas de bois pour s’abriter du froid cuisant. Elle protég

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