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EAN : 9782335064797
©Ligaran 2015
NOTE DE L’ÉDITEUR
Saynètes et monologues , édité par Tresse de 1877 à 1882, regroupe six volumes de textes courts en vogue dans le Paris des cercles littéraires d’avant-garde comme dans les soirées mondaines. Un répertoire de dialogues, monologues, saynètes, comédies et opérettes portés à un art véritable dont la modernité apparaît avec évidence et dans lequel se côtoient Charles Cros, Paul Arène, Nina de Villard, Charles de Sivry, Théodore de Banville, Eugène Labiche, Charles Monselet ou encore Villiers de L’Isle Adam.
Le présent ouvrage a été sélectionné parmi les textes publiés dans Saynètes et monologues que nous avons choisi de vous faire connaître. De nombreux autres titres rassemblés dans nos collections d’ebooks, extraits de ces volumes sont également disponibles sur les librairies en ligne.
Infanterie et Cavalerie
par M. Eugène Verconsin
Table sur laquelle est un pot de fleurs, un carafon d’eau-de-vie, deux petits verres et ce qu’il faut pour écrire. – Deux chaises de paille. – Tableaux de batailles aux murs.
La scène se passe à Paris, chez Simon, en 1876 .
Personnages
SIMON, invalide. (Grande taille. – Capote d’uniforme, casquette de demi-tenue, larges lunettes, nez d’argent, ad libitum .)
MATHIAS, invalide. (Petite taille. – Balafre à la joue. – Chapeau de grande tenue, habit idem .)
Scène première
SIMON, seul, à la cantonade.
Adieu, Marie.
UNE VOIX DE JEUNE FILLE, au-dehors.
À ce soir, grand-père.
La voix s’éloigne.
SIMON, au public.
C’est ma petite fille, messieurs, c’est toute ma famille, depuis que j’ai perdu mon pauvre fils… Chère petite Marie ! Elle n’a pas seize ans, et travaille déjà comme une femme… Elle dit qu’elle veut à son tour aider son grand-papa, qui a pu relever, grâce à la pension de sa croix et à sa retraite. Elle va se promener avec lui le dimanche ; elle le soigne et lui fait de la tisane quand il est malade, le gâte en tout temps… (Souriant.) et lui donne des fleurs le jour de sa fête ! (Il va respirer le rosier posé sur sa table.) Comme ça Sent bon les fleurs données par nos enfants ! Ça embaume le cœur, quoi ! (On frappe à la porte.) Qui va là ?
Entre Mathias, tenant quelque chose de caché sous son mouchoir.
Scène II
Simon, Mathias.
MATHIAS
Bonjour, Simon.
SIMON
Mathias !… Bonjour, mon vieux Mathias… Comment vont les rhumatismes ?…
MATHIAS
Heu ! heu ! Nous aurons de la pluie demain, (soulevant son bras gauche avec lenteur.) Ce bras-là pèse cent livres.
SIMON
Tiens ! j’aurais parié que nous aurions du beau temps ; ma jambe droite est aussi gaillarde que sa sœur.
MATHIAS
Tu ne souffres jamais comme tout le monde, toi.
SIMON
Mauvaise langue !… Qu’est-ce que tu caches là ?
MATHIAS
Eh bien ! n’est-ce pas aujourd’hui la Saint-Simon ?… C’est aujourd’hui la Saint-Simon, et je t’apporte mon cadeau.
SIMON, ému.
Brave Mathias !… (Regardant le cadeau.) Une tabatière !
MATHIAS
Avec le portrait du grand homme. Est-il assez ressemblant, hein !
SIMON
Étonnant. Tu l’as donc vu de près, toi ? moi je n’ai jamais eu cette chance-là.
MATHIAS
Moi non plus… Quand je dis qu’il est ressemblant, je dis qu’il ressemble… à ses portraits.
SIMON
Oh ! pour ça, il est frappant.
MATHIAS
J’avais d’abord pensé à t’apporter un nez d’argent, mais tu m’as dit, l’autre jour, que le tien était encore en bon état.
SIMON, secouant le bout de son nez avec son doigt.
Oh oui ! il me fera bien encore la fin de l’année… Brave Mathias, va, de penser comme ça à son vieux camarade !
MATHIAS
C’te bêtise ! Toi et ta petite Marie, n’êtes-vous pas mes seuls amis à présent ?… À qui diable veux-tu que je pense, si ce n’est à vous ?… D’abord, quand je ne le voudrais pas, je pense à toi tous les deux jours…
SIMON
Qu’est-ce qu’il chante ?
MATHIAS
Mes jours de barbe. Chaque fois que je me rase, je me regarde dans le miroir ; chaque fois que je me regarde dans le miroir, je revois ma balafre ; chaque fois que je revois ma balafre, je repense à la bataille d’Eylau ; et chaque fois que je repense à la bataille d’Eylau, je repense à toi, puisque c’est là que nous fîmes connaissance.
SIMON
Et dans des circonstances majeures, comme on dit : mon petit Mathias avait affaire, pour le quart d’heure, à deux géants de Cosaques qui ne voulaient pas lui livrer leur drapeau. Il ne leur demandait que ça, le gourmand.
MATHIAS
Le plus méchant m’avait déjà allongé l’estafilade en question, que je lui avais rendue avec les intérêts…
SIMON
Et l’autre grand mâtin allait venger son camarade…
MATHIAS
Quand un cuirassier de la garde tombe au milieu de nous et m’enlève dans le tas. – Je tenais toujours le drapeau russe, – mon adversaire ne lâchait pas de son côté…
SIMON
Si bien que j’emporte la grappe vivante au galop de mon cheval.
MATHIAS
Et le moment d’après, mon brave Simon présentait à Murat en personne un camarade sauvé, un prisonnier russe et un drapeau enlevé à l’ennemi. – Qui qu’a pris le drapeau ? s’écrie Murat, en secouant son panache de corbillard. – C’est Simon, que je réponds. – C’est Mathias, que tu répliques… Tu as toujours eu l’esprit contrariant, toi.
SIMON
Et Murat nous décore tous les deux.
MATHIAS
Un rude temps, Simon, mais un beau temps !