Sébastien Gouvès
351 pages
Français

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Sébastien Gouvès , livre ebook

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Description


Léon Daudet (1867-1942)



"
Par un brûlant dimanche de juin, le docteur Sébastien Gouvès de Lunel s'installait, avec sa femme, son fils et sa fille, dans un très modeste rez-de-chaussée de cette étroite et caillouteuse rue Lhomond, qui semble, derrière le Panthéon, le triste corridor des gloires mortes.



Des bagages et des meubles de pauvres, nombreux, disloqués, composites, encombraient les six petites pièces. Le boyau qualifié de cuisine ouvrait au fond sur le jardin, quatre mètres de sable rare et de gazon pelé, qu'un mur bas séparait d'un préau d'école. A l'autre bout de l'enfilade, l'antichambre et la salle à manger donnaient sur l'escalier, en face de la loge."



Léon Daudet est le fils aîné d'Alphonse Daudet (Les lettres de mon moulin, le petit chose, Tartarin de Tarascon, etc.) et l'époux de la petite-fille de Victor Hugo : Jeanne Hugo.



Cet « anarchiste de droite » « anti-tout » : anti-républicain, anti-dreyfusard, anti-démocrate, antisémite... créera avec Charles Maurras le journal «l 'Action française. »



Critique littéraire, il fera connaître des écrivains comme Bernanos, Céline ou Proust.



Dans « Sébastien Gouvès », il dépeint la vie parisienne en opposant provincialisme et parisianisme, le petit peuple et la bourgeoisie, l'amour pur et l'amour superficielle, l'altruisme et l'ambition.



Parution en 1899.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 décembre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374631127
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Sébastien Gouvès

Roman contemporain


Léon Daudet


Décembre 2015
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-112-7
Couverture : pastel de STEPH’
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 113
À mon cher ami
PAUL MARIETON
 
Au poète délicat et profond
À l’érudit visionnaire
Au mainteneur des traditions
et du parler de Provence
Je dédie ce livre
En témoignage d’une tendre
et fidèle admiration.
 
L ÉON D AUDET
I
Le pain et la peine
 
Par un brûlant dimanche de juin, le docteur Sébastien Gouvès de Lunel s’installait, avec sa femme, son fils et sa fille, dans un très modeste rez-de-chaussée de cette étroite et caillouteuse rue Lhomond, qui semble, derrière le Panthéon, le triste corridor des gloires mortes.
Des bagages et des meubles de pauvres, nombreux, disloqués, composites, encombraient les six petites pièces. Le boyau qualifié de cuisine ouvrait au fond sur le jardin, quatre mètres de sable rare et de gazon pelé, qu’un mur bas séparait d’un préau d’école. À l’autre bout de l’enfilade, l’antichambre et la salle à manger donnaient sur l’escalier, en face de la loge.
Sébastien Gouvès, en bras de chemise, déballait méthodiquement les objets ; qu’il passait à Paul, lequel les rangeait à terre contre le mur.
C’était un homme du Midi, robuste et trapu, imberbe, au visage rugueux, creusé par cinquante-cinq ans de lutte, d’étude et de privations. Ses cheveux, touffus et grisonnants, encadraient d’une ligne nette le front admirable, élevé, rond et bossue au-dessus des sourcils en broussailles. Enfoncés et mobiles, deux yeux d’un noir brûlant éclairaient cette âpre physionomie de paysan rusé, laboureur de pensées, défricheur de problèmes. La bouche, large et charnue, avait un pli amer. Le nez, très accentué, court et carré du bout, complétait le masque d’une ténacité sensuelle.
Paul, son fils, soldat en congé, débarrassé de la lourde capote, n’avait conservé du visage paternel que le regard puissant et doux. Les traits mous, indécis, les joues blêmes signifiaient la faiblesse, malgré les moustaches châtain clair aux pointes conquérantes ; et les gestes mêmes par lesquels il aidait son père avaient des arrêts, des hésitations, des reprises de paresseux. Il soufflait et s’épongeait le front, brossait mélancoliquement les plaques de poussière de son large pantalon garance, bâillait de chaleur et répondait à peine aux interpellations, exclamations et jurements du fougueux savant languedocien, Gouvès de Lunel, Gouvès le bavard .
Dans la pièce à côté, les deux femmes s’occupaient du linge et des vêtements. Mme Gouvès, de silhouette obscure et résignée, habituée à trembler devant son mari, qu’elle admirait et aimait depuis trente ans, comme elle tremblait devant son père, le vieux Guillaume Ensade, était assez usée par l’existence soucieuse pour n’avoir plus d’âge, ni de figure. Quel étonnant contraste avec sa fille, Marianne, brune, élancée, hautaine, qui, les bras nus dans la lumière, effaçait, par sa splendeur, le logis sordide, l’occupation avilissante ! D’elle, de son corps souple et cambré, de ses yeux sombres piquetés d’or, de son nez fin, de sa bouche harmonieuse, de sa chevelure aux reflets de bronze, la beauté émanait comme un parfum violent. Grande fleur sauvage poussée en terrain de misère, elle était telle que la métamorphose, pour les sens et la joie, du génie paternel captif sous sa rude écorce et les outrages de la vie. Les nobles rêves du savant, de l’apôtre ignoré qu’était Gouvès, avaient pris la forme émouvante en cette fille d’un père à l’épreuve, et la beauté morale vaincue s’était muée en beauté physique pour conquérir un monde rebelle.
– Zou, garçon, du courage ! Mme Constans, notre brave concierge, est allée chercher de la bière. Pauvre microscope, il n’a pas trop souffert du trajet ! Avec une grande adresse de ses doigts bronzés et poilus, mais délicats, Gouvès faisait tourner les vis de l’appareil étincelant.
– Il me brûle, l’animal !... On grille plus qu’à Montpellier dans cette rôtissoire de Paris... Julie, ma mignonne, cria-t-il, j’espère que notre Moumette et le père n’auront pas manqué le train, qu’ils seront ici demain, à l’heure dite...
Après bien des vicissitudes et des années d’une pratique épuisante qui répugnait à sa haute intelligence générale, le docteur Sébastien Gouvès, universellement estimé à l’étranger pour d’importants travaux sur les fièvres et le système nerveux, mais dédaigné de ses concitoyens en raison de sa pauvreté et de sa modestie, avait obtenu, par chance insolite, une chaire à l’Université de Montpellier. Alors, en pleine ardeur scientifique, doué d’une imagination lucide et de cette perpétuelle curiosité qui mène aux grandes découvertes, il n’abandonnait point, pour ce, la clientèle, car il n’avait que de très petites rentes, insuffisantes à nourrir deux enfants, une femme, un beau-père. Par la stricte économie de Julie Gouvès, le ménage s’était maintenu honorable et sans dettes, si l’on ne mangeait pas de la viande tous les jours. Peu à peu la gêne s’accentuait, car il fallait payer les études de Paul et de Marianne ; en outre, le vieil Ensade, jusqu’alors employé dans une compagnie d’assurances, atteint d’infirmités croissantes, cessait tout travail réel, devenait l’aide illusoire de son gendre, passait ses journées à coller des étiquettes, à frotter les verres du microscope et le fléau de la balance.
Au milieu de ces déboires et de ces tristesses, le vaillant ménage avait eu la fortune de rencontrer un dévouement, Moumette, robuste fille de paysans provençaux, qui devint une magique auxiliaire, réalisant sur tout achat des économies surprenantes, menant Paul au collège, taillant les robes de Marianne, travaillant la moitié des nuits à rapiécer le linge de la maison, avec cela têtue, emportée, familière et ne cédant qu’au Maître, pour qui elle avait un culte passionné. L’instinct de cette pauvre ignorante était allé droit au génie et au cœur du savant, alors que pas mal de docteurs fameux, de réputations locales et la plupart des étudiants riaient entre eux des fantaisies du « bon toqué », du Lunélatique , plaisantaient ses distractions fréquentes, ses redingotes décennales, ses pantalons rapiécés, et, plus que tout, ses théories hasardeuses et son audace expérimentale.
C’est qu’en effet Gouvès de Lunel différait étrangement de cette foule de professionnels et d’intrigants dont la carrière médicale est, en France, encombrée. Il n’était tout d’abord ni athée, ni matérialiste, ni positiviste.
Élevé par une mère dévote, il s’était, le long d’une enfance réfléchie et d’une adolescence studieuse, affranchi peu à peu du dogme, en conservant l’esprit chrétien, la sensibilité à la pitié et à la douleur. Elle était, cette pitié, le sous-sol fécond de sa conscience, l’aboutissement de sa mystique et de ses longues rêveries. Il l’avait cultivée, élargie sans cesse, associée à chaque effort de son intelligence, si bien qu’il ne pouvait penser qu’en s’émouvant et que chacune de ses découvertes était le prolongement d’un frisson charitable, la conséquence de son désir à poursuivre sous leurs masques le mal et l’injustice. Cette vertu devint son viatique à travers les duretés de l’existence, la brume qui lui dissimula l’angoisse et la détresse personnelles. Elle tournait son âme vers autrui de l’aube aux ténèbres, l’empêchant de se replier sur soi, de s’irriter, de s’aigrir. Ainsi évita-t-il le piège de l’analyse et la stérilité du doute.
Or cette « bonté du charbonnier » ne gêna jamais le fonctionnement de son merveilleux cerveau de poète autant que de savant, apte à poursuivre l’analogie jusqu’à ce qu’elle devienne trouvaille, la métaphore tant qu’elle révèle une face inconnue de la réalité : le Réel , terme vague pour la plupart des hommes, qui, chez certains privilégiés, prend une valeur insolite et une force de création.
Par nature, Gouvès était un innovateur autant que par zèle pour le vrai. Ses sens percevaient toutes choses dans leur fraîcheur et leur simplicité, n’acceptant ni préjugé ni routine. Il aimait passionnément la vie en ses moindres aspects et, à mesure de son développement, il se faisait d’elle une image de plus en plus harmonieuse et candide. Aussi, sans qu’il les cherchât, trouvait-il aisément des formules qui bouleversaient ses collègues, les irritaient par leur nouveauté.
Il n’imitait pas d’ailleurs ces pédants qui, sous prétexte de science, méprisent l’art et le monde extérieur. La musique lui versait une merveilleuse ivresse, donnait des formes soudaines à ses pensées les plus secrètes : « Je dois à Beethoven ma théorie sur la pesanteur ; les lieds de Schumann sont associés à mes travaux sur la moelle. » Dans les pires détresses, Julie Gouvès n’avait pas vendu son piano, antique, solide et bon, qui en ce moment même occupait à lui seul la moitié d’une chambre. Telle était l’unique distraction de la courageuse femme, et souvent Marianne l’accompagnait, d’un jeu fier et robuste où se dévoilait son tempérament.
Il aimait aussi la peinture, le dessin. D’un voyage de jeunesse en Italie, il avait rapporté de précieux souvenirs, des visions de couleurs et de lignes qui faisaient sa règle esthétique. Paul avait hérité de ce goût, montré une habileté précoce, couvert ses cahiers de classe de croquis ingénieux et rapides. L’espoir de se réveiller un beau matin dans la gloire d’un Rembrandt ou d’un Léonard convint à sa nonchalance. Pendant deux longues années d’engourdissement militaire – la libération devait venir dans trois mois – il obtint congés et faveurs grâce à des portraits d’officiers et à la décoration du mess. Sa mère, qui l’idolâtrait et adoptait ses chimères comme elle excusait ses sottises, recueillait les moindres essais, afin d’en composer un album, lequel « plus tard vaudrait gros ».
Enfin, on n’ignorait pas à la Faculté que le père Gouvès « chérissait les Muses ». Dans quelques circonstances solennelles, il s’essayait à des pièces de vers d’un tour classique, qui lui valurent la jalousie de ses collègues et l

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