Poil de Carotte
225 pages
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Poil de Carotte , livre ebook

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Description

Les déboires de François Lepic (que tout le monde surnomme "Poil de Carotte" à cause de la couleur de ses cheveux) naviguant entre une mère qui ne l'aime pas, un père indolent, une soeur et un frère profitant de la situation.


"Poil de carotte", c'est Jules Renard, l'enfant non désiré d'un couple qui ne s'aime pas, l'enfant mal aimé d'une mère qui exaspère tout le monde.


Jules Renard aborde ce drame de l'enfance avec une bonne dose d'humour ! Mais dans un autre roman : "les cloportes", il dresse un portrait féroce et sans concession de cette mère.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 15
EAN13 9782374630199
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0022€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Poil de Carotte
Jules Renard
juillet 2015
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-019-9
Couverture : pastel de STEPH'
N° 20
Les poules
– Je parie, dit Mme Lepic, qu’Honorine a encore oub lié de fermer les poules.
C’est vrai. On peut s’en assurer par la fenêtre. Là -bas, tout au fond de la grande cour, le petit toit aux poules découpe, dans la nui t, le carré noir de sa porte ouverte. – Félix, si tu allais les fermer ? dit Mme Lepic à l’aîné de ses trois enfants. – Je ne suis pas ici pour m’occuper des poules, dit Félix, garçon pâle, indolent et poltron.
– Et toi, Ernestine ?
– Oh ! moi, maman, j’aurais trop peur !
Grand frère Félix et sœur Ernestine lèvent à peine la tête pour répondre. Ils lisent, très intéressés, les coudes sur la table, presque front contre front. – Dieu, que je suis bête ! dit Mme Lepic. Je n’y pe nsais plus. Poil de Carotte, va fermer les poules ! Elle donne ce petit nom d’amour à son dernier né, p arce qu’il a les cheveux roux et la peau tachée. Poil de Carotte, qui joue à rien sous la table, se dresse et dit avec timidité :
– Mais, maman, j’ai peur aussi, moi. – Comment ? répond Mme Lepic, un grand gars comme t oi ! c’est pour rire. Dépêchez-vous, s’il te plaît ! – On le connaît ; il est hardi comme un bouc, dit s a sœur Ernestine.
– Il ne craint rien ni personne, dit Félix, son gra nd frère. Ces compliments enorgueillissent Poil de Carotte, e t, honteux d’en être indigne, il lutte déjà contre sa couardise. Pour l’encourager d éfinitivement, sa mère lui promet une gifle. – Au moins, éclairez-moi, dit-il.
Mme Lepic hausse les épaules, Félix sourit avec mép ris. Seule pitoyable, Ernestine prend une bougie et accompagne petit frère jusqu’au bout du corridor.
– Je t’attendrai là, dit-elle. Mais elle s’enfuit tout de suite, terrifiée, parce qu’un fort coup de vent fait vaciller la lumière et l’éteint. Poil de Carotte, les fesses collées, les talons pla ntés, se met à trembler dans les ténèbres. Elles sont si épaisses qu’il se croit ave ugle. Parfois une rafale l’enveloppe, comme un drap glacé, pour l’emporter. Des renards, des loups même, ne lui soufflent-ils pas dans ses doigts, sur sa jo ue ? Le mieux est de se précipiter, au juger, vers les poules, la tête en avant, afin d e trouer l’ombre. Tâtonnant, il saisit le crochet de la porte. Au bruit de ses pas, les po ules effarées s’agitent en gloussant sur leur perchoir. Poil de Carotte leur c rie :
– Taisez-vous donc, c’est moi ! ferme la porte et se sauve, les jambes, les bras co mme ailés. Quand il rentre, haletant, fier de lui, dans la chaleur et la lumièr e, il lui semble qu’il échange des loques pesantes de boue et de pluie contre un vêtem ent neuf et léger. Il sourit, se
tient droit, dans son orgueil, attend les félicitat ions, et maintenant hors de danger, cherche sur le visage de ses parents la trace des i nquiétudes qu’ils ont eues. Mais grand frère Félix et sœur Ernestine continuent tranquillement leur lecture, et Mme Lepic lui dit, de sa voix naturelle :
– Poil de Carotte, tu iras les fermer tous les soirs.
C'est le chien
M. Lepic et sœur Ernestine, accoudés sous la lampe, lisent, l’un le journal, l’autre son livre de prix ; Mme Lepic tricote, grand frère Félix grille ses jambes au feu et Poil de Carotte par terre se rappelle des choses. Tout à coup Pyrame, qui dort sous le paillasson, po usse un grognement sourd.
– Chtt ! fait M. Lepic.
Pyrame grogne plus fort.
– Imbécile ! dit Mme Lepic.
Mais Pyrame aboie avec une telle brusquerie que cha cun sursaute. Mme Lepic porte la main à son cœur. M. Lepic regarde le chien de travers, les dents serrées. Grand frère Félix jure et bientôt on ne s’entend plus.
– Veux-tu te taire, sale chien ! Tais-toi donc, bou gre !
Pyrame redouble. Mme Lepic lui donne des claques. M . Lepic le frappe de son journal, puis du pied. Pyrame hurle à plat ventre, le nez bas, par peur des coups, et on dirait que rageur, la gueule heurtant le paillas son, il casse sa voix en éclats. La colère suffoque les Lepic. Ils s’acharnent, debo ut, contre le chien couché qui leur tient tête. Les vitres crissent, le tuyau du poêle chevrote et sœur Ernestine même jappe.
Mais Poil de Carotte, sans qu’on le lui ordonne, es t allé voir ce qu’il y a. Un chemineau attardé passe dans la rue peut-être et re ntre tranquillement chez lui, à moins qu’il n’escalade le mur du jardin pour voler.
Poil de Carotte, par le long corridor noir, s’avanc e, les bras tendus vers la porte. Il trouve le verrou et le tire avec fracas, mais il n’ ouvre pas la porte. Autrefois il s’exposait, sortait dehors, et sifflan t, chantant, tapant du pied, il s’efforçait d’effrayer l’ennemi. Aujourd’hui il triche. Tandis que ses parents s’imaginent qu’il fouille ha rdiment les coins et tourne autour de la maison en gardien fidèle, il les tromp e et reste collé derrière la porte. Un jour il se fera pincer, mais depuis longtemps sa ruse lui réussit.
Il n’a peur que d’éternuer et de tousser. Il retien t son souffle et s’il lève les yeux, il aperçoit par une petite fenêtre, au-dessus de la po rte, trois ou quatre étoiles dont l’étincelante pureté le glace.
Mais l’instant est venu de rentrer. Il ne faut pas que le jeu se prolonge trop. Les soupçons s’éveilleraient.
De nouveau, il secoue avec ses mains frêles le lour d verrou qui grince dans les crampons rouillés et il le pousse bruyamment jusqu’ au fond de la gorge. A ce tapage, qu’on juge s’il revient de loin et s’il a f ait son devoir ! Chatouillé au creux du dos, il court vite rassurer sa famille.
Or, comme la dernière fois, pendant son absence, Py rame s’est tu, les Lepic calmés ont repris leurs places inamovibles et, quoi qu’on ne lui demande rien, Poil de Carotte dit tout de même par habitude :
– C’est le chien qui rêvait.
Lecauchemar
Poil de Carotte n’aime pas les amis de la maison. I ls le dérangent, lui prennent son lit et l’obligent à coucher avec sa mère. Or, s i le jour il possède tous les défauts, la nuit il a principalement celui de ronfler. Il ro nfle exprès, sans aucun doute.
La grande chambre, glaciale même en août, contient deux lits. L’un est celui de M. Lepic, et dans l’autre Poil de Carotte va repose r, à côté de sa mère, au fond.
Avant de s’endormir, il toussote sous le drap, pour déblayer sa gorge. Mais peut-être ronfle-t-il du nez ? Il fait souffler en douce ur ses narines afin de s’assurer qu’elles ne sont pas bouchées. Il s’exerce à ne poi nt respirer trop fort.
Mais dès qu’il dort, il ronfle. C’est comme une pas sion.
Aussitôt Mme Lepic lui entre deux ongles, jusqu’au sang, dans le plus gras d’une fesse. Elle a fait choix de ce moyen. Le cri de Poil de Carotte réveille brusquement M. L epic, qui demande : – Qu’est-ce que tu as ?
– Il a le cauchemar, dit Mme Lepic.
Et elle chantonne, à la manière des nourrices, un a ir berceur qui semble indien.
Du front, des genoux poussant le mur, comme s’il vo ulait l’abattre, les mains plaquées sur ses fesses pour parer le pinçon qui va venir au premier appel des vibrations sonores, Poil de Carotte se rendort dans le grand lit où il repose, à côté de sa mère, au fond.
Sauf votre respect
Peut-on, doit-on le dire ? Poil de Carotte, à l’âge où les autres communient, blancs de cœur et de corps, est resté malpropre. Une nuit, il a trop attendu, n’osant demander. Il espérait, au moyen de tortillements gradués, cal mer le malaise.
Quelle prétention !
Une autre nuit, il s’est rêvé commodément installé contre une borne, à l’écart, puis il a fait dans ses draps, tout innocent, bien endormi. Il s’éveille. Pas plus de borne près de lui qu’à son étonnement ! Mme Lepic se garde de s’emporter. Elle nettoie, cal me, indulgente, maternelle. Et même, le lendemain matin, comme un enfant gâté, Poi l de Carotte déjeune avant de se lever. Oui, on lui apporte sa soupe au lit, une soupe soig née, où Mme Lepic, avec une palette de bois, en a délayé un peu, oh ! très peu. A son chevet, grand frère Félix et sœur Ernestine o bservent Poil de Carotte d’un air sournois, prêts à éclater de rire au premier si gnal. Mme Lepic, petite cuillerée par petite cuillerée, donne la becquée à son enfant. Du coin de l’œil, elle semble dire à grand frère Félix et à sœur Ernestine :
– Attention ! préparez-vous !
– Oui, maman. Par avance, ils s’amusent des grimaces futures. On aurait dû inviter quelques voisins. Enfin, Mme Lepic, avec un dernier regard a ux aînés comme pour leur demander : – Y êtes-vous ?
lève lentement, lentement la dernière cuillerée, l’ enfonce jusqu’à la gorge, dans la bouche grande ouverte de Poil de Carotte, le bourre , le gave, et lui dit, à la fois goguenarde et dégoûtée :
– Ah ! ma petite salissure, tu en as mangé, tu en a s mangé, et de la tienne encore, de celle d’hier. – Je m’en doutais, répond simplement Poil de Carott e, sans faire la figure espérée. Il s’y habitue, et quand on s’habitue à une chose, elle finit par n’être plus drôle du tout.
Lepot
I
Comme il lui est arrivé déjà plus d’un malheur au l it, Poil de Carotte a bien soin de prendre ses précautions chaque soir. En été, c’est facile. A neuf heures, quand Mme Lepic l’envoie se coucher, Poil de Carotte fait volontiers un tour dehors ; et il passe une nuit tranquille.
L’hiver, la promenade devient une corvée. Il a beau prendre, dès que la nuit tombe et qu’il ferme les poules, une première préca ution, il ne peut espérer qu’elle suffira jusqu’au lendemain matin. On dîne, on veill e, neuf heures sonnent, il y a longtemps que c’est la nuit, et la nuit va durer en core une éternité. Il faut que Poil de Carotte prenne une deuxième précaution.
Et ce soir, comme tous les soirs, il s’interroge :
– Ai-je envie ? se dit-il ; n’ai-je pas envie ?
D’ordinaire il se répond « oui », soit que, sincère ment, il ne puisse reculer, soit que la lune l’encourage par son éclat. Quelquefois M. Lepic et grand frère Félix lui donnent l’exemple. D’ailleurs la nécessité ne l’obl ige pas toujours à s’éloigner de la maison, jusqu’au fossé de la rue, presque en pleine campagne. Le plus souvent il s’arrête au bas de l’escalier ; c’est selon.
Mais, ce soir, la pluie crible les carreaux, le ven t a éteint les étoiles et les noyers ragent dans les prés.
– Ça se trouve bien, conclut Poil de Carotte, après avoir délibéré sans hâte, je n’ai pas envie.
Il dit bonsoir à tout le monde, allume une bougie, et gagne au fond du corridor, à droite, sa chambre nue et solitaire. Il se déshabil le, se couche et attend la visite de Mme Lepic. Elle le borde serré, d’un unique renfonc ement, et souffle la bougie. Elle lui laisse la bougie et ne lui laisse point d’allum ettes. Et elle l’enferme à clef parce qu’il est peureux. Poil de Carotte goûte d’abord le plaisir d’être seul. Il se plaît à songer dans les ténèbres. Il repasse sa journée, se félicite de l’avoir fréquemment échappé belle, et compte, pour demain, sur une chan ce égale. Il se flatte que, deux jours de suite, Mme Lepic ne fera pas attention à l ui, et il essaie de s’endormir avec ce rêve.
A peine a-t-il fermé les yeux qu’il éprouve un mala ise connu. – C’était inévitable, se dit Poil de Carotte. Un autre se lèverait. Mais Poil de Carotte sait qu’ il n’y a pas de pot sous le lit. Quoique Mme Lepic puisse jurer le contraire, elle o ublie toujours d’en mettre un. D’ailleurs, à quoi bon ce pot, puisque Poil de Caro tte prend ses précautions ?
Et Poil de Carotte raisonne, au lieu de se lever.
— Tôt ou tard, il faudra que je cède, se dit-il. Or , plus je résiste, plus j’accumule. Mais si je fais pipi tout de suite, je ferai peu, e t mes draps auront le temps de sécher à la chaleur de mon corps. Je suis sûr, par expérie nce, que maman n’y verra goutte. Poil de Carotte se soulage, referme ses yeux en tou te sécurité et commence un bon somme.
II
Brusquement il s’éveille et écoute son ventre.
– Oh ! oh ! dit-il, ça se gâte !
Tout à l’heure il se croyait quitte. C’était trop d e veine. Il a péché par paresse hier soir. Sa vraie punition approche. Il s’assied sur son lit et tâche de réfléchir. La p orte est fermée à clef. La fenêtre a des barreaux. Impossible de sortir. Pourtant il se lève et va tâter la porte et les bar reaux de la fenêtre. Il rampe par terre et ses mains rament sous le lit à la recherch e d’un pot qu’il sait absent. Il se couche et se lève encore. Il aime mieux remue r, marcher, trépigner que dormir et ses deux poings refoulent son ventre qui se dilate. – Maman ! maman ! dit-il d’une voix molle, avec la crainte d’être entendu, car si Mme Lepic surgissait, Poil de Carotte, guéri net, a urait l’air de se moquer d’elle. Il ne veut que pouvoir dire demain, sans mentir, qu’il appelait. Et comment crierait-il ? Toutes ses forces s’usent à retarder le désastre. Bientôt une douleur suprême met Poil de Carotte en danse. Il se cogne au mur et rebondit. Il se cogne au fer du lit. Il se cogne à la chaise, il se cogne à la cheminée, dont il lève violemment le tablier et il s’abat ent re les chenets, tordu, vaincu, heureux d’un bonheur absolu.
Le noir de la chambre s’épaissit.
III
Poil de Carotte ne s’est endormi qu’au petit jour, et il fait la grasse matinée, quand Mme Lepic pousse la porte et grimace, comme si elle reniflait de travers.
– Quelle drôle d’odeur ! dit-elle.
– Bonjour, maman, dit Poil de Carotte.
Mme Lepic arrache les draps, flaire les coins de la chambre et n’est pas longue à trouver. – J’étais malade et il n’y avait pas de pot, se dép êche de dire Poil de Carotte, qui juge que c’est là son meilleur moyen de défense. – Menteur ! menteur ! dit Mme Lepic.
Elle se sauve, rentre avec un pot qu’elle cache et qu’elle glisse prestement sous le lit, flanque Poil de Carotte debout, ameute la famille et s’écrie :
– Qu’est-ce que j’ai donc fait au Ciel pour avoir u n enfant pareil ?
Et tantôt elle apporte des torchons, un seau d’eau, elle inonde la cheminée comme si elle éteignait le feu, elle secoue la lite rie et elle demande de l’air ! de l’air ! affairée et plaintive.
Et tantôt elle gesticule au nez de Poil de Carotte :
– Misérable ! tu perds donc le sens ! Te voilà donc dénaturé ! Tu vis donc comme les bêtes ! On donnerait un pot à une bête, qu’elle saurait s’en servir. Et toi, tu
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