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EAN : 9782335064995
©Ligaran 2015
NOTE DE L’ÉDITEUR
Saynètes et monologues , édité par Tresse de 1877 à 1882, regroupe six volumes de textes courts en vogue dans le Paris des cercles littéraires d’avant-garde comme dans les soirées mondaines. Un répertoire de dialogues, monologues, saynètes, comédies et opérettes portés à un art véritable dont la modernité apparaît avec évidence et dans lequel se côtoient Charles Cros, Paul Arène, Nina de Villard, Charles de Sivry, Théodore de Banville, Eugène Labiche, Charles Monselet ou encore Villiers de L’Isle Adam.
Le présent ouvrage a été sélectionné parmi les textes publiés dans Saynètes et monologues que nous avons choisi de vous faire connaître. De nombreux autres titres rassemblés dans nos collections d’ebooks, extraits de ces volumes sont également disponibles sur les librairies en ligne.
Après la noce
Saynète
par M. Abraham Dreyfus
Un salon d’attente dans un hôtel à Dieppe.
Personnages
Madame, 20 ans.
Monsieur, 30 ans.
Scène première
Madame.
Elle entre vivement en refermant la porte derrière elle, s’avance comme pour parler à quelqu’un et reste interdite en se voyant seule.
Personne ?… (Regardant autour d’elle.) On va venir sans doute… (Tombant sur une chaise.) Ah ! que j’ai eu peur !… (Elle reste quelques secondes sans parler. – Se relevant.) Mais non !… On ne vient pas… Est-ce qu’on ne m’aurait pas vue entrer ?… (Elle entrouvre la porte et regarde au dehors.) Ah ! Voici quelqu’un !… (Appelant timidement.) Garçon !… il ne m’entend pas !… Garçon ! (Ronflement au dehors.) Je crois qu’il dort… (Le bruit continue.) Eh bien, voilà un hôtel drôlement gardé ! Il faut cependant… (Elle va pour appeler.) Gar… (S’arrêtant.) Ah ! je n’ose pas… il fait trop de bruit. (Elle referme la porte.) Et puis, qu’est-ce que je lui dirais, à ce garçon ? Comment lui expliquer… Il ne comprendrait pas… Une dame qui descend dans un hôtel au milieu de la nuit, toute seule, sans son mari !… Et j’en ai un, pourtant !… mais je l’ai laissé à la gare… C’est vrai… j’ai un mari et je l’ai laissé à la gare… Il me cherche, dans ce moment-ci, le malheureux !… Il se demande où est passée « sa petite femme !… » Oui… tout à l’heure, dans le wagon, il a osé m’appeler sa petite femme… Il a profité de ce que notre voisin, un vieux monsieur, lisait le Temps… Vous savez ? C’est un journal énorme, le Temps !… Le vieux monsieur le tenait tout ouvert, comme ça… On ne le voyait plus du tout, le vieux monsieur… Alors, mon mari s’est approché, il m’a effleuré l’oreille… Je crois même qu’il m’aurait embrassée… mais je me suis reculée et il est resté sur ce mot-là : Ma petite femme. Quelle indignité ! M’appeler sa femme… quand il venait à peine d’en quitter une autre que j’ai vue… de mes yeux vue ! Oh ! c’est une aventure dont on n’a pas idée !… Elle a commencé ce matin à l’église, après la bénédiction… J’allais me rasseoir, lorsque j’entends un sanglot dans l’assistance… Je me dis : un sanglot, c’est maman !… Pas du tout ! maman était en train de causer très tranquillement avec madame Reversis, notre propriétaire… et j’aperçois, dans le coin à gauche, près du pilier, une dame qui pleurait à chaudes larmes :… Une dame vêtue simplement, mais avec élégance !… Je la remarque… – sans y faire plus attention, parce que dans ces moments-là, n’est-ce pas ?… il faut un peu penser à soi… – et la cérémonie continue. Nous passons dans la sacristie. On m’adresse des félicitations, tout le monde m’embrasse, j’embrasse tout le monde… puis on donne le signal, du départ. Je vais pour prendre le bras de mon mari… Je ne le trouve pas ! – « Il va venir, me dit le garçon d’honneur… il cause avec une dame…– Une dame ?… Quelle dame ?… » Je regarde : c’était la dame du pilier gauche !… Mon mari se retourne… Il voit que je l’ai vu, il sourit d’un air embarrassé… et la dame disparaît… J’étais très intriguée… – Ah ! vous avouerez qu’il y avait de quoi être intriguée !… Je demande à papa s’il sait quelle est cette personne ; il me répond : « Je ne la connais pas ; ce doit être une parente… » Oh ! alors, il me vient à l’esprit un de ces soupçons… vous comprenez ?… Une parente qui sanglote contre un pilier et que personne ne connaît, – saut mon mari !… J’avais justement lu cette semaine dans le Moniteur des Demoiselles un roman… oh ! mais là ! un romani… Enfin, il paraît que c’est arrivé ! C’est l’histoire d’un jeune homme qui épouse une jeune fille parce qu’elle est riche ; alors la… (Avec effort.) la maîtresse de ce jeune homme l’attend dans l’église… et au moment où il fait son entrée derrière le suisse… elle lui jette un flacon de vitriola la figure… C’est même le suisse qui reçoit tout. J’avais donc un soupçon… mais ce n’était qu’un soupçon… Et puis, je me disais : Si cette femme lui a fait des adieux solennels… je ne peux pas me plaindre. Il paraît que tous les hommes en sont là… il n’y en a pas qui ne fasse des adieux solennels… Bref, je dissimule mon émotion… Maman me dit : Qu’est-ce que tu as, ma chérie ?… Je réponds : Ce n’est rien… et nous rentrons à la maison… Le repas a lieu, un très beau déjeuner qui dure jusqu’à six heures, un déjeuner dînatoire comme dit maman… et à huit heures je prenais le train de Dieppe avec mon mari. Le commencement du voyage se passe très bien… ou du moins… enfin, mon mari ne disait rien… Il se tenait dans son coin, il avait l’air préoccupé… il lançait de temps en temps un regard furieux au vieux monsieur qui s’était mis en face de nous ; mais enfin il ne disait rien… C’est seulement quand le vieux monsieur a ouvert son journal… (Avec indignation.) Et nous venions de nous arrêter à Rouen !… oui, il n’y avait pas dix minutes que nous avions quitté Rouen où mon mari… (S’arrêtant.) Non !… ça ne peut pas se raconter, (Vivement.) Figurez-vous que mon mari était descendu sous prétexte d’acheter des allumettes… inquiète de ne pas le voir revenir, je me mets a la portière… et qu’est-ce que j’aperçois ? Mon mari arrête devant un autre compartiment… Et à la portière de cet autre compartiment… Qui ? La dame de l’église ! la dame du pilier gauche !… Elle nous avait suivis… où du moins mon mari l’avait emmenée !… Est-ce assez horrible ? C’est plus fort que le roman, ça !… Eh bien, mon mari est revenu tout tranquillement comme si rien ne s’était passé et c’est alors… J’ai eu un moment l’idée de crier, de lui dire bout haut : Monsieur, on n’embrasse pas sa femme quand on en a une autre dans le compartiment voisin !… Mais j’ai eu peur du scandale… je me suis contenue… j’ai attendu que nous fussions arrivés à Dieppe ; pendant que mon mari s’occupait des bagages, je me suis esquivée, je suis montée flans un fiacre, j’ai dit au cocher de me conduire à un hôtel… et me voilà ! Je repartirai demain par le premier train… et j’irai demander à mes parents… (Pleurant.) si c’est ainsi qu’ils ont voulu faire mon bonheur !… (Elle tombe sur le canapé en fondant en larmes. – Se relevant brusquement.) Non ! ne pleurons pas… C’est bon pour les jeunes filles, de pleurer ! moi… (Fièrement.) je suis une femme !… (Un temps. – Avec résolution.) Voyons !… je ne peux pas rester ici toute la nuit… il faut que je demande une chambre… (Elle entrouvre la porte. – Ronflement du garçon.) Toujours ce garçon !… C’est effrayant !… (Elle referme la porte.) Dire qu’il y a des gens qui se font servir par un homme !… moi,