130
pages
Français
Ebooks
1997
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Publié par
Date de parution
01 février 1997
Nombre de lectures
0
EAN13
9782738159755
Langue
Français
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Date de parution
01 février 1997
Nombre de lectures
0
EAN13
9782738159755
Langue
Français
Ouvrage originellement publié en Australie sous le titre : Report of the Canberra Commission on the Elimination of Nuclear Weapons © 1996 Commonwealth of Australia
© O DILE J ACOB , FÉVRIER 1997 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5975-5
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Introduction
L’objet du rapport qui constitue ce livre est simple : il est de convaincre tout lecteur, et par là bien sûr le monde entier, qu’il est aujourd’hui devenu nécessaire de se débarrasser des armes nucléaires.
C’est simple à dire assurément : une phrase y suffit. C’est beaucoup moins simple à faire. Sur les champs multiples à couvrir, les étapes à définir, les conditions à remplir pour qu’à chaque nouvelle situation tous les États concernés continuent à se sentir en sécurité, les processus à engager et à conduire, les vérifications à exiger, et malgré la surabondance de la littérature préexistante sur ce sujet, je crois le rapport de la Commission Canberra utilement novateur, aussi bien techniquement que politiquement et même sans doute symboliquement.
Mais c’est surtout beaucoup moins simple encore à penser, à concevoir, à accepter peut-être, pour quiconque a fréquenté depuis quelques décennies l’univers de la géopolitique, de la stratégie, de la paix et de la guerre. En effet, pour que cinq nations de l’importance et de l’expérience historique que sont – dans l’ordre où elles ont acquis la possession de « la bombe » – les États-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, la France et la Chine aient délibérément et à grands frais choisi de se doter de ce type d’armes, il doit y avoir des raisons fortes. Et de fait, ce continent européen, qui du XVII e à la première moitié du XX e siècle avait pris l’habitude de guerroyer à peu près une fois tous les quarante ans, semble depuis l’apparition des armes nucléaires avoir trouvé les conditions d’une paix durable, perçue aujourd’hui comme structurellement instituée. Il faut admettre que l’abominable épisode bosniaque est d’une nature particulière, qui rend compte à la fois de son étrangeté et de sa limitation géographique, et qui ne dément pas cette analyse générale. Pour dire les choses plus abruptement on est fondé à considérer que, jusqu’à la guerre froide, jamais l’histoire de l’humanité n’avait connu une situation de conflit aussi forte et aussi menaçante entre deux projets de domination du monde fondés sur deux conceptions antagoniques de l’homme, de la vie, de la liberté et de l’égalité. Et pourtant cet affrontement majeur s’est terminé sans guerre. Pour beaucoup d’analystes, la mise en œuvre de la dissuasion nucléaire est l’explication majeure de ce résultat superbe. Et ceux qui en doutent n’ont de toute façon pas réussi à prouver leur cause.
Nous, Français, en tout cas, appartenons à un pays qui a profondément intégré cette façon de penser – il faut bien dire cette culture. Fort habitués à être envahis, nous avons appris depuis l’école primaire que la menace, puis les troupes, viennent généralement de l’Est, et que nous n’en réchappons qu’après l’invasion temporaire d’une notable partie de notre territoire. Ce schéma répétitif avait pendant ce dernier siècle et demi l’Allemagne comme partenaire principal. Une histoire aussi lourde produit chez un peuple des attitudes, des comportements tout à fait spécifiques. Chacun comprend que l’attitude de la Grande-Bretagne, et a fortiori celle des États-Unis, devant la menace extérieure soit différente.
Une brève éclaircie sembla se faire jour : la France et l’Allemagne en avaient tant vu, et s’en étaient tant fait, qu’elles donnaient l’impression de pouvoir et de vouloir se réconcilier. Cela partit très fort, les échanges de jeunes démarrèrent tôt après la dernière guerre, les jumelages de villes suivirent assez vite, de part et d’autre les hommes politiques observèrent sur ce sujet une très inhabituelle retenue de langage… Las, bien avant que la réconciliation fût officielle, qu’elle devînt la base de l’édification européenne, et qu’un traité la consacrât, un autre ennemi de l’Est s’était découvert, le communisme, autrement plus dangereux par sa puissance comme par la radicalité de son projet de société que ce que nous venions de connaître, qui pourtant avait paru atteindre le sommet de l’horreur.
Bien sûr il y avait un protecteur, les États-Unis. Mais pour être militairement surpuissants et diplomatiquement les maîtres du jeu, ils n’en étaient pas moins lointains. Le schéma s’imposait. Au cas de transformation de la guerre froide en guerre chaude et d’éclatement d’un troisième conflit mondial, son déroulement conventionnel impliquait comme hypothèse la plus probable une nouvelle invasion de la France, au moins partielle, avec l’espoir fondé d’une libération ultérieure par les États-Unis. Tout cela naturellement se serait fait au prix de dommages humains gigantesques. En termes de guerre classique, rien ne pouvait garantir, même s’ils en avaient la volonté, que les États-Unis puissent intervenir à temps. Il fallait concevoir, devant toute menace, une riposte instantanée et massive, et en fait aller jusqu’à dissuader la menace. Seule la « bombe atomique » permettait de répondre à cet objectif. Les États-Unis l’ont immédiatement compris, et leur discours stratégique l’a traduit : ils parlaient de représailles massives (« massive retaliation »).
La France aussi l’a compris très tôt. Pierre Mendès France, puis Guy Mollet, enfin, et surtout, Charles de Gaulle, décidèrent et financèrent les recherches nécessaires, et de Gaulle finalement donna l’ordre de construire puis de déployer « la bombe ». Très vite ensuite, le Général modifia le dispositif stratégique en décidant que la France se ferait seul juge des menaces pesant sur ses intérêts vitaux, et seul juge par conséquent de l’éventuel emploi de la bombe nucléaire. Pour garantir le plein exercice de cette absolue liberté de décision, il retira toutes les forces armées françaises de l’organisation permanente intégrée sous commandement américain dont le Traité de l’Atlantique Nord avait édicté la mise en place. De Gaulle pensait en effet – et a dit – qu’il était à ses yeux totalement impensable d’imaginer un président des États-Unis prenant une décision aussi terrifiante que celle d’employer l’arme nucléaire pour parer à autre chose qu’une menace vitale pour son propre peuple ou son propre territoire. Plus tard, chacun à sa manière, Robert McNamara (lui-même membre de la Commission Canberra) et Henry Kissinger, qui furent deux des plus influents responsables de la politique américaine de sécurité, confirmèrent publiquement ce point de vue. En tout cas, l’incertitude créée par la France apparaissait comme un élément de plus pour empêcher la direction soviétique d’imaginer une invasion conventionnelle de l’Europe qui ne rencontrerait qu’une riposte conventionnelle, donc faible et tardive.
Ainsi s’est mis en place, progressivement, cet équilibre de la dissuasion, auquel je continue de penser que nous devons l’issue pacifique de la guerre froide. Beaucoup l’ont appelé l’équilibre de la terreur. Il y avait naturellement une intention disqualifiante dans le choix du deuxième mot, mais il y avait plus encore une concession dangereuse à l’idée que la dissuasion puisse ne pas fonctionner. Or elle a marché. Nous sommes toujours là, et nous n’avons pas connu la guerre.
C’est un de mes grands regrets, au cours du travail que nous avons mené en commun, que de n’avoir pu convaincre mes collègues de la Commission Canberra d’accepter que le rapport fasse une référence plus explicite à ce concept de dissuasion. L’objectif essentiel de ce rapport concerne l’avenir. J’ai donc accepté de signer en pensant à cet avenir. Mais ce gap culturel entre nous quant à la lecture du passé est lourd de sens, et l’on risque de retrouver ce débat non tranché à chaque nouvelle étape significative de désarmement nucléaire. Toutefois, le rapport, et c’est pour cela que j’ai pu le signer, s’il ne confirme pas, et en fait ne mentionne même pas, la doctrine de la dissuasion comme ayant fait ses preuves ou seulement comme méritant prise en considération, prévoit cependant que le désarmement nucléaire ne pourra progresser que par étapes et qu’à chacune d’entre elles tout État, y compris les possesseurs d’armes nucléaires, devra pouvoir considérer sa sécurité comme assurée. Pour quelques-uns d’entre eux et notamment pour la France, cela veut dire qu’à chaque étape un niveau pertinent de dissuasion nucléaire sera maintenu aussi longtemps que le démantèlement complet de tous les arsenaux n’est pas acquis.
Cette disposition, fondamentale, rend la ligne générale proposée par le rapport acceptable pour les États dotés d’armes nucléaires, dès l’instant où leurs instances responsables adoptent la perspective d’un désarmement nucléaire général.
La seule grande question est en effet là. Faut-il abandonner l’armement nucléaire ? Répondre à cela suppose de se poser d’abord quelques questions préalables, dont celles-ci : À quoi l’armement nucléaire sert-il présentement ? Qui dissuadons-nous au juste en ce moment ? Ou, pour formuler une question moins sommaire, à quels types de conflits pensons-nous avoir à faire face dans l’avenir, et y en a-t-il pour lesquels la mise en jeu de la dissuasion nucléaire demeure la réponse pertinente ? À la