Comment la socialisation produit-elle l’environnementalisme
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Socialisation et engagement écologiste en Europe L’école, la famille et l’environnementalisme en héritage Jean-Paul Bozonnet Site: http://bozonnet.googlepages.com Contact : Jean-Paul.Bozonnet@iep-grenoble.fr Congrès de l’AISLF - Istanbul, du 6 juillet au 11 juillet 2008 Les idées ne tombent pas du ciel (Mao Ze Dong) D’où viennent donc les idées écologistes ? Nombre de théories ont été convoquées pour en découvrir les racines mais beaucoup se contentent de proposer des filiations causales en recensant les héritages de l’histoire des idées, et quelques-unes seulement s’intéressent aux faits concrets de l’émergence des mouvements écologistes et de la massification de leurs idées dans la société civile. Pourquoi celles-ci ont-elle diffusé aussi soudainement et largement dans tous les pays industrialisés à la fin des années 60 ? Bien plus, autant que l’origine, les sociologues se doivent d’expliquer la permanence de cet engagement collectif dans l’écologie. Pourquoi est-il resté vivant jusqu’à aujourd'hui, fut-ce sous d’autres formes plus instituées ? Si les mouvements sociaux des années soixante n’ont plus de « nouveau » que le nom, pourquoi l’écologisme s’est-il mué en un mouvement durable ? Parmi les nombreuses hypothèses envisageables, quelle place tient le processus fondamental de reproduction que les sociologues nomment socialisation ? Plus précisément, comment l’école et la famille façonnent-elles la culture environnementaliste, par quels ...

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S o c iali s a ti o n  e t  e n g a ge men t  é colo gis te  e n  E u r ope  
Lécole, la famille et lenvironnementalisme en héritage
Jean-Paul Bozonnet Site: http://bozonnet.googlepages.com   Contact : Jean-Paul.Bozonnet@iep-grenoble.fr    Congrès de lAISLF - Istanbul, du 6 juillet au 11 juillet 2008
Les idées ne tombent pas du ciel (Mao Ze Dong)  Doù viennent donc les idées écologistes ? Nombre de théories ont été convoquées pour en découvrir les racines mais beaucoup se contentent de proposer des filiations causales en recensant les héritages de lhistoire des idées, et quelques-unes seulement sintéressent aux faits concrets de lémergence des mouvements écologistes et de la massification de leurs idées dans la société civile. Pourquoi celles-ci ont-elle diffusé aussi soudainement et largement dans tous les pays industrialisés à la fin des années 60 ? Bien plus, autant que lorigine, les sociologues se doivent dexpliquer la permanence de cet engagement collectif dans lécologie. Pourquoi est-il resté vivant jusquà aujourd'hui, fut-ce sous dautres formes plus instituées ? Si les mouvements sociaux des années soixante nont plus de « nouveau » que le nom, pourquoi lécologisme sest-il mué en un mouvement durable ? Parmi les nombreuses hypothèses envisageables, quelle place tient le processus fondamental de reproduction que les sociologues nomment socialisation ? Plus précisément, comment lécole et la famille façonnent-elles la culture environnementaliste, par quels mécanismes transmettent-elles ces idées et à quelles catégories sociales ?
Problématique et objectifs
Nous nous proposons ici danalyser les processus dacquisition et de transmission de lengagement écologiste. Nous le ferons via le concept fondamental mais bien étudié en sociologie, de socialisation (Dubar, 1991). La socialisation est le processus par lequel les individus internalisent les normes culturelles et les valeurs de leur groupe dappartenance, et souvent, quoique pas toujours, de la société entière. Elle passe par les différentes institutions, famille, école, médias, mais aussi les pairs et le partage dans toutes circonstances de la vie quotidienne. Pour examiner linfluence de chacun de ces éléments, il nous faudra débrouiller lécheveau compliqué des multiples étiologies de lorigine de lenvironnementalisme. Avant daller plus loin, il convient de définir plus exactement le concept dengagement écologique ou environnemental, qualificatifs dont nous nous servirons indifféremment en négligeant leurs nuances sémantiques. Seront considérés comme engagés
les citoyens qui ont accompli au moins une action à but écologique, soit un achat, soit un don, soit différents types de participation aux organisations de protection de la nature ou de défense de lenvironnement. Il sagit donc ici dune pratique plus quun discours. Dans une première partie, nous dresserons un bref inventaire des hypothèses susceptibles dexpliquer lapparition des mouvements écologistes en Occident durant la seconde partie du XX ème siècle. Chacune sera testée dans la mesure du possible à laide des données denquête à notre disposition, ce qui nous permettra de définir plus exactement le rôle de léducation, en le distinguant notamment dautres hypothèses telles que la saturation des besoins économiques, la place dans la division du travail, les effets dâge ou linfluence des médias. Dans la seconde partie, nous étudierons précisément comment la socialisation agit sur lenvironnementalisme. Nous distinguerons dabord laction de la socialisation primaire ou héritée et de celle secondaire ou acquise, représentées respectivement par les institutions familiale et scolaire, en mesurant aussi lascendant différentiel des principaux rôles familiaux. Puis nous analyserons deux mécanismes sociologiquement intéressants de la transmission par socialisation, dune part leffet de cliquet, et dautre part leffet de saturation, qui témoignent des phénomènes dhystérésis de lécologisme dans la société civile, mais en révèlent aussi les seuils infranchissables.
Méthode : enquête, échantillon, indicateurs, exploitation
Les données utilisées ici sont celles de lenquête ESS ( European Social Survey ) de 2002-2003 1 . Elle a été conduite auprès de 22 pays européens 2 , mais nous avons écarté la Suisse et la République Tchèque dont les données étaient insuffisantes, et la Turquie parce que trop hétérogènes comparées à celles des autres pays. Les échantillons pour chaque pays comptent au moins 1000 individus, et plus de 40 000 Européens ont été interrogés en tout. Le questionnaire portait sur un grand nombre dattitudes, de valeurs et de pratiques des citoyens européens, et parmi les questions, plusieurs peuvent être considérées comme de bons indicateurs de lengagement environnemental. Nous avons retenu la question B22 : « Il existe différents moyens pour essayer d'améliorer les choses en [pays] ou pour empêcher que les choses n'aillent mal. Au cours des 12 derniers mois, avez-vous acheté volontairement certains produits pour des raisons politiques, morales ou de protection de l'environnement ? Oui Non. » -ainsi que la question E7 dans laquelle on présentait une liste dorganisations ou dassociations parmi lesquelles figurait « Une organisation de défense de l'environnement, ou pour la protection des animaux »,  et on demandait à lenquêté : « Dites moi comment vous vous situez par rapport à chacune d'elles, au cours des 12 derniers mois ? » - Je ne suis pas adhérent et je n'ai pas d'activité dans ce domaine - J'adhère - Je participe à ses activités - Je lui donne de l'argent - Je fais un travail bénévole Sur la base de ces questions, nous avons construit un indice dengagement environnemental par addition des 5 items issus des deux questions citées ci-dessus. Pour être exploité, cet indice a été réduit à une variable binaire, soit absence daction environnementale, soit pratique dau moins 1 action environnementale. Cet indice ne mesure pas exactement des                                                  1 Pour connaître les détails techniques de cette enquête internationale, voir le site ESS : http://ess.nsd.uib.no . 2 Voir la liste dans le Tableau 1.
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opinions ou des attitudes, mais des actions déclarées, ce qui est évidemment différent des pratiques réelles. Cependant ces déclarations donnent une approximation crédible des actions réellement effectuées, et cette approximation ne nuit en tout cas pas du tout à la comparabilité des données. En outre elles reflètent un système didées structurées par des normes et des valeurs assez cohérentes, bien que fort différent de celui de lécologie politique (Bozonnet, 2005b). Tous les calculs et traitements statistiques présentés ici ont été effectués par lauteur. Les principaux tests statistiques utilisés ici seront le V de Cramer, formule adaptée du ² pour la comparabilité des tableaux avec des variables au nombre de modalités différentes, et la régression logistique, calculée avec le logiciel SPSS. Les résultats de ces tests présentés ici sont tous significatifs à un seuil inférieur à 0,05.
Socialisation par les études et autres variables à lorigine de lenvironnementalisme
Dans cette partie nous passerons en revue les principales hypothèses disponibles en sciences sociales pour expliquer lorigine et le développement de lenvironnementalisme dans les pays occidentaux au cours des 40 dernières années, et nous préciserons quelle place occupe précisément la socialisation par les études dans cet écheveau dhypothèses à laide des données de lenquête ESS. Linfluence problématique de la dégradation du milieu et du choix rationnel
Lexplication qui elle semble aller de soi pour le sens commun et les écologistes, et se rencontre parfois même chez certains chercheurs en sciences sociales réside dans la dégradation des conditions environnementales. En effet la pollution, la raréfaction des ressources ou le changement climatique produiraient mécaniquement la réaction de protection. Cette relation simple entre désordre naturel et mouvement social repose implicitement sur la théorie du choix rationnel : une atteinte qui réduit le capital environnemental ou la qualité de la vie, heurte lintérêt individuel ou collectif et suscite donc une action rationnelle pour recouvrer lintégrité de ce bien. Elle sintègre aussi parfaitement dans la thèse de lintérêt dOlson, pour lexplication des mouvements sociaux (Olson, 1978). Cette hypothèse implique que plus lenvironnement et la nature seraient agressés et dégradés, et plus les réflexes de défense seraient intenses et généralisés dans les sociétés en question, et plus aussi les opinions et les attitudes seraient marquées par lenvironnementalisme. Malheureusement pour cette hypothèse, toutes les données denquête recueillies depuis des lustres (Bozonnet, 2007), sinscrivent en faux contre elle. Elles montrent au contraire que les catégories sociales et les pays les plus portés sur lécologie sont aussi ceux qui ont le moins à souffrir de la qualité de lenvironnement. Inversement les catégories sociales et les nations les plus atteintes, sont relativement peu sensibles au problème. Cela ne remet pas nécessairement en cause la théorie du choix rationnel, mais au sein de celui-ci la rationalité nest que rarement directe, mais médiatisée par au moins trois éléments intermédiaires. Le premier dentre eux est la dimension cognitive : en effet, pour réagir contre une menace, il faut la connaître un minimum, or dans la plupart des situations, tant les sources de la menace que la menace elle-même sont souvent très difficiles à identifier, si bien que la réaction ne se produit pas ou très tardivement. Le second consiste dans les
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ressources disponibles (Obershall, 1973), soit le répertoire au niveau des leaders des mouvements, soit plus largement les atouts dont disposent les groupes ou les populations pour contester et agir. Enfin un troisième élément est la hiérarchie des finalités : de fait, dans la vraie vie, une finalité ne se présente que rarement seule, mais en alternative, ou en contradiction avec dautres, et il est parfois très rationnel décarter la finalité environnementale au profit dautres plus urgentes pour nombre de catégories sociales en difficulté ou de pays en développement. La force des traditions culturelles nationales et les hasards de lhistoire
Une autre étiologie parmi les mieux partagées pour lenvironnementalisme, comme pour toutes les idéologies, relève de lhistoire des idées et plus largement des cultures nationales. Celles-ci consisteraient en des enchaînements de longue durée, par lesquels les idées sont associées, nuancées, complétées, actualisées, et, sous la forme dhéritages ou des résurgences du passé, expliqueraient les pratiques environnementales. Ainsi lorigine de lécologisme, quand elle nest pas attribuée à une génération spontanée est-elle fréquemment recherchée dans lhéritage du rousseauisme, du romantisme allemand ou de la wilderness  américaine, voire de la religion ou plus exactement de la culture politique héritée de la religion (Bozonnet et Jacquiot, 1998). Cette hypothèse des traditions culturelles ne soppose pas à la thèse du hasard de lhistoire, celui-ci étant défini selon Cournot, comme la rencontre de séries causales indépendantes. De ce point de vue, lhistoire, y compris celle de lenvironnementalisme récent, ne serait au fond que le résultat agrégé aléatoire de successions et dhéritages, de conquêtes et demprunts, dont chacun constitue un enchaînement indépendant de faits historiques. De plus cette conception du hasard est parfaitement admissible pour les théories du changement social (Boudon, 1984). Nos données de lenquête ESS permettent de tester cette hypothèse. Le tableau 1 présente un panorama complet des pratiques environnementales dans les 19 pays européens étudiés. On y constate effectivement des variations suggestives entre pratiques des pays de tradition protestante du Nord de lEurope, beaucoup plus élevées que les pays méditerranéens de tradition catholique, ou des pays dEurope Orientale. Ces constats confirment donc bien que la culture religieuse et politique au niveau national influe sur les pratiques environnementales contemporaines. Pourtant cette hypothèse, si elle explique en partie les variations internationales, laisse dans lombre un élément majeur du phénomène, les raisons de son apparition et leur relative universalité. Pourquoi en effet la fin des années soixante a-t-elle vu se lever simultanément dans tous les pays industrialisés des manifestations en faveur de la défense de lenvironnement ou de la protection de la nature ? Pourquoi justement à cette époque sur les décombres des vieilles associations conservationnistes, des bataillons de militants construisent-ils des organisations postmodernes, dotées de tout le répertoire contemporain de la participation politique dite non-conventionnelle ? Et pourquoi dans les opinions occidentales, la nécessité de la protection de la nature et la défense de lenvironnement font-elles soudain massivement consensus ?  
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 Achat Membre d'une Don à une Participé à une Indice écologique organisation organisation organisation d'environnementalisme écologiste écologiste écologiste (% d'au moins 1 réponse "oui") Suède 55% 6,9% 8,6% 1,7% 57% Danemark 44% 12,4% 6,4% 1,9% 49% Finlande 42% 2,2% 3,5% 2,1% 43% Allemagne 39% 6,2% 10,0% 3,5% 45% Norvège 35% 5,0% 4,8% 1,1% 38% Royaume-Uni 32% 5,8% 12,4% 3,2% 39% Autriche 30% 13,1% 16,6% 5,5% 45% Luxembourg 30% 14,2% 5,8% 1,9% 39% France 28% 5,0% 3,4% 2,7% 33% Belgique 27% 7,7% 8,6% 4,5% 35% Pays-Bas 26% 20,1% 22,4% 1,9% 45% Irlande 25% 4,3% 7,4% 3,2% 30% Espagne 12% 1,8% 1,9% 2,1% 16% Hongrie 10% 0,4% 0,4% 1,1% 12% Slovénie 10% 1,2% 1,1% 0,5% 12% Pologne 10% 0,9% 1,3% 0,7% 11% Italie 7% 2,8% 2,7% 1,7% 13% Portugal 7% 1,1% 1,5% 1,5% 9% Grèce 7% 1,4% 0,8% 0,8% 8% Total 24% 4,9% 6,5% 2,4% 29,7% * Données pondéré par la variable dweight . Tableau 1 -Indicateurs d'engagement environnemental dans 19 pays européens* La faible influence de lâge et du sexe Dans lenquête ESS, nous disposons évidemment des données sur lâge et le sexe. Ces variables sociodémographiques peuvent servir à corroborer certaines hypothèses sur lenvironnementalisme. Ainsi plusieurs théories ont cours dans les « cultural studies » sur des affinités entre la sensibilité à la nature et la féminité. Or les chiffres montrent que les différences dengagement environnementaliste selon le sexe sont totalement insignifiantes en Europe : les Européennes nont pas plus de propension à défendre lenvironnement et à protéger la nature que leurs homologues masculins. On serait parfois tenté de penser,  et certains sociologues écrivent des choses en ce sens  que ce sont les plus jeunes qui seraient les plus écologistes. Dailleurs la thèse de Inglehart sur la postmodernisation explique que le nouveau système de valeurs postmatérialistes imprègne progressivement la société par socialisation des générations successives (Inglehart, 1995). Si ces thèses sont justes, nous devrions découvrir un lien fort entre âge et engagement environnemental. Effectivement, lâge est plus significatif puisque le graphique 1 montre clairement une relation. Toutefois celle-ci est assez peu marquée (V de Cramer de 0,12) et pas du tout 5
linéaire. En effet les tranches dâge les plus élevées, au-delà de 60 ans, sont comme attendu beaucoup moins engagées que les autres, cependant ce sont les générations entre 25 et 59 ans qui sont les plus environnementalistes, ce qui reflète sans doute leur socialisation durant les décennies 70-80, dexpansion des mouvements écologistes. Quant aux jeunes de 16-24 ans ils ne le sont guère plus que le troisième âge, ce qui confirme les résultats déjà trouvés ailleurs (Bozonnet, 2005) : tant pour la propension au sacrifice financier que pour la participation associative, les jeunes générations sont de moins en moins engagés pour lenvironnement. Au total ce profil de la courbe de lenvironnementalisme selon lâge élimine lhypothèse dun problématique effet dâge, puisque la surreprésentation des 25-59 ans est un effet de génération ; sil ne remet pas en cause laction de la socialisation en tant que telle, il malmène toutefois sérieusement la seconde hypothèse de Inglehart qui postulait que les valeurs de la postmodernisation allaient en sélargissant par socialisation à chaque génération.  90% Pas d'action e nvironne m e ntale 7% 80% 76% 1 action environne m entale et + 7 70% 67%66% 60% 50% 40% 33% 34% 30% 24% 20% 10% 0%
23%
 Graphique 1  Indice dengagement environnemental selon lâge (V de Cramer : 0,12) Linfluence contrastée des médias Une autre hypothèse explicative de lenvironnementalisme, souvent invoquée, mais rarement testée, est lexposition médiatique. Certains universitaires de la communication la considèrent comme un facteur essentiel dans la formation des opinions, des attitudes et des comportements sociopolitiques, certains croyant découvrir un déterminisme quasi-total et le chemin de laliénation. Sans aller jusque là, Anthony Downs (Downs, 1998) a proposé une théorie des mouvements sociaux, notamment écologistes, en lien étroit avec linstitution médiatique : ce serait grâce aux journaux et aux médias audio-visuels que les problèmes environnementaux seraient projetés dans l'espace public, que les organisations environnementales se multiplieraient et que le mouvement écologiste se développerait ensuite avec des hauts et des bas (Downs, 1998). Et effectivement, l'information diffusée par les médias installe rapidement dans l'opinion une connaissance minimale des problèmes (Bozonnet, 2007) sinon une attitude favorable à l'environnement et aux mouvements qui s'en inspirent. Sans entrer dans le détail de ces débats théoriques, nous avons la chance de posséder des indicateurs dexposition aux différents types de médias dans lenquête ESS de 2002. Une rapide confrontation aux résultats
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donne une idée certes assez grossière, mais crédible de la validité de cette hypothèse pour expliquer lengagement environnemental.  Tems total moen Télé Écio jLturael  Usage dInternet et d dexposition durant un oute rad ec u mail jour de semaine ourn Néant 35% 19% 21% Pas daccès domicile ou travail 15% - d1/2 heure 39% 33% 31% Jamais utilisé 24% D1/2 heure à 1 heure 36% 33% 35% - d1 fois par mois 36% De 1 h à 1 h 30 35% 35% 37% 1 fois par mois 36% De 1 h 30 à 2 h 32% 34% 30% Plusieurs fois par mois 37% De 2 h à 2 h 30 30% 34% 38% 1 fois par semaine 38% De 2 h 30 à 3 h 25% 31% 24% Plusieurs fois par semaine 42% + de 3 heures 21% 31% 41% Tous les jours 44% V de Cramer 0,16 0,11 0,15   0,29 Tableau 2  Indice denvironnementalisme en fonction de lexposition aux médias Le tableau 2 montre que lenvironnementalisme nest pas complètement indépendant de lexposition aux médias, mais les corrélations sont cependant assez faibles : ainsi globalement ce ne sont pas les médias qui font  et défont  nos opinions, nos attitudes, ou nos pratiques environnementales. Les différences selon les médias concernés sont cependant intéressantes : plus on lit des quotidiens et plus on est engagé dans lécologie, en revanche le fait de regarder la télé ferait reculer lenvironnementalisme ! Seul lusage dInternet est fortement corrélé. Sans que cela épuise lexplication, il est plausible que cette corrélation se superpose à celles des revenus et du niveau détudes, puisquil est de notoriété publique que laccès à Internet est réservé aux plus aisés et aux mieux éduqués Des pratiques écologiques petites bourgeoises
Une des premières interprétations qui a eu cours lors des années 70 pour lémergence de lécologisme, notamment dans les sphères intellectuelles marxistes, quasi hégémoniques à lépoque, a été lexplication par lémergence de fractions particulières de classes, rassemblées autour du concept de « petite bourgeoisie nouvelle ». Lidée était que ces catégories sociales moyennes étaient inconfortablement coincées entre prolétariat et grande bourgeoisie, et que cette situation particulière déterminait le discours du « ni droite-ni gauche » ou de la « société alternative », voire le « paradigme environnemental » émergent qui concurrençait les traditionnelles idéologies de la sociale. Lhypothèse des classes sociales, selon laquelle les idées sont déterminées par leur position antagonique dans les rapports de production, peut être testée par les indicateurs de lactivité économique et des catégories socioprofessionnelles que nous possédons dans lenquête ESS. Le graphique 2 montre clairement la pertinence de cette détermination (V de Cramer : 0,22) : les gens qui travaillent dans léducation et la recherche, la santé et le travail social, les loisirs, les sports et la culture, sont beaucoup plus environnementalistes que les travailleurs du monde industriel, et surtout agricole qui eux sont très réticents. En somme nous retrouvons ici en 2002 exactement les schémas de la position écologiste dans la division du travail décrits dans les années 70.
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10800%88%%79%73% 70% 6900%%%7368%32%27%59%41%633%74%9%51%56%44%48%52% 354000%%%27%21% 20% 12% 10% 0%
P a s d' a c t io n e nv iro nne m e nt a le 1 a c t io n e nv iro nne m e nt a le e t +  Graphique 2  Indice denvironnementalisme en fonction de lactivité économique. (V de Cramer : 0,22) La catégorie socioprofessionnelle est encore plus déterminante (V de Cramer : 0,28) : le graphique 3 montre que les métiers du secteur tertiaire en général sont beaucoup plus engagés dans laction environnementale, et parmi celles-ci ce sont les professions scientifiques ou intellectuelles supérieures, qui sont les plus en pointe.  100% 91% 8900%%77%87%89%71%72%87%80%80%84% 70% 61% 53% 58% 62% 60%47% 50% 39% 42% 38% 234000%%%23%13%9%11%29%28%13%20%20%16% 10% 0%
P a s d' a c t io n e nv iro nne m e nt a le 1 a c t io n e nv iro nne m e nt a le e t +  Graphique 3  Indice denvironnementalisme en fonction de la catégorie socioprofessionnelle (V de Cramer : 0,28) Les corrélations sont donc fortes entre activité économique, catégories socioprofessionnelles dun côté et engagement environnemental de lautre. Il est donc tentant dy voir le signe dune influence directe de la division du travail sur ce dernier, et par conséquent du déterminisme des rapports de production et la validation de lhypothèse des classes sociales. Toutefois il convient de rester prudent, car les indicateurs sectoriel et socioprofessionnel sont composites : la position dans la division du travail inclut aussi bien la propriété des moyens de production, la hiérarchie, que les revenus ou le niveau détudes. Mais elle prend en compte aussi lâge puisquon sait que certaines catégories comme les agriculteurs ou les ouvriers sont en réalité plutôt âgées, et le sexe puisque dautres comme les employés sont très féminisées. Cet indicateur présente donc un intérêt certain, mais recoupe 8
aussi plusieurs autres critères quil faut vérifier, et en fin de compte, rien nindique que la corrélation avec la division du travail ne soit pas trompeuse, cest-à-dire quelle ne traduise pas les effets de revenus et de diplômes, plutôt que la position dans la production stricto sensu. Lhypothèse de la satisfaction des besoins et lindicateur du revenu Mais il est une théorie beaucoup plus étayée et largement reconnue dans le milieu des sciences sociales pour expliquer lenvironnementalisme, cest celle de la postmodernisation (Inglehart, 1995). Cet auteur propose notamment une première hypothèse qui est inspirée de Maslow. A partir dun certain niveau de richesse, les besoins fondamentaux des individus, cest-à-dire ceux qui relèvent de léconomie et de la sécurité, sont satisfaits, et par conséquent, les besoins secondaires tels que la réalisation de soi, la liberté individuelle ou la défense de lenvironnement se font plus impérieux. Cest alors que pour ces catégories sociales aisées, bascule le système de valeurs que Inglehart nommait « matérialiste » à celui quil appelle « postmatérialiste ». Sur le plan théorique cette hypothèse oscille entre le fonctionnalisme et lutilité marginale. Elle nest jamais très loin du choix rationnel, à condition que celui-ci comme nous lavons vu plus haut hiérarchise les finalités.  
100% 89% 89% as d'action environne m entale 90% 84% 81% P 80% 1 action e nvironne m e ntale e t + 71% 70% 66% 62% 60%54%6%514%9%52%54%54% 50% 4 48% 46% 46% 40% 34% 38% 29% 30% 16% 19% 20% 11% 11% 10% 0%
 Graphique 4  Indice dengagement environnemental en fonction du revenu du ménage, toutes sources confondues (Échelle de revenus de 1 à 12, homogénéisée suivant les monnaies européennes, V de Cramer 0,27)  Au plan pratique, la validité de cette hypothèse peut facilement être testée avec nos données ESS, puisque nous connaissons les revenus des enquêtés, et que les corrélations entre le revenu et lengagement environnementaliste sont un indicateur, certes indirect, mais très significatif de cette mutation idéologique majeure vers la « postmodernisation ». Le Graphique 4 montre effectivement un lien fort entre revenus du ménage et engagement environnemental, et semble donc confirmer à première vue la 1 ère  hypothèse de Inglehart. Cependant, outre les critiques qui ont été adressées à cette théorie pour expliquer lenvironnementalisme (Dunlap, 1995), une anomalie significative mérite dêtre notée : le
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taux denvironnementalisme chute nettement à léchelon des revenus les plus élevés, saffaissant de 54% à 46%. En outre, il convient de rappeler la fragilité de cet indicateur : en effet, par construction, les composantes de lindice denvironnementalisme, achat militant et don, sont également des indicateurs de revenus et on peut donc soupçonner un artefact qui fait grimper lindice de manière injustifiée. La socialisation par lécole et le niveau détudes La théorie de la postmodernisation (Inglehart, 2005), postulait une seconde hypothèse. Les valeurs dun individu sont stables au cours de la vie, et la saturation des besoins primaires ne peut faire sentir ses effets sur les valeurs matérialistes sur lindividu lui-même, mais seulement à la génération suivante pour ceux qui sont socialisés dans le contexte dabondance. Autrement dit, cest par générations successives et grâce au concept central de socialisation, familier des sociologues, que les valeurs et la culture postmoderne sinstallent, avec lenvironnementalisme dont elles sont indissociables.  
100% 94% 89% Pas d'action e nvironne m e ntale 90% 79% 80% 1 action e nvironne m entale et + 70% 67% 62% 60% 53% 55% 47 50% % 45% 40% 33% 38% 30% 20%11% 10% 6% 0%
21%
 Graphique 5  Indice denvironnementalisme en fonction du niveau détudes (V de Cramer : 0,29) Lidée de base du concept est que la conscience environnementale, et par conséquent les actions qui sensuivent, sont gravées dans les esprits en interaction avec dautres acteurs sociaux. Les culturalistes (Linton, 1999) distinguent la socialisation primaire, dans la période de la petite enfance, et la socialisation secondaire qui se produit ultérieurement. Plusieurs institutions sont mises à contribution dans ce processus, mais nous en retiendrons deux ici qui jouent un rôle majeur : dabord la famille avec lintervention des parents, ensuite lécole est ses diverses modalités, de la maternelle à luniversité, qui est un des principaux acteurs de la socialisation secondaire. Pour expliquer cette dernière, la théorie de la postmodernisation fournit des éléments précis, notamment avec la théorie de la mobilisation cognitive (Inglehart, 1970). Celle-ci repose dabord évidemment sur linfluence de lenseignement, tant du
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contenu, que de la forme et notamment de lattitude pédagogique. Luniversité joue un rôle particulier, du fait dabord de la compréhension quelle permet, notamment au sujet des problèmes environnementaux qui comportent souvent des difficultés cognitives ; mais cette compréhension inclut aussi un élargissement de lhorizon personnel, au-delà du milieu social et géographique proche, qui est souvent une condition indispensable pour accéder à la conscience environnementale (Bozonnet et Jacquiot, 1998). Enfin la mobilisation cognitive est stimulée par le contact avec les pairs, et lexposition aux luttes sociales et politiques qu font lordinaire de la vie étudiantes, voire lycéenne (Goul Andersen, 1990). En somme linfluence de cette socialisation se produit par limmersion dans le milieu scolaire dans sa globalité. Cette influence de la socialisation peut être testée par le niveau détudes des enquêtés que nous possédons dans lenquête ESS, qui mesure aussi la durée dexposition à la socialisation scolaire ou universitaire. Les données du graphique 5 montrent une corrélation forte (V de Cramer de 0,29) entre niveau détudes et engagement environnemental, ce qui tend à montrer linfluence indubitable de cette forme de socialisation. Ces corrélations globales sont-elles vérifiées pour tous les pays européens ? Nous avons traité les corrélations entre variables de lensemble de lenquête ESS. Or malgré lhomogénéité relative de ces pays européens, rien ne garantit a priori que les résultats soient les mêmes dans chacun deux. En effet, les corrélations au niveau global peuvent être biaisées par la taille relative de pays très peuplés, et donc fortement représentés dans léchantillon, au détriment des plus petits dentre eux. Il est donc nécessaire de tester ces relations pour chaque pays européen, avant de tirer des conclusions plus générales. Les résultats de cette comparaison entre pays sont présentés dans le tableau 7 en annexes. Ils confirment que dans chacun des 19 pays européens étudiés, toutes les corrélations significativement fortes que nous avons mises en évidence plus haut sont présentes, et se révèlent dune intensité comparable. Ce dernier point est très important : il nous assure que ces relations entre environnementalisme et variables sociodémographiques tiennent à la structure sociale européenne en tant que telle, indépendamment des spécificités historiques ou géographiques des différents pays. Plus largement, nous pouvons en inférer que ces relations relèvent des conditions sociales postindustrielles dans lesquelles se trouvent les citoyens européens, et non pas de la situation ou de lidiosyncrasie particulières de tel ou tel pays. Léducation a-t-elle vraiment une influence ? Les conclusions auxquelles nous sommes parvenus interrogent sur la place réelle de léducation dans la production de lenvironnementalisme. En effet, on voit bien que la corrélation brute entre éducation et environnementalisme est forte, mais comme dans la réalité il y a enchevêtrement des différentes variables, cette corrélation pourrait très bien nêtre quun mirage, qui reflète et masque à la fois dautres relations latentes tout autant et peut-être plus significatives au plan sociologique. Ainsi la corrélation apparente avec le niveau détudes pourrait-elle masquer une relation réelle avec les revenus, les Européens les plus éduqués étant aussi les plus riches, et ce serait alors la thèse de la satisfaction des besoins de Maslow qui serait la bonne au lieu de la mobilisation cognitive. Elle pourrait aussi dissimuler des liens plus forts avec les médias, et notamment lInternet, les Européens les plus éduqués lisant davantage de quotidiens et surfant aussi plus souvent sur le Web que les moins diplômés : le diplôme ne serait alors que le cache-sexe de linfluence médiatique. De même lâge avancé pourrait avoir son influence propre dans les
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