Avec elle - Sans elle : 1er chapitre
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Description

SANS ELLE Amélie ANTOINE AVEC ELLE Solène BAKOWSKI er 1 chapitrecommun aux deux romans Elle est étendue, un bras sur le ventre, ses yeux azur écarquillés, encore étonnés. La couronne de ses cheveux couleur de blé encadre son visage d’ange paisible. Une mèche s’égare sur ses lèvres entrouvertes. Des milliers de diamants scintillent autour d’elle, ce pourrait être joli. Sa peau diaphane resplendit dans la lumière. Elle est si belle. Elle sombre. Elle dort si profondément que rien ne l’éveille, ni le ronronnement des voitures au loin, ni les hurlements stridents de sirènes qui viennent peut-être pour elle. L’endroit où elle se trouve la protège. La voilà qui a froid, il faudrait la couvrir. Mais le gel qui s’installe n’entame pas sa sérénité. Toute à ses songes, elle pâlit peu à peu, sous le sang qui dessine ses torrents. Des serpents rubis louvoient dans sa chevelure d’or et s’élargissent en une rivière pourpre. BASCULER — Dépêche-toi ! Le feu d’artifice va commencer sans nous, Jessica, ils ne vont pas t’attendre, tu sais… Patricia marche d’un pas pressé, même si ses espadrilles à talons ne sont pas des plus confortables. Sans un regard en arrière, elle tire sa fille par la main, forçant la petite à trottiner plus vite que ses pieds ne le voudraient.

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Publié le 06 novembre 2017
Nombre de lectures 270
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Extrait

SANS ELLE Amélie ANTOINE AVEC ELLE Solène BAKOWSKI er 1 chapitre commun aux deux romans
Elle est étendue, un bras sur le ventre, ses yeux azur écarquillés, encore étonnés. La couronne de ses cheveux couleur de blé encadre son visage d’ange paisible. Une mèche s’égare sur ses lèvres entrouvertes. Des milliers de diamants scintillent autour d’elle, ce pourrait être joli. Sa peau diaphane resplendit dans la lumière. Elle est si belle. Elle sombre. Elle dort si profondément que rien ne l’éveille, ni le ronronnement des voitures au loin, ni les hurlements stridents de sirènes qui viennent peut-être pour elle. L’endroit où elle se trouve la protège. La voilà qui a froid, il faudrait la couvrir. Mais le gel qui s’installe n’entame pas sa sérénité. Toute à ses songes, elle pâlit peu à peu, sous le sang qui dessine ses torrents. Des serpents rubis louvoient dans sa chevelure d’or et s’élargissent en une rivière pourpre.
BASCULER — Dépêche-toi ! Le feu d’artifice va commencer sans nous, Jessica, ils ne vont pas t’attendre, tu sais… Patricia marche d’un pas pressé, même si ses espadrilles à talons ne sont pas des plus confortables. Sans un regard en arrière, elle tire sa fille par la main, forçant la petite à trottiner plus vite que ses pieds ne le voudraient. — Tu vois, si tu n’avais pas fait un cinéma pour mettre tes baskets, on n’aurait pas eu à courir pour arriver à l’heure… La mère peste sans prêter attention aux pleurnicheries de sa fille. Ce serait quand même un comble d’être en retard après avoir passé la soirée devant la petite télévision du salon, à entendre Jessica demander toutes les dix minutes : « C’est maintenant qu’on y va ? », et Thierry lui répondre avec une douceur imperturbable : « Pas encore, ma cacahuète, pas encore mais bientôt ! ». Sans compter Coline, qui a essayé de l’amadouer jusqu’à l’heure du départ : « S’il te plaît maman, est-ce que je peux venir au feu d’artifice avec vous, s’il te plaît, ma petite maman… » Patricia a fait la sourde oreille. Même à six ans, une punition est une punition, hors de question de revenir dessus. Au moment de partir, Jessica s’est empressée d’enfiler les sandales en cuir rose qu’elle adore. Mais
impossible de parcourir avec ça le kilomètre et demi qui les sépare de l’étang du Pont-Rouge, où est chaque année tiré le feu du 14 juillet. Il a fallu, comme d’habitude, argumenter, négocier, supplier, exiger, menacer, puis tempêter avant que la gamine finisse par céder et remplace les spartiates rigides par sa paire de baskets blanches. Coline, sa jumelle, a contemplé la scène sans mot dire, assise dans l’escalier, les genoux sous le menton et les yeux chargés de ressentiment et de déception tue. Patricia a tiré Jessica dehors, dans la nuit désormais opaque, et claqué la porte derrière elle sans un regard, sans un geste tendre pour son autre fille, il faut se dépêcher, vite, vite, on a déjà perdu assez de temps avec le caprice de Jessica. Lorsqu’elles arrivent, au bout de vingt minutes de marche rapide, à la grande allée qui longe la base de loisirs, il y a foule, à croire que les trois mille et quelques habitants du Quesnoy ont tous décidé de se retrouver là ce soir. — Ça va être compliqué d’aller tout devant, maugrée la mère. — Mais si on reste ici, je ne vais rien voir ! s’exclame Jessica d’un ton inquiet. Du haut de ses cent douze centimètres, la fillette ne voit que des hanches et des paires de fesses, impossible de même apercevoir un coin de ciel étoilé entre les arbres qui bordent l’étang. Patricia serre un peu plus fort la main de sa fille, il ne s’agirait pas de la perdre, et commence à se frayer un chemin parmi les silhouettes sombres, dans le brouhaha des rires et des conversations. Elle murmure « Pardon, pardon », tout
en jouant des coudes pour avancer jusqu’à un endroit où Jessica pourra avoir une vue dégagée. La petite marche sur ses talons, se cramponne à la main maternelle et se laisse guider presque aveuglément, refoulant la sensation d’oppression qui commence à l’étreindre au milieu de cette masse de gens compacte et tonitruante. Enfin, après quelques minutes d’effort pour la mère et d’apnée visuelle pour la gamine, elles parviennent à quelques mètres de l’étendue d’eau noire et immobile. Il n’y a plus qu’à attendre que le spectacle débute. Patricia jette un coup d’œil à sa montre, il est 23h05 et la foule s’impatiente, elle sent derrière elle comme une vague de tension contenue. — Ça alors ! Bonjour Jessica, comment vas-tu ? Patricia se retourne pour découvrir Mme Langlois, l’institutrice de grande section des jumelles, qui s’est agenouillée pour saluer l’enfant. — Tu en as de la chance, que ta maman t’amène au feu d’artifice ! Normalement, à ton âge, les petites filles dorment déjà dans leur lit, tu sais… Tu n’es pas fatiguée ? Jessica fait non de la tête, fièrement. Ses grands yeux bleus brillent d’excitation et ses boucles blond pâle s’agitent autour de son petit menton. — Où est Coline ? demande Mme Langlois en cherchant autour d’elle la sœur jumelle qui manque à l’appel. Instinctivement, Jessica lance un regard embarrassé à sa mère, avant de se rembrunir et de marmonner tête baissée que sa sœur a été punie. L’institutrice se redresse en défroissant sa jupe de lin beige.
— Oh… Elle a dû faire une sacrée grosse bêtise pour être privée de feu d’artifice, lance-t-elle avec désinvolture, s’adressant probablement davantage à Patricia qu’à l’enfant qui s’empresse de reporter son attention sur l’étang. — Oui, il faut parfois sévir, c’est comme ça, élude la mère, d’un ton qui résonne un peu trop sur la défensive. Mme Langlois sent la gêne qui menace de s’installer, le silence froid qui rampe à leurs pieds, aussi s’empresse-t-elle de changer de sujet. — Vous devez être contente, pour l’année prochaine ! L’équipe enseignante était d’accord pour scolariser les jumelles dans deux classes de CP. Elles pourront s’épanouir chacune de leur côté, et se construire une identité propre ! Patricia sourit, elle partage l’avis de la jeune femme aux cheveux châtain foncé, il est grand temps que les deux sœurs se décollent un peu l’une de l’autre. Qu’elles sortent de la bulle où personne ne peut pénétrer et se fassent des amies. — Je crois que ce sera très positif pour Coline d’affirmer son caractère, ajoute l'institutrice d’un air bienveillant. Patricia songe que, pour faire des bêtises, Coline est bien assez affirmée, mais elle se retient d’exprimer sa pensée. Jessica tire sur sa main avec impatience, ça fait déjà plusieurs fois que Patricia l’entend ronchonner des « Maman ! » d’un ton pressant. Face à Mme Langlois qui continue sur sa lancée, elle sent l’agacement monter.
— Ça suffit, Jessica ! Tu ne vois pas que je suis en pleine discussion, là ? Je t’ai expliqué cent fois que tu n’as pas à interrompre les adultes. La fillette soupire ostensiblement, tente un « Oui, mais c’est parce que… », avant de croiser le regard furibond de sa mère qui déteste donner l’impression qu’elle manque d’autorité. À contrecœur, elle renonce à poursuivre. Elle s’est rendu compte que son bracelet à breloques en forme de coccinelles ne se trouve plus à son poignet, elle l’a probablement perdu en chemin sans s’en apercevoir. Elle sait d’avance ce que sa mère va répondre, de toute façon : « C’est bien fait pour toi, je t’avais dit qu’il était trop grand et que tu ne devais le porter qu’à la maison. » Jessica serre les dents, chagrinée à l’idée d’avoir égaré son bracelet préféré, que son père lui a acheté il y a quelques jours à peine. Elle est d’autant plus ennuyée que Coline a le même et qu’il n’y pas de raison pour qu’elle puisse encore en profiter. *** — Papa, j’arrive pas à dormir. Surpris, Thierry lève les yeux de son journal. Devant lui se tient la fillette en pyjama, mal à l’aise. Il ne l’a pas entendue descendre. — Il faut te coucher Coline, tu as vu l’heure ? Il est très tard, tu vas être fatiguée, demain, au centre aéré. — Mais Jessica… elle aussi, elle va se coucher tard… plus tard que moi, même. Le père souffle devant l’argument imparable de sa fille. Que répondre à cette enfant en pyjama qui baisse les yeux d’un air chafouin ?
— Tu veux une histoire ? Ce n’est pas une question, c’est une constatation. Le visage de Coline s’illumine. — Oh oui ! Hansel et Gretel, s’il te plaît ! — Encore ? La petite fille opine du chef avec enthousiasme. — Bon, si c’est cette histoire que tu veux… Mais pas très longtemps d’accord ? Il suit sa fille à l’étage jusqu’à la chambre violette. Là, il découvre un capharnaüm de figurines Playmobil, de petits meubles et de Barbies. La maison de poupées, d’ordinaire tenue dans un ordre impeccable – Patricia y veille — est un chaos de couleurs et de matières. Elle ressemble à ces immeubles anciens éventrés par les bulldozers dont on ne voit plus qu’un vieux papier peint sur un coin de mur explosé. Cette vision attriste Thierry. Il devrait être fâché, il le sait : la petite fille s’est levée sans permission et a retourné la chambre. Pourtant il ne peut s’empêcher d’éprouver de l’empathie pour l’enfant privée d’un feu d’artifice auquel elle se faisait une joie d’assister. De son côté, Coline attend le sermon qui ne devrait pas manquer de tomber : gênée, elle guette la réaction de ce grand homme qu’est son père, les orteils recroquevillés dans la moquette gris perle, les doigts crispés, les lèvres entortillées dans une moue gênée. — Je vais ranger, t’inquiète pas, finit-elle par promettre, désarçonnée devant l’absence de ruade. Le père ne se fâchera pas, pas envie, pas de double peine pour la petite fille. Alors, pour la rassurer, il lui répond en se penchant vers un des jouets en plastique qui gît sur le sol : — Je vais t’aider, va, on ira plus vite à deux.
Le visage de Coline s’éclaire d’un large sourire de gratitude. Son papa. Tout est désormais à sa place, rien ne dépasse, la chambre est prête à accueillir les songes d’une nuit presque banale. Père et fille sont allongés côte à côte : lui est mal installé, la tête légèrement surélevée et les bras accrochés à quelques centimètres au-dessus du lit pour tenir un livre un peu lourd ; elle, elle est emmitouflée dans sa couette, attentive aux détails d’un conte qu’elle connaît pourtant par cœur, bercée par la respiration tranquille de l’homme et sa voix profonde. Déjà, l’histoire s’achève, Hansel et Gretel ont eu raison de la sorcière, une fois encore elle est cuite, ratatinée au fond de son four, tandis que le frère et la sœur, les poches pleines de richesses éclatantes, s’apprêtent à partager un bonheur tout neuf avec leurs parents retrouvés. Quatre. Quatre, comme eux. Une île, un navire insubmersible. Quatre contre tous. Quatre. Et ils vécurent heureux, jusqu’à la fin des temps. Thierry embrasse sa fille sur son front. — Allez, dodo maintenant. Quatre. Mais, ça, c’était avant aujourd’hui. Avant que Jessica choisisse de dénoncer sa sœur. Avant que l’harmonie se brise et que tout s’écroule dans le petit cœur de Coline.
*** Patricia continue de discuter avec l’institutrice, et Jessica regarde autour d’elle, lassée de cette conversation de grands qui s’éternise et n’a aucun intérêt pour elle. Plusieurs groupes d’enfants courent au bord de l’eau, se faufilent entre les adultes qui font le pied de grue. Certains d’entre eux arborent autour de leur cou une sorte de collier luminescent, un tuyau vert et jaune fluo qui brille dans l’obscurité, laissant au fond de la pupille une traînée de lumière vive particulièrement attirante. Il ne faut que quelques instants à Jessica pour repérer, à moins d’une quinzaine de mètres, un homme affublé d’un énorme haut-de-forme blanc, vêtu d’une chemise et d’un pantalon blancs dont la clarté tranche avec la pénombre environnante. Il est occupé à distribuer les fameux colliers fluorescents à des nuées de gamins qui se sont accumulés autour de lui comme des abeilles autour d’un pot de miel et qui tendent des bras implorants en piaillant d’excitation. Le cœur de la fillette bondit dans sa poitrine, elle tortille vigoureusement sa main pour se libérer de la poigne maternelle ; avec un peu de chance, le monsieur acceptera de lui en donner deux pour qu’elle puisse en rapporter un à Coline, voilà qui apaiserait peut-être un peu son chagrin et sa rancune. Patricia manque de vaciller à force d’être tirée par Jessica, elle interrompt sa conversation avec madame Langlois et dévisage sa fille en fronçant les sourcils, exaspérée d’avoir l’impression qu’un caniche hargneux refuse de lâcher le bas de son pantalon.
— Qu’est-ce qu’il y a, encore ? demande-t-elle en insistant avec agacement sur le « encore ». — Je veux aller chercher un collier, là-bas, indique Jessica en désignant de l’index l’homme tout de blanc vêtu. La mère reporte son regard sur le garçon aux cheveux longs attachés en queue basse, probablement payé par la mairie ou une quelconque entreprise du coin pour larguer ses colliers publicitaires aux spectateurs. Jessica insiste pour dégager sa menotte et enfin pouvoir rejoindre les autres enfants, vite, si ça se trouve, le temps que j’arrive, il ne lui restera plus rien ! Patricia s’apprête à ouvrir la main pour libérer la petite lorsqu’elle remarque qu’un de ses lacets est défait. — Attends une minute, Jessica, je vais renouer ton lacet, tu risques de tomber, sinon. La fillette ronchonne, perd patience, je suis sûre que le monsieur n’aura plus aucun collier à distribuer si je ne me dépêche pas, et alors je serai la seule à ne pas avoir eu de cadeau ! Au-dessus d’elles, soudain, le ciel lourd se met à crisser et à crépiter, et les premières acclamations des badauds se font entendre, enthousiastes. Des étincelles orangées viennent marbrer le ciel et retombent comme des dizaines de vers luisants au-dessus de l’étang. Jessica ne lève même pas la tête vers les étoiles multicolores qui éclatent, trop obnubilée par les colliers fluorescents qu’elle veut à tout prix aller chercher.
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