Le Roi René
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Le Roi René , livre ebook

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Description

Découvrez Premier rendez-vous, le nouvel album de René Urtreger et Agnès Desarthe : https://www. youtube. com/watch?v=r3DrcNPustgDix fois René Urtreger faillit mourir et dix fois il se releva, toujours guidé par la quête acharnée de la « note juste ». Il est à lui seul toute la musique d’une génération et toute l’histoire du jazz. C’est le mystère palpitant de sa vie qu’Agnès Desarthe tente ici d’approcher. Pianiste génial, formé à Chopin et inspiré par Charlie Parker, il a joué avec les plus grands, de Lionel Hampton à Stan Getz, en passant par Dizzy Gillespie, Lester Young et Chet Baker. Il enregistre avec Miles Davis la bande originale du film Ascenseur pour l’échafaud et l’accompagne en tournée dans les plus prestigieuses salles d’Europe. Il apporte aussi son talent incomparable à l’aventure yéyé, aux côtés de Sacha Distel et de Claude François. Ce livre est le roman vrai d’une vie flamboyante. Parti de rien, René Urtreger atteint les sommets. Il connaît tous les excès et toutes les audaces, côtoie la gloire comme les enfers. Et ce qui nous bouleverse dans cette vie, c’est justement cette même exubérance et cette même mélancolie qui font la force sauvage du jazz, cette musique de fils perdus. Agnès Desarthe raconte cette aventure comme un roman. Son talent unique en fait un livre inoubliable. René Urtreger est l’un des plus grands noms du jazz. Pianiste et compositeur, il a reçu de multiples distinctions (du prix Django-Reinhardt en 1960 à celui de l’académie Charles-Cros in honorem jazz en 2014). C’est à la fois un maître et une figure incontournable de la scène musicale. Agnès Desarthe, romancière et essayiste, est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, salués par la critique et couronnés de nombreux prix. Normalienne et agrégée d’anglais, elle a traduit, entre autres, Virginia Woolf et Cynthia Ozick.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 avril 2016
Nombre de lectures 5
EAN13 9782738162137
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , AVRIL  2016 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN 978-2-7381-6213-7
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
AVANT-PROPOS

J’ai rencontré René Urtreger un soir du mois de mars 2015. Notre amie commune, Amanda Galsworthy, avait décidé de nous réunir pour un dîner dans sa maison du Perche. Je savais que c’était un immense pianiste de jazz. Je l’avais entendu jouer, j’avais lu dans la presse le récit de sa vie longue et tumultueuse.
Il est arrivé un peu avant 8 heures, coiffé d’une casquette sous la visière de laquelle luisaient deux yeux curieux et vifs. Il s’est adressé à mon fils de sept ans avec humour et naturel. Sa femme Jacqueline l’accompagnait, discrète et intense. En quelques minutes, nous avons fait connaissance. Aucune glace n’exigeait d’être brisée. Nous étions aussitôt en confiance. J’ai pensé qu’il s’agissait d’un coup de foudre amical et collectif. Au cours de la soirée, René a beaucoup parlé. Il s’est mis au piano. Il a joué pour nous, pour Amanda, pour les enfants, pour mon mari et moi. Et, durant tout ce temps, mon attention était distraite par quelque chose dans l’air.
Quand on me demande d’où viennent mes livres, je lève les yeux comme s’il y avait un double fond au ciel ou, plus prosaïquement, un faux plafond au-dessus de ma tête. De l’index, j’indique un point vers le haut, j’y vois un fil qui pend, un ourlet mal fini, je tire, et l’histoire se déroule, comme si elle avait toujours été là, rangée dans ce grenier immatériel, à attendre que je vienne la chercher. Cela n’arrive jamais avec les personnes réelles, je veux dire, la naissance d’un livre. Cela n’arrive pas dans une pièce peuplée de gens, de musique, de rires.
Dans un entretien accordé à la revue Jazz Hot pour un hors-série paru en 2003, René Urtreger établit un parallèle entre le swing et l’art de conter : « Si on élargit le mot swing à la vie courante, dit-il, c’est par exemple le bon mot placé au moment voulu. Vous allez raconter la même blague à dix personnes différentes, il y en a neuf qui vont ensuite la raconter comme des sagouins, ça va faire sourire poliment, et la dixième personne va avoir le don de placer les mots exactement où il faut, avec une mise en place hallucinante, et ça, c’est du swing. »
Ce soir-là, en entendant René, je reconnaissais une verve, un parler spécifique que l’écrivain en moi identifiait comme n’étant pas seulement ceux d’un être humain, mais bien ceux d’un personnage. N’y tenant plus, j’ai fini par lui demander : « Avez-vous pensé à écrire un livre à partir de votre vie ? » Il m’a répondu que justement il y pensait, qu’il avait contacté quelqu’un pour l’aider.
J’ai passé la fin de la soirée à me raisonner : tant pis. C’est trop tard. De toute façon, tu n’aurais pas su le faire. Tu as trop de livres en chantier, de traductions à rendre. Mais voilà, j’avais tiré sur le fil, et la bobine qui se dévidait au fur et à mesure me convainquait qu’il me serait impossible de renoncer. J’entendais très clairement le ton du livre et, plus surprenant encore, je voyais se développer sa trajectoire : la vocation d’un enfant prodige brisée par la guerre, la réussite fulgurante à l’adolescence presque aussitôt ternie par une spirale décadente, le renoncement, l’oubli, l’autodestruction à l’âge de la maturité et, au lieu de la mort prévisible, attendue, presque espérée, une seconde vie. J’étais comme un scénariste hollywoodien de la grande époque, sûre de mon axe, de mon angle. Je possédais tous les éléments, excepté le principal : ce personnage n’était pas le mien. Il s’appartenait. Il existait vraiment. Il avait la capacité de choisir et il avait décidé de raconter sa vie lui-même.
Le hasard, la chance et la complicité d’une éditrice m’ont aidé à retourner les choses en ma faveur. René Urtreger s’est finalement laissé prendre. La suite est son histoire.
CHAPITRE 1
UN CONCERT

À quatre-vingt-un ans, René se souvient du tout. Le pire lui revient avec le meilleur. Les joies et les rages de sa petite enfance sont aussi présentes que les succès et les faillites de l’âge adulte. Il restitue des conversations vieilles de cinquante ans avec la même précision que celles de la semaine passée. « Je fais travailler mon cerveau, m’explique-t-il. En jouant aux échecs par exemple. Mais aussi en faisant des mots croisés ou du calcul mental. Le jazz est une musique très exigeante, parce qu’on est sans arrêt en train d’inventer. Ça demande de l’entraînement. »
Il y a quelque chose de la pratique sportive dans la manière qu’a René Urtreger d’aborder sa vie et son métier. Est-ce cela qui lui a permis de survivre aux multiples épreuves qu’il a traversées ? Détruire et reconstruire, se détruire et se reconstruire. Ne s’agit-il pas d’une technique de phénix plutôt que d’une hygiène d’athlète ? René a-t-il eu de la chance ? Comment et pourquoi s’est-il relevé chaque fois qu’il est tombé ? D’où lui vient son énergie, son envie ? Durant presque un an, c’est ce que j’ai cherché à comprendre.
Mon enquête commence le 18 avril 2015. Je vais écouter René Urtreger en concert à la Maison de la Radio. Air transparent, ville naissante au printemps. Dans la file d’attente qui serpente jusqu’à l’entrée du studio 105, j’étudie les amateurs de jazz venus écouter la carte blanche accordée au « Roi René » qui, en deux heures, passera du solo au quintet. Personne ne ressemble à personne, me dis-je en contemplant la foule mal assortie. Nous n’appartenons à aucun genre. Des vieux, des jeunes, des hommes, des femmes, des enfants, des chics, d’autres dépenaillés, des excentriques, des angoissés, des bourgeois, des provinciaux, des étrangers, des Parisiens. En rédigeant cette liste, je pense à une phrase que prononcera René quelques mois plus tard. Ce sera début juillet, la chaleur grillera le Perche où nous nous retrouverons pour qu’il me raconte son travail, ses rencontres, ses déceptions, tout. « Moi, tu sais, je suis élitiste… Mais tout le monde peut entrer dans mon élite. »
René Urtreger arrive par le fond de scène : genoux d’adolescent, paluches de glaneur, regard d’aigle. Il s’installe au piano et offre à la salle son jeu vibrant, libre à l’extrême. Ses interprétations durent le temps d’une chanson ; la peur de lasser sans doute, la courtoisie (« je ne vais pas vous ennuyer avec mes trucs et mes machins »). Son fils, le contrebassiste Philippe Urtreger, le rejoint. Puis le trio se forme avec Yves Torchinsky à la contrebasse et Éric Dervieu à la batterie. Pour finir, le trompettiste Fabien Mary et le saxophoniste alto Pierrick Pedron montent sur scène. Au bout d’une heure et demie, alors que le public applaudit et en redemande, René s’amuse : « On connaît dix morceaux, on les a tous joués », avant de nous accorder I Remember April en bis .
Tout s’arrête au moment où l’excitation est au plus haut. On se regarde les uns les autres, avec la conviction d’avoir assisté à un grand moment de musique. Quelque chose demeure de très physique, un mélange de tension et d’extrême délassement. Un nouveau théorème « Tout corps plongé dans le swing… » devrait être mis au point. J’essaie de comprendre comment cela fonctionne, d’où cela vient. Je ne traduis pas swing par balancement, je le traduis (fautivement) par ressort, à cause du phénomène oscillatoire, du mélange d’anticipation et de retard, de la langueur dans la rapidité, de la contraction dans la souplesse. Peut-être, me dis-je, que ce qui nous bouleverse et nous euphorise dans le swing, c’est qu’il propose une possible incarnation du présent, ce temps insaisissable toujours en retard sur l’avenir, en avance sur le passé, sans durée, réinventé à chaque seconde. Je pense à la nostalgie contenue du jazz, à sa façon si particulière de toucher à l’émotion sans jamais tomber dans le pathétique, à cette désinvolture, ne fût-elle qu’apparente. Je regarde René Urtreger saluer avec malice et je l’imagine, soixante-dix-sept ans plus tôt.
CHAPITRE 2
LES PREMIÈRES ANNÉES

La scène se passe à Berck-Plage en juillet 1937. René vient d’avoir trois ans. Lui et son copain Riri mangent des bananes, un luxe pour l’époque, mais pourquoi pas ? Car cette époque est douce, les congés sont payés, et, à la tête du gouvernement français, il y a un type formidable qui s’appelle Léon Blum. Léon Blum, un juif, un socialiste. Les parents de René et de Riri n’en reviennent pas : juif et socialiste, comme eux. La France, quel pays extraordinaire. Max, le père de René, l’époux de Sarah avec qui il a eu Dora, puis Madeleine, Jeannette et enfin ce petit dernier, René David Raphaël, un garçon, une bénédiction, se félicite d’avoir quitté sa Pologne natale sur un coup de tête, un coup de sang, quelques années plus tôt.
C’était un samedi soir, au bal, il dansait avec les shikse , les jolies Polonaises goys qui appréciaient son sens du rythme, sa robustesse, sa joie de vivre. Son propre père avait fait irruption au milieu des flonflons, barbe hirsute, tornade de colère. Épouvanté qu’un de ses fils se conduise si indignement, il s’était jeté sur lui, au beau milieu de la piste de danse, pour lui déchirer les revers de sa veste, comme on fait aux endeuillés. Max n’avait pas supporté l’humiliation. Il avait fui ce pays d’arriérés avec ses vieilles coutumes et ses interdits archaïques.
Et le voilà en France, à la tête de plusieurs bou

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