Convaincre : Dialogue sur l’éloquence
193 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Convaincre : Dialogue sur l’éloquence , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
193 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

"Maître, vous avez la parole, Maître, c'est le temps de l'exode et je viens de vous entendre dire quinze mots, vingt mots totalement inaudibles, incohérents, sans intérêt, sans importance et qui déjà ont commencé de m'ennuyer." "Maître, vous êtes passé à la narration, c'est-à-dire à l'exposé des faits, et je ne comprends pas un mot de votre exposé des faits. L'exposé des faits s'apprend, la narration des faits s'apprend, il y a une règle de l'éloquence.""Vient la démonstration, vient la réfutation, la force de cette démonstration, la force, la rigueur de cette réfutation, Maître, nous les attendons." "Vous arrivez, Maître, à votre péroraison. Pourquoi l'avez-vous ratée, votre péroraison ? Pourquoi n'avez-vous pas été capable de récapituler vos preuves, c'est-à-dire de les rassembler pour leur rendre la force qu'exigeaient les Anciens ou, au contraire, tenter de m'émouvoir, ou faire les deux à la fois ?""Vous n'avez rien fait du tout et les dix dernières minutes de votre plaidoirie ont été totalement incompréhensibles.""Et moi, juge, je n'ai fait que regarder ma montre, en me disant : "Quand aura-t-il terminé ?""Drôle, féroce, brillant, ce dialogue sur l'éloquence met en scène, et aussi aux prises, deux des plus célèbres avocats du barreau parisien. Tous ceux que l'efficacité de la parole fascine, tous ceux que l'histoire judiciaire passionne, tous ceux qui goûtent l'art de l'affrontement, parfois brutal, toujours amical, pourront par ce livre satisfaire leur appétit de savoir, de pouvoir et, aussi, de conquête.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 1997
Nombre de lectures 73
EAN13 9782738180827
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© ODILE JACOB, SEPTEMBRE 1997
15, RUE SOUFFLOT , 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-8082-7
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
C’est une grande misère de ne pas avoir assez d’esprit pour parler et pas assez de jugement pour se taire.
LA BRUYÈRE
En guise d’exorde :
Pourquoi le dialogue ?

T HIERRY L ÉVY – Cet instant, là, celui des premiers mots de notre dialogue, je l’attendais depuis longtemps. Dans le même temps, je vérifie ce fait, que j’ai eu l’occasion d’observer à maintes reprises, c’est qu’en présence d’un visage – même s’il s’agit, comme c’est le cas aujourd’hui, du visage d’un ami cher – monte une crainte, une anxiété qui est sans doute un élément important de la parole. Je précise. Nous sommes tous deux ici, à la campagne, sous les arbres, comme il faut être pour dialoguer, en prenant le temps, sans subir les contraintes de la vie professionnelle. C’est le printemps, le climat est doux, le soleil n’est pas loin. Nous savons que tout à l’heure nous irons nous promener…
Ce sont les conditions rêvées, que tous ceux qui ont eu à parler ensemble de l’éloquence ont tenté de réunir. Tous les dialogues sur l’éloquence ont eu lieu entre amis qui se retrouvaient chez l’un d’entre eux, avec un peu de temps, sans avoir bien défini à l’avance le sujet à traiter. J’attendais ce moment avec une impatience mêlée d’un peu d’inquiétude. La difficulté, en effet, c’est qu’on a en face de soi ce visage – le tien aujourd’hui – qui reste toujours une énigme pour celui qui parle. Cette énigme du visage silencieux de celui auquel on parle, je crois que c’est l’un des problèmes essentiels de l’art oratoire. Le silence du visage de celui qui écoute, et tout ce qu’exprime ce visage, ce silence, est au cœur de la parole. C’est un peu confus ce que je dis…
 
J EAN -D ENIS B REDIN – Tu es gêné par le silence du visage de ton interlocuteur ? Moi, je suis gêné pour d’autres raisons, qui tiennent à l’écriture. Je ne sais pas trop comment on peut parler au lieu d’écrire. Écrire me semble un acte tranquille, familier, rassurant, tandis que parler, et même te parler, me semble un acte dangereux, inquiétant. Ce visage auquel tu faisais allusion, ce dialogue qui doit maintenant venir – et je ne sais si les phrases devront être longues ou courtes, et comment choisir les mots –, tout cela m’intimide. Mais passons ces obstacles puisque c’est le choix que nous avons fait, et ne soyons pas trop coquets, ou prudents, attachés en exorde à vanter nos anxiétés !
 
T. L. – Je crois que ce sentiment d’appréhension dont tu viens de parler et qu’on ne ressent pas du tout, c’est vrai, de la même manière quand on est seul en face d’une feuille de papier qu’il faut remplir de ses graffiti, il est bon que nous l’éprouvions parce qu’il est présent, ce sentiment, dans toutes les formes d’éloquence. Une des particularités de l’expression orale, c’est aussi cette continuité physique, et même physiologique, qui interdit à celui qui parle de s’interrompre soudain, n’importe comment. L’orateur est en permanence à la fois gêné et stimulé par la nécessité de remplir le vide.
 
J.-D. B. – Nous savons que le dialogue a été autrefois défini comme la forme civilisée de la plus haute pédagogie, le raffinement extrême de l’éloquence. Mais je me demande si ce dialogue que nous avons choisi ne risque pas de nous compliquer la tâche. Si nous avions écrit chacun, en cachette, un morceau de livre sur l’éloquence et qu’ensuite nous les avions mêlés, ou mis bout à bout, cette autre méthode de travail eût été probablement plus confortable. Mais celle-ci est sans doute plus agréable, en tout cas plus audacieuse, et je suis heureux de la vivre avec toi.
 
T. L. – Dès ces premiers instants je voudrais revenir sur cette particularité saisissante du dialogue qui fait que, quoi qu’on dise, avec franchise ou avec réticence, en forçant l’autre à s’intéresser à ce qu’on dit, en se forçant soi-même à dire des choses auxquelles on croit, il reste forcément dans le silence de celui qui vous écoute quelque chose d’indéchiffrable. C’est ce caractère indéchiffrable de celui qu’on voit en face de soi qui me semble prendre tant de place dans l’expression orale, comme si la personne silencieuse qui écoute était elle-même à sculpter. Il faut tenir compte de son silence, de son regard, de ses gestes, de ses réactions inexprimées, pour continuer soi-même de parler. Tu es en face de moi, penché sur une feuille de papier, je t’observe, tu es là, vivant, devant moi, tu écoutes, je ne sais pas ce que tu penses de ce que je dis, je ne sais même pas si ce que je dis t’intéresse ou te touche… je le voudrais… je suis à la recherche de quelque chose qui puisse t’intéresser et te toucher. Mais si je parviens à te toucher avec mes mots, je ne puis ignorer qu’il y a une part de toi qui sera en dehors de ce que je dis parce que ta pensée va continuer de se développer autrement que mes paroles. Tu comprends sans doute ce que je dis plus vite que je ne l’exprime, tu peux t’en désintéresser à chaque instant, ton attention peut faiblir, s’en aller. Ces difficultés du dialogue créent une contrainte et une stimulation que nous retrouverons toujours.
 
J.-D. B. – Le dialogue dont tu rêves, c’est le dialogue fondé sur l’amitié, c’est le dialogue voulu par Cicéron, celui de la parole souverainement libre, franche, affectueuse, généreuse…, le dialogue né d’une parole qui parle réellement à quelqu’un, à quelqu’un qui vous écoute, à quelqu’un qui ne cesse d’être disponible pour vous, qui est avec vous engagé dans une aventure commune, précisément celle du dialogue. Mais il y a, me semble-t-il, beaucoup de faux dialogues. Le dialogue de deux avocats qui s’affrontent à la barre, même s’ils se parlent, est un faux dialogue. Le dialogue de deux hommes politiques, dans une de ces émissions télévisées où l’on paraît organiser un débat n’est pas un dialogue. Le dialogue que nous avons choisi est un vrai dialogue, celui où deux personnes ont décidé de se parler, de s’écouter, de tenter de se comprendre. Je ne dis pas qu’il constitue nécessairement une euphorie, il peut conduire à des affrontements, à des malentendus, mais chacun parle à l’autre. C’est cela, me semble-t-il, le bonheur du choix que nous avons fait.
 
T. L. – Là vient de s’introduire, presque subrepticement, une notion que nous allons rencontrer souvent, celle de la vérité. Tu as parlé du dialogue faux pour l’opposer au vrai dialogue qui, disais-tu, est un dialogue amical. Nous allons inévitablement retrouver cette question, celle de savoir si la parole a ou n’a pas une authenticité, si elle a une valeur même lorsqu’elle n’est pas vraie. Tout à l’heure tu évoquais le dialogue des avocats autour d’une cause où chacun cherche – sans écouter l’autre – à convaincre le juge, ou encore la rencontre de deux hommes politiques qui ne modifieront jamais leurs opinions au cours d’un dialogue. Peut-on dire pour autant que le dialogue est faux dans les deux exemples que tu as pris ? Je n’en suis pas sûr.
 
J.-D. B. – Ce que je voulais dire, c’est que la plupart des dialogues que nous pouvons entendre, observer autour de nous, ne sont que deux monologues qui s’affrontent. La parole n’est pas une parole qui va à l’autre, c’est une parole qui va à soi, qui renforce sa propre conviction ou la conviction d’interlocuteurs qui ne sont pas présents.
 
T. L. – En t’écoutant, je me disais que ce qui distingue notre conversation du débat devant le juge, ou du débat politique, ou peut-être du dialogue amoureux, c’est que dans ces cas que je viens de citer, celui qui écoute a une idée arrêtée face à son interlocuteur. Il a une opinion faite, il est prêt, même s’il observe le silence, à répondre ou à objecter à ce qui se dit. Alors que nous, nous entrons dans notre dialogue sans opinion préalable, sans préjugé sur ce que l’autre va dire.
 
J.-D. B. – N’es-tu pas trop optimiste ? Es-tu sûr que le désir d’écouter, de comprendre, l’attention, la sympathie nous préserveront de tout préjugé ? Je t’ai déjà confié un certain préjugé à l’égard de la parole, une plus grande confiance en l’écriture. C’est que les mots dits sont dits, tandis que les mots écrits peuvent être effacés, raturés, réécrits. L’écriture me semble un confort et la parole une complication. Nous avons choisi une voie difficile. Un autre préjugé tient à la mauvaise relation avec l’exercice oral qui nous a été, à beaucoup d’entre nous, enseigné à l’école et dans la famille. L’exercice oral est vécu comme l’épreuve par excellence, une épreuve parfois dramatique. Cette idée nous hante que la parole est aussitôt notée par celui qui écoute, que votre interlocuteur – et je sollicite que nous tentions d’échapper à ceci – ne cesse de vous mettre des notes. Il vous met 5 sur 20, ou 10 sur 20, ou 15 sur 20, mention médiocre, mention passable, mention bien… Je n’ai jamais plaidé devant des juges sans repartir en réfléchissant sur la mention que j’avais méritée. Toutes ces difficultés propres à la parole, vécues comme des épreuves, vont évidemment compliquer notre tâche… Autre chose aussi qui me préoccupe : c’est le sentiment, à tout moment, d’être trop long. La parole idéale me semblerait être la parole qui se ramènerait à quelques phrases, à quelques mots, c’est-à-dire le contraire de ce que j’ai commencé de faire.
 
T. L. – Ce que tu vien

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents