Le Livre noir de la CIA
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Description

Assassinats de dirigeants étrangers, coups d'État, trafic d'armes et de drogue, soutien à des groupes terroristes ou à d'anciens nazis, détentions abusives et tortures, expérimentations d'armes chimiques... Depuis sa création, la CIA n'a cessé de multiplier les infractions à la loi. Elle déclassifie une partie de ses archives allant jusqu'en 1973, arguant que les dérapages de la guerre froide sont aujourd'hui révolus. Ce livre montre qu'il n'en est rien. Pour la première fois, cet ouvrage dresse un bilan aussi exhaustif que possible des méthodes douteuses de l'Agence, des origines à nos jours. Il reproduit les archives permettant d'approcher la vérité : témoignages d'acteurs directs, mémos confidentiels, rapports de commissions d'enquête. On trouve ici de nombreuses anecdotes inédites sur des épisodes que l'on croit connaître (comme l'assassinat d'Allende au Chili ou les tentatives de meurtre contre Fidel Castro), mais aussi des révélations sur les activités plus ou moins adroites de la CIA en France. On apprendra enfin le rôle exact de l'Agence dans les trafics de drogue, la finance internationale ou l'essor d'Al-Qaïda. Au total, plus de vingt dossiers explosifs forment l'image la plus complète de cette sombre histoire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 décembre 2011
Nombre de lectures 2 211
EAN13 9782365831260
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0120€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

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© Nouveau Monde éditions, 2007 © Édition Jean-Claude Lattès, 2002, pour l’extrait de La Chute de la CIA de Robert Baer, dans le chapitre 18 24, rue des Grands-Augustins – 75006 PARIS

9782847362862

N ° d’impression :

Dépôt légal : novembre 2007

Imprimé en France par Brodard et Taupin

Le Livre noir de la CIA

Yvonnick Denoël

PRÉFACE

Les archives secrètes de la CIA : secrets et mensonges par Gordon Thomas

Alors que leur voiture approchait du quartier général de Langley, dans la belle campagne de Virginie en dehors de Washington, le ministre de la Justice des États-Unis, Robert F. Kennedy, qui venait tout juste d’être nommé tutelle de la CIA pour le compte du président Kennedy, se tourna vers Allen Welsh Dulles. Un peu plus tôt, Kennedy avait complimenté Dulles – qui était le cinquième directeur de la CIA – sur le choix de l’emplacement des locaux. Puis, dans une de ses sautes d’humeur, dont Bobby Kennedy était coutumier, il l’avait sèchement interpellé : « Dites-donc Allen, vous êtes dans la publicité ou quoi ? Vous êtes censé diriger un service secret ! »



Ce qui avait provoqué cet éclat de colère était un panneau planté au bord de l’autoroute sur lequel s’étalait en gras : CIA.

Dulles avait tiré sur sa pipe et répliqué : « Bobby, il est bon de faire savoir au monde où nous nous trouvons. » Il s’agissait d’une ligne politique qu’il avait adoptée en Suisse, à Berne, où il avait dirigé l’OSS, l’agence de renseignements des États-Unis, pendant la Deuxième Guerre mondiale et que la CIA avait remplacée. En ce temps-là, Dulles indiquait la présence de l’OSS sur la porte de son bureau. Bien des gens avaient ri de sa franchise. Peu d’entre eux savaient alors, et même plus tard lorsqu’il prit le contrôle de la CIA en 1953, que Dulles était le chef des services secrets le plus discret, le plus retors, le plus calculateur, le plus froid et le plus impitoyable que la CIA aurait jamais. Il était par ailleurs anti-britannique, il détestait ce que représentait son empire et, de fait, admirait par bien des côtés le mode de vie des Français.

En ce jour d’été, alors que le ministre de la Justice commençait sa visite du bâtiment, Dulles fit traverser le hall à Kennedy afin de lui montrer une plaque en marbre incrustée dans un mur. Les mots de l’apôtre Jean y étaient gravés : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous affranchira. »

« C’est ce que nous faisons ici, Bobby : découvrir la vérité. »

Kennedy esquissa l’un de ses sourires cyniques. Peut-être était-il l’une des rares personnes à déjà savoir que, dans le monde des renseignements, vérité et CIA étaient bien trop souvent à l’opposé l’une de l’autre.

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Cet ouvrage rend à sa façon hommage à Allen Dulles et son goût pour la vérité : il retrace l’histoire des épisodes les plus sombres de la CIA depuis soixante ans. Pour ce faire, l’auteur a réuni avec mon aide une moisson de documents exceptionnels, archives de la CIA, rapports d’enquête ou témoignages d’anciens officiers qui donnent un solide aperçu de l’envergure de ce service de renseignements et de sa relation avec les décideurs politiques qui fournissent les ressources et consomment le « produit ». Ces archives révèlent aussi le culte du secret qui obsède les milieux du renseignement. À la CIA, comme dans tout service de renseignements, on se bat toujours, en interne mais aussi à l’extérieur, afin de comprendre certains événements et leur impact sur le futur.

Dans les heures qui ont suivi à l’été 2007 la sortie des « bijoux de famille », compilation des documents les plus embarrassants des archives de la CIA jusqu’aux années 1970, ces derniers ont été étudiés de près par les services de renseignements étrangers et Al-Qaïda. Avec cette interrogation : les documents prouvaient-ils que la CIA tirait un trait sur un passé désormais révolu ? Ou bien était-ce un stratagème diabolique visant à parer l’avalanche continue de critiques concernant ses activités en cours ?

Seule certitude : la sélection des 50 000 documents publiés par la CIA en 2007 a montré que ce n’était pas le service de renseignements décrit par la légende, omniscient et tout-puissant.

Son image, élaborée avec soin, de leader en techniques électroniques, pour traquer et capturer les terroristes (SIGINT) a été atteinte aux dépens de renseignements d’origine humaine (HUMINT). Récemment, des scientifiques de l’Agence ont créé une caméra de la taille d’une mouche domestique, capable de reproduire sa trajectoire de vol. En apprenant cela, Meir Dagan, l’irritable chef du Mossad, déclara, méditant : « Est-ce que la mouche peut aussi savoir qui photographier ? »


George Tenet, après avoir démissionné de son poste de directeur de l’Agence, qu’il dirigeait depuis 1997, déclara : « Parfois, la vie à Langley ressemblait à un film d’espionnage. »


C’est sous sa direction qu’Oussama Ben Laden partit en croisade contre le monde occidental. Puis vinrent les attaques du 11 Septembre, le soutien de Tenet aux déclarations guerrières du président Bush sur la guerre contre le terrorisme, puis commencèrent les opérations de la CIA en Afghanistan et au Pakistan. Toutes ces opérations furent marquées du sceau de l’échec. La célèbre prédiction de Tenet, selon laquelle, à la veille de la guerre en Irak, la présence d’armes de destruction massive annoncée par la CIA était un slam dunk (un « coup facile », en basket) ne s’était toujours pas accomplie. Et ce, même au moment de sa retraite, en 2006, après avoir perdu dans la guerre contre le terrorisme 11 de ses officiers, dont les noms sont commémorés par des étoiles gravées dans le hall du bâtiment Langley, à côté des mots de l’apôtre Jean.

Au moment où sont rédigées ces lignes, on compte 83 étoiles. Le jour du départ de Tenet, le graveur de la CIA, Tim Johnston, lui offrit une étoile en marbre. Aucun mémo de l’Agence de sécurité nationale (NSA), spécialisée dans les écoutes électroniques, ne vient montrer la place primordiale que Tenet a accordée à la surveillance technique.

Malgré son budget sans égal – 6 milliards de dollars en 2006 – et son accès au système de surveillance mondiale (le réseau Echelon) malgré les 23 000 espions et analystes qu’elle emploie, la CIA apparaît dans ces documents comme une agence rongée par le doute, les récriminations internes et les échecs.

Cette vérité s’est cachée derrière un demi-siècle de livres et de films romanesques présentant la CIA comme le super-espion du monde libre.

Mais, tout comme il existe des flics véreux, la CIA a eu plus que sa part d’officiers corrompus. Contre toute attente, on a même découvert une taupe en son sein, en pleine ère Gorbatchev. Certains agents sont devenus alcooliques, d’autres sont sortis mentalement malades d’opérations secrètes qui furent ensuite encensées pour ajouter à la légende de la CIA.

Le plus choquant, à la lecture des documents, est qu’au cours des soixante dernières années, marquées par des événements cruciaux – le pont aérien de Berlin, l’acquisition par la Russie de l’arme nucléaire, la guerre de Corée, le Vietnam, la crise des missiles de Cuba, le conflit qui perdure au Moyen-Orient – la CIA a souvent commis de graves erreurs de jugement.

Certains des 83 officiers disparus en service et célébrés par des étoiles dans le hall de Langley pourraient bien avoir trouvé la mort à cause d’opérations inutiles, illégales et dévastatrices. Naturellement, leurs vies et leurs morts doivent rester secrètes. Mais les documents suggèrent qu’ils pourraient bien avoir péri dans des machinations mal conçues par la direction des opérations de la CIA.

La vérité cruelle qui transparaît dans ces documents est que certains de ces échecs seraient imputables aux rôles multiples confiés au directeur de l’Agence. En plus de son rôle de leadership, il est théoriquement à la tête de l’ensemble des services de renseignements américains, et est aussi le conseiller principal du président au sein de l’Agence en exercice. Beaucoup partagent l’opinion – particulièrement au sein des services de renseignements britanniques et du Mossad – que cette responsabilité multiple mène inévitablement à des luttes de pouvoir ainsi qu’aux erreurs mises au jour dans ces documents.

Beaucoup de problèmes structurels perdurent encore aujourd’hui. En 2007, il n’existait toujours pas de système de communication efficace permettant de faire la synthèse immédiate des informations concernant les terroristes et de les partager. Selon les dires de Tenet : « Au début du XXIe siècle, des officiers des services de renseignements américains en poste à Islamabad ne pouvaient pas communiquer avec les agents du FBI se trouvant à Phoenix, dans l’Arizona. »

Ces problèmes de communication montrent de quelle manière la CIA a fourni à ses dirigeants politiques de faux renseignements stratégiques et n’a pas été capable de donner aux commandants militaires successifs de Corée, du Vietnam ou d’Irak l’ordre de bataille (Order of Battle) vital pour connaître les forces armées de l’ennemi. Dans le même temps, le service du contre-espionnage de l’Agence – destiné à faire en sorte que les secrets restent en sécurité, à l’abri des machinations du KGB et des services de renseignements chinois – a échoué maintes fois.

Les archives offrent par ailleurs une étude captivante du lien qui existe entre les machines d’espionnage prétendument les plus sophistiquées au monde et l’élaboration de la politique étrangère des États-Unis. Traîtrise, tromperie, corruption, et même assassinat – outils de tout service de renseignements – règnent en maîtres.

À leur lecture, je me suis rappelé les mots de feu le sénateur américain John C. Stennis, fervent défenseur de la CIA. Il était assis à son bureau du Sénat : je commençais alors juste ce travail qui consistait à rendre compte des activités de l’Agence, et Stennis était, lui, un haut fonctionnaire du Comité permanent du Sénat américain sur le renseignement ( Senate Select Committee on Intelligence), probablement le comité de surveillance le plus puissant de Washington. C’était un homme aimable ; il était assis à siroter un café et m’avait dit : « L’espionnage, c’est l’espionnage. Si vous devez diriger une agence de renseignements, vous devez la protéger autant que possible. »

Jusqu’à la parution de ces documents, cette protection fut le leitmotiv de tout ce que la CIA a entrepris. Les lire, c’est commencer un voyage à travers une organisation qui a fomenté la révolution et les troubles civils et qui a fait des expériences visant à contrôler l’opinion de ses propres citoyens. Dans l’une des dernières interviews qu’il a accordées avant sa mort, Richard Helms, un ancien directeur de l’Agence, m’a dit : « Écoutez, vous devriez regarder la CIA comme la “boîte à outils” du président. »

Tous les présidents – de Truman à Bush – ont attentivement regardé dans cette boîte et ont donné leur accord pour – en paraphrasant Ronald Reagan – « y aller et foncer dans le tas ».

Le résultat de cette mêlée furieuse dans l’affrontement américano-soviétique fut que seuls deux espions de la CIA sur les vingt recrutés en Union soviétique furent réellement en contact avec le gouvernement de Moscou ou son armée. L’une de ses sources principales était un vétérinaire.

Bien que j’écrive sur les activités de la CIA depuis vingt ans, ces documents viennent confirmer ses déficiences et incitent à réfléchir. Quand le président John F. Kennedy a ouvert les quartiers généraux de Langley, il conclut ainsi son discours : « Vos succès ne sont pas rendus publics ; vos échecs sont annoncés à la trompette. »

Aujourd’hui, les échecs sont enfin soumis à un examen minutieux. Ce qui ressort de ces documents n’a rien à voir avec les agents secrets décrits dans les romans d’espionnage. Ces documents sont alarmants parce qu’ils parlent d’hommes et de femmes – dans la sphère des renseignements, la CIA est l’un des employeurs qui respectent le plus la parité hommes-femmes – qui ont eu à leur disposition des moyens énormes et une technologie dernier cri qui, trop souvent, les a amenés à produire quantité de renseignements, plus que des renseignements de qualité.

En émettant un jugement perspicace sur la CIA, Meir Amit, un ancien directeur général du Mossad, m’a dit : « Si l’Angleterre devait créer un service de renseignements en partant de zéro, elle affecterait l’élite du pays à cette tâche. Les Français chercheraient à produire un nouveau cadre rassemblant ses plus grands intellectuels et créeraient une nouvelle conception des renseignements, meilleure que toutes les conceptions existantes. La CIA, elle, est partie du besoin de découvrir des faits, et non de celui de diriger en secret. »

Et pourtant, là encore, elle a trop souvent échoué. À la fin de la guerre froide, la plus grande menace pour la sécurité nationale est venue non seulement des attaques terroristes, mais aussi du crime organisé. Les deux sont souvent étroitement liés. Les drogues venant de Colombie sont distribuées par des réseaux d’Al-Qaïda. Ces derniers revendent aussi les drogues synthétiques produites dans les anciens laboratoires d’État de Pologne, de République tchèque, de Lettonie, de Lituanie et d’Estonie. En 2005, la Pologne était toujours le plus grand producteur d’Europe de sulfate d’amphétamines, ce qui entraînait de façon significative l’augmentation de l’héroïne dans le triangle formé en Pologne par les villes du sud de Cracovie, Miechow et Proszowice. En 2006, la CIA n’avait toujours rien fait pour forcer le gouvernement polonais à mettre fin au trafic.

Par ailleurs, l’espionnage économique a constitué un problème pour la CIA depuis les années 1970. Le comte Alexandre de Marenches, alors patron du SDECE (rebaptisé la DGSE, en 1981, quand François Mitterrand accéda au pouvoir), a confié que le SDECE avait su par avance que les Américains avaient l’intention de dévaluer le dollar, ce qui permit au ministère des Finances français de faire d’énormes bénéfices sur la place financière. « Cela a permis de financer le SDECE pendant des années », a affirmé De Marenches. Il fallut presque vingt ans pour que la DGSE et la CIA arrivent à un arrangement selon lequel aucun des deux pays ne déroberaient les secrets de l’autre. On verra dans cet ouvrage si cet accord est respecté…

La CIA a peut-être tout simplement décidé d’ouvrir sa boîte de Pandore, considérant que nombre d’affaires étaient déjà en partie connues et que son image n’en souffrirait pas tant que cela. Le général Hayden, son actuel patron, a déclaré lors de la divulgation des dossiers « bijoux de famille » qu’ils concernaient « une époque révolue ». C’est malheureusement faux. La pertinente sélection de documents présentée dans cet ouvrage par Yvonnick Denoël ne se limite pas aux documents déjà connus des spécialistes (comme le rapport de la commission Church sur les renversements et assassinats de dirigeants étrangers), ni même aux « bijoux de famille », et elle ne s’arrête pas aux affaires anciennes. Nombre d’archives sont reproduites ici pour la première fois, et elles couvrent des affaires récentes ou en cours. Comme le souligne l’auteur, peu de choses ont changé du point de vue de la transgression des lois américaines et internationales par la CIA.

Les dernières années ont été particulièrement denses, notamment avec la lutte contre l’islamisme radical et le terrorisme international. Les lecteurs seront sans doute troublés par certaines révélations. La lecture de certains documents, comme le rapport sur les prisons secrètes de la CIA en Europe, leur sera peut-être pénible en raison de descriptions précises des tortures employées. Pourtant, la lecture de ce « livre noir » est nécessaire d’un point de vue citoyen, parce que nous sommes tous des électeurs avec voix au chapitre sur la politique internationale de notre pays et que nous avons tous besoin d’encadrer le fonctionnement de nos services secrets respectifs. Puisse ce lourd dossier y contribuer…

INTRODUCTION

LA MAISON-BLANCHE, WASHINGTON



MÉMORANDUM DE CONVERSATION

PARTICIPANTS :le président, Gerald R. Ford. le Dr Henry A. Kissinger, secré taire d’État et assistant du prési dent à la Sécurité nationale. le général de corps aérien Brent Scowcroft, assistant adjoint du président à la Sécurité nationale.
DATE ET HEURE :samedi 4 janvier 1975. 9h40-12h20.
LIEU :bureau Ovale Maison-Blanche

Kissinger : Ce qui se passe en ce moment est pire que sous le maccarthysme. Vous allez vous retrouver avec une CIA qui ne fera que des rapports, pas d’opérations. Il a transmis toutes ses affaires en cours au FBI. Il a proposé de démissionner : j’ai refusé. Ce n’est pas ma prérogative, mais je lui ai dit : pas avant que vous soyez déclaré coupable de crimes.


Le Président : Je suis d’accord.


Kissinger : Helms dit que toutes ces histoires ne sont que la partie visible de l’iceberg. Si ça sort, le sang va couler. Robert Kennedy, par exemple, a dirigé en personne l’opération visant à assassiner Fidel Castro.


[Il décrit d’autres histoires.]


Je lui ai dit que Buchen le conseillerait : il ne dira rien de compromettant.


Le Président : Je connais Dick Helms personnellement et je l’estime beaucoup.


Kissinger : L’affaire du Chili… qui ne figure dans aucun rapport. On essaye de me faire chanter !



Ce dialogue, qu’on croirait tiré d’un film d’Oliver Stone, est totalement authentique : c’est une transcription des archives sonores de la Maison-Blanche sous Gerald Ford.


Des dizaines, sinon des centaines, d’histoires plus ou moins terribles circulent sur le compte de la CIA, dans le grand public comme dans les plus hautes sphères de Washington. Certaines sont vraies, en tout ou partie, d’autres totalement fausses. Mais les non-initiés ont bien du mal à les distinguer. À tel point qu’on peut se demander si la CIA elle-même ne trouve pas son intérêt dans une telle confusion : après tout, si tant d’histoires plus ou moins fantaisistes circulent, il se pourrait bien qu’aucune ne soit vraie. Pourtant, nombre de faits sont aujourd’hui avérés et documentés, y compris par la justice américaine ou les historiens officiels de l’Agence.

L’objet de cet ouvrage n’est pas de livrer une histoire exhaustive de la CIA, mais d’éclairer avec précision le lecteur sur certaines affaires élucidées, et sur d’autres, plus récentes, dans lesquelles nous apportons des éclairages nouveaux, voire des archives inédites.

L’originalité de notre approche est de proposer, dans presque chaque chapitre, une sélection d’archives auxquelles le lecteur n’a pas accès d’ordinaire et qui le font pénétrer directement dans les « cuisines » du renseignement. Chaque source est, bien sûr, présentée et replacée dans son contexte. Qu’il s’agisse d’archives déclassifiées de la CIA, de rapports d’enquête de commissions sénatoriales ou de témoignages d’anciens officiers de la CIA, ces sources confèrent une sérieuse crédibilité aux histoires qu’elles étaient. Elles éclairent souvent d’une lumière nouvelle et crue notre histoire la plus contemporaine.

Les historiens « sérieux » ont longtemps minoré le rôle des services de renseignement dans le déroulement des relations internationales, à la fois parce que les sources étaient difficiles d’accès et parce que leur exploitation demandait une grande familiarité avec le monde des « services » . Pourtant, comment comprendre le monde d’aujourd’hui, et en particulier les relations tumultueuses de l’Occident avec l’Iran, les pays arabes, la Russie ou l’Amérique du sud, les phénomènes internationaux tels que les trafics de drogue ou le terrorisme islamique sans dérouler le fil des « sales guerres » menées depuis soixante ans par la CIA dans bien des points chauds du globe ? Le lecteur mesurera à l’issue de ce parcours combien nous subissons aujourd’hui les conséquences d’erreurs passées des présidents américains et de leurs services.


Créée par le président Truman en 1947 pour coordonner le renseignement américain, la CIA est rapidement devenue une agence globale destinée à collecter et évaluer le renseignement, mais aussi à renforcer l’influence américaine dans le monde par l’action clandestine.

L’ancêtre de la CIA pendant la Seconde Guerre mondiale est l’OSS (Office of Strategic Services), calqué sur les services secrets anglais et dirigé par William « Wild Bill » Donovan, personnage haut en couleur et grande figure tutélaire des espions américains. En 1944, celui-ci suggère à Roosevelt de créer une agence de renseignement pour temps de paix, ce qui n’a jamais été dans la tradition américaine. Roosevelt meurt avant d’avoir pris une décision. Les militaires, qui ont leurs propres services, les diplomates, qui ne veulent pas d’interférence sur les affaires extérieures, et le FBI de John Edgar Hoover, qui n’a jamais apprécié la concurrence, s’emploient à discréditer le projet. Truman démantèle l’OSS. En 1946, il crée le Central Intelligence Group, destiné à coordonner le renseignement américain et à lui en fournir une synthèse quotidienne. Mais la guerre froide est en train de se développer. La prise de conscience du nouveau danger communiste rend nécessaire des mesures énergiques et un nouvel ordre de bataille, symbolisé par le National Security Act du 26 juillet 1947. Celui-ci donne naissance à la CIA, le 18 septembre, en la chargeant simplement de « rassembler, comparer et diffuser le renseignement » , mais aussi « d’accomplir d’autres fonctions et devoirs liés au renseignement affectant la sécurité nationale » . Formulation bien vague qui ouvre la porte à tous les dérapages décrits ici.

Pourquoi un tel revirement ? À Washington, l’atmosphère euphorique de la victoire a fait place à une vraie paranoïa. Le texte fondateur du National Security Act est un long télégramme envoyé par un chargé d’affaires de l’ambassade américaine à Moscou : George Kennan. Celui-ci explique que les Soviétiques et Staline sont insensibles à la logique rationnelle des diplomates, mais respectent les rapports de force. Le conflit entre les deux blocs semble inévitable.

De retour de Moscou, Kennan est installé au département d’État pour dresser les plans de bataille de ce que l’on va bientôt appeler la guerre froide. De ses réflexions sortent la doctrine Truman, un avertissement solennel à Moscou d’arrêter ses actions de subversion, le plan Marshall, destiné à renforcer l’influence des États-Unis face au communisme, et enfin la CIA, le bras armé de la guerre secrète.

Au départ, la CIA n’a pas de patron spécifique, elle est dirigée par le directeur central du renseignement (DCI), l’amiral Roscoe Hillenkoetter. Elle n’a pas non plus de statut, de budget ni de siège pendant ses deux premières années. Son directeur souhaite éviter l’action clandestine, faute de base légale, mais en coulisses, les anciens de l’OSS reconvertis dans la CIA sont à la manœuvre, et des « coups » se préparent déjà. Dès décembre 1947, une directive du Conseil national de sécurité autorise les premières opérations clandestines de l’Agence, qui crée l’Office des opérations secrètes (OSO) et lui donne ses premières missions : soutien massif aux partis anticommunistes en Italie en vue des élections de 1948 et fourniture d’armes aux factions grecques anticommunistes dans la guerre civile qui déchire la péninsule hellénique. Comment financer ces opérations ? Tout simplement en détournant une partie des fonds alloués par le Congrès pour le plan Marshall ! 5 % des fonds, soit 685 millions de dollars sont ainsi mis à disposition de la CIA par les bureaux locaux du Plan en Europe et en Asie. L’argent ainsi blanchi va financer une kyrielle d’associations, de journaux, de syndicats et de partis politiques, voire de mouvements clandestins.

Une nouvelle directive du Conseil national de sécurité, en juin 1948, ordonne le lancement d’opérations offensives contre les communistes partout dans le monde. L’amiral Hillenkoetter, un homme légaliste et considéré comme faible par le département d’État, reste réticent envers ces actions. C’est pourquoi la CIA en « sous-traite » certaines à l’Office of Policy Coordination (OPC), une officine dirigée par un vétéran de l’OSS, Franck Wisner, et officiellement rattachée au département d’État. Ce montage ne trompe pas grand monde, car l’OPC partage les locaux de la CIA à Washington. Les premières missions de l’OPC, menées avec les services britanniques, consistent à infiltrer des agents derrière le rideau de fer. Tous, sans exception, seront capturés et tués par les Soviétiques. Ils ont été dénoncés par une taupe communiste au sein des services anglais : Kim Philby.

En juin 1950 débute l’offensive générale de la Corée du Nord contre la Corée du Sud, avec l’aide des Chinois : la CIA n’a rien vu venir. Hillenkoetter est remplacé par un autre militaire, le général Walter Bedell Smith. Ce dernier met fin à la rivalité entre l’OSO et l’OPC en les fusionnant à l’intérieur de la CIA. Il promeut également comme directeur adjoint des opérations Allen Dulles. Cet avocat et ancien chef de poste de l’OSS à Berne, pendant la Seconde Guerre mondiale, a été l’un des artisans, avec George Kennan et James Forrestal (secrétaire à la Défense), du montage détournant les fonds du plan Marshall, et vise rien moins que le poste de directeur du renseignement. Ce sera un objectif atteint avec l’arrivée à la présidence d’Eisenhower en janvier 1953. Dulles sera le premier « grand patron » de la CIA, un vrai croisé de la guerre froide.


La CIA d’Allen Dulles est, dans tous les sens du terme, un club très fermé. Dans la lignée de l’OSS, son recrutement est des plus aristocratiques : nombre de ses dirigeants sont issus des plus hautes universités de la côte est, formant la fameuse « Ivy League » , et en particulier de Yale. L’avocat Allen Dulles est pour sa part un ancien de Princeton. L’esprit dans lequel il dirige l’Agence tient en quelques idées simples : nous avons le pouvoir de faire tout ce que le président ordonne ; nous pouvons utiliser tous les moyens pour atteindre nos objectifs. La croisade contre le communisme est notre objectif suprême. Nous ne sommes pas soumis aux lois communes, nous ne répondons qu’au président et au département d’État. L’assassinat politique fait partie de notre panoplie d’actions clandestines si le président l’autorise. Dans ce cas, nous devons tout faire pour préserver un « déni plausible » : si la CIA est mise en cause dans un homicide à l’étranger, elle doit protéger le président en lui permettant de prétendre tout ignorer de l’opération.

Dulles ne s’intéresse guère à la gestion quotidienne de l’Agence qu’il délègue à ses adjoints. Celle-ci est organisée en plusieurs branches : direction du renseignement, direction des plans, puis des opérations (agissant à l’étranger y compris dans la collecte de renseignement), direction scientifique et technique et direction administrative.

Dans les années 1950, la CIA fait preuve d’une véritable boulimie d’actions clandestines : soutien aux guérillas nationalistes chinoises en Birmanie, renversement du roi Farouk d’Égypte en 1952, et bien d’autres encore, détaillées dans ce livre. C’est en 1960 que la plupart des Américains apprennent l’existence de l’Agence avec son premier échec public : un pilote d’avion espion U-2, Francis Gary Powers, abattu par les Soviétiques au-dessus de leur territoire le 1 er mai, révèle publiquement son appartenance à la CIA et la nature de sa mission. Cet événement est le premier d’une longue histoire de défiance entre le peuple américain et ses espions, qui sera marquée par de nombreux films et romans.

L’arrivée de J. F. Kennedy à la présidence met Cuba au premier plan de l’actualité avec l’échec de l’invasion de la baie des Cochons en avril 1961. Kennedy sanctionne Dulles en le remplaçant par John Mc Cone tout en commandant de nouvelles opérations contre Fidel Castro, que l’on dévoilera ici. Les avions U-2 de la CIA, qui avaient été à l’origine d’un scandale en 1960, prouvent cette fois leur utilité en révélant l’infiltration par les Soviétiques de missiles longue portée sur l’île de Cuba, déclenchant la fameuse crise des missiles en 1962.

Successeur de Kennedy, assassiné en 1963, Lyndon Johnson renforce l’engagement américain au Vietnam et demande à la CIA d’y intensifier ses opérations. Les analyses de l’Agence, souvent exactes, quant aux rapports de force Nord-Sud, sont écoutées mais pas prises en compte, et l’engagement américain va en s’intensifiant encore sous Richard Nixon. En 1972, le scandale du Watergate rejaillit sur l’Agence, car plusieurs des « plombiers » pris en train de poser des micros dans le QG démocrate sont des « retraités » de l’Agence, dont ils utilisaient le matériel. Le patron de l’Agence, Richard Helms, s’abstient d’accéder à toutes les demandes de Nixon pour couvrir le scandale naissant mais il reconnaît ensuite sa loyauté : « Je travaille pour le président des États-Unis. » Dans les années 1972-1975, l’Agence entre dans une spirale de scandales : une bonne partie de ses crimes passés sont révélés par la presse et par les commissions d’enquête parlementaires Church et Rockefeller.


Une reprise en main s’ensuit sous l’administration Carter, avec notamment un ordre exécutif interdisant à l’Agence de participer, directement ou indirectement à des assassinats, et un nouveau chef est nommé : l’amiral Stansfield Turner, qui se débarrasse de 600 agents engagés dans des actions clandestines. En juillet 1977 est formée une commission parlementaire permanente sur le renseignement, qui doit désormais surveiller les activités de l’Agence en auditionnant ses dirigeants chaque fois que nécessaire. Autant dire que la période 1977-1981 marque l’heure du départ en retraite pour une génération qui a débuté trente ans plus tôt et n’est pas habituée à ce que l’on contrôle ses activités de près.

L’arrivée de Ronald Reagan à la présidence en 1980 marque un nouveau tournant. Il nomme un proche, Bill Casey, à la tête de la CIA, avec rang de ministre. Cet avocat, vétéran de l’OSS, a dirigé la campagne présidentielle de Reagan. Farouche anticommuniste et peu porté sur le formalisme administratif, Casey entreprend de « secouer » l’Agence pour renouer avec le bon vieux temps des opérations clandestines audacieuses, afin d’en finir avec l’empire soviétique alors vacillant, mais que les estimations des soviétologues décrivent comme plus menaçant que jamais.

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