Les contrastes du nord et du midi dans la géographie humaine du Jura français - article ; n°1 ; vol.23, pg 93-103

LES_ETUDES_RHODANIENNES - René Lebeau

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Les Études rhodaniennes - Année 1948 - Volume 23 - Numéro 1 - Pages 93-103
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par	LES_ETUDES_RHODANIENNES
Publié le	01 janvier 1948
Nombre de lectures	53
Langue	Français
Poids de l'ouvrage	1 Mo

Extrait

René Lebeau
Les contrastes du nord et du midi dans la géographie humaine
du Jura français
In: Les Études rhodaniennes. Vol. 23 n°1-2, 1948. pp. 93-103.
Citer ce document / Cite this document :
Lebeau René. Les contrastes du nord et du midi dans la géographie humaine du Jura français. In: Les Études rhodaniennes.
Vol. 23 n°1-2, 1948. pp. 93-103.
doi : 10.3406/geoca.1948.5915
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geoca_1164-6268_1948_num_23_1_5915PROCÈS VERBAUX DU
CERCLE D'ÉTUDES GÉOGRAPHIQUES
DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE LYON, № 8
SEANCE DU 21 NOVEMBRE 1947
Présidence Je M. Gibert. Mme Trknard, secrétaire de séance. 52 présents
LES CONTRASTES DU NORD ET DU MIDI
DANS LA GEOGRAPHIE HUMAINE DU JURA FRANÇAIS
par René Lebeau
Assistant de Géographie à l'Université de Lyon
Le relief du. Jura, très simple, fait de chaînes parallèles qui courent, un peu arquées,
du Sud au Nord-Est, encadrant des « vaux » et des plateaux ovales, divise la chaîne
en une série de régions naturelles longitudinales, longues et étroites, d'altitude crois
sante vers l'Est.
On distingue d'ordinaire le Rebord Occidental; les bas plateaux, remplacés tout au
Sud par les bas chaînons du Revermont; les hauts plateaux, continués par les vaux du
Haut-Bugey; enfin la haute chaîne. Ces divisions naturelles bien nettes exercent indubi
tablement t une influence sur la géographie humaine, et la conception classique, qui fait
correspondre à chacune d'elles un genre de vie différent, est parfaitement fondée. Mais
on a souvent tort de ne voir que cela, et de faire de la géographie humaine du Jura
une pure copie de sa géographie physique.
En réalité, la vie humaine du Jura ne montre pas seulement des nuances longitudin
ales, mais aussi des contrastes transversaux entre le Nord et le Sud de la chaîne;
contrastes déjà indiqués dans nos Notes sur les types d'habitations rurales du] Jura central.
parues en 1937 dans les Etudes Rhodaniennes (1), dont nous citons la conclusion : « Le
Jura central, qui forme au point de vue physique un tout homogène, est partagé, au
point de vue humain, entre les influences du Jura septentrional et méridional. Influences
que les habitations rurales ne font que refléter, et qu'il faudrait chercher dans l'étude
du système agraire, — dans le Cadastre — des différentes parties du Jura ». La même
année, l'historien maçonnais Jeanton signalait, dans la plaine de la Saône, contiguë au
Jura, des contrastes transversaux du même" ordre (2) : habitations, dialectes, usages
ruraux diffèrent du tout au tout entre le Nord et le Sud de la plaine, de part et d'autre
(1) R. Lcbeau : Notes sur les types d'habitations rurales du Jura central. Et. *lhoJ.,
XIII, 1937, p. 207-212.
(2) M. Jeanton : Enquête sur les limites des influences septentrionales et méditerra
néennes en France, (Revue d'Histoire du Droit et des Institutions des pays Bourguignons,
Comtois et Romands, 1937). 94 cercle d'études
il'une ligne Tournus-Lons-le-Saunier. La récente thèse de Deléage : « La vie rurale
en Bourgogne jusqu'au début du XIe siècle » a confirmé ces vues, et voit les pays de
Saône traversés par la ligne de contact des deux grands systèmes agraires qui se par
tagent la France, les « campagnes » du Nord-Est et les « bocages » du Sud ou de
l'Ouest.
A la suite de ces travaux, il paraît intéressant de chercher à préciser les contrastes
transversaux que nous avions notés dans le Jura voisin, et de confronter les conclusions.
Pour ce faire, nous passerons en revue les principaux éléments du paysage rural : les
habitations ; leur groupement, l'habitat ; les systèmes agraires ; les gens cle vie ; les
hommes enfin.
l) Les habitations rurales : D'un bout à l'autre de la chaîne, ce sont des maisons-
bloc; mais une ligne transversale tirée de Poligny à Champagnole et à Mouthe les
départage en deux ensembles bien distincts. Dans la moitié Nord de la chaîne dominent
des grosses maisons ressemblant à celles des pays plus septentrionaux : Vosges, Lorraine;
dans la moitié Sud les maisons, petites, se rapprochent de celles des pays plus méri
dionaux, rhodaniens et dauphinois.
Deux types sont particulièrement répandus dans la partie 'Nord du Jura. L'un occupe
la haute chaîne : c'est une grosse maison trapue, carrée, où les pièces habitées ouvrent
en façade, sur le mur pignon mi-pierre, mi-bois; l'écurie est derrière; la grange recouvre
le tout, perchée à l'étage, accessible par un plan incliné derrière la maison. Un toit
à deux pans, immense, tombant jusqu'à terre, coiffe ces habitations de montagne qui
paraissent écrasées, tapis au sol. Elles ressemblent étonnamment aux maisons des Hautes
Vosges, qu'elles rejoignent en franchissant la porte de Bourgogne ; et à celles de la Forêt
Noire.
L'autre type, moins original, s'étend sur les bas plateaux. Enorme aussi, habité fr
équemment, comme le précédent, par deux familles, il est tout en pierre. Les différents
éléments de la maison, de plan rectangulaire, s'ordonnent « en longueur » : sous la
ptnte du toit, se succèdent les fenêtres et la porte du logement, le large portail voûté
de la grange, les portes des écuries souvent doubles. Des pièces habitées donnent sur
le mur pignun. L'n toit très vaste et très haut de tuiles plates, présentant deux pans
coupés au-dessus des pignons, couvre le tout. Cette forme d'habitation est très répandue,
bien au-delà du Jura, sur les plateaux de Haute-Saône, sur le versant occidental des
Vosges, et jusque sur le plateau lorrain.
Dans la moitié Sud du Jura, le fait essentiel est la présence, sur toute la partie basse
occidentale de la chaîne — et, sporadiquement, dans le pays de Gex — de maisons
couvertes de toits plats à tuiles creuses, qui sont bien souvent aussi des maisons « en
hauteur ». Les toits plats de tuiles creuses sont en France un fait méridional : on les
rencontre surtout dans la région méditerranéenne, d'où ils rayonnent vers le bassin
aquitain et le sillon rhodanien. Ils remontent ce dernier jusqu'à la Bresse centrale, empiét
ant sur les montagnes voisines, Beaujolais et Jura occidental jusqu'à Tenay, Izenave,
Nantua, Dortan, Arinthod. Au Nord, ils s'arrêtent net, dans la plaine comme dans le
Jura, sur une ligne droite tracée des Tournus à Cuiseaux et Cressia-sur-Suran. Cette
zone des tuiles creuses est aussi dans le Jura celle des maisons « en hauteur » (3),
(3) On en rencontre aussi quelques unes le long du Rhône, dans les pays vignobles
(Montagnieu, Seysscl, région de Bellegarde). CONTRASTES DAN'S LE JURA FRANÇAIS 95
liées à la viticulture. La cave, le pressoir, une petite écurie occupent le rez-de-chaussée;
l'homme habite à l'étage, accessible par un escalier et une galerie extérieurs. Avec leurs
hautes et étroites maisons blanches à galerie, à toits plats, sur un fond de collines jaunes
et arides, certains villages du Revermont évoquent ainsi à s'y méprendre îles paysages
du Rhône moyen.
Le Sud du Jura, dans ses parties hautes, a d'autres genres d'habitations, toujours assez
petites, maisons-bloc à terre, aux éléments disposés « tn longueur », carapaçonnées de
bardeaux, qui ne *:e distinguent que par des nuances : le toit est plus plat dans le
Jura San-Claudien; dans If Haut-Bugey, la porte de grange, au milieu de la façade, est
en renfoncement, laissant tn avant d'elle une aiie couverte appelée « ne veau » en Suisse,
car ces maisons s'étendent, au-delà de la chaîne, vers le Sud-Est, dans les plaines vau-
doise et genevoise. C'est donc toujours à celles des plaines voisines que s'apparentent,
au Nord comme au Sud, les maisons jurassiennes.
2) L'habitat : Le Nord et le Sud du Jura diffèrent aussi dans la façon dont se grou
pent ces maisons rurales; la carte des « modes de peuplement » de l'Atlas de France
met ce fait lumineusement en relief. Le Nord de la chaîne (certaines parties de la haute
montagne exceptées), jusqu'au Sud du plateau lédonien, à la vallée du Hérisson sur
le plateau de Champagnole, au plateau de Nozeroy, aux sources du Doubs, est un
pays d'habitat très groupé (coefficient de dispersion inférieur à 0,1), avec tous les
habitants de la commune groupés en