Traité de la réforme de l’entendement
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TRAITÉ DE LA RÉFORMEDE L'ENTENDEMENTET DE LA VOIEQUI MÈNE À LA VRAIE CONNAISSANCE DESCHOSESBaruch SpinozaTRADUIT PAR E. SAISSET(Ed. 1842)bilingueI. Le bien que les hommes désirent ordinairement II. Le bien véritable et suprême III.Règles de vie IV. Les différents modes de perception V. Le meilleur mode deperception VI. L'instrument intellectuel, l'idée vraie VII. La vraie méthode VIII.Première partie de la méthode. L'idée fictive IX. L'idée fausse X. L'idée douteuseXI. La mémoire et l'oubli. Conclusion XII. Seconde partie de la Méthode. Commentavoir les idées claires XIII. Les conditions de la définition XIV. Les moyens deconnaître les choses éternelles XV. La puissance de l'entendement : ses propriétésSommaire1 AVIS AU LECTEUR 12 I. Le bien que les hommes désirent ordinairement3 II. Le bien véritable et suprême4 III. Règles de vie5 IV. Les différents modes de perception6 V. Le meilleur mode de perception7 VI. L'instrument intellectuel, l'idée vraie.8 VII. La vraie méthode9 VIII. Première partie de la méthode. L'idée fictive.10 IX. L'idée fausse11 X. L'idée douteuse12 XI. La mémoire et l'oubli. Conclusion13 XII. Seconde partie de la Méthode. Comment avoir les idées claires14 XIII. Les conditions de la définition15 XIV. La puissance de l'entendement : ses propriétés16 NOTESAVIS AU LECTEUR 1Ce Traité de la Réforme de l'Entendement que nous te donnons aujourd'hui, cherlecteur, a été écrit depuis déjà longues années. L'auteur a toujours ...

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TRAITÉ DE LA RÉFORMEDE L'ENTENDEMENTET DE LA VOIEQUI MÈNE À LA VRAIE CONNAISSANCE DESCHOSESBaruch SpinozaTRADUIT PAR E. SAISSET(Ed. 1842)bilingueI. Le bien que les hommes désirent ordinairement II. Le bien véritable et suprême III.Règles de vie IV. Les différents modes de perception V. Le meilleur mode deperception VI. L'instrument intellectuel, l'idée vraie VII. La vraie méthode VIII.Première partie de la méthode. L'idée fictive IX. L'idée fausse X. L'idée douteuseXI. La mémoire et l'oubli. Conclusion XII. Seconde partie de la Méthode. Commentavoir les idées claires XIII. Les conditions de la définition XIV. Les moyens deconnaître les choses éternelles XV. La puissance de l'entendement : ses propriétésSommaire21  I.A LVeIS b iAeUn  LquEeC lTesE UhoR m1mes désirent ordinairement43  IIIII..  LReè bgileesn  dvéer ivtiaeble et suprême65  IVV..  LLee sm deiifllfeéruer nmtso dmeo ddee sp derec peeprticoenption7 VI. L'instrument intellectuel, l'idée vraie.98  VVIIIII..  LPar evrmaiièer em pétahrtoied ede la méthode. L'idée fictive.10 IX. L'idée fausse11 X. L'idée douteuse1132  XXIII..  LSae cmoénmdeo irpea retit el' odueb llia.  CMoétnhcloudsei.o nComment avoir les idées claires14 XIII. Les conditions de la définition1156  NXIOVT. ELaS puissance de l'entendement : ses propriétésAVIS AU LECTEUR 1Ce Traité de la Réforme de l'Entendement que nous te donnons aujourd'hui, cherlecteur, a été écrit depuis déjà longues années. L'auteur a toujours désiré le menerà son terme ; mais d'autres soins l'ont détourné de ce dessein, et la mort enfin l'aforcé de laisser l'ouvrage inachevé. Toutefois, comme il contient un grand nombrede choses utiles autant que belles et qui, j'en suis certain, ne seront pas d'unmédiocre secours aux amis sincères de la vérité, je n'ai point voulu te priver de lesconnaître ; et en même temps il m'a paru convenable d'y joindre cet avertissement,afin que tu sois disposé à l'indulgence pour les obscurités et les négligences destyle que tu pourras y rencontrer. Adieu.
I. Le bien que les hommes désirent ordinairement(1) 1. L'expérience m'ayant appris à reconnaître que tous les événementsordinaires de la vie commune sont choses vaines et futiles, et que tous les objetsde nos craintes n'ont rien en soi de bon ni de mauvais et ne prennent ce caractèrequ'autant que l'âme en est touchée, j'ai pris enfin la résolution de rechercher s'ilexiste un bien véritable et capable de se communiquer aux hommes, un bien quipuisse remplir seul l'âme tout entière, après qu'elle a rejeté tous les autres biens, enun mot, un bien qui donne à l'âme, quand elle le trouve et le possède, l'éternel etsuprême bonheur.2. Je dis que j'ai pris enfin cette résolution, parce qu'il me semblait au premieraspect qu'il y avait de l'imprudence à renoncer à des choses certaines pour un objetencore incertain. Je considérais en effet les avantages qu'on se procure par laréputation et par les richesses, et il fallait y renoncer, si je voulais m'occupersérieusement d'une autre recherche. Or, supposé que la félicité suprême consistepar hasard dans la possession de ces avantages, je la voyais s'éloignernécessairement de moi ; et si au contraire elle consiste en d'autres objets et que jela cherche où elle n'est pas, voilà qu'elle m'échappe encore.3. Je méditais donc en moi-même sur cette question : est-il possible que jeparvienne à diriger ma vie suivant une nouvelle règle, ou du moins à m'assurer qu'ilen existe une, sans rien changer toutefois à l'ordre actuel de ma conduite, nim'écarter des habitudes communes ? chose que j'ai souvent essayée, maistoujours vainement. Les objets en effet qui se présentent le plus fréquemment dansla vie, et où les hommes, à en juger par leurs œuvres, placent le souverain bonheur,se peuvent réduire à trois, les richesses, la réputation, la volupté. Or, l'âme est sifortement occupée tour à tour de ces trois objets qu'elle est à peine capable desonger à un autre bien.4. La volupté surtout enchaîne l'âme avec tant de puissance qu'elle s'y reposecomme en un bien véritable, et c'est ce qui contribue le plus à éloigner d'elle touteautre pensée ; mais après la jouissance vient la tristesse, et si l'âme n'en est paspossédée tout entière, elle en est du moins troublée et comme émoussée. Leshonneurs et les richesses n'occupent pas non plus faiblement une âme, surtoutquand on recherche toutes ces choses pour elles-mêmes 2, en s'imaginant qu'ellessont le souverain bien.5. La réputation occupe l'âme avec plus de force encore ; car l'âme la considèretoujours comme étant par soi-même un bien, et en fait l'objet suprême où tendenttous ses désirs. Ajoutez que le repentir n'accompagne point la réputation et lesrichesses, comme il fait la volupté ; plus au contraire on possède ces avantages, etplus on éprouve de joie, plus par conséquent on est poussé à les accroître ; que sinos espérances à cet égard viennent à être trompées, nous voilà au comble de latristesse. Enfin, la recherche de la réputation est pour nous une forte entrave, parcequ'il faut nécessairement, pour l'atteindre, diriger sa vie au gré des hommes, éviterce que le vulgaire évite et courir après ce qu'il recherche.(2) 6. C'est ainsi qu'ayant considéré tous les obstacles qui m'empêchaient desuivre une règle de conduite différente de la règle ordinaire, et voyant l'opposition sigrande entre l'une et l'autre qu'il fallait nécessairement choisir, je me voyaiscontraint de rechercher laquelle des deux devait m'être plus utile, et il me semblait,comme je disais tout à l'heure, que j'allais abandonner le certain pour l'incertain.Mais quand j'eus un peu médité là-dessus, je trouvai premièrement qu'enabandonnant les avantages ordinaires de la vie pour m'attacher à d'autres objets, jene renoncerais véritablement qu'à un bien incertain, comme on le peut clairementinférer de ce qui précède, pour chercher un bien également incertain, lui, non par sanature (puisque je cherchais un bien solide), mais quant à la possibilité del'atteindre.7. Et bientôt une méditation attentive me conduisit jusqu'à reconnaître que jequittais, à considérer le fond des choses, des maux certains pour un bien certain.Je me voyais en effet jeté en un très-grand danger, qui me faisait une loi dechercher de toutes mes forces un remède, même incertain ; à peu près comme unmalade, attaqué d'une maladie mortelle, qui prévoyant une mort certaine s'il netrouve pas un remède, rassemble toutes ses forces pour chercher ce remèdesauveur, quoique incertain s'il parviendra à le découvrir ; et il fait cela, parce qu'ence remède est placée toute son espérance. Et véritablement, tous les objets quepoursuit le vulgaire non-seulement ne fournissent aucun remède capable decontribuer à la conservation de notre être, mais ils y font obstacle ; car ce sont cesobjets mêmes qui causent plus d'une fois la mort des hommes qui les possèdent et
toujours celle des hommes qui en sont possédés.(3) 8. N'y a-t-il pas plusieurs exemples d'hommes qui à cause de leurs richessesont souffert la persécution et la mort même, ou qui se sont exposés pour amasserdes trésors à tant de dangers qu'ils ont fini par payer de leur vie leur folle avarice !Et combien d'autres qui ont souffert mille maux pour faire leur réputation ou pour ladéfendre ! Combien enfin, par un excessif amour de la volupté, ont hâté leur mort !9. Or voici quelle me paraissait être la cause de tout le mal : c'est que notre bonheuret notre malheur dépendent uniquement de la nature de l'objet que nous aimons ;car les choses qui ne nous inspirent point d'amour n'excitent ni discordes ni douleurquand elles nous échappent, ni jalousie quand elles sont au pouvoir d'autrui, nicrainte, ni haine, en un mot, aucune passion ; au lieu que tous ces maux sont lasuite inévitable de notre attachement aux choses périssables, comme sont cellesdont nous avons parlé tout à l'heure.10. Au contraire, l'amour qui a pour objet quelque chose d'éternel et d'infini nourritnotre âme d'une joie pure et sans aucun mélange de tristesse, et c'est vers ce biensi digne d'envie que doivent tendre tous nos efforts. Mais ce n'est pas sans raisonque je me suis servi de ces paroles : à considérer les choses sérieusement ; carbien que j'eusse une idée claire de tout ce que je viens de dire, je ne pouvaiscependant bannir complètement de mon cœur l'amour de l'or, des plaisirs et de lagloire.II. Le bien véritable et suprême(4) 11. Seulement je voyais que mon esprit, en se tournant vers ces pensées, sedétournait des passions et méditait sérieusement une règle nouvelle ; et ce fut pourmoi une grande consolation ; car je compris ainsi que ces maux n'étaient pas deceux qu'aucun remède ne peut guérir. Et bien que, dans le commencement, cesmoments fussent rares et de courte durée, cependant, à mesure que la nature duvrai bien me fut mieux connue, ils devinrent et plus longs et plus fréquents, surtoutlorsque je vis que la richesse, la volupté, la gloire, ne sont funestes qu'autant qu'onles recherche pour elles-mêmes, et non comme de simples moyens ; au lieu que sion les recherche comme de simples moyens, elles sont capables de mesure, et necausent plus aucun dommage ; loin de là, elles sont d'un grand secours pouratteindre le but que 1'on se propose, ainsi que nous le montrerons ailleurs.(5) 12. Ici je veux seulement dire en peu de mots ce que j'entends par le vrai bien, etquel est le souverain bien. Or, pour s'en former une juste idée, il faut remarquer quele bien et le mal ne se disent que d'une façon relative, en sorte qu'un seul et mêmeobjet peut être appelé bon ou mauvais, selon qu'on le considère sous tel ou telrapport ; et de même pour la perfection et l'imperfection. Nulle chose, considéréeen elle-même, ne peut être dite parfaite ou imparfaite, et c'est ce que nouscomprendrons surtout quand nous saurons que tout ce qui arrive, arrive selon l'ordreéternel et les lois fixes de la nature.13. Mais l'humaine faiblesse ne saurait atteindre par la pensée à cet ordre éternel ;l'homme conçoit une nature humaine de beaucoup supérieure à la sienne, où rien, àce qu'il lui semble, ne l'empêche de s'élever ; il recherche tous les moyens quipeuvent le conduire à cette perfection nouvelle ; tout ce qui lui semble un moyen d'yparvenir, il l'appelle le vrai bien ; et ce qui serait le souverain bien, ce serait d'entreren possession, avec d'autres êtres, s'il était possible, de cette nature supérieure.Or, quelle est cette nature? nous montrerons, quand il en sera temps 3 que ce qui laconstitue, c'est la connaissance de l'union de l'âme humaine avec la nature toutentière.14. Voilà donc la fin à laquelle je dois tendre : acquérir cette nature humainesupérieure, et faire tous mes efforts pour que beaucoup d'autres l'acquièrent avecmoi ; en d'autres termes, il importe à mon bonheur que beaucoup d'autres s'élèventaux mêmes pensées que moi, afin que leur entendement et leurs désirs soient enaccord avec les miens ; pour cela 4, il suffit de deux choses, d'abord decomprendre la nature universelle autant qu'il est nécessaire pour acquérir cettenature humaine supérieure ; ensuite d'établir une société telle que le plus grandnombre puisse parvenir facilement et sûrement à ce degré de perfection.15. On devra veiller avec soin aux doctrines morales ainsi qu'à l'éducation desenfants ; et comme la médecine n'est pas un moyen de peu d'importance pouratteindre la fin que nous nous proposons, il faudra mettre l'ordre et l'harmonie danstoutes les parties de la médecine ; et comme l'art rend faciles bien des chosesdifficiles et nous profite en épargnant notre temps et notre peine, on se gardera denégliger la mécanique.
16. Mais, avant tout, il faut chercher le moyen de guérir l'entendement, de le corrigerautant qu'il est possible dès le principe, afin que, prémuni contre l'erreur, il ait detoute chose une parfaite intelligence. On peut déjà voir par là que je veux ramenertoutes les sciences à une seule fin 5, qui est de nous conduire à cette souveraineperfection de la nature humaine dont nous avons parlé ; en sorte que tout ce qui,dans les sciences, n'est pas capable de nous faire avancer vers notre fin doit êtrerejeté comme inutile ; c'est-à-dire, d'un seul mot, que toutes nos actions, toutes nospensées doivent être dirigées vers cette fin.III. Règles de vie17. Mais, tandis que nous nous efforçons d'y atteindre et de mettre l'intelligencedans la bonne voie, il nous faut vivre cependant ; et c'est pourquoi nous devonsconvenir de certaines règles de conduite que nous supposerons bonnes, savoir, lessuivantes :(6) I. Mettre ses paroles à la portée du vulgaire et consentir à faire avec lui tout cequi n'est pas un obstacle à notre but. Car nous avons de grands avantages à retirerdu commerce des hommes, si nous nous proportionnons à eux, autant qu'il estpossible, et nous préparons ainsi à la vérité des oreilles bienveillantes.(7) II. Ne prendre d'autres plaisirs que ce qu'il en faut pour conserver la santé.(8) III. Ne rechercher l'argent et toute autre chose qu'autant qu'il est nécessaire pourentretenir la vie et la santé, et pour nous conformer aux mœurs de nos concitoyensen tout ce qui ne répugne pas à notre objet.IV. Les différents modes de perception(9) 18. Ces règles posées, je commence par ce qui doit être fait avant tout le reste,et j'essaye de réformer l'entendement, et de le disposer à concevoir les choses dela manière dont elles doivent être conçues pour qu'il nous soit possible d'atteindrenotre fin. Or, pour cela, l'ordre naturel exige que je résume les différents modes deperception sur la foi desquels jusqu'ici j'ai affirmé et nié sans crainte de metromper, afin de choisir le meilleur et tout ensemble de commencer à connaître etmes forces et cette nature que je me propose de perfectionner.(10) 19. A y regarder de près, tous nos modes de perception peuvent se ramener àquatre : (11) I. Il y a une perception que nous acquérons par ouï-dire, ou au moyende quelque signe que chacun appelle comme il lui plaît.(12) II. Il y a une perception que nous acquérons à l'aide d'une certaine expériencevague, c'est-à-dire d'une expérience qui n'est point déterminée par l'entendement,et qu'on n'appelle de ce nom que parce qu'on a éprouvé que tel fait se passed'ordinaire ainsi, que nous n'avons à lui opposer aucun fait contradictoire, et qu'ildemeure, pour cette raison, solidement établi dans notre esprit.(13) III. Il y a une perception dans laquelle nous concluons une chose d'une autrechose, mais non d'une manière adéquate. C'est ce qui arrive 6 lorsque nousrecueillons une cause dans un certain effet, ou bien lorsque nous tirons uneconclusion de quelque fait général constamment accompagné d'une certainepropriété.(14) IV. Enfin il y a une perception qui nous fait saisir la chose par la seule vertu deson essence, ou bien par la connaissance que nous avons de sa cause immédiate.(15) 20. J'éclaircis tout cela par des exemples. Je sais seulement par ouï-dire quelest le jour de ma naissance, quels furent mes parents, et autres choses semblablessur lesquelles je n'ai jamais conçu de doute. C'est par une expérience vague que jesais que je dois mourir ; car si j'affirme cela, c'est que j'ai vu mourir plusieurs demes semblables, quoiqu'ils n'aient pas tous vécu le même espace de temps, nisuccombé à la même maladie. Je sais par une expérience vague que l'huile a lavertu de nourrir la flamme, et l'eau celle de l'éteindre ; je sais de la même manièreque le chien est un animal qui aboie, et l'homme un animal doué de raison, et c'estainsi que je connais à peu près toutes les choses qui se rapportent à l'usage
ordinaire de la vie.21. Voici maintenant comment nous concluons une chose d'une autre : Ayant perçuclairement que nous sentons tel corps et non pas tel autre, nous en concluons quenotre âme est unie à notre corps 7, laquelle union est la cause de la sensation. Mais8 quelle est la nature de cette sensation, de cette union, c'est ce que nous nepouvons comprendre d'une manière absolue. Autre exemple : je connais la naturede la vue et je sais qu'elle a cette propriété que la même chose vue à une grandedistance nous paraît moindre que vue de près ; j'en conclus que le soleil est plusgrand qu'il ne me semble, et autres choses semblables.22. On perçoit une chose par la seule vertu de son essence quand, par cela seulque l'on connaît cette chose, on sait ce que c'est que de connaître quelque chose,ou bien quand, par exemple, de cela seul que l'on connaît l'essence de l'âme, onsait qu'elle est unie au corps. C'est par le même mode de connaissance que noussavons que deux plus trois font cinq, et que, étant données deux lignes parallèles àune troisième, elles sont parallèles entre elles, etc. Toutefois les choses que j'ai pusaisir jusqu'ici par ce mode de connaissance sont en bien petit nombre.(16) 23. Mais afin que l'on ait une intelligence plus claire de toutes ces choses, jeme bornerai à un exemple unique ; le voici : Trois nombres sont donnés ; on encherche un quatrième qui soit au troisième comme le second est aux premiers. Nosmarchands disent qu'ils savent ce qu'il y a à faire pour trouver ce quatrièmenombre ; ils n'ont pas encore oublié l'opération qu'ils ont apprise de leurs maîtres,opération tout empirique et sans démonstration. D'autres tirent de quelques casparticuliers empruntés à l'expérience un axiome général : ils prennent un cas où lequatrième nombre cherché est évident de lui-même, comme ici : 2, 4, 3, 6 ; ilstrouvent par l'expérience que le second de ces nombres étant multiplié par letroisième, le produit, divisé par le premier, donne 6 pour quotient ; et voyant que lemême nombre qu'ils avaient deviné sans opération est le nombre proportionnelcherché, ils en concluent que l'opération est bonne pour trouver tout quatrièmenombre proportionnel.24. Quant aux mathématiciens, ils savent par la démonstration de la 19eproposition du livre VII d'Euclide quels nombres sont proportionnels entre eux ; ilssavent par la nature même et par les propriétés de la proposition, que le produit dupremier nombre par le quatrième est égal au produit du second par le troisième ;mais ils ne voient pas la proportionnalité adéquate des nombres donnés, ou s'ils lavoient, ils ne la voient point par la vertu de la proposition d'Euclide, mais bien parintuition et sans faire aucune opération.V. Le meilleur mode de perception25. Or, pour choisir parmi ces divers modes de perception le meilleur, nous avonsbesoin d'énumérer rapidement les moyens nécessaires pour atteindre la fin quenous nous proposons ; ce sont les suivants :(17) I. Connaître notre nature, puisque c'est elle que nous désirons perfectionner, etconnaître aussi la nature des choses, mais autant seulement qu'il nous estnécessaire ;(18) II. Rassembler par ce moyen les différences, les ressemblances et lesoppositions des choses ;(19) III. Savoir ainsi véritablement ce qu'elles peuvent et ce qu'elles ne peuvent pointpâtir ;(20) IV. Et comparer ce résultat avec la nature et la puissance de l'homme. On verraainsi le degré suprême de la perfection à laquelle il est donné à l'homme deparvenir.(21) 26. Après ces considérations, il nous reste à chercher quel est le mode deperception que nous devons choisir.(22) Premier mode. Il est évident de soi-même que le ouï-dire ne nous donnejamais des choses qu'une connaissance fort incertaine, et qu'il n'atteint jamais leuressence, comme cela est manifeste dans l'exemple que nous avons donné ; or l'onne connaît l'existence propre de chaque chose qu'à la condition de connaître sonessence, comme on le verra dans la suite : j'en conclus que toute certitude obtenuepar ouï-dire doit être bannie du domaine de la science. Car le simple ouï-dire, sansun développement préalable de l'entendement de chacun, ne peut faire
un développement préalable de l'entendement de chacun, ne peut faired'impression sur personne.(23) 27. Deuxième mode. On ne peut pas même dire de ce mode qu'il ait l'idée dela proportion qu'il cherche à découvrir. Outre qu'il donne toujours un résultat tout àfait incertain et jamais définitivement acquis, il ne saisit les choses de la nature quepar leurs accidents, dont la claire intelligence présuppose la connaissance desessences mêmes. Je conclus que ce mode doit être rejeté comme le premier 9.(24) 28. Troisième mode. Il faut reconnaître qu'il nous donne l'idée de la chose, etqu'il nous permet de conclure sans risque de nous tromper ; néanmoins il n'a pas ensoi la vertu de nous mettre en possession de la perfection à laquelle nous aspirons.(25) 29. Le quatrième mode seul saisit l'essence adéquate de la chose, et d'unemanière infaillible ; c'est donc celui dont nous devrons faire principalement usage.Or, comment doit-on s'y prendre pour arriver, par ce mode de connaissance, àl'intelligence des choses qui nous sont inconnues, et cela dans le plus bref délai ?c'est ce que nous allons expliquer.VI. L'instrument intellectuel, l'idée vraie.(26) 30. Nous savons quel mode de connaissance nous est nécessaire ; il fauttracer maintenant la voie et la méthode au moyen de laquelle nous connaîtrons parce mode de connaissance les choses que nous avons besoin de connaître. Etd'abord il faut remarquer que nous n'irons pas nous perdre de recherche enrecherche dans un progrès à l'infini : je veux dire que pour trouver la meilleureméthode propre à la recherche de la vérité, nous n'aurons pas besoin d'une autreméthode à l'aide de laquelle nous recherchions la méthode propre à la recherchede la vérité ; et que, pour découvrir cette seconde méthode, nous n'aurons pasbesoin d'en avoir une troisième, et ainsi à l'infini. Il en est de la méthode commedes instruments matériels, à propos desquels on pourrait faire le mêmeraisonnement. Pour forger le fer, il faut un marteau, mais pour avoir un marteau ilfaut que ce marteau ait été forgé, ce qui suppose un autre marteau et d'autresinstruments, lesquels à leur tour supposent d'autres instruments, et ainsi à l'infini.C'est bien en vain qu'on s'efforcerait de prouver, par un semblable argument, qu'iln'est pas au pouvoir des hommes de forger le fer.31. Au commencement, les hommes, avec les instruments que leur fournissait lanature, ont fait quelques ouvrages très-faciles à grand'peine et d'une manière très-imparfaite, puis d'autres ouvrages plus difficiles avec moins de peine et plus deperfection, et en allant graduellement de l'accomplissement des œuvres les plussimples à l'invention de nouveaux instruments et de l'invention des instruments àl'accomplissement d'œuvres nouvelles, ils en sont venus, par suite de ce progrès, àproduire avec peu de labeur les choses les plus difficiles. De même l'entendementpar la vertu qui est en lui 10 se façonne des instruments intellectuels, au moyendesquels il acquiert de nouvelles forces pour de nouvelles œuvres 11 intellectuelles,produisant, à l'aide de ces œuvres, de nouveaux instruments, c'est-à-dire sefortifiant pour de nouvelles recherches, et c'est ainsi qu'il s'avance de progrès enprogrès jusqu'à ce qu'il ait atteint le comble de la sagesse.32. Qu'il en soit ainsi de l'entendement, c'est ce qu'il est facile de voir, pourvu quel'on comprenne et ce qu'est la méthode propre à la recherche de la vérité, et ce quesont ces instruments naturels qui suffisent à l'invention d'instruments nouveaux etaux recherches ultérieures. C'est ce que je montre de la manière suivante :(27) 33. L'idée 12 vraie (car nous sommes en possession d'idées vraies) estquelque chose de différent de son objet. Autre chose est le cercle, autre chosel'idée du cercle. L'idée du cercle n'est pas quelque chose qui ait une circonférence,un centre, comme le cercle ; et l'idée du corps n'est pas le corps lui-même. Étantdifférente de son objet, l'idée sera par elle-même quelque chose d'intelligible ; jeveux dire que l'idée, considérée dans son essence formelle, peut être l'objet d'uneautre essence objective ; et à son tour cette autre essence objective, vue en elle-même, sera quelque chose de réel et d'intelligible, et ainsi indéfiniment.34. Pierre, par exemple, est quelque chose de réel ; l'idée vraie de Pierre estl'essence objective de Pierre ; elle a en elle-même quelque chose de réel, et elleest toute différente de Pierre lui-même. Mais puisque l'idée de Pierre est quelquechose de réel, ayant en soi son essence propre, elle sera quelque chosed'intelligible, c'est-à-dire qu'elle sera l'objet d'une autre idée, laquelle posséderaobjectivement en elle-même tout ce que l'idée de Pierre possède formellement ; età son tour cette nouvelle idée, qui est l'idée de l'idée de Pierre, a son essence
propre, et pourra devenir l'objet d'une autre idée, et ainsi indéfiniment. C'est ce dontchacun peut faire l'expérience ; ne sait-on pas ce qu'est Pierre ? de plus, ne sait-onpas qu'on le sait ? de plus, ne sait-on pas qu'on sait qu'on le sait, etc. ? D'où l'onvoit que pour comprendre l'essence de Pierre il n'est pas nécessaire decomprendre l'idée même de Pierre, et bien moins encore l'idée de l'idée de Pierre ;et c'est comme si l'on disait qu'il n'est pas nécessaire, pour savoir, que l'on sacheque l'on sait, et bien moins encore que l'on sache que l'on sait que l'on sait, non plusqu'il n'est nécessaire pour comprendre l'essence du triangle, de comprendrel'essence du cercle 13. C'est justement le contraire qui a lieu dans ces idées ; eneffet, pour savoir que je sais, il est nécessaire d'abord que je sache.35. D'où il suit évidemment que la certitude n'est autre chose que l'essenceobjective de l'objet, je veux dire que la manière dont nous sentons l'essenceformelle de l'objet est la certitude elle-même ; d'où il suit encore évidemment qu'ilsuffit pour reconnaître la certitude de la vérité, d'avoir l'idée vraie de l'objet, et qu'iln'est besoin d'aucun autre signe ; car, ainsi que nous l'avons montré, il n'est pasnécessaire, pour savoir, que je sache que je sais. D'où il suit encore évidemmentque celui-là seul sait ce qu'est la suprême certitude qui possède l'idée adéquate oul'essence objective de quelque chose, la certitude et l'essence objective ne faisantqu'un.VII. La vraie méthode36. Mais puisque l'homme n'a besoin d'aucun signe pour reconnaître la vérité, etqu'il lui suffit de posséder les essences objectives des choses, ou, ce qui revient aumême, les idées, pour bannir le doute loin de lui, il s'ensuit que la vraie méthode neconsiste pas à rechercher le signe de la vérité, les idées une fois acquises, maisque la vraie méthode enseigne dans quel ordre nous devons chercher 14 la véritéelle-même, ou les essences objectives des choses, ou les idées, toutesexpressions synonymes.37. La méthode doit nécessairement traiter de la faculté de raisonner et de lafaculté de concevoir : je veux dire que la méthode n'est pas le raisonnement lui-même par lequel nous concevons les causes des choses, et qu'elle est encore bienmoins la conception même de ces causes. Toute la méthode se réduit àcomprendre ce qu'est l'idée vraie, à la distinguer de toutes les perceptions qui nesont pas elle, à interroger sa nature, et à connaître par là la puissance de notreintelligence, et à gouverner tellement notre esprit qu'il comprenne tout ce qu'il lui estdonné de comprendre selon la loi que nous lui faisons, en lui dictant, pour l'aider,certaines règles bien déterminées et en lui évitant d'inutiles efforts.37. D'où il suit, en résumant ce qui précède, que la méthode n'est autre chose quela connaissance réflexive, c'est-à-dire l'idée de l'idée ; et comme on ne possèdel'idée de l'idée qu'à la condition de posséder d'abord l'idée, on ne possédera aussila méthode qu'à la condition de posséder d'abord l'idée. La bonne méthode, parconséquent, sera celle qui enseigne comment il faut diriger l'esprit sous la loi del'idée vraie.(28) 38. Or, comme le rapport qui existe entre deux idées est le même que lerapport qui existe entre les essences formelles de ces idées, il s'ensuit que laconnaissance réflexive qui a pour objet l'être absolument parfait sera supérieure àla connaissance réflexive qui a pour objet les autres idées ; c'est-à-dire que laméthode parfaite est celle qui enseigne à diriger l'esprit sous la loi de l'idée del'Être absolument parfait.39. Par là, on comprend facilement comment l'esprit, à mesure qu'il acquiert denouvelles idées, acquiert de nouveaux instruments à l'aide desquels il s'élève avecplus de facilité à des conceptions nouvelles. En effet, comme cela ressort de nosparoles, il faut qu'avant toutes choses il existe en nous une idée vraie, semblable àun instrument naturel, et qu'en même temps qu'elle est comprise par l'esprit, ellenous fasse comprendre la différence qui existe entre elle et toutes les autresperceptions. C'est en cela que consiste une partie de la méthode ; et comme il estclair que l'esprit se comprend d'autant mieux qu'il a l'intelligence d'un plus grandnombre d'objets de la nature, il en résulte que cette partie de la méthode serad'autant plus parfaite que l'esprit aura l'intelligence d'un plus grand nombre d'objets,et qu'elle sera absolument parfaite quand l'esprit connaîtra l'Être absolument parfait,soit en tendant vers lui, soit en se repliant sur soi-même. 40. Ensuite, plus l'espritconnaît d'objets, mieux il comprend et ses propres forces et l'ordre de la nature ;mais mieux il connaît ses propres forces, plus facilement il peut se diriger lui-mêmeet se tracer des règles ; et mieux il connaît l'ordre de la nature, plus facilement ilpeut, en se gouvernant, s'épargner de vains efforts. Or, c'est en cela que consiste laméthode tout entière, comme nous l'avons dit.
41. Ajoutez que l'idée est objectivement ce qu'est son objet réellement. Si doncvous admettez dans la nature une chose qui n'ait aucun rapport avec les autreschoses, et si vous posez en même temps son essence objective, comme l'essenceobjective doit représenter exactement l'essence formelle, elle n'aura aucun rapport15 avec les autres idées de notre esprit, c'est-à-dire que nous n'en pourrons tireraucune conclusion ; au contraire, les choses qui soutiennent des rapports avec lesautres choses, comme sont tous les objets qui existent dans la nature, serontcomprises par l'esprit, et en même temps leurs essences objectives soutiendrontentre elles les mêmes rapports que leurs objets entre eux, c'est-à-dire que nousdéduirons de ces idées d'autres idées qui à leur tour soutiendront certainsrapports ; et c'est ainsi que, nos instruments se multipliant, nous pourrons marcheren avant ; ce que nous voulions démontrer.42. De cette dernière proposition que nous venons d'énoncer, savoir, que l'idée doitreprésenter exactement l'essence formelle de l'objet, il résulte encore évidemmentque notre esprit, pour reproduire une image fidèle de la nature, doit déduire toutesses idées de celle qui reproduit l'origine et la source de la nature tout entière, afinqu'elle devienne elle-même la source de toutes les autres idées.(29) 43. On s'étonnera peut-être qu'après avoir dit que la bonne méthode est cellequi enseigne à diriger l'esprit sous la loi de l'idée vraie, nous l'ayons prouvé par leraisonnement, ce qui semble montrer que ce n'est pas une chose évidente d'elle-même. On pourra donc nous demander si nous raisonnons bien. Si nousraisonnons bien, nous devrons prendre pour point de départ une idée vraie, etcomme, pour être sûr qu'on a pris pour point de départ une idée vraie, il faut unedémonstration, nous devrions appuyer notre premier raisonnement sur un second,celui-ci sur un troisième, et ainsi à l'infini.44. A cela je réponds que si quelqu'un, par je ne sais quel heureux destin, eûtprocédé méthodiquement dans l'étude de la nature, c'est-à-dire que sous la loi del'idée vraie il eût acquis de nouvelles idées dans l'ordre convenable, il ne lui fûtjamais arrivé de douter de la vérité 16 de ses connaissances, parce que la vérité,comme nous l'avons montré, se manifeste par elle-même, et la science de touteschoses serait venue en quelque sorte au-devant de ses désirs. Mais parce que celan'arrive jamais ou n'arrive que rarement, j'ai été forcé d'établir ces principes, afinque nous pussions acquérir avec réflexion et avec effort ce que nous ne pouvonsdevoir aux faveurs du destin, et en même temps afin de montrer que pour établir lavérité et bien raisonner il n'est besoin d'aucun instrument, mais que la vérité seule etle raisonnement seul suffisent ; car c'est en raisonnant bien que j'ai confirmé un bonraisonnement et que j'essaye encore de le confirmer. 45. Ajoutez à cela que decette manière les hommes prennent l'habitude de la méditation intérieure. Quantaux raisons qui nous empêchent de procéder avec ordre dans les recherches sur lanature, ce sont d'abord les préjugés, dont nous examinerons les causes plus tarddans notre Philosophie ; c'est aussi, comme nous le montrerons, la nécessitéd'établir de nombreuses et d'exactes distinctions, ce qui est un pénible travail ; c'estenfin la condition des choses humaines, qui sont, comme on l'a montré, dans unchangement perpétuel ; et il y a encore beaucoup d'autres raisons dont nous nenous occupons pas.(30) 46. Si quelqu'un demande pourquoi je n'ai pas commencé tout d'abord parexposer dans l'ordre convenable les vérités de la nature (la vérité se manifestantpar elle-même), je lui réponds en le priant, s'il rencontre par hasard dans ce Traitéquelques propositions paradoxales, de ne pas les rejeter d'abord comme erronées,mais de considérer auparavant l'ordre et l'enchaînement sur lequel elles s'appuient,et alors il ne lui restera plus aucun doute que nous n'ayons atteint la vérité. Voilàpourquoi j'ai commencé par ces préliminaires.(31) 47. Ou bien encore quelque sceptique restera peut-être dans le doute tant surla première vérité que nous avons que sur toutes celles que nous déduirons ensuitede la première, prise pour règle et pour loi. Mais s'il ne parle pas contre saconscience, il faut qu'il soit de ces hommes qui naissent avec un espritprofondément aveuglé, ou qui se laissent égarer par les préjugés, c'est-à-dire parquelque influence étrangère. Ces gens-là ne se sentent pas eux-mêmes ; affirment-ils, restent-ils dans le doute, ils ne savent ni s'ils affirment ni s'ils doutent ; ils disentqu'ils ne savent rien, et cela même, qu'ils ne savent rien, ils disent qu'ils l'ignorent ;et ils ne disent même pas cela d'une manière absolue ; ils craignent d'avouer qu'ilsexistent, au moins pendant qu'ils ne savent rien ; tellement qu'ils devraient enfinrester muets, de peur de supposer l'existence de quelque chose qui sente quelquepeu la vérité.48. Avec de telles gens, il ne faut point parler de sciences (car, pour ce qui est de la
vie et des relations de la société, la nécessité les a contraints de supposer qu'ilsexistent, de rechercher leur intérêt, d'affirmer, de nier avec serment). En effet,quelque chose leur est-elle prouvée, ils ne savent si le raisonnement estdémonstratif ou s'il est faux. Nient-ils, accordent-ils, font-ils des objections, ils nesavent point qu'ils nient, qu'ils accordent, qu'ils font des objections. A ce point qu'ilfaut les considérer comme des automates absolument privés d'intelligence.(32) 49. Reprenons en peu de mots l'objet de ce Traité. Jusqu'ici nous avonspremièrement déterminé la fin vers laquelle nous avons à cœur de diriger nospensées. Nous avons en second lieu reconnu quelle est parmi nos perceptions lameilleure, celle par laquelle nous pourrons atteindre à la perfection de notre nature.Nous avons vu, en troisième lieu, dans quelle voie notre esprit doit d'abord entrerpour bien commencer ; nous avons dit qu'il devait procéder à la recherche de lavérité, en prenant pour règle la première idée vraie qui lui serait donnée, et enpoursuivant sa recherche selon des lois déterminées. Or, pour cela, il faut que laméthode satisfasse aux conditions suivantes : premièrement, qu'elle distinguel'idée vraie de toutes les autres perceptions, et qu'elle écarte l'esprit de toutes cesperceptions ; secondement, qu'elle trace des règles qui enseignent à percevoir leschoses inconnues à l'image des idées vraies ; troisièmement, qu'elle ordonne leschoses de telle façon que l'esprit ne s'épuise pas en efforts inutiles. Cette méthodebien connue, nous avons vu, en quatrième lieu, qu'elle serait parfaite du momentque nous serions en possession de l'idée de l'Être absolument parfait. C'est doncune remarque qui doit être faite dès le commencement qu'il nous faut arriver par lechemin le plus court possible à la connaissance d'un tel être.VIII. Première partie de la méthode. L'idée fictive.(33) 50. Commençons par la première partie de la méthode, qui consiste, commenous l'avons dit, à distinguer, à séparer l'idée vraie de toutes les autresperceptions, et à en tenir l'esprit écarté, de peur qu'il ne confonde les idéesfausses, les idées fictives, les idées douteuses avec les idées vraies. J'ai desseinde m'étendre longuement sur ce point ; c'est que je veux retenir longtemps l'espritdes lecteurs dans la considération d'une chose aussi nécessaire ; c'est encore qu'ilest beaucoup d'hommes qui doutent même des idées vraies, parce qu'ils n'ontjamais fait attention à la différence qui distingue la perception vraie de toutes lesautres perceptions. Ils ressemblent à des hommes qui, pendant qu'ils veillaient, nedoutaient point qu'ils ne veillassent, mais qui, s'étant imaginé une fois en songe,comme cela arrive, qu'ils veillaient, et ayant reconnu ensuite leur erreur, se prennentà douter même des objets de la veille, ce qui n'aurait pas lieu s'ils savaientdistinguer le sommeil de la veille.51. J'avertis en passant que je n'expliquerai pas ici l'essence de chaque perceptionni sa cause immédiate ; cela concerne la philosophie ; je me bornerai à ce qu'exigela méthode, c'est-à-dire aux caractères des perceptions fictives, fausses etdouteuses, et aux moyens de nous en délivrer. Prenons pour premier objet de nosrecherches l'idée fictive.(34) 52. Toute perception a pour objet, soit une chose considérée en tant qu'elleexiste, soit seulement l'essence d'une chose ; mais comme la fiction ne s'appliqueguère qu'aux choses considérées en tant qu'elles existent, c'est de ce genre deperception que je parlerai d'abord : je veux dire celle où l'on feint l'existence d'unobjet, et où l'objet ainsi imaginé est compris ou supposé compris parl'entendement. Par exemple, je feins que Pierre, que je connais, s'en va chez lui,vient me voir 17, et autres choses pareilles. A quoi se rapporte une telle idée? ellese rapporte aux choses possibles, et non aux choses nécessaires ou aux chosesimpossibles.53. Or, j'appelle impossible une chose dont la nature est telle qu'il impliquecontradiction qu'elle existe ; nécessaire, celle dont la nature est telle qu'il impliquecontradiction qu'elle n'existe pas ; possible, celle dont l'existence est telle que, parsa nature, il n'implique contradiction ni qu'elle existe ni qu'elle n'existe pas. Dans cedernier cas, la nécessité ou l'impossibilité de l'existence de la chose dépend decauses qui nous sont inconnues tout le temps que nous feignons qu'elle existe ;mais si la nécessité ou l'impossibilité de son existence, laquelle dépend de causesétrangères, nous était connue, il ne serait en notre pouvoir de rien feindre en ce quila concerne. 54. D'où il suit que si l'on nous accordait, par hypothèse, qu'il existequelque dieu ou quelque être omniscient, il ne serait pas en son pouvoir de rienfeindre. Car, en ce qui me touche, dès que je sais que j'existe 18, je ne puis plusfeindre que j'existe ou que je n'existe pas ; de même je ne puis feindre un éléphantqui passerait par le trou d'une aiguille ; je ne puis non plus, dès que je connais lanature de Dieu 19, feindre qu'il existe ou qu'il n'existe pas ; il en faut dire autant de
la Chimère, dont la nature est telle qu'il implique contradiction qu'elle existe. De toutcela ressort avec évidence cette proposition déjà énoncée, que la fiction ne sauraitatteindre jusqu'aux vérités éternelles 20.55. Mais avant d'aller plus loin, il faut remarquer en passant que la différence quiexiste entre l'essence d'une chose et l'essence d'une autre chose est la même quecelle qui se rencontre entre l'actualité ou l'existence de l'une et l'actualité oul'existence de l'autre ; tellement que si nous voulions concevoir l'existence d'Adam,par exemple, simplement par le moyen de l'existence en général, ce seraitabsolument la même chose que si, pour concevoir son essence, nous remontions àla nature de l'être, et que nous définissions Adam : ce qui est. Ainsi, plus l'existenceest conçue généralement, plus elle est conçue confusément, et plus facilement ellepeut être attribuée à un objet quelconque. Au contraire, dès que nous concevonsl'existence plus particulièrement, nous la comprenons plus clairement, et il est aussiplus difficile de l'attribuer fictivement à quelque chose si ce n'est à l'une de cellesque nous ne rapportons pas à l'ordre et l'enchaînement de la nature. Cela méritaitd'être remarqué.(35) 56. C'est ici le lieu de considérer les choses que nous appelons d'ordinairedes fictions, bien que nous comprenions clairement qu'elles n'existent pas de lafaçon dont nous les imaginons. Par exemple, je sais que la terre est ronde ; maisrien ne m'empêche de dire à quelqu'un que la terre est la moitié d'un globe, etqu'elle ressemble à la moitié d'une pomme sur une assiette ; ou bien que le soleiltourne autour de la terre, et autres choses semblables. Réfléchissons-y, et nous neverrons rien dans tout cela qui ne soit parfaitement d'accord avec ce que nousavons déjà dit. Il suffit que nous remarquions, d'abord, que nous avons pu noustromper et avoir maintenant conscience de nos erreurs ; et ensuite, qu'il nous estpermis de feindre que les autres sont dans la même erreur que nous, ou peuvent,comme nous, y tomber ; nous pouvons, dis-je, feindre cela tant que nous n'y voyonspas d'impossibilité. Lors donc que je dis à quelqu'un que la terre n'est pas ronde,etc., je ne fais autre chose que rappeler en ma mémoire une erreur qui a peut-êtreété la mienne, ou dans laquelle j'ai pu tomber, et feindre ensuite ou penser que celuià qui je parle est encore ou peut tomber dans la même erreur. Je puis feindre cela,comme je l'ai dit, tant que je n'aperçois ni impossibilité ni nécessité ; si je voyaisclairement l'une ou l'autre, je ne pourrais rien feindre, et il faudrait dire simplementque je me suis efforcé de feindre quelque chose.(36) 57. Il nous reste à parler de certaines suppositions que l'on fait dans lesproblèmes, et qui parfois sont impossibles. Par exemple, quand on dit : Supposonsque cette chandelle qui brûle ne brûle pas, ou bien supposons qu'elle brûle dans unespace imaginaire ou dans un lieu où ne se trouve aucun corps. Nous faisonstoutes sortes de suppositions de ce genre, bien qu'en définitive nous encomprenions clairement l'impossibilité. Mais dans ce cas il n'y a pas fiction ; car,dans le premier exemple, je ne fais autre chose que rappeler à ma mémoire 21 uneautre chandelle qui ne brûle pas (ou bien je conçois cette même chandelle sansflamme), et ce que je pense de cette autre chandelle, je le comprends de même dela première tant que je ne fais pas attention à la flamme. Dans le second exemple,je ne fais encore autre chose que retirer ma pensée de tous les corps environnants,et appliquer mon esprit tout entier à la considération de cette chandelle, priseuniquement en elle-même ; et j'en conclus que cette chandelle n'a plus à redouteraucune cause de destruction, de telle sorte que, si elle n'était environnée de corpsétrangers, et la chandelle et la flamme demeureraient immuablement les mêmes, etautres choses semblables. Il n'y a donc point là de fictions, mais de véritables etpures assertions 22.(37) 58. Arrivons aux fictions qui concernent les essences, soit seules, soit mêléesde quelque actualité ou existence. Et ce qu'il importe surtout de considérer, c'estque moins l'esprit comprend, tout en percevant beaucoup, plus grande est la facultéqu'il a de feindre, et plus il comprend, plus cette faculté diminue. Comme nousavons vu plus haut, par exemple, que nous ne pouvions, tant que nous pensons,feindre que nous pensons à la fois et ne pensons pas ; de même, lorsque la naturedu corps nous est connue, nous ne pouvons feindre une mouche infinie ; ou bien 23,lorsque la nature de l'âme nous est connue, nous ne pouvons la feindre carrée, bienque nous puissions énoncer toutes ces choses. Mais, comme il a été dit, moins leshommes connaissent la nature, et plus il est en leur pouvoir de feindre mille choses :des arbres qui parlent, des hommes qui se métamorphosent soudain en pierres, enfontaines, des spectres qui apparaissent dans des miroirs, rien qui devient quelquechose, et jusqu'aux dieux prenant la figure des bêtes ou des hommes, et une infinitéde choses du même genre.(38) 59. Mais il est des gens qui croient que la fiction est limitée par la fiction, et nonpar l'intelligence ; c'est-à-dire qu'après avoir feint une chose, et avoir affirmé, par un
acte libre de la volonté, l'existence de cette chose, déterminée d'une certainemanière dans la nature, il ne nous est plus possible de la concevoir autrement. Parexemple, après avoir feint (pour parler leur langage) que la nature du corps est telleou telle, il ne m'est plus permis de feindre une mouche infinie ; après avoir feintl'essence de l'âme, il ne m'est plus permis d'en faire un carré, etc. 60. Cela abesoin d'être examiné. D'abord, ou bien ils nient, ou bien ils accordent que nouspouvons comprendre quelque chose. L'accordent-ils ; ce qu'ils disent de la fiction,ils devront nécessairement le dire aussi de l'intelligence. Le nient-ils ; voyons donc,nous qui savons que nous savons quelque chose, ce qu'ils disent. Or, voici ce qu'ilsdisent : l'âme est capable de sentir et de percevoir de plusieurs manières, non paselle-même, non pas les choses qui existent, mais seulement les choses qui ne sontni en elle-même ni ailleurs : en un mot, l'âme, par sa seule vertu, peut créer dessensations, des idées, sans rapport avec les choses, à ce point qu'ils laconsidèrent presque comme un dieu. Ils disent donc que notre âme possède unetelle liberté qu'elle a le pouvoir et de nous contraindre et de se contraindre elle-même et de contraindre jusqu'à sa liberté elle-même. En effet, lorsque l'âme a feintquelque chose et qu'elle a donné son assentiment à cette fiction, il ne lui est pluspossible de se représenter ou de feindre la même chose d'une manière différente ;et en outre, elle se trouve condamnée à se représenter toutes choses de façonqu'elles soient en accord avec la fiction primitive. C'est ainsi que nos adversairesse trouvent obligés par leur propre fiction d'accepter toutes les absurdités qu'onvient d'énumérer, et que nous ne prendrons pas la peine de combattre par desdémonstrations 24.61. Nous abandonnerons l'erreur à son délire, mais nous aurons soin de recueillirde cette argumentation quelque vérité qui importe à notre objet : c'est à savoir, quesi l'esprit applique son attention à une chose feinte et fausse de sa nature, pour laconsidérer, la comprendre, et en déduire régulièrement les vérités qu'on en peutinférer, il lui sera facile de mettre à découvert sa fausseté ; au contraire, que l'idéefeinte soit vraie de sa nature, et que l'esprit s'y applique pour la comprendre et endéduire régulièrement les vérités qui en découlent, il procédera heureusement dedéduction en déduction, sans que la chaîne se rompe, à peu près comme nousavons vu tout à l'heure qu'il mettait aussitôt en pleine lumière l'absurdité de la fictionfausse et de ses conséquences.(39) 62. Nous n'avons donc pas à craindre de feindre une chose, du moment quenous en avons une perception claire et distincte ; car, qu'il nous arrive de dire quedes hommes se métamorphosent subitement en bêtes, c'est là une propositiontrès-générale, et si générale que nous n'avons dans l'esprit aucune conception,aucune idée, aucun rapport précis d'un sujet à un prédicat ; autrement, nousapercevrions en même temps et le moyen et la cause de ce phénomène. De plus,nous ne faisons guère attention à la nature du sujet et du prédicat.63. Or, il suffit que l'idée qui sert de point de départ ne soit pas une idée fictive, etque toutes les autres idées en soient déduites pour réprimer aussitôt notrepenchant à feindre. Ensuite, toute idée fictive n'étant ni claire ni distincte, maisseulement confuse, et toute confusion venant de ce que l'esprit ne connaît qu'enpartie une chose qui est un tout indivisible ou qui est composée de plusieursparties, et de ce qu'il ne distingue pas le connu de l'inconnu, et en outre, de ce qu'ilporte son attention, tout ensemble et sans rien distinguer, sur toutes les choses quisont contenues dans un autre, il s'ensuit, en premier lieu, que si nous avons l'idéed'une chose parfaitement simple, cette idée ne pourra pas ne pas être claire etdistincte. Car cette chose ne saurait être connue en partie ; elle sera connue toutentière ou point du tout.64. Il s'ensuit, en second lieu, que si nous divisons en ses parties simples unechose composée, et que nous attachions séparément notre attention sur chacunede ces parties, toute confusion se dissipera aussitôt. Il s'ensuit, en troisième lieu,que nulle fiction ne peut être simple, mais qu'elle est toujours composée d'idéesdiverses, confuses, empruntées à des sujets divers et à des actions diverses quiexistent dans la nature ; ou mieux, elle est le résultat de l'attention 25 embrassantensemble, sans aucun assentiment de l'esprit, toutes ces diverses idées. Car unefiction qui serait simple serait claire et distincte, par conséquent vraie ; et une fictionqui ne serait que l'assemblage d'idées distinctes serait claire et distincte, parconséquent vraie. Par exemple, dès que nous connaissons la nature du cercle et ducarré, il ne nous est plus possible de mêler ensemble ces deux figures, etd'imaginer un cercle carré, non plus qu'une âme carrée, et autres chosessemblables.65. Concluons rapidement, et montrons en résumant que nous n'avons nullement àcraindre de confondre ce qui n'est qu'une fiction avec les idées vraies. Pour lepremier genre de fiction dont nous avons parlé, celle où la chose est clairement
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