L’Éthique
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L’ÉthiqueBaruch SpinozaTraduite par Saisset (1842)L’ÉthiqueDémontrée suivant l’ordre géométriqueEn cinq partiesOù il est traité :I. De Dieu.II. De la Nature et de l’origine de l’Âme.III. De l’Origine et de la Nature des Passions.IV. De l’esclavage de l’homme ou de la force des Passions.Écouter Ethique, IV, 35. V. De la puissance de l’entendement, ou de la liberté de l’homme.Voir aussiL’Éthique (bilingue)L’Éthique : Partie IDéfinitionsI. J'entends par cause de soi ce dont l'essence enveloppe l'existence, ou ce dont la nature ne peut être conçue que comme existante.II. Une chose est dite finie en son genre quand elle peut être bornée par une autre chose de même nature. Par exemple, un corps estdit chose finie, parce que nous concevons toujours un corps plus grand ; de même, une pensée est bornée par une autre pensée ;mais le corps n'est pas borné par la pensée, ni la pensée par le corps.III. J'entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi, c'est-à-dire ce dont le concept peut être formé sans avoir besoin duconcept d'une autre chose.IV. J'entends par attribut ce que la raison conçoit dans la substance comme constituant son essence.V. J'entends par mode les affections de la substance, ou ce qui est dans autre chose et est conçu par cette même chose.VI. J'entends par Dieu un être absolument infini, c'est-à-dire une substance constituée par une infinité d'attributs dont chacun exprimeune essence éternelle et infinie.Explication : Je ...

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L’ÉthiqueBaruch SpinozaTraduite par Saisset (1842)L’ÉthiqueDémontrée suivant l’ordre géométriqueEn cinq partiesOù il est traité :I. De Dieu.II. De la Nature et de l’origine de l’Âme.III. De l’Origine et de la Nature des Passions.IV. De l’esclavage de l’homme ou de la force des Passions.Écouter Ethique, IV, 35. V. De la puissance de l’entendement, ou de la liberté de l’homme.Voir aussiL’Éthique (bilingue)L’Éthique : Partie IDéfinitionsI. J'entends par cause de soi ce dont l'essence enveloppe l'existence, ou ce dont la nature ne peut être conçue que comme existante.II. Une chose est dite finie en son genre quand elle peut être bornée par une autre chose de même nature. Par exemple, un corps estdit chose finie, parce que nous concevons toujours un corps plus grand ; de même, une pensée est bornée par une autre pensée ;mais le corps n'est pas borné par la pensée, ni la pensée par le corps.III. J'entends par substance ce qui est en soi et est conçu par soi, c'est-à-dire ce dont le concept peut être formé sans avoir besoin duconcept d'une autre chose.IV. J'entends par attribut ce que la raison conçoit dans la substance comme constituant son essence.V. J'entends par mode les affections de la substance, ou ce qui est dans autre chose et est conçu par cette même chose.VI. J'entends par Dieu un être absolument infini, c'est-à-dire une substance constituée par une infinité d'attributs dont chacun exprimeune essence éternelle et infinie.Explication : Je dis absolument infini, et non pas infini en son genre ; car toute chose qui est infinie seulement en son genre, onen peut nier une infinité d'attributs ; mais, quant à l'être absolument infini, tout ce qui exprime une essence et n'enveloppe aucunenégation, appartient a son essence.VII. Une chose est libre quand elle existe par la seule nécessité de sa nature et n'est déterminée à agir que par soi-même ; une choseest nécessaire ou plutôt contrainte quand elle est déterminée par une autre chose à exister et à agir suivant une certaine loidéterminée.VIII. Par éternité, j'entends l'existence elle-même, en tant qu'elle est conçue comme résultant nécessairement de la seule définition dela chose éternelle.Explication : Une telle existence en effet, à titre de vérité éternelle, est conçue comme l'essence même de la chose que l'onconsidère, et par conséquent elle ne peut être expliquée par rapport à la durée ou au temps, bien que la durée se conçoivecomme n'ayant ni commencement ni fin.
AxiomesI. Tout ce qui est, est en soi ou en autre chose.II. Une chose qui ne peut se concevoir par une autre doit être conçue par soi.III. Étant donnée une cause déterminée, l'effet suit nécessairement ; et au contraire, si aucune cause déterminée n'est donnée, il estimpossible que l'effet suive.IV. La connaissance de l'effet dépend de la connaissance de la cause, et elle l'enveloppe.V. Les choses qui n'ont entre elles rien de commun ne peuvent se concevoir l'une par l'autre, ou en d'autres termes, le concept del'une n'enveloppe pas le concept de l'autre.VI. Une chose vraie doit s'accorder avec son objet.VII. Quand une chose peut être conçue comme n'existant pas, son essence n'enveloppe pas l'existence.PropositionsProposition 1La substance est antérieure en nature à ses affections.Démonstration : Cela est évident par les Déf. 3 et 5.Proposition 2Entre deux substances qui ont des attributs divers, il n'y a rien de commun.Démonstration : Cela résulte aussi de la Déf. 3. Chacune de ces substances, en effet, doit être en soi et être conçue par soi ; end'autres termes, le concept de l'une d'elles n'enveloppe pas celui de l'autre.Proposition 3Si deux choses n'ont rien de commun, l'une d'elles ne peut être cause de l'autre.Démonstration : Et en effet, n'ayant rien de commun, elles ne peuvent être conçues l'une par l'autre (en vertu de l'Axiome 5), et parconséquent, l'une ne peut être cause de l'autre (en vertu de l'Axiome 4). C. Q. F. D.Proposition 4Deux ou plusieurs choses distinctes ne peuvent se distinguer que par la diversité des attributs de leurs substances, ou par ladiversité des affections de ces mêmes substances.Démonstration : Tout ce qui est, est en soi ou en autre chose (par l'Axiome 1) ; en d'autres termes (par les Déf. 3 et 5), rien n'estdonné hors de l'entendement que les substances et leurs affections. Rien par conséquent n'est donné hors de l'entendement par quoise puissent distinguer plusieurs choses, si ce n'est les substances, ou, ce qui revient au même (par la Déf. 4), les attributs dessubstances et leurs affections. C. Q. F. D.Proposition 5Il ne peut y avoir dans la nature des choses deux ou plusieurs substances de même nature, ou, en d'autres termes, de mêmeattribut.Démonstration : S'il existait plusieurs substances distinctes, elles se distingueraient entre elles ou par la diversité de leurs attributs,ou par celle de leurs affections (en vertu de la Propos. précéd.). Si par la diversité de leurs attributs, un même attribut n'appartiendraitdonc qu'à une seule substance ; si par la diversité de leurs affections, la substance étant antérieure en nature à ses affections (par laPropos. 1), il suivrait de là qu'en faisant abstraction des affections, et en considérant en elle-même une des substances données,c'est-à-dire en la considérant selon sa véritable nature par les Déf. 3 et 4), on ne pourrait la concevoir comme distincte des autressubstances, ce qui revient à dire (par la Propos. précéd.) qu'il n'y a point là plusieurs substances, mais une seule. C. Q. F. D.Proposition 6
Une substance ne peut être produite par une autre substance.Démonstration : Il ne peut se trouver dans la nature des choses deux substances de même attribut (par la Propos. précéd.), c'est-à-dire qui aient entre elles quelque chose de commun (par la Propos. 2). En conséquence (par la Propos. 3), l'une ne peut être causede l'autre, ou l'une ne peut être produite par l'autre. C. Q. F. D.Corollaire : Il suit de là que la production d'une substance est chose absolument impossible ; car il n'y a rien dans la nature deschoses que les substances et leurs affections (comme cela résulte de l'Axiome 1 et des Déf. 3 et 5). Or, une substance ne peut êtreproduite par une autre substance (par la Propos. précéd.). Donc, elle ne peut absolument pas être produite. C. Q. F. D.Autre Preuve : Cela se démontre plus aisément encore par l'absurde ; car, si une substance pouvait être produite, la connaissancede cette substance devrait dépendre de la connaissance de sa cause (par l'Axiome 4) et ainsi (par la Déf. 3) elle ne serait plus unesubstance.Proposition 7L'existence appartient à la nature de la substance.Démonstration : La production de la substance est chose impossible (en vertu du Coroll. de la Propos. précéd.). La substance estdonc cause de soi, et ainsi (par la Déf. 1) son essence enveloppe l'existence, ou bien l'existence appartient à sa nature. C. Q. F. D.Proposition 8Toute substance est nécessairement infinie.Démonstration : Une substance qui possède un certain attribut est unique en son espèce (par la Propos. 5), et il est de sa natured'exister (par la Propos. 7). Elle existera donc, finie ou infinie. Finie, cela est impossible ; car elle devrait alors (par la Déf. 2) êtrebornée par une autre substance de même nature, laquelle devrait aussi exister nécessairement (par la Propos. 7), et on aurait ainsideux substances de même attribut, ce qui est absurde (par la Propos. 5). Donc, elle sera infinie. C. Q. F. D. Scholie I : Le fini étantau fond la négation partielle de l'existence d'une nature donnée, et l'infini l'absolue affirmation de cette existence, il suit parconséquent de la seule Propos. 7 que toute substance doit être infinie. Scholie II : Je ne doute pas que pour ceux qui jugent avecconfusion de toutes choses et ne sont pas accoutumés à les connaître par leurs premiers principes, il n'y ait de la difficulté àcomprendre la démonstration de la Propos. 7, par cette raison surtout qu'ils ne distinguent pas entre les modifications dessubstances et les substances elles-mêmes, et ne savent pas comment s'opère la production des êtres. Et c'est pourquoi, voyant queles choses de la nature commencent d'exister ils s'imaginent qu'il en est de même pour les substances. Quand on ignore en effet lesvéritables causes des Êtres, on confond tout ; on fait parler indifféremment des arbres et des hommes, sans la moindre difficulté ; quece soient des pierres ou de la semence qui servent à engendrer des hommes, peu importe, et l'on s'imagine qu'une forme quellequ'elle soit se peut changer en une autre forme quelconque. C'est encore ainsi que, confondant ensemble la nature divine et la naturehumaine, on attribue à Dieu les passions de l'humanité, surtout quand on ne sait pas encore comment se forment dans l'âme lespassions.Si les hommes étaient attentifs à la nature de la substance, ils ne douteraient en aucune façon de la vérité de la Propos. 7 ; bien plus,elle serait pour tous un axiome, et on la compterait parmi les notions communes de la raison. Par substance, en effet, on entendraitce qui est en soi et est conçu par soi, c'est-à-dire ce dont l'idée n'a besoin de l'idée d'aucune autre chose ; par modification, aucontraire, ce qui est dans une autre chose, et dont le concept se forme par le concept de cette chose. Et de là vient que nous pouvonsnous former des idées vraies de certaines modifications qui n'existent pas ; car, bien qu'elles n'aient pas d'existence actuelle hors del'entendement, leur essence est contenue dans une autre nature de telle façon qu'on les peut concevoir par elle. Au lieu que lasubstance, étant conçue par soi, n'a, hors de l'entendement, de vérité qu'en soi.Si donc quelqu'un venait nous dire qu'il a une idée claire et distincte, et partant une idée vraie d'une certaine substance, et toutefoisqu'il doute de l'existence de cette substance, ce serait en vérité (un peu d'attention rendra ceci évident) comme s'il disait qu'il a uneidée vraie, et toutefois qu'il ne sait si elle est vraie. Ou bien, si l'on soutient qu'une substance est créée, on soutient par la mêmeraison qu'une idée fausse est devenue une idée vraie, ce qui est le comble de l'absurdité. Et par conséquent il faut nécessairementavouer que l'existence d'une substance est, comme son essence, une vérité éternelle.Nous pouvons tirer de là une preuve nouvelle de l'impossibilité de deux substances de même nature, et c'est un point qu'il est bond'établir ici ; mais, pour le faire avec ordre, il y a quatre remarques à faire :1° La vraie définition d'une chose quelconque n'enveloppe ni n'exprime rien de plus que la nature de la chose définie.2° Il suit de là qu'aucune définition n'enveloppe ni n'exprime un nombre déterminé d'individus, puisqu'elle n'exprime rien de plus que lanature de la chose définie. Par exemple, la définition du triangle n'exprime rien de plus que la simple nature du triangle ; elle n'exprimepas un certain nombre déterminé de triangles.3° L'existence d'un objet quelconque étant donnée, il y a toujours une certaine cause déterminée par laquelle cet objet existe.4° Ou bien cette cause, par laquelle un certain objet existe, doit être contenue dans la nature même et la définition de l'objet existant(parce qu'alors l'existence appartient à sa nature) ; ou bien elle doit être donnée hors de cet objet.Cela posé, il s'ensuit que, s'il existe dans la nature des choses un certain nombre d'individus, il faut que l'on puisse assigner unecause de l'existence de ces individus en tel nombre, ni plus ni moins. Par exemple, s'il existe Vingt hommes dans la nature deschoses (nous supposerons, pour plus de clarté, qu'ils existent simultanément et non les uns avant les autres), il ne suffira pas, pourrendre raison de l'existence de ces vingt hommes, de montrer en général la cause de la nature humaine ; mais il faudra montrer enoutre la cause en vertu de laquelle il existe vingt hommes, ni plus ni moins, puisqu'il n'y a rien (par la remarque 2) qui n'ait une causede son existence. Or, cette cause (par les remarques 2 et 3) ne peut être contenue dans la nature humaine elle-même, la vraie
définition de l'homme n'enveloppant nullement le nombre vingt. Et en conséquence (par la remarque 4), la cause qui fait exister cesvingt hommes, et partant chacun d'entre eux, doit pour chacun être extérieure. D'où il faut conclure absolument que tout ce dont lanature comporte un certain nombre d'individus suppose nécessairement une cause extérieure, pour que ces individus puissentexister. Or, puisque l'existence appartient à la nature de la substance (comme on l'a montré précédemment dans ce Scholie), ladéfinition de la substance doit envelopper l'existence nécessaire, et par conséquent son existence doit être inférée de sa seuledéfinition. Mais d'un autre côté (en vertu des remarques 2 et 3), il est impossible que, de cette même définition, résulte l'existence deplusieurs substances. Il s'ensuit donc nécessairement que deux substances de même nature ne peuvent exister ; ce qu'on seproposait d'établir.Proposition 9Suivant qu'une chose a plus de réalité ou d'être, un plus grand nombre d'attributs lui appartient.Démonstration : Cela est évident par la Déf. 4.Proposition 10Tout attribut d'une substance doit être conçu par soi.Démonstration : L'attribut, en effet, c'est ce que l'entendement perçoit dans la substance comme constituant son essence (suivant laDéf. 4). Il doit donc (par la Déf. 3) être conçu par soi. C. Q. F. D.Scholie : On voit par là que deux attributs, quoiqu'ils soient conçus comme réellement distincts, c'est-à-dire l'un sans le secours del'autre, ne constituent pas cependant deux êtres ou deux substances diverses. Il est en effet de la nature de la substance que chacunde ses attributs se conçoive par soi ; et tous cependant ont toujours été en elle, et l'un n'a pu être produit par l'autre ; mais chacunexprime la réalité ou l'être de la substance. Il s'en faut beaucoup, par conséquent, qu'il y ait de l'absurdité à rapporter plusieursattributs à une seule substance. N'est-ce pas, au contraire, la chose la plus claire du monde que tout être se doit concevoir sous unattribut déterminé, et que, plus il a de réalité ou d'être, plus il a d'attributs qui expriment la nécessité ou l'éternité et l'infinité de sanature ? Et, par conséquent, n'est-ce pas aussi une chose très-claire que l'on doit définir l'être absolument infini (comme on l'a faitdans la Déf. 6). Savoir : l'être à qui appartiennent une infinité d'attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie ? Que siquelqu'un demande quel sera donc le signe par lequel on pourra reconnaître la diversité des substances, il n'a qu'à lire lesPropositions suivantes, lesquelles établissent qu'il n'existe dans la nature des choses qu'une seule et unique substance, et que cettesubstance est absolument infinie ; et il verra de cette façon que la recherche d'un tel signe est parfaitement inutile.Proposition 11Dieu, c'est-à-dire une substance constituée par une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie, existenécessairement.Démonstration : Si vous niez Dieu, concevez, s'il est possible, que Dieu n'existe pas. Son essence n'envelopperait donc pasl'existence (par l'Axiome 7). Mais cela est absurde (par la Propos. 7). Donc Dieu existe nécessairement. C. Q. F. D.Autre Démonstration : Pour toute chose, on doit pouvoir assigner une cause ou raison qui explique pourquoi elle existe ou pourquoielle n'existe pas. Par exemple, si un triangle existe, il faut qu'il y ait une raison, une cause de son existence. S'il n'existe pas, il fautencore qu'il y ait une raison, une cause qui s'oppose à son existence, ou qui la détruise. Or, cette cause ou raison doit se trouver dansla nature de la chose, ou hors d'elle. Par exemple, la raison pour laquelle un cercle carré n'existe pas est contenue dans la naturemême d'une telle chose, puisqu'elle implique contradiction. Et de même, si la substance existe, c'est que cela résulte de sa seulenature, laquelle enveloppe l'existence (voyez la Propos. 7). Au contraire, la raison de l'existence ou de la non-existence d'un cercle oud'un triangle n'est pas dans la nature de ces objets, mais dans l'ordre de la nature corporelle tout entière ; car il doit résulter de cetordre, ou bien que déjà le triangle existe nécessairement, ou bien qu'il est impossible qu'il existe encore. Ces principes sont évidentsd'eux-mêmes. Or, voici ce qu'on en peut conclure : c'est qu'une chose existe nécessairement quand il n'y a aucune cause ou raisonqui l'empêche d'exister. Si donc il est impossible d'assigner une cause ou raison qui s'oppose à l'existence de Dieu ou qui ladétruise, il faut dire que Dieu existe nécessairement. Or, pour qu'une telle cause ou raison fût possible, il faudrait qu'elle se rencontrâtsoit dans la nature divine, soit hors d'elle, c'est-à-dire dans une autre substance de nature différente ; car l'imaginer dans unesubstance de même nature, ce serait accorder l'existence de Dieu. Maintenant, si vous supposez une substance d'une autre natureque Dieu, n'ayant rien de commun avec lui, elle ne pourra (par la Propos. 2) être cause de son existence ni la détruire. Puis doncqu'on ne peut trouver hors de la nature divine une cause ou raison qui l'empêche d'exister, cette cause ou raison doit donc êtrecherchée dans la nature divine elle-même, laquelle, dans cette hypothèse, devrait impliquer contradiction. Mais il est absurded'imaginer une contradiction dans l'être absolument infini et souverainement parfait. Concluons donc qu'en Dieu ni hors de Dieu il n'ya aucune cause ou raison qui détruise son existence, et partant que Dieu existe nécessairement.Autre Démonstration : Pouvoir ne pas exister, c'est évidemment une impuissance ; et c'est une puissance, au contraire, que depouvoir exister. Si donc l'ensemble des choses qui ont déjà nécessairement l'existence ne comprend que des êtres finis, il s'ensuitque des êtres finis sont plus puissants que l'être absolument infini, ce qui est de soi parfaitement absurde. Il faut donc, de deuxchoses l'une, ou qu'il n'existe rien, ou, s'il existe quelque chose, que l'être absolument infini existe aussi. Or nous existons, nous, oubien en nous-mêmes, ou bien en un autre être qui existe nécessairement (voir l'Axiome 4 et la Propos. 7). Donc l'être absolumentinfini, en d'autres termes (par la Déf. 6) Dieu existe nécessairement. C. Q. F. D.Scholie : Dans cette dernière démonstration, j'ai voulu établir l'existence de Dieu a posteriori, afin de rendre la chose plus facilementconcevable ; mais ce n'est pas à dire pour cela que l'existence de Dieu ne découle a priori du principe même qui a été posé. Car,puisque c'est une puissance que de pouvoir exister, il s'ensuit qu'à mesure qu'une réalité plus grande convient à la nature d'une
chose, elle a de soi d'autant plus de force pour exister ; et par conséquent, l'Etre absolument infini ou Dieu a de soi une puissanceinfinie d'exister, c'est-à-dire existe absolument. Et toutefois plusieurs peut-être ne reconnaîtront pas aisément l'évidence de cettedémonstration, parce qu'ils sont habitués à contempler exclusivement cet ordre de choses qui découlent de causes extérieures, et àvoir facilement périr ce qui naît vite, c'est-à-dire ce qui existe facilement, tandis qu'au contraire ils pensent que les choses dont lanature est plus complexe doivent être plus difficiles à faire, c'est-à-dire moins disposées à l'existence. Mais pour détruire cespréjugés, je ne crois pas avoir besoin de montrer ici en quel sens est vraie la maxime : Ce qui naît aisément périt de même, nid'examiner s'il n'est pas vrai qu'à considérer la nature entière, toutes choses existent avec une égale facilité. Il me suffit de faireremarquer que je ne parle pas ici des choses qui naissent de causes extérieures, mais des seules substances, lesquelles (par laPropos. 6) ne peuvent être produites par aucune cause de ce genre. Les choses, en effet, qui naissent des causes extérieures, soitqu'elles se composent d'un grand nombre ou d'un petit nombre de parties, doivent tout ce qu'elles ont de perfection ou de réalité à lavertu de la cause qui les produit, et par conséquent leur existence dérive de la perfection de cette cause, et non de la leur. Aucontraire, tout ce qu'une substance à de perfection, elle ne le doit à aucune cause étrangère, et c'est pourquoi son existence doitaussi découler de sa seule nature et n'être autre chose que son essence elle-même. Ainsi donc la perfection n'ôte pas l'existence,elle la fonde ; c'est l'imperfection qui la détruit, et il n'y a pas d'existence dont nous puissions être plus certains que de celle d'un êtreabsolument infini ou parfait, savoir, Dieu ; car son essence excluant toute imperfection et enveloppant la perfection absolue, touteespèce de doute sur son existence disparaît, et il suffit de quelque attention pour reconnaître que la certitude qu'on en possède est laplus haute certitude.Proposition 12Or ne peut concevoir selon sa véritable nature aucun attribut de la substance duquel il résulte que la substance soit divisible.Démonstration : Si vous supposez, en effet, la substance divisible, les parties que vous obtiendrez en la divisant retiendront ou nonla nature de la substance. Dans le premier cas, chacune d'elles devra être infinie (par la Propos. 8), cause de soi (par la Propos. 6),et constituée par un attribut propre ; et par suite, d'une seule substance il pourra s'en former plusieurs, ce qui est absurde (par laPropos. 6). Ajoutez que ces parties (en vertu de la Propos. 2) n'auront rien de commun avec le tout qu'elles composent, et que le tout(par la Déf. 4 et la Propos. 10) pourra exister et être conçu indépendamment de ses parties, conséquence dont personne ne peutcontester l'absurdité. Dans le second cas, c'est-à-dire si les parties ne retiennent pas la nature de la substance, il en résultera que lasubstance, quand on la divisera tout entière en parties égales, perdra sa nature et cessera d'être, ce qui est absurde (par la Propos.7).Proposition 13La substance absolument infinie est indivisible.Démonstration : Si elle était divisible, en effet, les parties qu'on obtiendrait en la divisant retiendraient ou non la nature de lasubstance absolument infinie. Dans le premier cas, on aurait plusieurs substances de même nature, ce qui est absurde (par laPropos. 5). Dans le second cas, la substance absolument infinie pourrait, comme on l'a vu plus haut, cesser d'être, ce qui estégalement absurde (par la Propos. 11).Corollaire : Il suit de ces principes qu'aucune substance, et conséquemment aucune substance corporelle, n'est divisible en tant quesubstance.Scholie : Que la substance soit indivisible, c'est ce que l'on comprendra plus simplement encore, par cela seul que la nature de lasubstance ne peut être connue que comme infinie, et qu'une partie de la substance ne signifie autre chose qu'une substance finie, cequi implique évidemment contradiction (par la Propos. 8).Proposition 14Il ne peut exister et on ne peut concevoir aucune autre substance que Dieu.Démonstration : Dieu est l'être absolument infini duquel on ne peut exclure aucun attribut exprimant l'essence d'une substance (parla Déf. 6), et il existe nécessairement (par la Propos. 11). Si donc il existait une autre substance que Dieu, elle devrait se développerpar quelqu'un des attributs de Dieu, et de cette façon, il y aurait deux substances de même attribut, ce qui est absurde (par la Propos.5). Par conséquent, il ne peut exister aucune autre substance que Dieu, et on n'en peut concevoir ; aucune autre ; car si on pouvait laconcevoir, on la concevrait nécessairement comme existante, ce qui est absurde (par la première partie de la présenteDémonstration). Donc, aucune autre substance que Dieu ne peut exister ni se concevoir. C. Q. F. D.Corollaire I : Il suit de là très-clairement : 1° Que Dieu est unique, c'est-à-dire (par la Déf. 6) qu'il n'existe dans la nature des chosesqu'une seule substance, et qu'elle est absolument infinie, comme vous l'avons déjà affirmé dans le Scholie de la Proposition 10.Corollaire II : Il s'ensuit : 2° Que la chose étendue et la chose pensante sont des attributs de Dieu, ou (par l'Axiome 1) des affectionsdes attributs de Dieu.Proposition 15Tout ce qui est, est en Dieu, et rien ne peut être, ni être conçu sans Dieu.
Démonstration : Hors de Dieu (par la Propos. 14), il n'existe et on ne peut concevoir aucune substance, c'est-à-dire (par la Déf. 3)aucune chose qui existe en soi et se conçoive par soi. Or les modes (par la Déf. 5) ne peuvent être, ni être conçus sans la substance,et par conséquent ils ne peuvent être, ni être conçus que dans la seule nature divine. Mais si vous ôtez les substances et les modes, iln'y a plus rien (par l'Axiome 1). Donc rien ne peut être, ni être conçu sans Dieu. C. Q. F. D.Scholie : On se représente souvent Dieu comme formé, à l'image de l'homme, d'un corps et d'un esprit, et sujet, ainsi que l'homme,aux passions. Ce qui précède montre assez, sans doute, combien de telles pensées s'éloignent de la vraie connaissance de Dieu.Mais laissons cette sorte d'erreur ; car tous ceux qui ont un peu considéré la nature divine nient que Dieu soit corporel, et ils prouventfort bien leur sentiment en disant que nous entendons par corps toute quantité qui a longueur, largeur et profondeur, et qui estterminée par une certaine figure, ce qui ne peut se dire de Dieu, l'être absolument infini, sans la dernière absurdité. Mais tout enfaisant ce raisonnement, ils y joignent d'autres preuves qui font voir clairement que, dans leur opinion, la substance corporelle ouétendue est entièrement séparée de la nature divine et qu'elle a été créée par Dieu. Par quelle espèce de puissance divine a-t-elleété créée, c'est ce qu'ils ignorent. Et cela prouve bien qu'ils n'entendent pas ce qu'ils disent.Pour moi, j'ai, ce me semble, prouvé assez clairement (voyez le Coroll. de la Propos. 6, et le Scholie 2 de la Propos. 8) qu'aucunesubstance ne peut être produite ou créée par une autre substance. Or, il a été établi d'un autre côté (par la Propos. 11) qu'aucuneautre substance que Dieu ne peut exister ni se concevoir ; d'où nous avons conclu que la substance étendue est un des attributsinfinis de Dieu. Mais, pour que la chose soit plus complètement expliquée, je réfuterai ici les arguments de mes adversaires, lesquelsreviennent à ceci : premièrement, la substance corporelle, en tant que substance, se compose, suivant eux, de parties, et c'estpourquoi ils nient qu'elle puisse être infinie, et conséquemment appartenir à Dieu. C'est ce qu'ils expliquent par beaucoupd'exemples. J'en rapporterai quelques-uns : si la substance corporelle est infinie, disent-ils, concevez-la divisée en deux parties ;chaque partie sera finie ou infinie. Dans le premier cas, l'infini se composera de deux parties finies, ce qui est absurde. Dans lesecond cas, on aura un infini double d'un autre infini, ce qui est également absurde. De plus, si on évalue une quantité infinie enparties égales à un pied, elle devra se composer d'un nombre infini de telles parties, tout comme si on l'évaluait en parties égales àun pouce. Et par conséquent, un nombre infini sera douze fois plus grand qu'un autre nombre infini.Enfin, concevez que d'un point A appartenant à une étendue infinie on fasse partir deux lignes AB, AC, lesquelles s'éloignent d'abordl'une de l'autre d'une distance fixe et déterminée BC. Fichier:P1p15fig.gifSi vous les prolongez à l'infini, cette distance s'augmentant de plus en plus deviendra indéterminable, de déterminée qu'elle était.Toutes ces absurdités résultant, selon l'opinion de nos adversaires, de la supposition qu'on a faite d'une quantité infinie, ils concluentque la substance corporelle est finie, et par conséquent qu'elle n'appartient pas à l'essence de Dieu.— Leur second argument est tiré de la perfection suprême de Dieu. Dieu, dit-on, étant l'être souverainement parfait, ne peut pâtir. Or,la substance corporelle peut pâtir, en tant que divisible, d'où il suit qu'elle n'appartient pas à l'essence de Dieu.Tels sont les arguments que je lis dans les auteurs qui ont voulu établir que la substance corporelle est indigne de la nature divine etne peut lui appartenir. Mais en vérité, si l'on veut bien y prendre garde sérieusement, on verra que j'ai déjà répondu à tout cela,puisque tous ces arguments se fondent uniquement sur ce point, que la substance corporelle est composée de parties, suppositiondont j'ai déjà montré l'absurdité (voir la Propos. 12 et le Coroll. de la Propos. 13).J'ajouterai qu'à bien considérer la chose, les conséquences absurdes (sont-elles toutes absurdes, c'est de quoi je ne dispute pasencore) dont on se sert pour établir que la substance corporelle est finie, ne viennent point du tout de ce qu'on a supposé une quantitéinfinie, mais de ce qu'on a supposé que cette quantité infinie était mesurable et composée de parties finies ; et c'est pourquoi tout cequi résulte des absurdités où conduit cette supposition, c'est qu'une quantité infinie n'est pas mesurable et ne peut se composer departies. Or, c'est justement ce que nous avons démontré plus haut (Propos. 12, etc.). De façon que nos adversaires se blessent eux-mêmes avec les armes dirigées contre nous. Que si de cette absurdité, qui est leur ouvrage, ils prétendent conclure néanmoins quela substance étendue doit être finie, ils font véritablement comme un homme qui donnerait au cercle les propriétés du carré, etconclurait de là que le cercle n'a pas de point central d'où se puissent mener à la circonférence des lignes égales. Ils supposent eneffet que la substance corporelle, laquelle ne se peut concevoir que comme infinie, unique et indivisible (voyez les Propos. 8, 10 et12) est composée de parties finies, qu'elle est multiple et divisible, le tout pour conclure que cette substance est finie.C'est ainsi que d'autres raisonneurs, après avoir imaginé la ligne comme un composé de points, savent trouver une foule d'argumentspour montrer qu'elle ne peut être divisée à l'infini. Et à vrai dire, il n'est pas moins absurde de supposer la substance corporelleformée de corps ou de parties, que de composer le corps de surfaces, les surfaces de lignes et finalement les lignes de points. C'estlà ce que doit avouer tout homme qui sait qu'une raison claire est infaillible. Que sera-ce si on se range à l'opinion de ceux qui nient levide ? Supposez, en effet, que la substance corporelle se puisse diviser de telle sorte que des parties soient réellement distinguéesl'une de l'autre ; pourquoi l'une d'elles ne pourrait-elle pas être anéantie, les autres gardant entre elles le même rapportqu'auparavant ? Et pourquoi ces parties devraient-elles s'adapter les unes aux autres de façon à empêcher le vide ? Certes, quanddeux choses sont réellement distinctes l'une de l'autre, l'une peut exister sans l'autre et persister dans le même état. Puis donc qu'il n'ya pas de vide dans la nature (comme on le verra ailleurs) et que toutes les parties doivent concourir de façon que le vide n'existe pas,il s'ensuit que ces parties ne peuvent pas se distinguer réellement, c'est-à-dire que la substance corporelle en tant que substance estindivisible.Si quelqu'un me demande maintenant pourquoi nous sommes ainsi portés naturellement à diviser la quantité, je répondrai que laquantité se conçoit de deux façons, d'une façon abstraite et superficielle, telle que l'imagination nous la donne ; ou à titre desubstance, telle que le seul entendement nous la peut faire concevoir. Si nous considérons la quantité comme l'imagination nous ladonne, ce qui est le procédé le plus facile et le plus ordinaire, nous jugerons qu'elle est finie, divisible et composée de parties ; maissi nous la concevons à l'aide de l'entendement, si nous la considérons en tant que substance, chose très difficile à la vérité, elle nousapparaîtra alors, ainsi que nous l'avons assez prouvé, comme infinie, unique et indivisible. C'est ce qui sera évident pour quiconqueest capable de distinguer entre l'imagination et l'entendement ; surtout si l'on veut remarquer en même temps que la matière estpartout la même, et qu'il n'y a en elle de distinction de parties qu'en tant qu'on la conçoit comme affectée de diverses manières, d'où ilsuit qu'il n'existe entre ces parties qu'une distinction modale et non pas une distinction réelle. Par exemple, nous concevons que l'eau,en tant qu'eau, puisse être divisée, et ses parties séparées les unes des autres ; mais il n'en est pas de même de l'eau, en tant que
substance corporelle. Car, sous ce point de vue, il ne peut y avoir en elle aucune division, aucune séparation. Ainsi l'eau, en tantqu'eau, est sujette à la corruption et à la génération ; mais en tant que substance, elle n'y est pas sujette.Les remarques qui précèdent répondent suffisamment, ce me semble, au second argument de nos adversaires, lequel est égalementfondé sur ce seul principe, que la matière, en tant que substance, est divisible et composée de parties. Et alors même que lecontraire ne serait pas prouvé, Je ne vois pas qu'on ait le droit de conclure que la matière est indigne de la substance divine,puisque, hors de Dieu (par la Propos. 14), il n'y a aucune autre substance dont la nature divine puisse souffrir l'action. Je le répète,toutes choses sont en Dieu, et tout ce qui arrive, arrive par les seules lois de la nature infinie de Dieu, et résulte (comme je vais lefaire voir) de la nécessité de son essence. Par conséquent, il n'y a aucune raison de dire que Dieu souffre l'action d'un autre être, nique la substance étendue soit indigne de sa nature, alors même qu'on supposerait l'étendue divisible ; pourvu toutefois qu'on accordequ'elle est éternelle et infinie. Mais, pour le moment, il est inutile d'insister davantage.Proposition 16De la nécessité de la nature divine doivent découler une infinité de choses infiniment modifiées, c'est-à-dire tout ce qui peuttomber sous une intelligence infinie.[*]Démonstration : Cette Proposition doit être évidente pour quiconque voudra seulement remarquer que de la définition d'une chosequelconque, l'entendement conclut un certain nombre de propriétés qui en découlent nécessairement, c'est-à-dire qui résultent del'essence même de la chose ; et ces propriétés sont d'autant plus nombreuses qu'une réalité plus grande est exprimée par ladéfinition, ou, ce qui revient au même, est contenue dans l'essence de la chose définie. Or, comme la nature divine (par la Déf. 6)comprend une infinité absolue d'attributs, dont chacun exprime en son genre une essence infinie, il faut bien que de la nécessité decette nature il découle une infinité de choses infiniment modifiées, c'est-à-dire tout ce qui peut tomber sous une intelligence infinie. C.Q. F. D.Corollaire I : Il suit de là que Dieu est la cause efficiente de toutes les choses qui peuvent tomber sous une intelligence infinie.Corollaire II : Il en résulte, en second lieu, que Dieu est cause par soi, et non par accident.Corollaire III : Et, en troisième lieu, que Dieu est absolument cause première.Proposition 17Dieu agit par les seules lois de la nature et sans être contraint par personne.Démonstration : C'est de la seule nécessité de la nature divine, ou, en d'autres termes, des seules lois de cette même nature, querésultent une infinité absolue des choses, comme nous l'avons montré dans la Propos. 16 ; et il a été établi en outre, dans la Propos.15, que rien n'existe et ne peut être conçu sans Dieu, mais que tout est en Dieu ; par conséquent, il ne peut rien y avoir hors de Dieuqui le détermine à agir ou qui l'y contraigne, d'où il suit qu'il agit par les seules lois de sa nature et sans être contraint par personne. C.Q. F. D.Corollaire I : Il suit de là, premièrement, qu'il n'y a en Dieu, ou hors de Dieu, aucune autre cause qui l'excite à agir que la perfectionde sa propre nature.Corollaire II : En second lieu, que Dieu seul est une cause libre ; Dieu seul en effet existe par la seule nécessité de sa nature (envertu de la Propos. 11 et le Coroll de la Propos. 14), et agit par cette seule nécessité (en vertu de la Propos. Précéd.). Seul parconséquent, il est une cause libre.Scholie : D'autres pensent que ce qui donne à Dieu le caractère de cause libre, c'est qu'il peut faire, à les en croire, que les chosesqui découlent de sa nature, c'est-à-dire qui sont en son pouvoir, n'arrivent pas ou bien ne soient pas produites par lui ; mais celarevient à dire que Dieu peut faire que de la nature du triangle il ne résulte pas que ses trois angles égalent deux droits, ou que d'unecause donnée il ne s'ensuive aucun effet, ce qui est absurde. Bien plus, je ferai voir tout à l'heure, et sans le secours de la Propositionqui vient d'être démontrée, que ni l'intelligence ni la volonté n'appartiennent à la nature de Dieu.Je sais que plusieurs philosophes croient pouvoir démontrer que l'intelligence suprême et la libre volonté appartiennent à la nature deDieu ; car, disent-ils, nous ne connaissons rien de plus parfait qu'on puisse attribuer à Dieu que cela même qui est en nous la plushaute perfection : or ces mêmes philosophes, quoiqu'ils conçoivent la souveraine intelligence de Dieu comme existant en acte, necroient pourtant pas que Dieu puisse faire exister tout ce qui est contenu en acte dans son intelligence. Autrement ils croiraient avoirdétruit la puissance de Dieu. Si Dieu avait créé, disent-ils, tout ce qui est en son intelligence, il ne lui serait plus rien resté à créer,conséquence qui leur paraît contraire à l'omnipotence divine ; et c'est pourquoi ils ont mieux aimé faire Dieu indifférent à touteschoses et ne créant rien de plus que ce qu'il a résolu de créer par je ne sais quelle volonté absolue. Pour moi, je crois avoir assezclairement montré (voyez la Propos. 16) que de la souveraine puissance de Dieu, ou de sa nature infinie, une infinité de chosesinfiniment modifiées, c'est-à-dire toutes choses ont découlé nécessairement ou découlent sans cesse avec une égale nécessité, dela même façon que de la nature du triangle il résulte de toute éternité que ses trois angles égalent deux droits ; d'où il suit que la toute-puissance de Dieu a été éternellement en acte et y persistera éternellement ; et de cette façon, elle est établie, à mon avis du moins,dans une perfection bien supérieure. Il y a plus, il me semble que mes adversaires (qu'on me permette de m'expliquer iciouvertement) nient la toute-puissance de Dieu. Ils sont obligés, en effet, d'avouer que Dieu conçoit une infinité de créatures possibles,que jamais cependant il ne pourra créer ; car autrement, s'il créait tout ce qu'il conçoit, il épuiserait, suivant eux, sa toute-puissance etse rendrait lui-même imparfait. Les voilà donc réduits, pour conserver à Dieu sa perfection, de soutenir qu'il ne peut faire tout ce quiest compris en sa puissance, chose plus absurde et plus contraire à la toute-puissance de Dieu que tout ce qu'on voudra imaginer.
Pour dire ici un mot de l'intelligence et de la volonté que nous attribuons communément à Dieu, je soutiens que, si l'intelligence et lavolonté appartiennent à l'essence éternelle de Dieu, il faut alors entendre par chacun de ces attributs tout autre chose que ce que leshommes entendent d'ordinaire, car l'intelligence et la volonté qui, dans cette hypothèse, constitueraient l'essence de Dieu, devraientdifférer de tout point de notre intelligence et de notre volonté, et ne pourraient leur ressembler que d'une façon toute nominale,absolument comme se ressemblent entre eux le chien, signe céleste, et le chien, animal aboyant. C'est ce que je démontre ainsi qu'ilsuit. S'il y a en Dieu une intelligence, elle ne peut avoir le même rapport que la nôtre avec les objets qu'elle embrasse. Notreintelligence, en effet, est par sa nature d'un ordre postérieur à ses objets (c'est le sentiment commun), ou du moins d'un ordre égal,tandis qu'au contraire Dieu est antérieur à toutes choses par sa causalité (voir le Coroll. 1 de la Propos. 16), et la vérité, l'essenceformelle des choses, n'est ce qu'elle est que parce qu'elle existe objectivement dans l'intelligence de Dieu. Par conséquent,l'intelligence de Dieu, en tant qu'elle est conçue comme constituant l'essence de Dieu, est véritablement la cause des choses, tant deleur essence que de leur existence ; et c'est ce que semblent avoir aperçu ceux qui ont soutenu que l'intelligence, la volonté et lapuissance de Dieu ne sont qu'une seule et même chose. Ainsi donc, puisque l'intelligence de Dieu est la cause unique des choses(comme nous l'avons montré), tant de leur essence que de leur existence, elle doit nécessairement différer de ces choses, sous lerapport de l'essence aussi bien que sous le rapport de l'existence. La chose causée, en effet, diffère de sa cause précisément en cequ'elle en reçoit ; par exemple, un homme est cause de l'existence d'un autre homme, non de son essence. Cette essence, en effet,est une vérité éternelle, et c'est pourquoi ces deux hommes peuvent se ressembler sous le rapport de l'essence ; mais ils doiventdifférer sous le rapport de l'existence, et de là vient que, si l'existence de l'un d'eux est détruite, celle de l'autre ne cessera pasnécessairement. Mais si l'essence de l'un d'eux pouvait être détruite et devenir fausse, l'essence de l'autre périrait en même temps.En conséquence, une chose qui est la cause d'un certain effet, et tout à la fois de son existence et de son essence, doit différer de ceteffet tant sous le rapport de l'essence que sous le rapport de l'existence. Or l'intelligence de Dieu est la cause de l'existence et del'essence de la nôtre. Donc, l'intelligence de Dieu, en tant qu'elle est conçue comme constituant l'essence divine, diffère de notreintelligence tant sous le rapport de l'essence que sous le rapport de l'existence, et ne lui ressemble que d'une façon toute nominale,comme il s'agissait de le démontrer. Or chacun voit aisément qu'on ferait la même démonstration pour la volonté de Dieu.Proposition 18Dieu est la cause immanente, et non transitive, de toutes choses.Démonstration : Tout ce qui est, est en Dieu et doit être conçu par son rapport à Dieu (en vertu de la Propos. 15), d'où il suit (par leCoroll. 1 de la Propos. 16) que Dieu est la cause des choses qui sont en lui ; voilà le premier point. De plus, si vous ôtez Dieu, il n'y aaucune substance (par la Propos. 14), c'est-à-dire (par la Déf. 3) aucune chose qui, hors de Dieu, existe en soi ; voilà le second point.Donc, Dieu est la cause immanente et non transitive de toutes choses. C. Q. F. D.Proposition 19Dieu est éternel ; en d'autres termes, tous les attributs de Dieu sont éternels.Démonstration : Dieu en effet (par la Déf. 6) est une substance, laquelle (par la Propos. 11) existe nécessairement, c'est-à-dire (parla Propos. 7) à la nature de laquelle il appartient d'exister, ou ce qui est la même chose, dont l'existence découle de la seuledéfinition ; Dieu est donc éternel (par la Déf. 8). De plus, que faut-il entendre par les attributs de Dieu ? ce qui exprime l'essence de lasubstance divine en d'autres termes (par la Déf. 4), ce qui appartient à la substance. C'est là, dis-je, ce qui doit être enveloppé dansles attributs. Or, l'éternité appartient à la nature de la substance (comme je viens de le prouver en m'appuyant sur la Propos. 7) Donc,chacun des attributs de la substance doit envelopper l'éternité, et tous par conséquent sont éternels. C. Q. F. D.Scholie : Cette proposition devient aussi très-clairement évidente à l'aide de la démonstration que j'ai donnée (Propos. 11) del'existence de Dieu. Il résulte en effet de cette démonstration que l'existence de Dieu, comme son essence, est une vérité éternelle.Ajoutez que j'ai donné ailleurs (Principes de Descartes, Propos. 19) une autre preuve de l'éternité de Dieu, qu'il est inutile de répéterici.Proposition 20L'existence de Dieu et son essence sont une seule et même chose.Démonstration : Dieu et tous ses attributs sont éternels (par la Prop. précédente) ; en d'autres termes (par la Déf. 8), chacun desattributs de Dieu exprime l'existence. Par conséquent, ces mêmes attributs qui (par la Déf. 4) expriment son essence éternelleexpriment en même temps son éternelle existence ; en d'autres termes, ce qui constitue l'essence de Dieu constitue en même tempsson existence, et par conséquent ces deux choses n'en font qu'une.Corollaire I : Il suit de là premièrement, que l'existence de Dieu, comme son essence, est une vérité éternelle.Corollaire II : Secondement, que l'immutabilité appartient à Dieu, autrement dit à tous les attributs de Dieu. Car s'ils changeaientsous le rapport de l'existence, ils devraient aussi (par la Propos. précédente) changer sous le rapport de l'essence, ou ce qui revientévidemment au même et ne peut se soutenir, de vrais ils deviendraient faux.Proposition 21
Tout ce qui découle de la nature absolue d'un attribut de Dieu doit être éternel et infini, en d'autres termes, doit posséder par sonrapport à cet attribut l'éternité et l'infinité.Démonstration : Si vous niez qu'il en soit ainsi, concevez, autant que possible, dans un des attributs de Dieu, quelque chose quidécoule de la nature absolue de cet attribut, et qui néanmoins soit finie et ne possède qu'une existence ou une durée déterminée :par exemple, dans l'attribut de la pensée, l'idée de Dieu. La pensée, puisqu'on la conçoit comme un attribut de Dieu, estnécessairement infinie de sa nature (par la Propos. 11). Mais, en tant qu'elle contient l'idée de Dieu, on la suppose finie. Or (par laDéf. 2), elle ne peut être finie si elle n'est bornée par la pensée elle-même. Ce ne sera pas par la pensée en tant qu'elle constituel'idée de Dieu, puisque la pensée, ainsi considérée, est finie suivant l'hypothèse. Ce sera donc par la pensée en tant qu'elle neconstitue pas l'idée de Dieu ; et toutefois, la pensée (par la Propos. 11) doit exister nécessairement. On aura donc ainsi une penséequi ne constitue pas l'idée de Dieu, d'où il suit que l'idée de Dieu ne découle pas de sa nature, en tant qu'elle est la pensée absolue(puisqu'on la conçoit également comme constituant et ne constituant pas l'idée de Dieu), ce qui est contre l'hypothèse. Ainsi donc, sil'idée de Dieu dans l'attribut de la pensée, ou toute autre chose qu'on voudra supposer dans un attribut quelconque de Dieu (car ladémonstration est universelle), découle nécessairement de la nature absolue de cet attribut, elle doit être nécessairement infinie.Voilà pour la première partie de la proposition.Je dis maintenant qu'une chose qui suit nécessairement de la nature d'un attribut de Dieu ne peut avoir une durée déterminée. Sivous le niez, supposez dans un attribut de Dieu une chose qui suive nécessairement de la nature de cet attribut, par exemple, dansl'attribut de la pensée, l'idée de Dieu, et supposez tout ensemble que cette idée n'ait pas existé en un certain temps ou doive ne pasexister. La pensée étant donnée comme un attribut de Dieu, elle doit exister éternelle et immuable (par la Propos. 11 et le Coroll. 2 dela propos. 20). En conséquence, par delà les limites de la durée de l'idée de Dieu (car elle n'a pas toujours existé par hypothèse etn'existera pas toujours), la pensée devra exister sans l'idée de Dieu. Or, cela est contre la supposition, puisqu'il a été admis quel'idée de Dieu suivait nécessairement de la nature de la pensée. Donc l'idée de Dieu dans la pensée, et toute autre chosequelconque qui soit nécessairement de la nature absolue d'un attribut de Dieu, ne peut avoir une durée déterminée., et doit, par sonrapport à cet attribut, posséder l'éternité. C'est la seconde partie de la démonstration. Notez que notre principe est également vrai detoute chose quelconque qui, dans un attribut de Dieu, suit nécessairement de la nature absolue de Dieu.Proposition 22Quand une chose découle de quelque attribut divin, en tant qu'il est affecté d'une certaine modification dont l'existence est par cetattribut même nécessaire et infinie, cette chose doit être aussi nécessaire et infinie dans son existence.Démonstration : Pour démontrer cette proposition, on procède de la même façon que pour la précédente.Proposition 23Tout mode dont l'existence est nécessaire et infinie a dû nécessairement découler, soit de la nature absolue de quelque attributde Dieu, soit de quelque attribut affecté d'une modification nécessaire et infinie.Démonstration : Tout mode existe, non en soi, mais dans une autre chose, par laquelle il est nécessairement conçu (en vertu de laDéf. 5), c'est-à-dire (en vertu de la Propos. 15) qu'il existe en Dieu seul, et ne peut être conçu que par son rapport à Dieu. Si donc unmode est conçu comme nécessaire et infini, ce ne peut être que par son rapport à quelque attribut de Dieu, en tant que cet attribut lui-même exprime l'infinité et la nécessité ou (ce qui est la même chose par la Déf. 8) l'éternité de l'existence, en d'autres termes (par laDéf. 6 et la Propos. 19), en tant que cet attribut est considéré d'une manière absolue. En conséquence, un mode dont l'existence estnécessaire et infinie a dû découler de la nature absolue de quelque attribut de Dieu ; et cela, soit immédiatement (voir la Propos. 21),soit par l'intermédiaire de quelque modification qui suit elle-même de la nature absolue de cet attribut, c'est-à-dire (par la Propos.précéd.) qui est nécessaire et infinie. C. Q. F. D.Proposition 24L'essence des choses produites par Dieu n'enveloppe pas l'existence.Démonstration : Cela est évident par la Déf. 1. En effet, une chose, dont la nature (prise en soi) enveloppe l'existence, est cause desoi, et existe par la seule nécessité de sa nature.Corollaire : Il suit de là que Dieu n'est pas seulement la cause par qui les choses commencent d'exister, mais celle aussi qui les faitpersévérer dans l'existence, et (pour employer ici un terme scholastique) Dieu est la cause de l'être des choses (causa essendi). Eneffet, alors même que les choses existent, chaque fois que nous regardons à leur essence, nous voyons qu'elle n'enveloppe nil'existence, ni la durée ; par conséquent, elle ne peut être cause ni de l'une ni de l'autre, mais Dieu seul, parce qu'il est le seul à qui ilappartienne d'exister (par le Coroll. 1 de la Propos. 14). C. Q. F. D.Proposition 25Dieu n'est pas seulement la cause efficiente de l'existence des choses, mais aussi de leur essence.Démonstration : Si vous niez cela, Dieu n'est donc pas la cause de l'essence des choses ; par conséquent (en vertu de l'Axiome 4)
l'essence des choses peut être conçue sans Dieu, ce qui est absurde (par la Propos. 15). Dieu est donc la cause de l'essence deschoses.Scholie : Cela résulte plus clairement encore de la Propos. 16, par laquelle, la nature divine étant donnée, l'essence des choses,aussi bien que leur existence, doit s'en conclure nécessairement, et pour le dire d'un seul mot, au sens où Dieu est appelé cause desoi, il doit être appelé cause de tout le reste, ce qui d'ailleurs va ressortir avec la dernière clarté du corollaire suivant.Corollaire : Les choses particulières ne sont rien de plus que les affections des attributs de Dieu, c'est-à-dire les modes par lesquelsles attributs de Dieu s'expriment d'une façon déterminée. Cela est évident par la Propos. 15 et la Déf. 5.Proposition 26Toute chose, déterminée à telle ou telle action, y a nécessairement été déterminée par Dieu, et si Dieu ne détermine pas unechose à agir, elle ne peut s'y déterminer elle-même.Démonstration : Ce qui détermine les êtres à telle ou telle action est nécessairement une chose positive (cela est évident de soi-même) ; en conséquence, Dieu, par la nécessité de sa nature, est la cause efficiente de l'existence et de l'essence de cette chose(en vertu des Propos. 25 et 26) ; ce qui suffit pour établir la première partie de notre proposition. Or, la seconde partie en est unesuite très manifeste. Car, si une chose que Dieu ne détermine pas pouvait se déterminer elle-même, la démonstration qui vient d'êtrefaite serait fausse, ce qui est absurde. C. Q. F. D.Proposition 27Une chose, qui est déterminée par Dieu à telle ou telle action, ne peut se rendre elle-même indéterminée.Démonstration : Cette proposition est évidente par l'axiome 3.Proposition 28Tout objet individuel, toute chose, quelle qu'elle soit, qui est finie et a une existence déterminée, ne peut exister ni être déterminéeà agir si elle n'est déterminée à l'existence et à l'action par une cause, laquelle est aussi finie et a une existence déterminée, etcette cause elle-même ne peut exister ni être déterminée à agir que par une cause nouvelle, finie comme les autres etdéterminée comme elles à l'existence et a l'action ; et ainsi à l'infini.Démonstration : Tout ce qui est déterminé à exister et à agir, c'est Dieu qui l'y détermine (par la Propos. 26 et le Coroll. de laPropos. 24). Or, une chose finie et qui est a une existence déterminée n'a pu être produite par la nature absolue d'un des attributs deDieu ; car tout ce qui découle de la nature absolue d'un attribut divin est infini et éternel (par la Propos. 21). Par conséquent, cettechose a dû découler de Dieu ou d'un de ses attributs, en tant qu'on les considère comme affectés d'un certain mode, puisque au delàde la substance et de ses modes, il n'y a rien (par l'Axiome 1 et les Déf. 3 et 6), et que les modes (par le Coroll. de la Propos. 25) nesont que les affections des attributs de Dieu. Or, la chose en question n'a pu découler de Dieu ou d'un attribut de Dieu, en tantqu'affectés d'une modification éternelle et infinie (par la Propos. 22). Donc elle a dû découler de Dieu ou d'un attribut de Dieu, en tantqu'affectés d'une modification finie et déterminée dans son existence. Voilà. Le premier point. Maintenant, cette cause ou ce mode,auquel nous venons d'aboutir, a dû (par la même raison qui vient d'être expliquée) être déterminée par un autre mode également finiet déterminé dans son existence, et celui-ci par un autre encore (en vertu de la même raison), et ainsi jusqu'à l'infini (toujours par lamême raison). C. Q. F. D.Scholie : Comme il est nécessaire que certaines choses aient été produites immédiatement par Dieu, c'est à savoir celles quidécoulent nécessairement de sa nature absolue, sans autre intermédiaire que ces premiers attributs, qui ne peuvent être ni êtreconçus sans Dieu ; il suit de là : premièrement, que Dieu est la cause absolument prochaine des choses qui sont immédiatementproduites par lui ; absolument prochaine, dis-je, et non générique, comme on dit ; car les effets de Dieu ne peuvent être ni être conçussans leur cause (par la Propos. 15 et le Coroll. de la Propos. 24) : secondement, que Dieu ne peut être appelé proprement la causeéloignée des choses particulières, si ce n'est afin de distinguer cet ordre de choses de celles que Dieu produit immédiatement, ouplutôt qui suivent de sa nature absolue. Par cause éloignée, en effet, nous entendons une cause qui n'est liée en aucune façon avecson effet. Or tout ce qui est, est en Dieu et dépend tellement de Dieu qu'il ne peut être ni être conçu sans lui.Proposition 29Il n'y a rien de contingent dans la nature des êtres ; toutes choses au contraire sont déterminées par la nécessité de la naturedivine à exister et à agir d'une manière donnée.Démonstration : Tout ce qui est, est en Dieu (par la Propos. 15). Or Dieu ne peut être appelé chose contingente, puisqu'il existe nonpas d'une façon contingente., mais nécessairement (par la Propos. 11). De même encore les modes de Dieu ont découlé de lanature divine, non pas d'une façon contingente, mais nécessairement (par la Propos. 16), et cela, soit que l'on considère la naturedivine en elle-même (par la Propos. 21), soit qu'on la considère en tant qu'elle est déterminée d'une certaine manière à agir (par laPropos. 27). Ainsi donc, Dieu est la cause de tous ces modes, non seulement en tant qu'ils existent purement et simplement (par leCoroll. de la Propos. 24), mais aussi en tant qu'on les connaît comme déterminés à telle ou telle action (par la Propos. 26). Que si
Dieu ne les détermine en aucune façon, toute détermination qu'on leur attribuera, sera, non pas une chose contingente, mais unechose impossible (par la même proposition), et au contraire si Dieu les détermine de quelque façon, supposer qu'ils se rendent eux-mêmes indéterminés, ce ne sera pas supposer une chose contingente, mais une chose impossible. Par conséquent, toutes chosessont déterminées par la nécessité de la nature divine, non seulement à exister, mais aussi à exister et à agir d'une manière donnée,et il n'y a rien de contingent. C. Q. F. D.Scholie : Avant d'aller plus loin, je veux expliquer ici ou plutôt faire remarquer ce qu'il faut entendre par Nature naturante et par Naturenaturée. Car je suppose qu'on a suffisamment reconnu par ce qui précède, que par nature naturante, on doit entendre ce qui est ensoi et est conçu par soi, ou bien les attributs de la substance qui expriment une essence éternelle et infinie, c'est-à-dire (par le Coroll.1 de la Propos. 14 et le Coroll. 2 de la Propos. 16) Dieu, en tant qu'on le considère comme cause libre.J'entends, au contraire, par nature naturée tout ce qui suit de la nécessité de la nature divine, ou de chacun des attributs de Dieu ; end'autres termes, tous les modes des attributs de Dieu, en tant qu'on les considère comme des choses qui sont en Dieu et ne peuventêtre ni être conçues sans Dieu.Proposition 30Un entendement fini ou infini en acte doit comprendre les attributs de Dieu et les affections de Dieu, et rien de plus.Démonstration : Une idée vraie doit s'accorder avec son objet (par l'Axiome 6), c'est-à-dire évidemment que ce qui est contenuobjectivement dans l'entendement doit exister dans la nature. Or, dans la nature (par le Coroll. 1 de la Propos. 14) il n'y a qu'unesubstance, savoir Dieu ; et il n'y a d'autres affections (par la Propos. 15) que celles qui sont en Dieu, et ne peuvent être ni êtreconçues sans Dieu (par la même Propos.). Donc, un entendement fini ou infini en acte doit comprendre les attributs de Dieu et lesaffections de Dieu, et rien de plus. C. Q. F. D.Proposition 31L'entendement en acte, soit fini, soit infini, comme, par exemple, la volonté, le désir, l'amour, etc., se doivent rapporter à la naturenaturée, et non à la naturante.Démonstration : Par entendement, en effet, nous ne désignons évidemment pas la pensée absolue, mais seulement un certainmode de penser, lequel mode diffère des autres, tels que le désir, l'amour, etc., et en conséquence doit être conçu par son rapport àla pensée absolue (en vertu de la Déf. 5) ; et ainsi (en vertu de la Propos. 15 et de la Déf. 6) c'est par son rapport à un attribut de Dieuexprimant l'essence éternelle et infinie de la pensée, que l'entendement doit être conçu, de telle façon que, sans cet attribut, il nepuisse être ni être conçu. Donc (par le scholie de la Propos. 29) il doit être rapporté à la nature naturée, et non à la naturante, toutcomme les autres modes de la pensée. C. Q. F. D.Scholie : Si je parle ici d'entendement en acte, ce n'est pas que j'accorde qu'il y ait aucun entendement en puissance ; mais désirantéviter toute confusion, je n'ai voulu parler que de la chose la plus claire qui se puisse percevoir, je veux dire l'acte même d'entendre,l'intellection. Nous ne pouvons en effet rien entendre qui ne nous donne de l'acte d'entendre, de l'intellection, une connaissance plusparfaite.Proposition 32La volonté ne peut être appelée cause libre ; mais seulement cause nécessaire.Démonstration : La volonté n'est autre chose qu'un certain mode de penser, comme l'entendement. Par conséquent (en vertu de laPropos. 28) une volition quelconque ne peut exister ni être déterminée à l'action que par une autre cause, et celle-ci par une autre, etainsi à l'infini.Que si vous supposez la volonté infinie, elle doit toujours être déterminée à exister et à agir par Dieu, non sans doute par Dieu en tantque substance absolument infinie, mais en tant qu'il a un attribut qui exprime l'essence infinie et éternelle de la pensée (par la Propos.23). Ainsi donc, de quelque façon que l'on conçoive la pensée, comme finie on comme infinie, elle demande une cause qui ladétermine à l'existence et à l'action ; et par conséquent (en vertu de la Déf. 7), elle ne peut être appelée cause libre, mais seulementcause nécessaire ou contrainte. C. Q. F. D.Corollaire I : Il résulte de là : 1° que Dieu n'agit pas en vertu d'une volonté libre.Corollaire II : Il en résulte : 2° que la volonté et l'entendement ont le même rapport à la nature de Dieu que le mouvement et le repos,et absolument parlant, que toutes les choses naturelles qui ont besoin, pour exister et pour agir d'une certaine façon, que Dieu les ydétermine ; car la volonté, comme tout le reste, demande une cause qui la détermine à exister et à agir d'une manière donnée, et bienque, d'une volonté ou d'un entendement donnés, il résulte une infinité de choses, on ne dit pas toutefois que Dieu agisse en vertud'une libre volonté, pas plus qu'on ne dit que les choses (en nombre infini) qui résultent du mouvement et du repos agissent avec laliberté du mouvement et du repos. Par conséquent, la volonté n'appartient pas davantage à la nature de Dieu que toutes les autreschoses naturelles ; mais elle a avec l'essence divine le même rapport que le mouvement, ou le repos, et en général tout ce qui résulte,comme nous l'avons montré, de la nécessité de la nature divine, et est déterminé par elle à exister et à agir d'une manière donnée.
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