Charles de Saint-Évremond
Œuvres mêlées
Éloge de M. de Turenne
1ÉLOGE DE MONSIEUR DE TURENNE .
(1688.)
Je ferois tort à la naissance de M. de Turenne, si je songeois à instruire le public
d’une maison aussi illustre et aussi considérable dans toute l’Europe que la sienne.
Je ne m’amuserai point à dépeindre tous les traits de son visage ; les caractères
des grands hommes n’ont rien de commun avec les portraits des belles femmes ;
mais je puis dire en gros qu’il avoit quelque chose d’auguste et d’agréable ;
quelque chose en sa physionomie qui faisoit concevoir je ne sais quoi de grand, en
son âme et en son esprit. On pouvoit juger, à le voir, que par une disposition
particulière, la nature l’avoit préparé à faire tout ce qu’il a fait.
Né d’un père aussi autorisé dans le parti protestant que M. de Bouillon l’étoit, il en
prit les sentiments de religion, sans zèle indiscret pour la sienne, sans aversion
pour celle des autres : précautionné contre une séduction secrète, qui fait voir de la
charité pour le prochain, où il n’y a qu’un excès de complaisance pour son opinion.
Comme il n’y a rien de bas dans les emplois de la guerre, il passa par les plus
petits, par les médiocres, toujours jugé digne de plus grands que ceux qu’il avoit.
Toujours distingué par sa naissance, la seule distinction de ses services l’a fait
monter par degrés au commandement des armées ; et l’on peut dire sans
exagérer, que pour arriver aux postes qu’il a eus, jamais homme n’a tant dû à son
mérite, et ...
Voir