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La superbe pièce de théâtre de l'auteur norvégien Henrik Ibsen aussi connu pour ses oeuvres comme une maison de poupée, La Dame de la mer, Hedda Gabler, Solness le constructeur, Quand nous nous réveillerons d’entre les morts.
Personnages :
Werle, négociant, propriétaire d’usines, etc.
Gregers Werle, son fils
Le vieil Ekdal
Hjalmar Ekdal, fils du vieil Ekdal, photographe
Gina Ekdal, épouse de Hjalmar
Hedvig, leur fille, quatorze ans
Madame Sørby, gouvernante du négociant
Relling, médecin
Molvik, ancien étudiant en théologie
Gråberg, comptable
Pettersen, domestique du négociant
Jensen, domestique d’extra
Un monsieur pâle et bouffi
Un monsieur au cheveu rare
Un monsieur myope
Un monsieur gras
Six autres messieurs, invités à dîner chez le négociant
Plusieurs domestiques d’extra
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06 février 2014

Nombre de lectures

72

Langue

Français

Le Canard sauvage
de
Henrik Ibsen
Traduction de Prozor
PERSONNAGES : Le négociant WERLE, industriel, propriétaire d'usines. GREGERS WERLE, son fils.
HJALMAR EKDAL, son fils, photographe. GINA EKDAL, femme de HJALMAR. HEDVIG, leur fille, quatorze ans. MADAME BERTA SORBY, femme de charge chez le négociant. RELLING, médecin.
GRABERG, comptable.
JENSEN, domestique d'extra. Un monsieur gras et pâle. UN MONSIEUR CHAUVE. UN MONSIEUR MYOPE. SIX AUTRES MESSIEURS.
Le premier acte se passe chez WERLE, les quatre autres chez HJALMAR EKDAL.
ACTE PREMIER Chez WERLE. Un cabinet de travail, luxueux et confortable. Armoires remplies de livres.
lampes allumées répandent une lumière adoucie par des abatjour verts. Par la porte du fond à
éclairé par des lampes et des candélabres. À droite, dans le bureau, une porte dérobée donnant sur les bureaux. À gauche, dans une cheminée, un feu de charbons. Plus au fond, une porte à deux battants conduit à la salle à manger. PETTERSEN, en livrée, et JENSEN, en habit, rangent le cabinet de travail. Dans le grand salon, on voit deux ou trois autres domestiques rangeant et allumant encore des bougies. On entend un
couteau. Il se fait un silence. On porte un toast. On applaudit. Le bourdonnement des conversations recommence. PETTERSEN,allumant une lampe sur la cheminée et la coiffant d'un abatjour.— Écoute, Jensen, on dirait que le vieux fait un discours en l'honneur de Mme Sorby ? JENSEN,avançant un fauteuil. —Estce vrai ce que disent les gens, qu'il y a quelque chose entre
eux ? PETTERSEN. — Dieu seul le sait. JENSEN. — C'est que c'était un fameux paillard dans le temps, paraîtil. PETTERSEN. — Peutêtre bien. JENSEN. — On dit que c'est pour son fils qu'il donne ce dîner. PETTERSEN. — Oui. Il est revenu hier. JENSEN. — Je ne savais pas qu'il avait un fils, M. Werle. PETTERSEN. — Pour sûr, qu'il a un fils. Mais il ne bouge pas de làhaut, des usines d'Hoydal. Je ne l'ai pas vu en ville une seule fois, depuis toutes les années que je
UN DOMESTIQUE D‘EXTRA,à la porte du salon. —Pettersen ! Il y a là un vieux bonhomme
PETTERSEN,marmottant. —Bon ! qui diable peut venir à cette heure ? (On aperçoit le vieil EKDAL à la porte du salon. Il est vêtu d'une redingote râpée à col droit, porte des gants de laine, tient à la main un bâton et un bonnet de fourrure, et sous le bras un paquet dans du papier gris. Il porte une perruque sale, d'un rougebrun, et une barbiche grise.) PETTERSEN,allant audevant de lui. —Sapristi, que venezvous faire ici ?
PETTERSEN. — Les bureaux sont fermés depuis une heure, et... EKDAL. — On m'a dit ça à la porte, petit père, mais Graberg est encore là. Soyez gentil, Pettersen, laissezmoi passer.(Il indique du doigt la porte dérobée.)Connais déjà le chemin. PETTERSEN. — Bon, bon, allez.(Il ouvre la porte.)Mais souvenezvous du moins qu'il faudra sortir par l'autre porte ; car nous avons du monde.
Andouille !
JENSEN. — C'est un employé des bureaux, ça ? PETTERSEN. — Non, on lui donne de la copie quand ça presse. Mais dans le temps, ma foi, c'était un fameux lapin, que le père Ekdal. JENSEN. — En effet, il a une certaine allure. PETTERSEN. — Je crois bien. Il a été lieutenant, imaginezvous !
PETTERSEN. — Ma foi oui, mais, après cela, il s'est lancé dans le commerce du bois ou quelque chose d'approchant. C'est alors qu'il a joué, diton, un tour pendable à monsieur le négociant. Figurezvous : ils étaient associés pour l'exploitation d'Hoydal. Ah ! je le connais bien, le père Ekdal. Nous avons pris plus d'un verre ou d'un bock ensemble, chez la mère Eriksen. JENSEN. — Il ne doit pas avoir de quoi régaler souvent, cet homme.
être prévenant envers un homme comme il faut qui a eu des malheurs.
PETTERSEN. — Bien pis que ça : il a été en prison. JENSEN. —En prison !
(Des domestiques ouvrent la porte de la salle à manger. Mme Sorby entre en conversant avec
HJALMAR EKDAL et WERLE entrent les derniers.) MADAME SORBY,en passant, au DOMESTIQUE.— Pettersen, faites servir le café dans la
salle de musique. PETTERSEN. — Oui, madame. (Elle traverse la pièce, accompagnée des deux messieurs, sort par la porte du fond et tourne à
UN MONSIEUR GRAS ET PÂLE,à un monsieur chauve.— Ouf, ce dîner ! Il a fallu travailler ferme. UN MONSIEUR CHAUVE. — Avec un peu de bonne volonté, on arrive à faire énormément, en trois heures. LE MONSIEUR GRAS. — Oui, mais après cela, mon cher chambellan, après cela... UN
de musique.
chose. LE MONSIEUR CHAUVE,à mivoix. —On ne sait jamais ce qu'elle peut nous jouer, Mme Sorby. LE MONSIEUR GRAS. — En tout cas, ce ne sera pas un mauvais tour : Berta ne lâche pas ses vieux amis.
WERLE,à mivoix, d'un air soucieux.— Je ne crois pas qu'on l'ait remarqué. N'estce pas, Gregers ? GREGERS,le regardant, étonné.— Plaîtil ? WERLE. — Alors tu ne l'as pas remarqué non plus ? GREGERS. — Remarqué quoi ?
GREGERS. — Vraiment ? Nous étions treize ?
(Aux convives qui se trouvent dans la pièce.)Veuillez passer, messieurs. (Tous sortent par la porte du fond à droite, sauf HJALMAR et GREGERS. ) HJALMAR,a entendu les dernières paroles de WERLE.qui — Tu n'aurais pas dû m'envoyer cette invitation, Gregers. GREGERS. — Comment ! La fête est soidisant en mon honneur, et je n'aurais pas le droit
HJALMAR. — Je ne crois pas que ma présence ait fait plaisir à ton père : je ne viens jamais ici. GREGERS. — Je le sais. Mais j'ai tenu à te voir, à te parler, car bientôt je partirai, je retournerai làbas. Eh oui ! Hjalmar, nous nous étions perdus de vue depuis l'école. Voilà seize ou dixsept ans que je ne t'ai pas vu. HJALMAR. — Si longtemps, vraiment ?
tu as un peu grossi.
que je ne l'avais alors. GREGERS. — C'est certain. Ton physique n'a pas souffert.
comment tout s'est effondré pour moi et les miens, depuis que nous ne nous sommes vus.
HJALMAR. — Ah, mon ami, n'en parlons plus ! Mon malheureux père habite chez moi, bien entendu. Il n'a que moi au monde. Mais c'est là, voistu, un sujet si cruel, si pénible ! Dismoi
plutôt ce que tu as fait làhaut, à l'usine. GREGERS. — J'ai joui de ma solitude. J'ai eu le loisir de réfléchir à bien des choses. Viens ici, nous serons mieux pour discuter.
du sien.) HJALMAR,avec émotion. —N'importe, Gregers : je te dois bien des remerciements pour m'avoir invité à la table de ton père ; cela me prouve que tu ne m'en veux plus. GREGERS,étonné.idée ? Pourquoi t'en voudraisje ?— D'où te vient cette HJALMAR. — Je ne sais pas. Mais tu m'en as certainement voulu au début.
HJALMAR. — Des années qui ont suivi le désastre. Et c'était si naturel !... Il s'en est fallu de peu
GREGERS. — Et je t'en aurais voulu, à toi ? Qui a pu te le faire croire ? HJALMAR. — Je le sais, Gregers : c'est ton père luimême qui me l'a dit. GREGERS,avec un sursaut.— Mon père ! Ah, très bien ! C'est donc pour cela que tu ne m'as plus donné signe de vie, depuis tout ce temps ? HJALMAR. — Oui.
HJALMAR. — Ton père m'a dit qu'il valait mieux ne rien te dire. GREGERS,regardant droit devant lui. —Bien, bien, il était peutêtre dans le vrai. Mais dismoi, Hjalmar, estu satisfait de ta situation ? HJALMAR,avec un soupir.Eh, mon Dieu, oui ; je ne peux pas dire le contraire. Au commencement, tu comprends, j'étais un peu dépaysé. C'était si différent de ce que j'avais connu
l'opprobre. Ah, Gregers !
HJALMAR. — Il ne pouvait plus être question de continuer mes études. Il ne me restait pas un sou vaillant. Rien que des dettes à payer, surtout à ton père, je crois. GREGERS. — Hum... HJALMAR. — Alors, voistu, j'ai pensé qu'il valait mieux rompre d'un seul coup tout ce qui nous rattachait au passé. Je l'ai fait, surtout, sur le conseil de ton père. Et comme il a eu la bonté de me
GREGERS. — Ah, il a fait cela ? HJALMAR. — Oui, tu ne le savais pas ? Comment auraisje pu, sans cela, trouver de quoi apprendre le métier de photographe, monter un atelier, m'établir, enfin ? Cela coûte de l'argent, tu sais. GREGERS. — Et c'est mon père qui te l'a avancé ?
te l'avait écrit.
que des lettres d'affaires. Ainsi, c'était mon père ! HJALMAR. — Oui, c'était lui. Il a toujours tenu à ce qu'on l'ignore. Mais c'était bien lui. Et c'est
GREGERS. — Non !(Lui prenant le bras.)Ah, mon cher Hjalmar, tu ne saurais croire combien
parfois été injuste envers mon père. Oui, car enfin, tout cela prouve qu'il a du cœur. Qu'il a encore une certaine conscience.
HJALMAR. — Tu dis conscience ? GREGERS. — Mon Dieu, oui. Ah ! je ne saurais te dire quel bonheur j'éprouve à apprendre tout cela sur le compte de mon père. Ainsi, tu es marié, toi, Hjalmar. Je ne peux pas en dire autant de
HJALMAR. — Certainement, oui. C'est une femme comme on ne peut en souhaiter de meilleure, habile et bonne ménagère. Avec cela, elle n'est pas sans quelque éducation. GREGERS,avec un peu d'étonnement.— J'espère bien. HJALMAR. — C'est que, voistu, la vie est une école. Ma fréquentation quotidienne... et puis, nous invitons régulièrement quelques personnes de mérite. Je t'assure que tu ne reconnaîtrais pas
GREGERS. — Gina ?
GREGERS. — Quelle Gina ? Je ne connais pas de Gina. HJALMAR. — Mais tu ne te souviens donc pas qu'elle a servi ici dans le temps ? GREGERS,le regardant.— Gina Hansen ? HJALMAR. — Mais oui, certainement : Gina Hansen. GREGERS. — Celle qui a gouverné la maison pendant la maladie de ma mère ?
mariage. GREGERS,qui s'est levé.— En effet, il me l'a annoncé ; mais il ne m'avait pas dit...(Il arpente la pièce.)lettres de mon père sont si courtes.Si, si, attends un peu ; je crois me souvenir. Mais les (Il s'assied sur un bras du fauteuil.)Ecoute, Hjalmar, dismoi donc... C'est si curieux. Voyons... comment astu fait la connaissance de Gina... de ta femme ?
dessus dessous... depuis la maladie de ta mère, tu comprends ; Gina ne pouvait plus y tenir. Elle a
l'année même. GREGERS. — Oui, c'était l'année même de sa mort. À cette époque, je travaillais déjà à l'usine. Mais voyons, continue. HJALMAR. — Eh bien, Gina est allée s'établir chez sa mère, une femme active et entreprenante qui tenait un petit restaurant. À côté, elle avait une chambre à louer, une
GREGERS. — Et tu as probablement eu la chance de t'y loger. HJALMAR. — Oui. C'est même ton père qui m'en a donné l'idée. Et c'est là, tu comprends, c'est justement là que j'ai fait la connaissance de Gina. GREGERS. — Et cela a abouti à un engagement. HJALMAR. — Oui. Un jeune homme, une jeune fille, l'amour vient vite.
fiançailles — que mon père t'a conseillé... enfin, c'est alors que tu t'es décidé à devenir
HJALMAR. — Oui. J'ai voulu me faire une situation et m'établir le plus tôt possible. Ton père et moi, nous sommes tombés d'accord : la photographie était ce qu'il y avait de plus facile. Gina
cours dans ce domaine.
HJALMAR,se levant, d'un air satisfait.mon ami ? N'estce pas que cela tombait— N'estce pas, à merveille.
GREGERS. — Ah ! il faut en convenir ! Mais mon père a été une sorte de providence pour toi. HJALMAR,ému.— Il n'a pas abandonné le fils de son vieil ami en détresse. C'est que, voistu, c'est un noble cœur.
Werle. Il ne faut pas que vous soyez là, au milieu de toutes ces lumières. Cela vous éblouit et vous fait du mal. WERLE,quittant son bras, et se passant la main sur les yeux.Je crois que vous avez raison.(PETTERSEN et JENSEN entrent, portant des plateaux.) MADAME SORBY,aux convives, qui se tiennent dans l'autre pièce.— Entrez, messieurs. Si
LE MONSIEUR GRAS,s'approchant de Mme Sorby. —Voyons, estce possible que vous ayez
MADAME SORBY. — Oui, monsieur le chambellan, elle est proscrite dans les domaines de M. Werle. LE MONSIEUR CHAUVE. — Et de quand date cette disposition draconienne, madame Sorby ? MADAME SORBY. — Du dernier dîner, monsieur le chambellan, où quelques personnes ont pris trop de liberté.
liberté, madame Berta ? Pas le moindre petit brin ? MADAME SORBY. — En aucune façon, chambellan Balle. (La plupart des convives sont entrés dans le cabinet de WERLE. Les domestiques offrent le punch.) WERLE,qui se tient à l'écart, près d'une table.à HJALMAR, — Que regardezvous là, Ekdal ?
LE MONSIEUR CHAUVE,qui se promène dans la pièce. —Des photographies ! Cela doit vous
LE MONSIEUR GRAS,du fond d'un fauteuil.n'en avez pas avec vous ? HJALMAR. —— Vous Non, monsieur. LE MONSIEUR GRAS. — C'est dommage : on digère si bien en regardant des images, assis dans un fauteuil. LE MONSIEUR CHAUVE. — Et cela entretient la conversation.
MADAME SORBY. — Les chambellans pensent que si l'on est invité à dîner, on doit travailler pour mériter sa nourriture, monsieur Ekdal. LE MONSIEUR GRAS. — Quand on est si bien nourri, on le fait avec plaisir. LE MONSIEUR CHAUVE. — Mon Dieu, en ce qui concerne la lutte pour la vie... MADAME SORBY. — Vous avez raison !
GREGERS,à voix basse.— Il faut que tu parles, Hjalmar.
LE MONSIEUR GRAS. — N'êtesvous pas d'avis, monsieur Werle, que le tokay est plutôt sain pour l'estomac ?
aujourd'hui ; il est d'une excellente année. Du reste, vous vous en êtes aperçu.
HJALMAR,hésitant.— Y atil quelque différence entre une année et une autre ? LE MONSIEUR GRAS,riant.— Ah ! vous êtes bon, vous !
WERLE,avec un sourire.peine de vous offrir un grand vin.— Ce n'est vraiment pas la LE MONSIEUR CHAUVE. — Voyezvous, monsieur Ekdal, il en est du tokay comme des photographies, il leur faut du soleil, n'estce pas ?
MADAME SORBY. — Mais alors, c'est aussi le cas des chambellans : on prétend qu'ils se tournent vers le soleil. LE MONSIEUR CHAUVE. — Aïe, aïe, voilà une méchanceté bien usée. LE MONSIEUR MYOPE. — Madame fait de l'esprit... LE MONSIEUR GRAS. — Et à nos dépens.(Menaçant.)Madame Berta, madame Berta !...
vieux, mieux ça vaut.
MADAME SORBY. — Bien loin de là ! LE MONSIEUR CHAUVE. — Voyez un peu ! Et moi donc, ma chère madame Sorby? LE MONSIEUR GRAS. — Eh bien, et moi ? De quelle année sommesnous ? MADAME SORBY. —Vous êtes, selon moi, des années grasses, messieurs. (Elle porte un verre de punch h ses lèvres. Les chambellans rient et badinent avec elle.)
messieurs ! Pettersen, remplissez ! Gregers, buvons un verre ensemble !(GREGERS ne bouge pas.)Ne voulezvous pas être de la partie, Ekdal ? Je n'ai pas eu l'occasion de trinquer avec vous pendant le dîner. (GRABERG entrouvre la porte dérobée.) GRABERG. — Excusezmoi, monsieur Werle, je n'arrive pas à sortir.
GRABERG. — Oui, et Flakstad est parti avec les clefs.
GRABERG. — C'est que nous sommes deux. WERLE. — Eh bien, passez tous les deux, ne vous gênez pas. (GRABERG et le père EKDAL sortent des bureaux.) WERLE,malgré lui.— Aïe ! (Les rires et les plaisanteries cessent parmi les convives. HJALMAR tressaille à la vue de son
EKDAL,les yeux baissés, fait de petits saluts à droite et à gauche et s'en va en murmurant.Demande pardon... fait fausse route... Porte fermée... porte fermée... Demande pardon. (EKDAL et GRABERG sortent par la porte du fond à droite.) WERLE,entre les dents.— Ce maudit Graberg ! GREGERSouvre de grands yeux, et reste bouche bée, puis il dit à HJALMAR :— Ce n'était
LE MONSIEUR GRAS. — Que se passetil ? Qui étaitce ?
LE MONSIEUR MYOPE,à HJALMAR. —Vous connaissez cet individu ? HJALMAR. —Je ne sais pas ; je n'ai pas remarqué.
(Il s'approche de quelques autres messieurs qui parlent entre eux, à voix basse.)
quelque chose de bon. PETTERSEN,faisant un geste d'assentiment.— Oui, madame.
(Il sort.) GREGERS,avec émotion, d'une voix contenue, à HJALMAR.— Ainsi, c'était lui ! HJALMAR. — Oui.
HJALMAR,agité, à voix basse.— Comment auraisje pu... GREGERS. — Reconnaître ton père ? HJALMAR,douloureusement. —Oh ! si tu étais à ma place, tu... (Les convives, qui causaient entre eux a voix basse, affectent maintenant de parler très haut.) LE MONSIEUR CHAUVE,d'un air affable, en se rapprochant de HJALMAR et de GREGERS.
fumez pas, monsieur Ekdal ? Voulezvous du feu ? Ah, c'est vrai, c'est défendu.
LE MONSIEUR GRAS. — N'auriezvous pas quelques jolis vers à nous dire, monsieur Ekdal ? Dans le temps vous déclamiez si joliment. HJALMAR. — Malheureusement, je ne peux me souvenir de rien. LE MONSIEUR GRAS. — Oh, c'est bien dommage. Que pourrionsnous imaginer, Balle ? (Il passe dans l'autre pièce avec Balle.)
frappé par le destin... Présente mes salutations à ton père. GREGERS. — Oui, oui... Rentrestu chez toi ? HJALMAR. — Oui. Pourquoi cette question ? GREGERS. — Parce que j'irai peutêtre te rejoindre tout à l'heure. HJALMAR. — Non, ne viens pas chez moi. Ma demeure est triste, Gregers, surtout après une
MADAME SORBY,qui s'est approchée, à voix basse. —Vous partez, Ekdal ?
MADAME SORBY. — Saluez Gina. HJALMAR. — Merci. MADAME SORBY. — Diteslui que j'irai la voir un de ces jours. HJALMAR. — Oui, merci.(A GREGERS.)Reste ici. Je veux m'éclipser sans éveiller l'attention. (Il traverse lentement la scène, entre dans l'autre pièce, puis sort à droite.)
quelque chose au vieux ? PETTERSEN. — Je crois bien. Une bouteille de cognac. MADAME SORBY. — Oh ! vous auriez pu trouver mieux. PETTERSEN. — Pour sûr que non, madame. Il aime le cognac pardessus tout. LE MONSIEUR GRAS,à la porte, tenant un cahier de musique.— Ne voulezvous pas que
MADAME SORBY. — Volontiers.
(Elle passe dans le salon et tourne à droite, suivie de tous les invités. GREGERS reste debout devant la cheminée. WERLE cherche quelque chose sur son bureau et semble désirer que
GREGERS. — Un instant, mon père.
GREGERS. — Je voudrais te parler. WERLE. — Ne peuxtu pas attendre que nous soyons seuls ?
GREGERS. — Non, je ne peux pas. Il est possible que nous ne soyons plus jamais seuls. WERLE,se rapprochant.— Que veuxtu dire ? (Pendant la scène suivante, on entend au loin le son d'un piano.)
WERLE. — Tu parles des Ekdal, je pense. GREGERS. — Oui, je parle des Ekdal. Il fut un temps où le lieutenant Ekdal était de tes intimes. WERLE. — Oui, malheureusement, trop intime. J'en ai assez souffert pendant de longues années. À cause de lui, mon nom a été sali. GREGERS,à voix basse.Étaitil vraiment le seul coupable ?
GREGERS. — Cette grande opération, cet achat de forêts, vous l'aviez pourtant faite ensemble.
fait ces coupes illégales sur les terrains de l'État. Tu sais bien que c'était lui qui dirigeait toute l'exploitation làhaut. Moi, j'ignorais ce que faisait le lieutenant Ekdal. GREGERS. — Le lieutenant Ekdal ignorait sûrement luimême qu'il agissait en dehors de toute légalité. WERLE. — C'est bien possible. Mais lui a été condamné et moi j'ai été acquitté. GREGERS. —
WERLE. — Un acquittement est un acquittement. Pourquoi remuer ces vieilles histoires qui m'ont donné des cheveux blancs avant l'âge ? C'est donc cela qui t'a travaillé pendant toutes les années où tu es resté làhaut ? Je t'assure, Gregers, qu'ici ces choses sont oubliées depuis longtemps, en ce qui me concerne. GREGERS. —Eh bien ! et la malheureuse famille Ekdal ?
de prison, c'était un homme fini. Il n'y avait rien à faire. Il y a des hommes qui coulent, aussitôt
Tu peux me croire, Gregers : je les ai aidés autant qu'il m'a été possible de le faire, sans m'exposer aux soupçons et aux ragots. GREGERS. — Aux soupçons ?... Ah, oui. WERLE. — J'ai procuré à Ekdal des travaux de copie dans les bureaux et je le paye beaucoup plus que cela ne vaut.
WERLE. — Tu souris ? Tu ne me crois pas ? Il est vrai que cela ne se trouve nulle part dans mes comptes ; je n'inscris jamais ces dépenseslà. GREGERS,souriant froidement.— Sans doute, il y a certaines dépenses qu'il vaut mieux ne pas inscrire. WERLE,essaillatrtn.— Qu'entendstu par là ?
photographie à Hjalmar Ekdal ?
GREGERS. — Je sais maintenant que c'est toi qui as payé sa formation. Je sais également que c'est toi qui lui as amplement fourni de quoi s'établir.
jure que ces genslà m'ont coûté assez d'argent. GREGERS. — Astu inscrit une seule de ces dépenses sur tes livres de comptes ? WERLE. — Pourquoi cette question ? GREGERS. — Oh, j'ai mes raisons. Écoutemoi bien : l'époque où tu t'es si vivement
intéressé au fils de ton vieil ami n'atelle pas coïncidé avec le mariage de Hjalmar ? WERLE. — Comment, diable, veuxtu qu'après tant d'années...
postscriptum tu m'annonçais le mariage de Hjalmar Ekdal avec une demoiselle Hansen. WERLE. —Eh bien, c'était exact. Elle s'appelait ainsi. GREGERS. — Mais tu ne me disais pas que cette demoiselle Hansen, c'était Gina Hansen, notre ancienne bonne.
à notre ancienne bonne.
qui s'intéressait tout particulièrement à elle. WERLE. — Que veuxtu dire ?anffauch)t.é'S(Ce n'est pas moi que tu vises ? GREGERS,bas, mais avec fermeté.— Si, c'est toi. WERLE. — Tu oses ! Tu te permets ! Cet ingrat, ce photographe, comment peutil, comment osetil faire de pareilles insinuations !
soit. WERLE. — Mais alors d'où te vient cette idée ? Qui a pu te dire pareille chose ? GREGERS. — C'est ma pauvre, ma malheureuse mère, la dernière fois que je l'ai vue. WERLE. — Ta mère ! J'aurais dû m'en douter ! Elle et toi, vous ne faisiez qu'un. C'est elle qui, dès le commencement, t'a éloigné de moi.
accablée, conduite à sa misérable fin.
raison à des malades, à des exaltées. J'en sais quelque chose. Et te voilà maintenant avec des soupçons, prêtant l'oreille à un tas de racontars et de calomnies contre ton propre père !... Écoute, Gregers, il me semble qu'à ton âge tu pourrais trouver une occupation plus utile. GREGERS. —En effet, il en est temps. WERLE. — Peutêtre te sentiraistu alors le cœur plus léger. Où cela peutil te mener de te
de plus que les gages ordinaires ? C'est une vraie folie de ta part. GREGERS. — En estu bien sûr ? WERLE. — Va, je te comprends. Tu veux être indépendant, tu ne veux rien me devoir. J'ai justement une occasion pour toi de devenir indépendant et de ne relever de personne. GREGERS. — Vraiment ? Comment cela ?
GREGERS. — Oui, au fait, que me veuxtu ? J'ai attendu toute la journée que tu me le dises.
GREGERS. — Une association ? Moi, entrer dans tes affaires ? WERLE. — Oui. Nous n'aurions pas besoin d'être toujours ensemble. Tu pourrais, toi, diriger la
GREGERS. — Toi ?
Gregers ; ma vue commence à faiblir un peu. GREGERS. — Mais elle a toujours été faible.
WERLE. — Pas autant qu'aujourd'hui. Et puis, voistu, certaines circonstances pourraient, peut être, m'obliger à aller m'établir làhaut : au moins pour quelque temps. GREGERS. — Je ne m'y attendais pas ! WERLE. — Écoutemoi, Gregers, il y a tant de choses qui nous séparent, mais cela n'empêche pas que je sois ton père et que tu sois mon fils. Il me semble que nous pourrions arriver à une entente. GREGERS. — À sauver les apparences, veuxtu dire. WERLE. — Enfin, ce serait toujours cela de gagné. Réfléchis, Gregers. Ne croistu pas que cela pourrait se faire ? Dis?
WERLE. — Comment cela ?
WERLE. — Dans une famille, on peut toujours être utile l'un à l'autre. GREGERS. — C'est ce qu'on dit. WERLE. — Je voudrais maintenant te garder quelque temps à la maison. Je suis seul, Greges, je me suis toujours senti seul, durant toute ma vie ; et surtout maintenant que je commence à me faire vieux. J'ai besoin de quelqu'un près de moi, je...
WERLE. — Oui, c'est vrai, et je te dirai même qu'elle m'est devenue en quelque sorte indispensable. Elle a de l'esprit, une humeur égale, elle égaie la maison, et voilà justement ce qu'il me faut. GREGERS. — Eh bien alors, tu as ce qu'il te faut. WERLE. — Mais, voistu, je crains que cela ne puisse pas durer. Une femme dans ces conditions
GREGERS. — Bah ! quand un homme donne de tels dîners, il doit y avoir peu de choses qu'il ne
WERLE. — Mais pense à elle, Gregers. J'ai peur que cela ne lui répugne à la longue. Et si même, par dévouement pour moi, elle consentait à braver les mauvaises langues, les ragots et tout ce qui s'ensuit... Peuxtu vraiment admettre, Gregers, avec ton sens de la justice... ? GREGERS,l'interrompant. —Dismoi simplement que tu veux l'épouser. WERLE. — Et si je le voulais ? Qu'y auraitil à dire ?
WERLE. — Cela te seraitil extrêmement désagréable ? GREGERS. — Mais pas du tout. Pas le moins du monde. WERLE. — Voistu, je ne savais pas si, par égard pour la mémoire de ta mère... GREGERS. — Je ne suis pas un exalté. WERLE. — Que tu le sois ou non, tu viens dans tous les cas de me soulager d'un grand poids. Il
GREGERS,le regardant fixement.Maintenant, je vois à quoi tu voulais m'employer.
GREGERS. — Oh ! ne soyons pas si délicats sur le choix des mots... Au moins quand nous sommes seuls.antniRac(.)comme ça ! Mme Sorby étant en jeu, il fallait composer unAh ! c'est
serait nouveau, ça !
GREGERS. — La vie de famille ! Quand l'avonsnous menée ici ? Jamais, aussi loin que remontent mes souvenirs. Mais aujourd'hui il en faut un peu. Cela ferait si bon effet de pouvoir
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