L’Amant anonyme
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Description

L’Amant Anonyme
Stéphanie-Félicité de Genlis
1781
L’ A M A N T
A N O N Y M E
COMEDIE en CINQ ACTES.
PERSONNAGES
Léontine, jeune Veuve.
Dorothée, Amie de Léontine.
Le Vicomte, Le Vicomte de Clémengis.
Rosalie, Femme de Chambre de Léontine.
Picard, Valet du Vicomte.
Ophémon, Vieux savant attaché à Léontine.
Jeannette, Jeune Villageoise.
Colin, Jeune Villageois, amant de Jeannette.
Un Notaire.
La Scène est dans une Terre de Léontine,
à soixante lieues de Paris.
Sommaire
1 ACTE I
1.1 Scène 1
1.2 Scène 2
1.3 Scène 3
1.4 Scène 4
1.5 Scène 5
1.6 Scène 6
2 ACTE II
2.1 Scène 1
2.2 Scène 2
2.3 Scène 3
2.4 Scène 4
2.5 Scène 5
2.6 Scène 6
2.7 Scène 7 2.8 Scène 8
2.9 Scène 9
3 ACTE III
3.1 Scène 1
3.2 Scène 2
3.3 Scène 3
4 ACTE IV
4.1 Scène 1
4.2 Scène 2
4.3 Scène 3
4.4 Scène 4
4.5 Scène 5
5 ACTE V
5.1 Scène 1
5.2 Scène 2
5.3 Scène 3
5.4 Scène 4
5.5 Scène 5
L’ A M A N T
A N O N Y M E
C O M E D I E
(Le Théâtre représente un Salon.)
ACTE I
Scène 1
Ophémon, seul.
(Il regarde de tous côtés s’il n’y a personne. Il s’assied ; & tirant une lettre
de sa poche, il dit.)
Il est cinq heures. Tout le monde est à la promenade. Pendant que nous
sommes seuls, relisons un peu la lettre de M. le Vicomte… Je crois
n’avoir rien oublié de ce qu’il m’ordonne. Voyons (Il tire ses lunettes, &
lit) Hom…. “ Mon courier a dû vous porter toutes les choses
nécessaires pour la petite fête en question… les couplets & les
instructions relatives à ce sujet. Songez bien à votre déguisement ; que
la jeune Villageoise ...

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Langue Français
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Extrait

L’Amant AnonymeStéphanie-Félicité de Genlis8711L’ A M A N TA N O N Y M ECOMEDIE en CINQ ACTES.PERSONNAGESLéontine, jeune Veuve.Dorothée, Amie de Léontine.Le Vicomte, Le Vicomte de Clémengis.Rosalie, Femme de Chambre de Léontine.Picard, Valet du Vicomte.Ophémon, Vieux savant attaché à Léontine.Jeannette, Jeune Villageoise.Colin, Jeune Villageois, amant de Jeannette.Un Notaire.La Scène est dans une Terre de Léontine,à soixante lieues de Paris.Sommaire1 ACTE I11..12  SSccèènnee  211.3 Scène 31.4 Scène 411..56  SSccèènnee  562 ACTE II22..21  SSccèènnee  212.3 Scène 322..54  SSccèènnee  5422..76  SSccèènnee  67
2.8 Scène 83 ACT2E. 9I IIScène 933..12  SSccèènnee  213.3 Scène 34 ACTE IV44..21  SSccèènnee  1244..43  SSccèènnee  435 ACT4E. 5 VScène 555..21  SSccèènnee  215.3 Scène 355..45  SSccèènnee  45L’ A M A N TA N O N Y M EC O M E D I E(Le Théâtre représente un Salon.)ACTE IScène 1Ophémon, seul.(Il regarde de tous côtés s’il n’y a personne. Il s’assied ; & tirant une lettrede sa poche, il dit.)Il est cinq heures. Tout le monde est à la promenade. Pendant que noussommes seuls, relisons un peu la lettre de M. le Vicomte… Je croisn’avoir rien oublié de ce qu’il m’ordonne. Voyons (Il tire ses lunettes, &lit) Hom…. “ Mon courier a dû vous porter toutes les chosesnécessaires pour la petite fête en question… les couplets & lesinstructions relatives à ce sujet. Songez bien à votre déguisement ; quela jeune Villageoise sache parfaitement son rôle… enfin, mon cherOphémon, il s’agit du bonheur de ma vie. Souvenez-vous à quellecondition je vous ai placé chez Léontine ” (Ophémon, après avoir lu…)Il arrive Jeudi… Jeudi, c’est aujourd’hui. Voilà qui est bon : il aura lieud’être satisfait de mon exactitude… C’est une chose singulière que ladestinée ! Moi, grave Professeur de Langues & de Sciences, me voilàdevenu l’Agent d’une intrigue amoureuse , la plus bizarre, la plusromanesque !… Enfin, si nous réusissons, ma fortune est faite. Mais je
suis encore bien loin de me flatter du succès. La tête de Léontine tientbon. Tous mes progrès se bornent à lui inspirer quelque légèrecuriosité. Cette fuite de Paris m’a presque déconcerté tout-à-fait…Quelle femme extraordinaire ! quelle fierté ! quelle obstination dans sessystèmes ! Mais chut, on vient.Scène 2Rosalie, Ophémon.RosalieAh ! Monsieur Ophémon, je viens vous annoncer une nouvelle qui vous feraplaisir. Monsieur le Vicomte de Clemengis, votre ancien Elève, arrive ;son Courier est là-bas.OphémonBon ! vous me surprenez beaucoup. Il semblait avoir totalement oubliéLéontine. Depuis huit mois que nous ne l’avons vu, je ne sache pas qu’ilait écrit une seule fois.RosalieCette négligence est d’autant plus singulière, que Madame l’a toujoursdistingué avant qu’elle fût veuve. Il lui a rendu de grands services ; car ilétait ami intime de son mari, & il les a plus d’une fois raccommodésensemble. Madame en a conservé beaucoup de reconnaissance & elledisait souvent que c’était le seul homme qu’elle estimât, d’autant plusqu’il n’avait jamais été amoureux d’elle.OphémonIl a eu grande raison : car vous avez vu comme Léontine, depuis sonveuvage, a traité tous ceux qui aspiraient à sa main.RosalieOh ! il est vrai que le mariage lui fait horreur. Mais, dame, mettez-vous à saplace. Elle avait épousé son amant, celui qu’elle avait choisi entre mille,& vous savez comme il l’a rendue malheureuse. Ecoutez donc ; il n’estpas étonnant qu’après cette épreuve, elle y pense à deux fois.OphémonEt puis elle n’aime rien, elle est belle, jeune, riche & libre ; elle a des goûtssolides. Des livres, de la musique, de l’indépendance, voilà tout ce qu’illui faut. Elle serait bien folle de songer à se remarier. Allez, je vousproteste que le Vicomte va bien l’entretenir dans ses sentiments à cetégard. C’est l’homme le plus opposé au mariage, & qui a le plusd’éloignement pour les femmes.RosalieMais cela est fort vilain, vous lui avez donné là de très mauvais principes.OphémonEh, mon Dieu ! je n’y ai rien fait ; il est né comme cela : austère, méprisantl’amour, & sauvage par caractère autant que par système.RosalieVoilà ce qui nous convient. Ma Maîtresse fuit les fêtes & la galanterie. Loindu monde & de ses amants, à soixante lieues de Paris, seule avec sonamie Dorothée, elle dit en arrivant ici,qu’il n’y avait que le Vicomte à quielle put permettre de venir troubler un si doux tête-à-tête. Pour moi,depuis huit jours que nous sommes dans cette solitude, j’y meurs déjàd’ennui ; je regrette vivement cette cour si brillante, dont Léontine étaitentourée, & surtout cet amant singulier, ce lutin, ce… Mon Dieu ! dites
donc comment vous l’appelliez ?Ophémon, RiantAh ! notre Sylphe ?RosalieOui, le Sylphe !… Sylphe ! Le joli nom ! Oh que j’aimerais un Sylphe, moi !Le voilà bien dérouté, le pauvre malheureux ! Croyez-vous qu’il nous aitsuivies ? Je le voudrais.OphémonOh ! non, la fuite de Léontine lui aura fait perdre toute espérance.RosalieQue je le plains !OphémonMoi, point du tout ; c’est un extravagant. Mais à propos, voici l’heure oùLéontine doit rentrer de la promenade pour la lecture ; il faut que je m’yrende. Adieu (Il sort).Scène 3Rosalie, SeuleRosalieC’est un bon homme pour un Savant, que ce Monsieur Ophémon. Il parlecomme un autre ; il a un sang froid, une certaine gravité tout-à-fait drôle.S’il n’entretenait pas ma Maîtresse dans toutes ses rêveries desciences & d’études, je l’aimerais. Mais qui vient ? Ah ! c’est Picard.Tant mieux ; il y a longtemps que je n’ai causé à mon aise, & je vaism’en dédommager amplement.Scène 4Rosalie, PicardPicardEnfin, je te retrouve. Il y a une heure que je te cherche. Mais Rosalie, dis-moidonc ce qu’on prépare ici ? J’ai vu des Ménestriers, des apprêts dedanses, & tout le château est rempli de jeunes Villageoises.RosalieC’est une noce. Jeannette & Colin s’aimaient ; Jeannette & Colin étaient lesBergers les plus pauvres du Hameau & Madame, bienfaisante &sensible, dote & marie ce soir Jeannette & Colin.PicardComment n’est-elle pas blessée du spectacle d’une noce ? On m’a contéqu’elle s’était exilée dans cette terre pour éviter la poursuite de sesamants.RosalieRien n’est plus vrai, mon pauvre PicardPicard
Pardi, mon Maître va se trouver ici bien selon son goût. Ils en vont dire debelles tous les deux sur l’amour & le mariage !RosalieSais-tu notre histoire ?PicardQuelle histoire ?RosalieDe notre amant invisible… anonymePicardMoi, non, je ne sais rien qu’en gros… J’arrive.RosalieEh bien, écoute-la : elle est curieuse. Il y a environ huit mois, dans le tempsdu départ de ton Maître, vers le commencement de l’hiver, un moisaprès que le bon homme Ophémon fut entré chez nous…PicardEh, pour Dieu, laisse-là tes époques, & venons au fait : je ne me soucie pasde la date.RosalieEh bien, alors Léontine reçut une lettre anonyme … Sais-tu ce que c’estqu’une lettre anonyme ?PicardOui, oui, à peu près.RosalieEh bien, cette lettre était d’amour. On y disait que la passion, l’estime… lacrainte… que… Tu imagines bien ?PicardSans doute. Passons la lettre. Après.RosalieElle en reçut comme cela cinq ou sixPicardL’Anonyme était grand EcrivainRosalieEt puis des vers, des chansons ; oh ! j’en avais retenu entr’autres unecharmante ; je ne sais pas si je m’en souviendrais à présent.PicardEnfin…RosalieEnfin, tous les jours amenaient quelqu’aventure nouvelle, de la musique, desfêtes…PicardDes fêtes anonymes ?Rosalie
Assurément, des concerts sous ses fenêtres, à ses promenades… Tu saisqu’elle avait une maison au bois de Boulogne ; eh bien, tous les soirsc’était des chants délicieux, des feux d’artifice, avec son chiffre & sonnon tracés partout, & il n’y a pas un arbre dans le bois qui ne soit remplide vers & d’emblêmes.PicardEt jamais Léontine n’a pu découvrir d’où tout cela venait ?RosalieJamais & je t’assure qu’elle n’y a rien épargné. L’inconnu étendait sesattentions jusqu’à moi. J’ai trouvé plus de trente fois,dans ma chambre,des robes, des bijoux, & différents présents ; tiens, cette bague est de.iulPicardComment, diantre ! voilà du solide, & l’on n’a pas même soupçonné ?…RosalieLéontine s’est en vain creusé la tête à ce sujet ; les soupçon d’abord sonttombés sur tous les gens de la société qui l’entouraient alors ; & puiselle disait : "celui-là n’a pas assez d’esprit, celui-ci est trop fat & tropindiscret ; cet autre n’est point assez passionné…". Enfin, aprèsbeaucoup de réflexions & de recherches, elle s’est arrêtée à croirequ’elle n’a jamais connu ni vu cet amant singulier.PicardEt comment aurait-elle pu lui tourner la tête à cet excès ?RosalieOh ! il la connaît de réputation ; il l’aura vu aux spectacles ; il lui aura parlé aubal sans qu’elle s’en doute… voilà ce que nous imaginons.PicardEt cela dure depuis huit mois ?RosalieEt cela durerait encore, si elle n’avait pas pris le parti de venir s’enterrer ici.PicardIl y a du merveilleux là-dedans. Moi, je crois que c’est un Sorcier.RosalieFi donc ! dis plutôt un génie… un Sylphe, à la bonne heure… Mais, à tontour, conte-moi donc un peu ce que vous êtes devenus pendant une silongue absence ?PicardOh ! mon histoire ne sera pas aussi jolie que la tienne. D’abord, mon Maîtrea passé trois mois à son Régiment ; ensuite il a été dans sa terre dePicardie. Là, il ne voyait personne ; il écrivait toute la journée, & puisquelquefois il partait brusquement tout seul, & ne revenait qu’au bout dehuit, dix ou douze jours.RosalieComment ! tout seul ?PicardAbsolument seul.RosalieQuel homme bizarre !
PicardCela s’appelle un philosophe.RosalieC’est dommage, avec une figure si intéressante, des manières si douces, sidistinguées… Mais, paix, taisons-nous. Voilà ma maîtresse &Dorothée.Scène 5Rosalie, Picard, Léontine, Dorothée.LéontineRosalie, l’habit de Jeannette est-il fait ? Sera-t-elle bien mise ? Je vous priede présider à sa toilette.RosalieMadame sera contenteDorothéeEt Jeannette encore davantage.RosalieOh ! elle est transportée ; il faut que ce soit une jolie chose que le mariage !LéontineMais votre Maître n’arrive point ?PicardEn effet, il devrait être iciLéontineAllez, Rosalie, dire à Jeannette que je signerai son contrat dans une heure.(Rosalie & Picard sortent).Scène 6Léontine, Dorothée.LéontineCette noce me fait plaisir. Il est si doux de faire du bien ! Cependant je mereproche d’avoir cédé si facilement à ma sensibilité, en unissant deuxpersonnes qui vraisemblablement un jour m’en sauront mauvais gré.DorothéeEh, mon Dieu ! toujours les mêmes idées, & tout cela d’après votre exemple.Mais est-ce une raison de tirer une conséquence si générale ?LéontineJ’aimais, j’étais aimée, & vous savez quel fut mon destin !DorothéeVous aimiez avec trop de délicatesse & de passion. Susceptible, violente,inquiète, vous fîtes vous-même le malheur de votre vie.
LéontineIl fallait me contenter d’un ami. Je voyais chaque jour ses soins diminuer ;une tendresse indolente & paisible, succéder à cette passion si vive.Sans objet de jalousie, sans raison aux yeux du monde, je devinsfâcheuse, parce que je me trouvais à plaindre. Bientôt je me rendisimportune & désagréable. J’éclatai ; on osa me parler en maître ; leressentiment, la fierté se joignirent à l’amour mécontent, & je ne connusplus de bornes. Sans le Vicomte, vous n’ignorez pas à quellesextrémités je me serais portée. Enfin, je parvins à me faire haïr… Osouvenir cruel de ce temps affreux de discorde, de reproche mutuels !DorothéeSi l’on eût partagé l’excès de votre passion, quelle félicité eût égalé la vôtre !LéontineEh ! voilà ce qui n’est pas possible. Il m’aimait à sa manière, comme leshommes savent aimer, en me négligeant, en se livrant à toutes lesvaines dissipations qui l’arrachaient d’auprès de moi. Je n’avais qu’uneaffaire, qu’un objet, qu’une idée : c’était toujours lui. Ah ! quelle était mafolie, d’oser attendre & d’exiger un retour que l’homme le plus sensiblene pourra jamais accorder !DorothéeVoilà l’opinion que je combats. Je conviens qu’il n’avait pas une âme assezdélicate, assez passionnée pour la vôtre : mais croyez qu’il en existe.Vous jugez des hommes avec trop de prévention. La sensibilité ne nousserait-elle donnée que pour faire des ingrats ? Non, cela ne peut être.Par exemple, pensez-vous que cet inconnu, qui vous poursuit depuis silongtemps, ne soit pas capable d’une constance, d’une délicatesse,d’une passion qui surpasse tout ce qu’on a jamais vu ?LéontineIl y a de l’exagération dans cet éloge.DorothéeIl y aurait de l’injustice à ne le lui pas accorder. Réfléchissez à sa conduite. Ilvous déclare qu’il vous aime depuis plus de huit ans ; il n’ose l’avouerque deux ans après votre veuvage. D’abord, il respecta votre vertu,ensuite votre douleur ; quelle bienséance, quelle honnêteté ! Enfin, il faitparler ses soins ; mais connaissant votre éloignement invincible pour unnouvel engagement, il vous proteste qu’il est sans espérance ; qu’il estdécidé à ne jamais se nommer & que le bonheur qu’il éprouve à vousentretenir de sa passion, lui suffit & le dédommage de toutes les peinesque vous lui avez causées. Joignez à tout cela une galanterie, unegrâce, une occupation de vous si continuelle, si constante. En vérité, jevous admire, d’être si froide à cet égard : pour moi, je sens qu’il y alongtemps que la curiosité m’aurait conduite à l’intérêt le plus pressant& le plus vif.LéontineQui ? moi, j’aimerais encore ? Ah ! cette idée me rappelle des maux à peineeffacés par le temps ; il me semble qu’elle rouvre toutes les blessuresde mon cœur. Ce triste cœur est épuisé ; il abjure à jamais un sentimentqui n’est plus fait pour lui. J’ai vingt cinq ans ; je suis libre, je veuxconserver du moins ce seul avantage qui me reste & au défaut dubonheur, qui n’est qu’une chimère, chercher la paix & la goûter si je.siupDorothéeVous le dirai-je ? Jamais, depuis dix-huit mois, je ne vous vis, comme àprésent, dans une situation moins tranquille. Une sombre mélancolievous consume en secret ; votre âme active & passionnée a besoin d’unsentiment violent. Cette retraite profonde où vous vous ensevelissezm’effraie pour vous ; elle nourrira des souvenirs & des réflexions dont ilaurait fallu vous distraire. Il faut apporter la paix dans la solitude, & nonvenir l’y chercher.
LéontineCes lieux me plaisent, ce séjour sauvage & sans art me convient. J’aime cesrochers dont nous sommes entourées ; ils semblent rendre cettedemeure inaccessible. Puissé-je à jamais y être oubliée, comme je ledésire !DorothéeVoilà des idées tout à fait gaies. La plus jolie femme de Paris, enferméedans un vieux Château fort, avec le projet d’y rester toujours !… Pourmoi je n’ai pas un goût décidé pour les rochers. Je partage avec plaisirvotre solitude & non votre misanthropie : & je crains, je vous l’avoue,qu’après avoir quitté le monde, votre humeur sauvage ne vous fasseencore exiler l’amitié de ce désert si charmant à vos yeux.LéontineNon, elle seule y sera reçue : je ne suis plus sensible que pour elle. Lesouvenir du Vicomte dans cet instant me fait même plaisir Je le reverraiavec joie ; c’est l’homme le plus estimable & le plus honnête que j’aiejamais connu. Indifférent, austère & froid, mais sûr, essentiel, ami solide& vrai, il a toutes les qualités nécessaires pour inspirer un attachementdurable.DorothéeIl me semble avoir entendu dire que vous aviez pensé l’épouser avant votremariage ?LéontineIl est vrai qu’il en fut question. J’avais quinze ans, il en avait vingt-trois.J’étais encore au Couvent ; mes parents le désiraient avec ardeur, & lelui proposèrent. Il ne le voulut pas, sous prétexte de ma grandejeunesse. Ce refus n’avait rien de choquant ; car nous ne nousconnaissions ni l’un ni l’autre. Je le retrouvai deux ans après dans lemonde, & j’étais marié la première fois que je le vis.DorothéeAprès cette aventure, il eût été assez piquant de lui tourner la tête, de lerendre bien amoureux. A votre place, j’en aurais été un peu tentée.LéontineJ’étais bien éloignée d’un tel projet ! Mais quand j’aurais pu le former,certainement il n’aurait pas réussi.DorothéeEn vérité, vous vous deviez cette petite vengeance. Mais sérieusement, jesuis fâchée que vous ne l’ayez pas épousé ; peut-être eussiez-vous étéplus heureuse avec lui.LéontineNon, sûrement, si je l’eusse aimé : un caractère aussi froid ne convenaitguère au mien.DorothéeEnfin, vous souffrez que l’amitié vienne vous chercher ici ; mais si l’amour,sans votre permission vous y suivait encore ?LéontineQuelle folie ! & qui pourrait la concevoir ?DorothéeNotre inconnu… je ne vous cache pas que je l’attends tous les jours.Léontine
Il faut croire que le parti que j’ai pris l’aura découragé.DorothéeMais enfin, s’il ne l’était pas ?LéontineIl serait fort à plaindre.Rosalie, survenantMadame, je viens de voir une voiture sur le grand chemin ; c’est sûrementMonsieur le Vicomte : mais il est encore loin.LéontineN’importe. Allons au-devant de lui (Elles sortent.)Fin du premier ActeACTE IIScène 1Le Vicomte, OphémonLe VicomteComment, Léontine n’est pas ici ?OphémonOn a vu sur le grand chemin une voiture ; on a cru que c’était la vôtre.Léontine est allée au-devant de vous & comme vous avez pris la routede traverse, vous ne vous êtes pas rencontrés. Je viens d’envoyer lachercher : elle sera ici dans un instant.Le VicomteJe suis bien maladroit. Mais du moins profitons du moment où nous sommesseuls pour parler en liberté. Vous avez bien pris toutes les précautionnécessaires pour la petite fête ? Vous êtes sur du secret ?OphémonOui, Monsieur, soyez tranquille. J’étais déguisé, comme vous me l’aviezordonné ; le jour tombait, il faisait à peine clair dans la chaumière deces bonnes gens ; je me suis annoncé de la part de Dorothée & commej’ai dit qu’elle voulait surprendre Léontine, j’ai sutout fait prometre le plusgrand secret, en ajoutant au père & à la jeune fille, que pour éviter toutsoupçon, elle leur recommandait, si par hasard elle en était rencontrée,de ne point lui parler. Tout cela s’est passé avant-hier. La fête est pource soir. J’observe de près mes acteurs, sans qu’ils s’en doutent.Le VicomteEt Jeannette saura-t-elle sa chanson ?Ophémon
Elle chantait toute la journée le petit air que je vous ai envoyé & pour lesparoles, elle à une mémoire de quinze ans.Le VicomteLes Musiciens sont arrivés ; ils sont cachés aux environs & commej’emploie, pour les faire agir, le même homme qui m’a déjà servi tant defois & qui, lui-même, ne me connaît pas & ne m’a jamais vu ; je necrains point, quand ils seraient questionnés, qu’ils puissent riendécouvrir. Je l’ai chargé aussi du feu d’artifice et de l’illumination.OphémonQue de soins, que de précautions, que d’argent tout cela vous coûte !Le VicomteAh, Dieu ! quand je pense qu’une fois en ma vie j’ai refusé le bonheur que jepoursuis aujourd’hui avec tant de peines !OphémonEn effet, si vous aviez voulu l’épouser alors, vous vous seriez épargné biendes tourments. Mais il faut écarter cette réflexion.Le VicomteElle est désespérante. Quelle vie que la mienne depuis dix ans ! Quellerévolution, quand, retrouvant engagé sans retour l’objet que j’avaisdédaigné, je sentis naître dans mon cœur ces regrets affreux qui ledéchirent ! Heureux & tranquille jusqu’alors, quelle passion impétueuse& rapide vint bouleverser mes idées, détruire mon repos, & s’emparerde toutes les facultés de mon âme ! Ami d’un rival insensible à tant decharmes, j’enviais une félicité dont lui seul ignorait le prix ! Pour comblede tourments, il me fallut recevoir les cruelles confidences de Léontine.Qu’elle âme ell me fit connoître ! Quelle sensibilité ! Quelle délicatesse !Ce fut alors, qu’éperdu, désespéré, je voulus fuir. Mais elle me retintavec ces mots si sacrés pour moi. "Votre amitié m’est nécessaire :vous pouvez m’être utile". Je restai, je lui consacrai ma vie ; jem’immolai pour elle : mais connaissant ma faiblesse, un reste de raisonm’apprit à m’en défier. En la servant, en lui donnant des conseils, jem’armai d’un extérieur froid & sévère, je m’interdis jusqu’aux plussimples expressions de l’amitié. J’écoutai ses gémissements : je viscouler les larmes de l’apparence d’une cruelle insensibilité. Un mot, unseul mot m’eût trahi. Comment lui dire, sans passion & sans transportsque je la plaignais, qu’elle m’était chère ? Oui, me taire entièrement meparut mille fois moins difficile.OphémonMais, Monsieur, croyez-vous que si vous eussiez conté à Léontine unehistoire si intéressante, elle n’en eût pas été touchée, au lieu de vouséloigner comme vous avez fait depuis son veuvage, & de vous plongerdans tous les embarras d’une intrigue aussi singulière ?Le VicomteHélas ! que je suis loin d’espérer encore avec tout ce que j’ai fait ! Vous-même convenez dans toutes vos lettres, que je n’en ai que de bienfaibles raisons : jugez donc si je m’étois déclaré d’abord.OphémonIl est vrai : elle a si mauvaise opinion des hommes ; elle paraît si décidée àne jamais se remarier. Quand je l’entends, je désespère ; quand je vousécoute, je ne puis me persuader que nous ne réussissions pas.Le VicomteIl faut éviter qu’elle ne nous trouve ensemble. On vient, je crois… N’oubliezpas ma lettre.Ophémon
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