D or, de sang et de soie de Christine Machureau
17 pages
Français

D'or, de sang et de soie de Christine Machureau

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
17 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Résumé Attila a subi une terrible défaite aux Champs Catalauniques. Après la campagne d’Italie qui ne fut pas exactement un succès, l’Étoile pâlit si fort que cela sent la fin. Depuis Rome, et tout le long du chemin de retour en Pannonie, ce chef incontesté a des maux de tête. Sa dernière nuit d’amour sera tragique… Avec qui l’a-t-il partagée ? Une princesse khazar, Orca, venue de l’embouchure de la Volga, à l’est. Son oncle a assassiné son père Ardeshir et, pour prix de la paix avec Attila, lui donne sa nièce pour épouse. Va-t-elle accompagner le grand Khan dans ses funérailles ? Va-t-elle sauver sa peau ? Elle fera mieux. Pétrie de culture persane et grecque, plongée dans une société brutale et nomade, elle va devoir s’adapter. Dans ses veines coule le sang des rois, et, reine, elle le deviendra. Mais à quel prix ? Combien d’années à errer dans les steppes ? Que devra-t-elle sacrifier ? Ses amours ? Sa fille ? Son fils ? Quel est le prix d’une horde de cinq mille âmes ? Comment fera-t-elle pour créer l’Orkastan, un royaume entre Khazarie et Bactriane ? Retrouvera-t-elle son frère Ormuz ? Une reine guerrière vit par le fer et meurt par le fer. Que deviendra son royaume ? Son fils a sept ans et sa fille Gegheen Tsets, Lumière de la Sagesse, est une chamane réputée. C’est par la destinée de cette dernière que luiront encore quelques parcelles du sang d’Attila, Kaghan de tous les Khans. Du même auteur La Mémoire froissée, saga historico-médièvale en 5 tomes, Éd.

Informations

Publié par
Publié le 24 mai 2014
Nombre de lectures 287
Licence : En savoir +
Paternité, pas d'utilisation commerciale, pas de modification
Langue Français

Extrait

Résumé
Attila a subi une terrible défaite aux Champs Catalauniques. Après la campagne d’Italie qui ne fut pas exactement un succès, l’Étoile pâlit si fort que cela sent la fin. Depuis Rome, et tout le long du chemin de retour en Pannonie, ce chef incontesté a des maux de tête. Sa dernière nuit d’amour sera tragique… Avec qui l’a-t-il partagée ? Une princesse khazar, Orca, venue de l’embouchure de la Volga, à l’est. Son oncle a assassiné son père Ardeshir et, pour prix de la paix avec Attila, lui donne sa nièce pour épouse. Va-t-elle accompagner le grand Khan dans ses funérailles ? Va-t-elle sauver sa peau ? Elle fera mieux. Pétrie de culture persane et grecque, plongée dans une société brutale et nomade, elle va devoir s’adapter. Dans ses veines coule le sang des rois, et, reine, elle le deviendra. Mais à quel prix ? Combien d’années à errer dans les steppes ? Que devra-t-elle sacrifier ? Ses amours ? Sa fille ? Son fils ? Quel est le prix d’une horde de cinq mille âmes ? Comment fera-t-elle pour créer l’Orkastan, un royaume entre Khazarie et Bactriane ? Retrouvera-t-elle son frère Ormuz ?
Une reine guerrière vit par le fer et meurt par le fer. Que deviendra son royaume ? Son fils a sept ans et sa fille Gegheen Tsets, Lumière de la Sagesse, est une chamane réputée. C’est par la destinée de cette dernière que luiront encore quelques parcelles du sang d’Attila, Kaghan de tous les Khans.
Du même auteur La Mémoire froissée, saga historico-médièvale en 5 tomes, Éd. Numeriklivres, 2012. Aime moi, drame romantique, Éd. Numeriklivres, 2012. Manihi, fiction, Éd. Numeriklivres, 2011.
Christine Machureau
D'OR, DE SANG ET DE SOIE
ISBN 978-2-89717-652-5 numeriklire.net
Préambule
Imaginer ce roman et l’intégrer dans le cours de l’Histoire fut un véritable défi. La documentation si mince aurait pu me permettre une liberté sans limites, mais je n’envisagerai jamais un roman historique sous cet angle. Il y a deux raisons majeures à cette rareté de documents. 1) Les peuples de la steppe ne maîtrisaient pas l’écrit. 2) Les archéologues de la Russie communiste, malgré leur haut niveau de savoir et leur méthodologie remarquable, devaient affirmer haut et fort que l’Histoire ne commençait et ne se terminait que par les Slaves. Les Slaves seuls avaient dominé ce que j’appelle « le ventre mou de l’Europe de l’Est ». Exit donc toutes les peuplades asiatiques (Huns, Avars, Ouïgours…), germaniques (Francs, Frisons, Saxons…) iraniennes (Alains, Scythes…) e ayant déferlé dans toute l’Europe de l’Ouest dès le IIIsiècle apr. J.-C., déstabilisant à tout jamais l’Empire romain. Heureusement, les tumulus parsemant les grandes plaines herbeuses du centre de l’Europe et les abords du continent asiatique ont laissé suffisamment de vestiges pour qu’à travers les siècles, ces peuples en survivance, dans leur authenticité, ne disparaissent pas tout à fait. e J’ai fait rencontrer à mon héroïne un petit groupe de Varègues au VIsiècle alors qu’ils e ne seront définitivement présents en Russie qu’au VIIIsiècle. Cette rencontre m’a semblé plausible et j’avais le plaisir de rendre hommage à ces hommes exceptionnels qui seront le fondement du royaume de Russie, n'en déplaise aux Slaves qui les ont couronnés. Il me reste à remercier chaleureusement les historiens de langue française qui ont su si bien traduire le latin, le grec ancien et dont Monsieur Rouche a publié les traductions avec générosité dans son livre consacré à Attila. Elles ont été mes sources les plus importantes. Les Romains, administrateurs hors pair, notaient les us et coutumes de tous les peuples rencontrés. Il en reste des descriptions savoureuses. En ce qui concerne la partie sino-indienne, le papier, inventé en Chine, recouvert de sanskrit, ainsi que de bonnes traductions ont offert un aperçu précis de l’aventure des Hephtalites qui se sont lancés sur les traces d’Alexandre le Macédonien. Tout ceci reste une œuvre de fiction, un roman d’aventures porté par des hommes et des femmes d’exception. Je vous souhaite une bonne lecture.
Chapitre 1
La houle sanguinaire déroula ses flots de feu, parmi les hurlements de rage et de douleur, jusqu’aux pieds des murailles de Troyes. La nuit n’apporta pas de répit à cette formidable bataille, comme la Terre en avait rarement vu. Les combattants continuaient à s’égorger dans l’ombre. On en discuterait encore des siècles durant. Un garde venait d’apprendre la nouvelle de la mort du roi à Attila qui ressassait le cheminement de sa première défaite. La nuit, anormalement chaude, charriait l’effluve des sanies que laissait échapper la mort rampante. Depuis le matin, Aetius et ses amis francs et wisigoths le chassaient. Entouré maintenant de sa cohorte d’estafettes qui portaient les paroles du chef, le roi des Huns, collé à sa monture, lançait des commandements brefs à la lumière des torches graisseuses. L’homme, râblé, couvert de cuir et de fer, les cuisses nues sous une jupe de peau de chèvre, montrait une chair brunie et musculeuse. Large d’épaules, il ponctuait ses directives d’un grand geste du bras armé d’une épée, très longue et très tranchante. L’arc en travers du dos ne servait plus. Le combat mollement s’étouffait dans un corps à corps aveugle. L’ordre de repli parviendrait aux Germains, aux Slaves, fidèles alliés des Huns. Cette journée avait été la plus mauvaise de toute son existence. Les omoplates de loup avaient parlé. Son chaman lui avait dit : « Attila sera vaincu, mais son ennemi mourra ». Il avait tant espéré la mort du général romain Aetius… Le seul qui s’élevait toujours entre Rome et lui. Sa mort valait bien une défaite. Mais c’est le roi wisigoth, Théodoric, qui perdait la vie. Aetius était là et ne renonçait pas. Le Hun avait [ 1 ] pourtant attendu la deuxième heurepour engager le combat, comptant sur la nuit pour s’esquiver. Mais l’on s’égorgeait encore dans le noir, à tâtons, dans la rage et l’infortune. Attila s’était mis au centre de son dispositif pour rompre le front adverse, et avait disposé Ostrogoths et Gépides à sa droite et à sa gauche. Aetius avait fait le contraire. Au centre, ses alliés, et lui, sur la gauche. Il avait amorcé un mouvement tournant, le déportant rapidement sur la colline dominant le champ de bataille. Alors, Attila avait fait donner ses archers et les milliers de flèches s’abattant sur les Wisigoths avaient déclenché hargne et haine. Hâtivement, les Huns avaient dû se retrancher à l’abri du grand cercle des chariots. Attila vit le piège et joua son va-tout. Bien en vue de ses alliés, calmement, dans un superbe moment théâtral dont il avait le secret, l’effrayant visage jaune, strié de cicatrices, se figea dans l’abnégation. La voix rude, au rythme haché, ordonna un feu dans l’amoncellement des selles des chevaux morts et décréta que l’assaut final le verrait se jeter dedans, dans un élan sacrificiel ! C’est à ce moment-là que Théodoric, dans la fièvre d’une victoire à portée de mains, se précipitant sur les chariots, négligea sa protection et qu’un Gépide lui trancha proprement la tête. La nuit venait de tomber quand Aetius, cherchant Attila, s’égara dans l’ombre et ne retrouva les siens qu’au petit matin ! Attila, le bonnet de cuir et de fourrure enfoncé jusqu’aux yeux sombres et fendus,
ruisselant de sueur, la bouche mince, ouverte sur des dents limées en biseaux, reniflait la défaite. Il ne fallait pas tout perdre. Se replier, s’éloigner d’un corps à corps qui ne valait rien à ses troupes. Il était ravalé au rang des mortels. Il n’était plus le Dieu de la guerre. Mais que faisait Aetius le Romain ? Le jour venait de se lever et la brume irisée se dissipait. La grosse tête d’Attila se tendait sur son cou épais… Le camp adverse, dégarni, lui tournait le dos ! Alors, c’était maintenant que le combat se rompait ! Il fallait se frayer un chemin dans les monceaux de cadavres, entassés parfois sur des blessés qui gémissaient encore. Les troupes hunniques glissaient dans un silence spectral. Troyes barrait la plaine de ses remparts de bois. Sur un très large front, les hordes refluent vers le Rhin. Le roi des Huns, toujours planté sur son petit cheval est devant. Le vent de l’horreur couvre la Gaule du frisson de la terreur. Et là, éclairée en contre-jour par un rayon de soleil, à pied, sans garde, une silhouette magistrale s’avance face à l’énorme flot. Deux Huns s’élancent vers elle et, soulevant l’homme par les bras entre les flancs des chevaux, reviennent au galop vers Attila et le lâchent devant les sabots de son cheval. Ogénèse, éminence grise et grecque du Roi, se penche à l’oreille d’Attila. — Relève-toi grand homme. Loup, évêque de Troyes, a enfilé toute la panoplie de son rang. Scapulaire, mitre, crosse d’olivier cerclée d’argent et, en guise de pectoral, une grande croix d’or incrustée de grenats. C’est son armure. Le saint homme a les cheveux longs et gris, un visage émacié. Il fixe sans peur le barbare échappé du fond de la steppe. Loup est venu pour mourir, en place et lieu des Tricastins. Alors, la crainte s’en est allée. Sa vie exemplaire s’achèvera là, dans le sacrifice d’une existence entièrement consacrée à son Dieu. Il a tant rêvé de cette rencontre. Loup exulte dans cet instant historique qui n’est qu’à lui. À ce moment-là, c’est lui qui souffle le vent de l’Histoire. Il va tout se permettre. — Roi des Huns ! Entends la parole de Dieu ! Tu ne tueras point ! Épargne la ville de Troyes et ses habitants, je t’en conjure ! Après cette terrible journée, pose un geste de bonté et passe sans dol pour nos réfugiés ! Attila gratte sa mince barbe en écoutant Ogénèse lui traduire le discours de cet arrogant. Ce vieillard qui brandit une croix sur sa route… Cela sent la magie. Car le Roi est superstitieux. Il n’honore pas les Dieux, mais les braver ? Ce n’est pas sérieux… On ne sait jamais ! Les troupes sont épuisées. Les épaules voutées et le souffle court, les guerriers baissent la tête. Il épargnera Troyes, mais puisque le bonhomme semble important, il le gardera comme otage jusqu’au Rhin. Si Aetius avait des velléités de poursuite, Loup en ferait les frais. Qu’on se le dise ! Loup, enchaîné, traversera sa ville, au centre de l’avant-garde. Les Tricastins sont terrés dans leurs maisons. Devant presque chaque porte, quelques aliments ont été déposés, comme une offrande au Dieu barbare. C’est en silence, où seul le cliquetis des armes résonne, et dédaignant la nourriture, que cinq mille barbares défileront dans la ville et autant hors les murs. Il y eut pourtant un incident. Les soldats de l’avant-garde, aux aguets, traînant Loup par ses chaînes, apprécient le calme et le désert des rues et là, en plein carrefour, un bruit de gamelles qui chutent les fait sursauter. Une échoppe laisse passer par la porte entrouverte un effluve alléchant. [ 2 ] Sans quitter son cheval, le Hun pousse la porte à l’aide de son scaramaxetout neuf, ramassé sur le champ de bataille. Un long cri aigu jaillit. — Andouilles ! Andouilles ! Andouilles ! Et sort de l’antre une montagne de chair emballée dans une robe de laine qui fut
blanche, ceinturée d’un vieux cuir. L’homme, enguirlandé de chapelets de saucisses luisantes, répétait inlassablement : — Andouilles… Andouilles… d’une voix de plus en plus faible. Il en avait dans les mains, autour du cou, sur les bras. Son double menton tremblotait à l’unisson d’une frayeur non dissimulée. Ses yeux gros et ronds allaient jaillir de sa figure grasse, barrée d’une lèvre inférieure rouge et humide qui ne fermait plus une bouche large et charnue. Il se tut lorsque le Hun, du bout de son épée, décrocha une guirlande et croqua une andouillette sous les rires de cette petite troupe qui répétait à son tour : « andouilles, andouilles, andouilles ». C’est enchaîné par ses saucisses que cet être bizarre, promis à un curieux avenir, nommé dès lors « Andouille », traversa la ville. Puis le roi parut à la porte Est et la garde lui offrit cet esclave d’un nouveau genre qui n’était manifestement pas Tricastin. Ogénèse reconnut un compatriote grec, esclave d’un riche Burgonde. — Alors, garde-le, il est pour toi. Attila se détourna, mécontent. Il manquait neuf chariots de butin, irrémédiablement perdus. Il fallait maintenant franchir le Rhin. Et vite ! Le kaghan Attila rentre en Pannonie, dans son ordou. Il a cinquante ans et fatigue quelque peu.
[ 1 ]  Deuxièmeheure : 14 heures.
[ 2 ]  Scaramaxe: épée courte et Franque.
Chapitre 2
Au milieu de ses yourtes, de ses femmes, de ses juments, dans la plaine herbeuse de la Hongrie aux douces collines, Attila rumine. Rome, toujours Rome. Cela devient une idée fixe. Avoir Rome à sa botte, alors qu’à Rome, dans son enfance, il fut prince otage. Effacer sa fuite devant Aetius. L’enchaîner, le briser, le réduire en bouillie, en faire du mou pour ses loups ! An 452, c’est un printemps merveilleux. C’est décidé, on y va. Quelques yourtes sont chargées sur les chariots avec les chaudrons et les tapis. Attila harangue sa horde, debout sur ses étriers, ce qui ne le hausse pas beaucoup. Mais la voix est forte, vibrante et chacun la sent résonner au fond de ses tripes. Les mots sont simples, éloquents. [ 1 ] — Shengrinous a donné l’empire de la terre. Ceux qui se soumettront et laisseront passer nos troupes conserveront leurs états, leurs familles, leurs biens. Quant aux [ 2 ] autres… Shengri seul sait ce qu’il leur arrivera. Une clameur se répand sur la plaine. C’est la réponse de la horde à son chef. Tous s’embarquent dans cette démentielle aventure : conquérir Rome ! Le temps de la ruiner, de la piller, de faire bonne charge d’esclaves. Cela promet un butin fabuleux. Aquilée, Padoue, Vérone, Milan tendent leur gorge au coutelas hun. C’est la curée. Un formidable trésor gonfle les chariots et l’on approche du centre du Monde ! Alors, c’est Rome ! Rome ! Saisir l’or de Rome enfin ! C’est le couronnement absolu de l’Empereur de la steppe. Rome à genoux ! Là, les souvenirs s’amassent sous le casque de cuir qui couvre les cheveux noirs du Roi. Ses yeux étirés vers les tempes laissent fuser le rayon noir du regard perçant. La peau tannée frissonne sous les regrets, sous le rappel des humiliations subies dans cette Rome fière et hautaine qui est réduite, ce jour, à sa plus simple expression. Ce n’est plus la capitale du monde connu, c’est une ville aux abois, une ville qui attend, qui espère et qui craint. Attila domine la campagne, il jouit de la terreur répandue. Il place ses troupes en un grand arc de cercle, autour des collines de Rome. Les oliviers sont en fleurs et les raisins sont verts. Si verts que les hommes se tiennent le ventre… Perché sur un vaste monticule à l’est de la Ville, il contemple ces fuyards qui partent vers le sud, tout étonnés d’être encore en vie. Et comme il est arrivé bien souvent, Attila est indécis. La troupe patine autour de lui, attend que l’ordre soit donné pour la curée promise. Et l’on patiente… Le Pape ne partira pas. Il connaît Attila. Il voit cette attente inexpliquée et pense la mettre à profit. Il veut une entrevue avec le Roi des Huns. Il se portera vers lui. Foin du protocole, foin des préséances. C’est le Pape qui rendra la visite. Attila accepte. On ajoute des draps d’or et des tapis dans la ferme patricienne qui a été investie. Le Pape va venir. Attila change d’avis. C’est sous sa tente qu’il recevra ce Grand Père et l’on déménage les draps d’or et de pourpre. Le Pape arrive à la tombée du jour sur une mule richement
harnachée. C’est un homme bedonnant, la peau blafarde d’une onctuosité toute cléricale, les mains longues, fines et soignées. Il érige le discours politique au niveau de l’art. Les [ 3 ] quelques patriciensqui l’accompagnent sont parqués dans la cour sans aucune prévenance. Ils resteront là, toute la nuit, sans boire et sans manger. Nul ne pénétrera dans cette tente où se joue l’avenir de Rome. Dans cet univers anachronique, écartelé entre le barbaresque et le raffinement, face à face, assis sur des fauteuils recouverts de fourrures de loup, dans l’atmosphère confinée d’une yourte venue du fond des âges, éclairée par des torches dégoulinantes de graisse et de résine, le Pape argumente face à ce Roi qui joue avec son chien, dans une robe de soie rouge et or. Un gobelet de bois en main, il sirote un vin si épicé qu’il en grimace parfois. Rome est perdue, que gagnerait un grand Roi comme Attila, connu dans toute l’Europe, à saigner une ville à genoux ? Rome l’a reçu, Rome l’a épargné dans son enfance, ne s’en souvient-il pas ? Il a déjà vaincu, que lui servirait, maintenant, de verser le sang ? Les meurtres ajouteront-ils à sa gloire ? Rome pourrait lui verser tribut… Si Attila acceptait d’épargner Rome, Rome, ville éternelle, Rome, berceau de toute civilisation, Rome lui serait reconnaissante… Et cela dure des heures. Attila reste souriant, discourt de choses et d’autres, fait le service du vin lui-même, jette des raisins de Corinthe à son molosse puis en propose au Grand Père. La nuit fraîchit, mais il fait chaud à étouffer sous la yourte. Sous son scapulaire écarlate, « Grand Père » transpire, il fatigue. Il cherche encore à attendrir Attila en lui parlant de son enfance romaine, mais le rictus qu’il surprend au coin de la bouche mince du conquérant lui signale que c’est une mauvaise piste. Oublions l’enfance romaine, évoquons la conquête des Gaules. Mais le sourcil qui fronce sur le visage jaune et tanné de son interlocuteur lui fait comprendre que là non plus… Ce n’est pas la bonne piste. La déculottée des Champs Catalauniques n’est pas un agréable souvenir… « Grand Père » ne sait plus que dire. Le jour va poindre, il n’a pas même obtenu ne serait-ce qu’une ombre d’intérêt de la part d’Attila, qui joue avec le Pape comme avec son chien. La portière de laine doublée de soie dorée s’ouvre sur un Hun bardé de cuir. Il s’avance vers Attila et lui murmure quelques mots à l’oreille. Attila se lève. Attila sort. Encore tenir un peu, se dit le Pape… Il apprendra peut-être quelque chose. C’est un rictus amer qui barre le visage du Conquérant de l’Europe. Il sait qu’il a perdu. S’il avait donné cet ordre la veille… Rome serait définitivement à genoux ! Maintenant, c’est lui qui va fuir ! N’importe quoi ! Mais surtout ! Ne pas revivre la honte devant Aetius, la déroute de la campagne tricastine. Il ordonne… et l’affairement du camp alerte les patriciens dans la cour. Ils ont peur. Attila rejoint le Pape. Il faut qu’il compose son visage. Il prend son temps, puis : « J’ai décidé d’épargner Rome, Grand-père. Allez dire que le magnanime Attila gracie les Romains. » Il se lève, appelle son chien et plante là le Pape qui se demande s’il a bien compris le message. A-t-il gagné assez de temps puisque « gagner du temps » était la mission qu’il s’était donnée ? Au nord de Rome, les armées barbares sont en marche. Une légère avant-garde, quelques dizaines de chariots, le gros de la troupe entourant Attila, sa garde rapprochée, le butin. Suivent les meilleurs Germains en arrière-garde. Une grosse arrière-garde… très
grosse, et pour cause. C’est l’approche des armées de l’empereur d’Orient qu’était venu lui apprendre son chef de la garde, au petit matin. L’armée d’Orient… pour sauver Rome… des milliers de combattants, bien équipés, bien nourris… La conquête romaine est terminée, Attila fuit. Commandement est donné de saisir toute la nourriture des bourgs traversés. Ne pas prendre le temps de piller. Et les villageois, tout étonnés d’être encore en vie après les trois heures de défilé des hordes qui passent en bon ordre, se retrouvent aussi nus qu’au jour de leur naissance. Attila, sur son cheval, rumine. L’importance du butin raflé avant Rome ne le console pas. Il se fait vieux. Il vient de fuir le combat. Décidément, le souvenir des Champs Catalauniques ne s’efface pas ! Quatre jours plus tard, il sait qu’on ne le poursuit pas. Il ralentit le train, car les chariots doivent tous arriver en Pannonie. Il ne manquerait plus qu’il rentre les mains vides ! Dans le même temps, un coursier lui amène un message de son ordou. Le kaghan de Ruanruan, à l’est de ses terres herbeuses, Kitaïa, vient d’envoyer une délégation pour lui faire un cadeau. Sa nièce, accompagnée de gardes, afin qu’elle devienne sa quatrième épouse ! Il ne lui avait rien demandé à celui-là ! Cela fait longtemps qu’il surveille Kitaïa. Il sait mener son affaire ce guerrier de l’Est. Jeune, il a rassemblé tous ceux qui gravitaient devant la muraille de Cipaï. Au fil des années, il n’a cessé d’agrandir troupes et pâturages… Sa nièce ! Pourquoi pas son esclave ! S’il lui avait envoyé sa fille, il le traitait en égal ! Mais lui envoyer sa nièce sans rien lui avoir demandé, c’est le traiter en vassal ! Et refuser la fille, même accompagnée de cadeaux, c’est risquer la guerre encore une fois. Pourtant, c’est la seule conduite à tenir. Mais non, il y a une autre solution. Il la donnera à son meilleur général, son ami d’enfance, Kargaï. Voilà, c’est ce qu’il faut faire. Ils ont mis trois jours à franchir le Danube. Son camp d’été va l’accueillir demain. Les coursiers ne cessent d’aller et venir entre l’ordou et lui depuis une semaine. Il a reçu un message de sa vieille épouse Erekan. La nièce s’appelle Orca, elle est belle comme la lune, quoiqu’un peu petite. Elle n’a eu ni un sourire ni une larme lorsque son escorte est repartie, laissant une pile de cadeaux de soie, d’argent et de corail. Il faut qu’il se décide, sinon il risquerait de flancher si elle est trop tentante… Il prévient Kargaï qu’un cadeau somptueux l’attend à l’ordou. Aujourd’hui, sa selle repose sur une tapisserie précieuse, il est habillé de soie rouge et une oriflamme clinquante d’argent et de queues de chevaux garnies de perles le signale à tous. La route de poussière trace un trait entre les pâturages où les juments engraissent et mettent bas. Il est chez lui, c’est l’opulence et il oublie tout. Ce soir, c’est ripaille, c’est la fête, il lance le convoi de butin à l’avant, il revient couvert d’or. Il est très las, mais il est heureux. Bien avant la porte fortifiée du camp, la foule de tous les Huns de Pannonie, qui ont chacun un parent dans cette armée du Kaghan Attila, se presse et chante, fait rouler les tambours. À l’entrée, la confusion est extrême, les bâtons à clochettes, les tambours de peaux de chèvres, les pipeaux de bouleau entretiennent un brouhaha d’orage et de tonnerre. Ses yourtes blanches, du feutre le plus beau, apparaissent au bord de la place ronde. Devant la tente centrale, la plus grande, debout dans des atours de soie et d’or, Erekan, l’amour de sa vie, l’épouse de toutes les aventures, de tous les risques, l’épouse de ses
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents