Les Fleurs du mal (1868)/Texte entier
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Charles Baudelaire : Les Fleurs du mal (Édition de 1868)ŒUVRES COMPLÈTESDECHARLES BAUDELAIREILES FLEURS DU MALÉDITION DÉFINITIVEAUGMENTÉED’UN GRAND NOMBRE DE POËMES NOUVEAUXPARIS. — J. CLAYE, IMPRIMEUR, 7, RUE SAINT-BENOÎT — [379]Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvuLESFLEURS DU MALPARCHARLES BAUDELAIREPRÉCÉDÉES D’UNE NOTICEPARTHÉOPHILE GAUTIERPARISMICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURSRUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15À LA LIBRAIRIE NOUVELLE—1868CHARLES BAUDELAIRELa première fois que nous rencontrâmes Baudelaire, ce fut vers le milieu de 1849,à l’hôtel Pimodan, où nous occupions, près de Fernand Boissard, un appartementfantastique qui communiquait avec le sien par un escalier dérobé caché dansl’épaisseur du mur, et que devaient hanter les ombres des belles dames aiméesjadis de Lauzun. Il y avait là cette superbe Maryx qui, toute jeune, a posé pour laMignon de Scheffer, et, plus tard, pour la Gloire distribuant des couronnes, dePaul Delaroche, et cette autre beauté, alors dans toute sa splendeur, dontClesinger tira la Femme au serpent, ce marbre où la douleur ressemble auparoxysme du plaisir et qui palpite avec une intensité de vie que le ciseau n’avaitjamais atteinte et qu’il ne dépassera pas.Charles Baudelaire était encore un talent inédit, se préparant dans l’ombre pour lalumière, avec cette volonté tenace qui, chez lui, doublait l’inspiration ; mais son nomcommençait déja à se répandre parmi les poëtes et les artistes ...

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Langue Français
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Extrait

Charles Baudelaire : Les Fleurs du mal (Édition de 1868)
ŒUVRES COMPLÈTES
DE
CHARLES BAUDELAIRE
I
LES FLEURS DU MAL
ÉDITION DÉFINITIVE
AUGMENTÉE
D’UN GRAND NOMBRE DE POËMES NOUVEAUX
PARIS. — J. CLAYE, IMPRIMEUR, 7, RUE SAINT-BENOÎT — [379]
Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu
LES
FLEURS DU MAL
PAR
CHARLES BAUDELAIRE
PRÉCÉDÉES D’UNE NOTICE
PARTHÉOPHILE GAUTIER
PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
À LA LIBRAIRIE NOUVELLE

1868
CHARLES BAUDELAIRE
La première fois que nous rencontrâmes Baudelaire, ce fut vers le milieu de 1849,
à l’hôtel Pimodan, où nous occupions, près de Fernand Boissard, un appartement
fantastique qui communiquait avec le sien par un escalier dérobé caché dans
l’épaisseur du mur, et que devaient hanter les ombres des belles dames aimées
jadis de Lauzun. Il y avait là cette superbe Maryx qui, toute jeune, a posé pour la
Mignon de Scheffer, et, plus tard, pour la Gloire distribuant des couronnes, de
Paul Delaroche, et cette autre beauté, alors dans toute sa splendeur, dont
Clesinger tira la Femme au serpent, ce marbre où la douleur ressemble au
paroxysme du plaisir et qui palpite avec une intensité de vie que le ciseau n’avait
jamais atteinte et qu’il ne dépassera pas.
Charles Baudelaire était encore un talent inédit, se préparant dans l’ombre pour la
lumière, avec cette volonté tenace qui, chez lui, doublait l’inspiration ; mais son nom
commençait déja à se répandre parmi les poëtes et les artistes avec un certain
frémissement d’attente, et la jeune génération, venant après la grande génération
de 1830, semblait beaucoup compter sur lui. Dans le cénacle mystérieux où
s’ébauchent les réputations de l’avenir, il passait pour le plus fort. Nous avions
souvent entendu parler de lui, mais nous ne connaissions aucune de ses œuvres.
Son aspect nous frappa : il avait les cheveux coupés très-ras et du plus beau noir ;
ces cheveux, faisant des pointes régulières sur le front d’une éclatante blancheur, le
coiffaient comme une espèce de casque sarrasin ; les yeux, couleur de tabac
d’Espagne, avaient un regard spirituel, profond, et d’une pénétration peut-être un
peu trop insistante ; quant à la bouche, meublée de dents très-blanches, elle
abritait, sous une légère et soyeuse moustache ombrageant son contour, des
sinuosités mobiles, voluptueuses et ironiques comme les lèvres des figures peintes
par Léonard de Vinci ; le nez, fin et délicat, un peu arrondi, aux narines palpitantes,
semblait subodorer de vagues parfums lointains ; une fossette vigoureuse
accentuait le menton comme le coup de pouce final du statuaire ; les joues,
soigneusement rasées, contrastaient, par leur fleur bleuâtre que veloutait la poudre
de riz, avec les nuances vermeilles des pommettes : le cou, d’une élégance et
d’une blancheur féminines, apparaissait dégagé, partant d’un col de chemise
rabattu et d’une étroite cravate en madras des Indes et à carreaux. Son vêtement
consistait en un paletot d’une étoffe noire lustrée et brillante, un pantalon noisette,
des bas blancs et des escarpins vernis, le tout méticuleusement propre et correct,
avec un cachet voulu de simplicité anglaise et comme l’intention de se séparer du
genre artiste, à chapeaux de feutre mou, à vestes de velours, à vareuses rouges, à
barbe prolixe et à crinière échevelée. Rien de trop frais ni de trop voyant dans cette
tenue rigoureuse. Charles Baudelaire appartenait à ce dandysme sobre qui râpe
ses habits avec du papier de verre pour leur ôter l’éclat endimanché et tout battant
neuf si cher au philistin et si désagréable pour le vrai gentleman. Plus tard même, il
rasa sa moustache, trouvant que c’était un reste de vieux chic pittoresque qu’il était
puéril et bourgeois de conserver. Ainsi dégagée de tout duvet superflu, sa tête
rappelait celle de Lawrence Sterne, ressemblance qu’augmentait l’habitude
qu’avait Baudelaire d’appuyer, en parlant, son index contre sa tempe ; ce qui est,comme on sait, l’attitude du portrait de l’humoriste anglais, placé au
commencement de ses œuvres. Telle est l’impression physique que nous a laissée,
à cette première entrevue, le futur auteur des Fleurs du mal.
Nous trouvons dans les Nouveaux Camées parisiens, de Théodore de Banville,
l’un des plus chers et des plus constants amis du poëte dont nous déplorons la
perte, ce portrait de jeunesse et pour ainsi dire avant la lettre. Qu’on nous permette
de transcrire ici ces lignes de prose, égales en perfection aux plus beaux vers ;
elles donnent de Baudelaire une physionomie peu connue et rapidement effacée
qui n’existe que là :
« Un portrait peint par Émile Deroy, et qui est un des rares chefs-d’œuvre trouvés
par la peinture moderne, nous montre Charles Baudelaire à vingt ans, au moment
où, riche, heureux, aimé, déjà célèbre, il écrivait ses premiers vers, acclamés par le
Paris qui commande à tout le reste du monde ! Ô rare exemple d’un visage
réellement divin, réunissant toutes les chances, toutes les forces et les séductions
les plus irrésistibles ! Le sourcil est pur, allongé, d’un grand arc adouci, et couvre
une paupière orientale, chaude, vivement colorée ; l’œil, long, noir, profond, d’une
flamme sans égale, caressant et impérieux, embrasse, interroge et réfléchit tout ce
qui l’entoure ; le nez, gracieux, ironique, dont les plans s’accusent bien et dont le
bout, un peu arrondi et projeté en avant, fait tout de suite songer à la célèbre phrase
du poëte : Mon âme voltige sur les parfums, comme l’âme des autres hommes
voltige sur la musique ! La bouche est arquée et affinée, déjà par l’esprit, mais à
ce moment pourprée encore et d’une belle chair qui fait songer à la splendeur des
fruits. Le menton est arrondi, mais d’un relief hautain, puissant comme celui de
Balzac. Tout ce visage est d’une pâleur chaude, brune, sous laquelle apparaissent
les tons roses d’un sang riche et beau ; une barbe enfantine, idéale, de jeune dieu,
la décore ; le front, haut, large, magnifiquement dessiné, s’orne d’une noire,
épaisse et charmante chevelure qui, naturellement ondulée et bouclée comme celle
de Paganini, tombe sur un col d’Achille ou d’Antinoüs! »
Il ne faudrait pas prendre ce portrait tout à fait au pied de la lettre, car il est vu à
travers la peinture et à travers la poésie, et embelli par une double idéalisation ;
mais il n’en est pas moins sincère et fut exact à son moment. Charles Baudelaire a
eu son heure de beauté suprême et d’épanouissement parfait, et nous le
constatons d’après ce fidèle témoignage. Il est rare qu’un poëte, qu’un artiste soit
connu sous son premier et charmant aspect. La réputation ne lui vient que plus tard,
lorsque déjà les fatigues de l’étude, la lutte de la vie et les tortures des passions ont
altéré sa physionomie primitive : il ne laisse de lui qu’un masque usé, flétri, où
chaque douleur a mis pour stigmate une meurtrissure ou une ride. C’est cette
dernière image, qui a sa beauté aussi, dont on se souvient. Tel fut Alfred de Musset
tout jeune. On eût dit Phœbus-Apollon lui-même avec sa blonde chevelure, et le
médaillon de David nous le montre presque sous la figure d’un dieu. — À cette
singularité qui semblait éviter toute affectation se mêlait une certaine saveur
exotique et comme un parfum lointain de contrées plus aimées du soleil. On nous
dit que Baudelaire avait voyagé longtemps dans l’Inde, et tout s’expliqua.
Contrairement aux mœurs un peu débraillées des artistes, Baudelaire se piquait de
garder les plus étroites convenances, et sa politesse était excessive jusqu’à
paraître maniérée. Il mesurait ses phrases, n’employait que les termes les plus
choisis, et disait certains mots d’une façon particulière, comme s’il eût voulu les
souligner et leur donner une importance mystérieuse. Il avait dans la voix des
italiques et des majuscules initiales. La charge, très en honneur à Pimodan, était
dédaignée par lui comme artiste et grossière ; mais il ne s’interdisait pas le
paradoxe et l’outrance. D’un air très-simple, très-naturel et parfaitement détaché,
comme s’il eût débité un lieu commun à la Prudhomme sur la beauté ou la rigueur
de la température, il avançait quelque axiome sataniquement monstrueux ou
soutenait avec un sang-froid de glace quelque théorie d’une extravagance
mathématique, car il apportait une méthode rigoureuse dans le développement de
ses folies. Son esprit n’était ni en mots ni en traits, mais il voyait les choses d’un
point de vue particulier qui en changeait les lignes comme celles des objets qu’on
regarde à vol d’oiseau ou en plafond, et il saisissait des rapports inappréciables
pour d’autres et dont la bizarrerie logique vous frappait. Ses gestes étaient lents,
rares et sobres, rapprochés du corps, car il avait en horreur la gesticulation
méridionale. Il n’aimait pas non plus la volubilité de parole, et la froideur britannique
lui semblait de bon goût. On peut dire de lui que c’était un dandy égaré dans la
bohème, mais y gardant son rang et ses manières et ce culte de soi-même qui
caractérise l’homme imbu des principes de Brummel.
Tel il nous apparut à cette première rencontre, dont le souvenir nous est aussi
présent que si elle avait eu lieu hier, et nous pourrions, de mémoire, en dessiner le
tableau. Nous étions dans ce grand salon du plus pur style Louis XIV, aux boiseries
rehaussées d’or terni, mais d’un ton admirable, à la corniche à encorbellement, où
quelque élève de Lesueur ou de Poussin, ayant travaillé à l’hôtel Lambert, avait
peint des nymphes poursuivies par des satyres à travers les roseaux, selon le goût
mythologique de l’époque. Sur la vaste cheminée de marbre sérancolin, tacheté de
blanc et de rouge, se dressait, en guise de pendule, un éléphant doré, harnaché
comme l’éléphant de Porus dans la bataille de Lebrun, qui supportait sur son dos
une tour de guerre où s’inscrivait un cadran d’émail aux chiffres bleus. Les fauteuils
et les canapés étaient anciens et couverts de tapisseries aux couleurs passées,
représentant des sujets de chasse, par Oudry ou Desportes. C’est dans ce

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