Contes de l’Ille-et-Vilaine/Le monde fantastique
21 pages
Français

Contes de l’Ille-et-Vilaine/Le monde fantastique

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
21 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Le Médecin de FougerayC’était un bien drôle de petit homme que le père Langevin, tailleur et porteur de contraintes au Grand-Fougeray. On se souvientencore de lui à l’heure actuelle, bien qu’il soit mort depuis plus de trente ans.Il était gueux comme Job, laid à faire peur, borgne, bavard, railleur et chansonnier quand il en avait le temps. L’une de ses chansonslui valut un mois de prison, ce qui ne l’empêcha pas d’en faire d’autres.M. Delacoudre, vicaire de la commune, très sympathique, très considéré, ne détestait pas le petit tailleur à cause de son esprit et deses vives reparties. Il aimait à le plaisanter quand il le rencontrait. Or, un jour qu’il passait devant la maison de l’ouvrier, il l’aperçut àsa fenêtre.— Tiens, dit-il, c’est ici la résidence d’un seigneur, car son singe est à la fenêtre.— Pardon, monsieur l’abbé, répondit Langevin, en saluant jusqu’à terre, vous vous trompez, c’est la demeure d’un meunier, car sonâne est à la porte.— Ça, c’est touché, s’écria M. Delacoudre ; aussi voilà un franc pour aller boire à ma santé.Ce fut en chassant, que je rencontrai le porteur de contraintes, qui venait de parcourir toute une partie de la contrée et qui semblaitharassé de fatigue. Je l’invitai à venir s’asseoir près de moi, sur un talus au pied d’un hêtre, et tirant une gourde de ma carnassière, jelui offris un verre de cognac. Ah ! alors, je devins son ami, et ce fut là, en pleine campagne, qu’il me dit le conte du Médecin deFougeray.Je transcris ...

Informations

Publié par
Nombre de lectures 866
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Le Médecin de FougerayC’était un bien drôle de petit homme que le père Langevin, tailleur et porteur de contraintes au Grand-Fougeray. On se souvientencore de lui à l’heure actuelle, bien qu’il soit mort depuis plus de trente ans.Il était gueux comme Job, laid à faire peur, borgne, bavard, railleur et chansonnier quand il en avait le temps. L’une de ses chansonslui valut un mois de prison, ce qui ne l’empêcha pas d’en faire d’autres.M. Delacoudre, vicaire de la commune, très sympathique, très considéré, ne détestait pas le petit tailleur à cause de son esprit et deses vives reparties. Il aimait à le plaisanter quand il le rencontrait. Or, un jour qu’il passait devant la maison de l’ouvrier, il l’aperçut àsa fenêtre.— Tiens, dit-il, c’est ici la résidence d’un seigneur, car son singe est à la fenêtre.— Pardon, monsieur l’abbé, répondit Langevin, en saluant jusqu’à terre, vous vous trompez, c’est la demeure d’un meunier, car sonâne est à la porte.— Ça, c’est touché, s’écria M. Delacoudre ; aussi voilà un franc pour aller boire à ma santé.Ce fut en chassant, que je rencontrai le porteur de contraintes, qui venait de parcourir toute une partie de la contrée et qui semblaitharassé de fatigue. Je l’invitai à venir s’asseoir près de moi, sur un talus au pied d’un hêtre, et tirant une gourde de ma carnassière, jelui offris un verre de cognac. Ah ! alors, je devins son ami, et ce fut là, en pleine campagne, qu’il me dit le conte du Médecin deFougeray.Je transcris ce conte tel que je l’écrivis sous sa dictée, laissant ainsi au bonhomme la responsabilité de ses appréciations sur lecaractère des habitants du pays.Il commença ainsi :Il faut dire les choses telles qu’elles sont : Les habitants du Grand-Fougeray ne sont guère hospitaliers et n’aiment pas lesfonctionnaires du gouvernement, encore moins les gens qu’ils appellent des hors-venus, c’est-à-dire les étrangers au pays quiviennent y résider. De tout temps il en a été ainsi.Jadis, un jeune homme qu’on ne connaissait nullement vint se fixer à Fougeray, comme médecin. C’était un grand garçon blond, avecun accent étranger, qui vivait très retiré et ne cherchait à faire aucune connaissance.Il avait loué, sur la place, une petite maison composée de deux pièces au rez-de-chaussée et de deux chambres au premier étage.En hiver, on ne le voyait presque jamais, mais on apercevait de la lumière le long des nuits dans sa chambre. En été, il restait assis àsa porte, sur un banc de bois, fumant dans une grande pipe allemande, et regardant les hirondelles planer autour du clocher del’église. Ses yeux ne quittaient pas les oiseaux, qui semblaient évoquer en lui des souvenirs de son pays lointain.Si quelqu’un, par hasard, lui adressait la parole, il répondait à peine, et n’engageait jamais la conversation.Comment expliquer qu’il eût choisi une bourgade perdue au fond des terres, de préférence à un endroit passager ? C’est ce qu’onignorait et ce que personne n’aurait osé lui demander.Il n’avait apporté avec lui aucune lettre de recommandation, et n’avait été présenté à personne. Un serviteur, aussi froid que sonmaitre, faisait le ménage, la cuisine, et soignait le cheval que le médecin avait cru devoir acheter pour faire ses courses.Hélas ! ses courses, il n’en faisait guère, car il n’était pas souvent appelé près des malades, Et cependant on le disait instruit etadroit.Il y avait aussi, à cette époque, à Fougeray, un vieux praticien qui n’avait que le titre de chirurgien et qui, néanmoins, exerçait lamédecine. Il est vrai qu’il ne faisait que des saignées et n’ordonnait que des purgations. Et cela suffisait pour remettre sur piedsnombre de malades qui, soignés par des savants, eussent succombé. C’était lui qui prétendait que les animaux étaient moins bêtesque nous. « Voyez le chien, disait-il, quand il se sent malade, il cesse de manger et se couche. Si l’homme l’imitait, il pourrait sepasser de médecin. »Le pauvre docteur mourait d’ennui et commençait à perdre courage, lorsqu’un soir, revenant fort tard de voir un ouvrier, qui avait eu lajambe broyée dans un éboulement de carrière, il traversa l’immense lande des Morelles aujourd’hui défrichée. Sur cette lande, qui se
trouve dans la commune de Sainte-Anne-sur-Vilaine, il aperçut des milliers de petites lampes allumées, formant des groupesséparés les uns des autres. Il arrêta son cheval pour examiner plus attentivement ce spectacle étrange.Sans qu’il entendit le moindre bruit, un cavalier vint se ranger à côté de lui, et lui dit : — Voilà qui t’étonne, jeune homme, et si jet’explique ce que cela signifie, ta surprise sera plus grande encore.— Qui êtes-vous ?— Peu t’importe. Toutes ces lumières sont les âmes des habitants du pays, et ne sont visibles qu’à mes yeux et aux tiens. Elles sontdisposées sur cette lande comme les bourgs et les villages le sont dans les paroisses qui nous entourent.Le nom des personnes est inscrit sur les lampes et le degré d’intensité de la lumière indique la force de vitalité de chacune d’elles.En outre, des indications font connaître le nombre d’années, de mois, de jours, d’heures qui leur reste à vivre.— Encore une fois, reprit le docteur, qui étes-vous ?— Je pourrais ne pas te répondre, car moi je ne te demande pas la raison qui t’a fait quitter ton pays ; et il attacha sur le jeunehomme un regard perçant qui fit trembler celui-ci.— Enfin, puisque tu désires tant me connaître, je suis Satan, mais Satan bon diable qui, voyant ton désespoir, a eu pitié de toi, etvient t’offrir ses services.Lorsque tu connaîtras, par le moyen de mes lampes, la durée de la vie de tous les habitants de la contrée, tu feras promptementfortune. Songe donc, pouvoir affirmer à des malades au bord de la tombe, que tu réponds de leur existence, et laisser à ton confrèreles pauvres diables dont les jours sont comptés. Tu n’auras de repos ni jour ni nuit.Tiens, regarde là-bas, là-bas, cette lumière qui tremblotte, c’est le cabaretier de la Bréharais qui est en train d’expirer. Soudain lalumière disparut dans l’espace, l’âme du vieillard avait quitté la terre.Une bande d’oiseaux de nuit s’éleva du milieu de la lande en poussant des cris lugubres.Il y avait des lampes qui brillaient d’un éclat superbe. Celles-là, c’étaient les âmes de la jeunesse, forte et vigoureuse, qui avait delongues années à vivre.Le jeune docteur dit à Satan : « Je cherche vainement ma lampe à côté de celles de mes voisins, et je ne l’aperçois pas. »— Non, tu ne peux la voir. Il n’est pas en mon pouvoir de te faire connaître la durée de ta vie. Je puis l’indiquer celle des autres, maisnon la tienne.Ces lampes seront visibles pour toi toutes les nuits sur cette lande où tu pourras venir les consulter.— Et qu’exigez-vous en échange ? demanda le docteur.— Rien, ou presque rien. Tu n’auras, pour me satisfaire, qu’à noter, — mais très exactement, — les défauts et les vices de toutes lespersonnes que tu seras appelé à soigner.— C’est un triste métier que vous me faites faire, répondit le jeune homme.— Tu es libre de refuser.— Non, j’accepte, car il faut que je fasse fortune promptement.— Très bien ; mais remplis scrupuleusement tes engagements ou autrement il t’arriverait malheur.— Je ferai mon devoir.Lorsque le docteur eut rappelé à la vie des moribonds indigents, et refusé de donner ses soins à des personnes riches, on leconsidéra comme un grand savant. Il n’est pas de bassesses qu’on ne fit, près de lui, après l’avoir dédaigné si longtemps. Jusqu’àson valet qui fut l’objet d’attentions et de prévenances de la part des autorités du pays.Les cadeaux abondaient dans la maison du médecin qui, malgré ses succès, semblait plus sombre que jamais.Il devint avare et amassa or et argent pour pouvoir quitter promptement un pays qu’il avait pris en aversion. Ses voyages la nuit, sur lalande des Morelles, le faisaient frissonner lorsqu’il y songeait et ses rencontres avec le diable le glaçaient d’effroi.Son esprit chagrin lui fit-il oublier de prendre ses notes, aussi exactement qu’il l’avait promis, ou bien sa lampe avait-elle brûlé sonhuile ? toujours est-il qu’un matin il ne rentra pas chez lui.C’était en hiver, et il avait neigé toute la nuit. Au dégel, son cadavre fut trouvé par des pâtres sous une touffe d’ajoncs. L’infortuné
docteur avait à la main une lampe d’une forme toute particulière et d’un métal inconnu.Le domestique du médecin disparut sans doute avec le trésor de son maître car on ne le revit plus à Fougeray, et on ne trouva riendans la maison abandonnée.L’Enfant vendu au diableOn raconte, à Bruz, qu’un batelier du village de Pierrefitte, dont la femme venait d’accoucher d’une fille, passa un pacte avec lediable. Il promit à Satan de lui livrer son enfant lorsqu’elle aurait sept ans, si, à cette époque, sa fortune était faite.Le batelier et sa femme, qui avaient toujours été misérables, étonnèrent leurs voisins par le changement de vie qui s’opéra dans leurménage du jour au lendemain. Ils vivaient maintenant comme des rentiers,avaient pris une domestique pour les servir, et achetaientdes terres.Les bonnes femmes du village remarquèrent, par exemple, une chose étrange chez la petite fille. Chaque fois que sa mère la laissaitseule à la maison, elle la trouvait, en rentrant, blottie sous son berceau. Plus tard, quand quelqu’un entrait chez ses parents, elle allaitbien vite se cacher au même endroit.L’époque fatale arriva. La servante du ba telier à laquelle on avait confié l’enfant s’absenta un instant seulement, et, à son retour, elletrouva la petite fille étranglée. Personne n’avait été vu dans la maison où rien, d’ailleurs, n’était dérangé.Le père, en apprenant cet événement, se souvint du marché qu’il avait conclu avec le diable, et eut un tel chagrin de la perte de safille, qu’il en mourut.À partir de ce jour, personne ne voulut habiter la maison du batelier, qui prit le nom de maison du diable. Elle ne tarda pas à tomberen ruines et, aujourd’hui, elle a disparu.(Conté par le père Patard, âgé de 65 ans, fermier à la Croix-Madame, commune de Bruz.)Le Diable courtisant les fillesLorsqu’on quitte le petit bourg de Derval, dans la Loire-Inférieure, pour venir vers Rennes, on descend une côte assez rapide quiporte le nom du Tertre rouge. Au versant de cette côte, à droite, est un petit village appelé la Robinais.Or, il n’y a pas plus de cinquante ans, les filles de la Robinais aimaient trop la danse, il faut bien le reconnaître. Elles se réunissaientle dimanche soir, et souvent même plusieurs fois par semaine, tantôt chez l’une, tantôt chez l’autre, pour se divertir jusqu’à une heureassez avancée de la nuit.Les gars non seulement du village, mais de tous les environs, venaient à ces réjouissances.Un soir, on fut bien surpris de voir arriver un beau monsieur, qui demanda la permission de prendre part à la danse. Comme il avaitfait sa demande bien poliment, on ne le refusa point et même bientôt ce fut à qui danserait avec lui, tant il était aimable.À partir de ce jour, il assista à toutes les fêtes. On ne savait ni qui il était, ni d’où il venait ; mais il était si gai, si plein d’entrain qu’ilavait su enjôler tout le monde.Cependant les jeunesses qui dansaient avec lui, cessaient d’aimer le travail, ne songeaient qu’au plaisir et se faisaient belles pourplaire au monsieur.Plusieurs d’entre elles quittèrent le pays et n’y revinrent jamais. Malgré cela l’étranger continuait à venir au village et se montraitsurtout assidu près d’une fille du nom de Jeanne. Ils valsaient un soir ensemble, chez la femme Guérin, lorsque celle-ci, assise dansun coin avec sa garçaille sur les genoux, fit la remarque que, chaque fois que le couple s’avançait, l’enfant jetait des cris lamentables.Ce fait étrange l’étonna.Elle avait entendu dire que, lorsque le diable s’approchait d’un innocent, c’est-à-dire d’une garçaille n’ayant pas l’âge de raison, lepauvre petit se mettait à pleurer. Elle examina donc attentivement les jambes du monsieur, car elle savait aussi que Satan peuts’enmorphoser (se métamorphoser) comme il veut, mais qu’il lui reste toujours un pied difforme.Qu’on juge de son épouvante, lorsqu’elle vit au bout du pantalon du danseur un pied fourchu. Elle le fit remarquer à plusieurs jeunesgars qui, sans mot dire, sortirent aussitôt, montèrent à cheval et, s’en allèrent au galop chercher le curé de Fougeray, car celui deDerval était absent.Le prêtre arriva heureusement quelques secondes avant minuit. Il était revêtu de l’étole et avait à la main le goupillon plein d’eaubénite. Il entra aussitôt, à la stupéfaction des danseuses, s’avança vers l’étranger qui tenait Jeanne par la main et l’aspergea d’eaubénite. Satan, car c’était lui, jeta un cri de rage et de souffrance, puis s’accula dans un coin.— Comment voulez-vous que je le fasse disparaître ? dit le curé ; en vent, en pluie ou en fumée.
— Pas en pluie s’écria-t-on, j’serions noyés.— Pas en vent non plus, ajouta la bonne femme chez laquelle on dansait, ma maison cherait.— En fumée alors, répondit le prêtre. Et il aspergea d’eau bénite le diable qui disparut en fumée par la cheminée, en laissant uneodeur de soufre derrière lui.Trois tours de danse de plus, assure-t-on, et Jeanne était perdue.Cette fille, qui est morte jeune, avait conservé sur le bras la marque de la griffe que le diable lui enfonça au moment où il fut aspergépar le curé de Fougeray.(Conté par Marie Bregeon, fermière à la Belle-Étoile, commune de Fougeray, âgée de 58 ans.)La Faux du diableAu temps jadis, les bonnes gens de Hédé coupaient leur foin avec des ciseaux de tailleur, aussi n’avançaient-ils guère en besogne.Le diable seul, qui venait de temps en temps par là chercher de grosses pierres pour la construction du Mont Saint-Michel, possédaitun instrument qui coupait le foin d’une prairie dans un rien de temps. Mais il ne s’en servait que la nuit et refusait de le prêter.Son outil tenait du prodige ! Il abattait le foin en andains, c’est-à-dire en lignes, ce qui permettait, aussitôt qu’il était sec, d’en faire desmulons.Satan promit un jour à un mauvais sujet de ses amis de lui couper son foin la nuit suivante. Saint Michel en fut informé et alla piquerdes dents de herse, qui sont en fer comme vous savez, dans la prée du particulier. Puis il se cacha dans le creux d’un vieux chêne enattendant la nuit. Le corps tout entier disparaissait dans l’arbre et la tête seule émergeait au milieu du feuillage.Vers minuit, il entendit siffler derrière une haie et vit le diable se diriger vers la prairie. Arrivé à l’échalier, Satan s’arrêta, se mit àfrapper avec un marteau sur le tranchant de son outil, qu’il emmancha ensuite au bout d’un grand bâton. Puis il l’aiguisa tout deboutet, enfin, d’un geste régulier des bras, le fît manœuvrer au milieu du foin qui cheït tout autour de lui.Lorsque l’instrument rencontra la première dent de herse, il s’ébrécha. Satan se mit à jurer comme un beau diable et continua sontravail. À la seconde dent l’outil se brisa et le diable dit : « Bon v’là ma faux cassée ; il va falloir la porter à la forge. » Et il s’en alla,toujours en jurant, vers le bourg de Dingé.Le lendemain saint Michel se rendit chez le maréchal et lui demanda si on lui avait apporté un outil à réparer.— Oui, répondit le maréchal, et un outil comme je n’en ai jamais vu.— Eh bien ! tu m’en fabriqueras un semblable, et je t’expliquerai ce qu’on peut en faire.— Bien volontiers.Saint Michel ne fit point comme le diable, il prêta sa faux, et apprit à tout le monde à s’en servir. Voilà comment l’usage de ceinstrument est devenu familier.En voyant des faux dans toutes les mains, Satan comprit que son secret avait été découvert, et il supposa tout de suite que saintMichel l’avait épié. Furieux, exaspéré, il alla lui proposer un duel.— J’accepte, répondit l’Archange, mais à une condition, c’est que ce sera dans un four.— Où tu voudras.Et tous les deux s’en allèrent vers le prochain village.Chemin faisant, saint Michel trouva une petite mailloche en bois qui sert aux bonnes femmes à écraser le chanvre et le lin avant de lebrayer. Il la mit sous son bras et continua sa route.Arrivés près du four, le diable prit par un bout le frigon, ou perche à enfourner le pain, et se glissa dans le four. Saint Michel l’y suivit,et, pendant que son compagnon tirait sur sa perche, beaucoup trop longue pour pouvoir entrer dans le four, il lui maillochait la tête àtour de bras.Grâce ! grâce ! s’écria Satan, ou tu vas me tuer.Je veux bien te faire grâce, mais à la condition que tu vas quitter le pays et que tu n’y reviendras plus.Le marché fut conclu et, depuis cette époque, on n’a jamais revu le diable dans le canton de Hédé.(Conté par M. Guillou, instituteur, à Hédé, âgé de 73 ans).
(Récit du petit écolier).MirlificochetIIl y avait autrefois un sorcier appelé Mirlificochet qui était la terreur du pays.Il ne fallait rien lui refuser, disait-on, car il jetait des sorts.Si on le chassait des maisons aux portes desquelles il demandait effrontément l’aumône, il se retirait, marmotant des paroles entreses dents, et, bientôt, les personnes qui le repoussaient avaient la fièvre et leurs animaux tombaient malades. Les chevaux avaient lagourme, les moutons la gale et les vaches ne donnaient plus de lait.Un jour,il s’en alla frapper à la porte d’une bonne femme qui n’avait, pour toute fortune, qu’une poule qui lui donnait un œuf tous lesmatins.Pan, pan, pan !— Qu’est là ?— Mirlificochet c’est ma (moi).La vieille, tout épeurée, lui ouvrit, et lui demanda ce qu’il désirait.— Voici un épi de blé, dit-il, que je vous prie de me garder. Je viendrai le chercher dans la vesprée.La bonne femme lui répondit selon la coutume du pays :— Mettez-le là.Il ne lui sera fait ni bien, ni ma (mal).Malheureusement la vieille eut besoin de se rendre à la fontaine chercher de l’eau pour délayer sa farine de blé noir, afin de faire dela galette, et, pendant son absence, sa poule mangea l’épi de blé.À son retour, la pauvre femme jeta les hauts cris en voyant ce qui était arrivé, et s’arracha les cheveux de désespoir.Elle en était là de ses lamentations quand le sorcier ouvrit la porte et réclama son épi.— Mon doux Jésus ! s’écria la vieille, je ne l’ai plus. Je suis sortie une minute, et pendant ce temps, ma poule l’a mangé.— Ça m’est égal, répondit Mirlificochet, mais comme j’ai pour habitude de reprendre mon bien partout où je le trouve, j’emporte votrepoule qui a mon grain dans le ventre.Malgré les récriminations de la bonne femme et les cris de la poule, il s’empara de l’oiseau et l’emporta chez lui.IIQuelques jours après, le devin, — comme on l’appelait encore, — s’en alla frapper à la porte d’une riche fermière.Pan, pan, pan !— Qu’est là ?— Mirlificochet, c’est ma.— Qu’y a-t-il pour votre service ? demanda la fermière peu flattée d’une pareille visite.— Je viens vous demander la permission de déposer chez vous, pour quelques instants, la poule que voici à laquelle j’ai lié les patteset les ailes.— Qu’à cela ne tienne, répondit la paysanne, heureuse de s’en tirer à si peu de frais.— Mettez-la là.Il ne lui sera fait ni bien ni ma.Mirlificochet mit sa poule dans un coin et partit.
Dans les villages, les cochons courent en liberté par les chemins et pénètrent, sans façon, dans les maisons pour dévorer les restesdes repas jetés sous les tables.Un cochon, gros et gras, entra chez la fermière et, n’ayant rien trouvé à manger, s’avança vers la poule, garrottée dans un coin et lacroqua bel et bien.La ménagère, désolée, ne savait à quel saint se vouer, lorsque le sorcier arriva réclamer sa poule.— Je suis dans la désolation, lui dit la métayère ; mais le cochon que vous voyez là vient de manger votre poule.— J’en suis fâché pour vous, répliqua le devin, mais comme je prends mon bien partout où il est, j’emmène la bête qui l’a dans leventre.La femme eut beau dire que son mari allait la battre, Mirlificochet fit semblant de ne pas entendre et chassa le porc devant lui.IIIÀ quelque temps de là, il conduisit son cochon à la porte d’une autre ferme et frappa :Pan, pan, pan !— Qu’est-là ?— Mirlificochet, c’est ma.— Que désirez-vous ? demanda la maîtresse de la maison.— Je voudrais vous confier mon cochon, pendant que je vais aller faire une course dans un village voisin. Et je ne serai paslongtemps avant de revenir le crir.— Laissez-le là.Il ne lui sera fait ni bien ni ma.Le sorcier laissa son cochon et ferma la porte.Tout à coup une petite fille qui revenait de l’école, ouvrit le husset, et l’animal, qui s’ennuyait au logis, profita du moment où lagarçaille entrait pour se sauver à travers champs.Tout ce qu’on put faire pour le rattraper fut inutile. La vilaine bête s’enfuit dans un bois et ne reparut pas.Mirlificochet arriva réclamer son bien.— Vous nous voyez tous au désespoir, dit la ménagère. Ma fille a ouvert la porte et l’animal s’est échappé.— Comment ! s’écria le devin furieux, mon cochon est perdu ! c’est ainsi qu’on se moque du sorcier ! Eh bien, dit-il à l’enfant, tu vasfaire un tour dans ma masure. Et joignant le geste à la parole, il prit la fillette par les cheveux et la jeta dans le fond d’un grand sac qu’ilchargea sur son épaule. Il emporta l’enfant chez lui, en dépit des pleurs de la mère, et même des menaces de tous les serviteurs dela ferme qui n’osèrent cependant pas l’en empêcher.La pauvre fillette évanouie de peur fut déposée dans la soue au cochon prenant ainsi la place du déserteur. Elle n’eut pour toutenourriture que les vieilles croûtes de pain et les débris de légumes destinés à l’animal.L’infortunée, pendant tout son séjour chez le sorcier, pria nuit et jour la sainte Vierge de lui venir en aide.Ses prières ne tardèrent pas à être exaucées.VIUn matin, Mirlificochet remit l’enfant dans son sac et sortit. Il alla frapper à la porte d’une bonne femme qui, entourée de sa petitefamille, était en train de cuire de la bouillie.Le sorcier lui demanda, comme à l’ordinaire, à lui laisser son sac pour un instant, et la vieille y consentit.Lorsque la bouillie fut cuite, la bonne femme avec une cuillère de bois remplit six grandes écuelles de terre. Elle fit ensuite un troudans la bouillie, au milieu de chaque vase, y mit un gros morceau de beurre et dit d’un air satisfait : « Voilà le dîner des ouvrierspréparé. Maintenant, ajouta-t elle, en s’adressant aux enfants, à votre tour, les mioches ; que ceux d’entre vous qui veulent gratter labassine prennent place tout autour. »— Moi, je veux bien, dit une voix plaintive qui s’échappa du sac.
— Qui vient de parler là ? s’écria la mère.— C’est moi, ma marraine ; moi, Yvonnette, votre filleule, qui suis enfermée dans le sac du sorcier.La vieille courut au sac, l’ouvrit et en fit sortir la petite fille qui, pâle et défaite, se précipita à son cou et demanda sa part de bouillie,car elle mourait de faim.— Comment te trouves-tu là ? Que t’est-il arrivé ? demandèrent la bonne femme et les enfants.Yvonne raconta son malheur et ses aventures en versant de grosses larmes.Sa marraine lui donna bien vite l’un des vases destinés aux ouvriers, en l’engageant à manger pour réparer ses forces. « Je tepromets, lui dit-elle, que tu ne retourneras pas chez Mirlificochet. »En effet, elle cacha sa filleule derrière des fagots, et mit à sa place, dans le sac, un chien très méchant qu’elle avait dans son écurie.Lorsque le sorcier vint chercher son sac, la bonne femme lui dit de le prendre.Tout devin qu’il était, Mirlificochet ne s’aperçut pas du tour qui lui avait été joué, et s’en alla ployant sous son fardeau.VLe chien, peu habitué à voyager de la sorte, se fâcha, se démena dans le sac, et enfin se mit à gratter le dos du sorcier.Finiras-tu bientôt de ragaler, vilaine bête ? Je vas joliment te corriger, tout à l’heure.L’animal n’en continua pas moins à gigoter et à enfoncer ses ongles dans les reins de Mirlificochet.Ce dernier passait sur un pont et, sentant une douleur très violente, il crut que la fille le mordait. Dans sa colère, il lança son sac dansla rivière.Le chien, une fois dans l’eau, supposant à son tour et à juste titre, qu’on voulait le noyer devint furieux ; il parvint, avec les pattes et lesdents, à briser sa prison et sortit de l’eau.En apercevant le sorcier sur la rive l’animal s’élança sur lui, le mit en pièces et le dévora.Le pays fut ainsi débarrassé du terrible sorcier Mirlificochet.(Conté par Alfred Marcel, de Bain, âgé de 8 ans).Le Meneur de loupsÀ l’époque où il y avait quantité de loups dans nos bois, certains sorciers s’en rendaient maîtres, et se faisaient suivre, la nuit, par cesanimaux qui étaient d’un dévouement incroyable pour les hommes qui avaient su les amadouer.En voici un exemple, qui vous sera certifié par les vieilles gens de la paroisse de Bruz qui, tous, l’ont entendu raconter dans leurenfance.Un meneur de loups jura de se venger d’un fermier de Montival, qui lui avait attiré des désagréments. Ce dernier avait pour habitudede mettre, la nuit, ses chevaux à paître dans la prairie de la Planche, qui dépendait de sa ferme. Le sorcier, sachant cela, dit un jour,dans un cabaret, que la nuit suivante il mènerait ses loups se promener de ce côté. Le fermier en fut informé et, le soir, armé d’unfusil, il alla se cacher dans les branches d’un ormeau.Le meneur de loups arriva, à son tour, avec sa meute. Il se mit à califourchon sur l’échalier du pré et dit à ses animaux : « Allez, mesamis, et surtout choisissez le plus gras. »À peine eut-il achevé ces mots qu’il reçut un coup de feu qui l’étendit par terre. Fut-il tué ? On n’a jamais pu le savoir.Au bruit de la détonation, les loups, au lieu de se sauver, revinrent près de leur maître et remportèrent aussitôt chez lui, au village duHoux, dans la commune de Bruz. Ils le montèrent dans le grenier où personne ne put pénétrer.Le cadavre de cet homme n’a jamais été retrouvé.On a toujours supposé que, pour devenir sorcier, il avait dû vendre son âme au diable, et que Satan était venu le prendre etl’emporter.(Conté par M. de la Durantais, maire de Bruz qui tenait ce conte de sa mère, décédée).
Le LutinUn soir d’hiver, nous dit le gars Daubé, de Liffré, vers sept heures et demie ou huit heures, comme nous demeurions à la Croix de laMission, mon père qui était bûcheron, envoya mon frère François à la Mortais, chez Pierre-Marie Louvet, pour lui demander s’il fallaitcommencer à abattre ses chênes. Il y avait ben une lieue de chemin, et il était tout à fait tard quand mon frère rentrit. Il était essouffléet le peil[1] li piquait dans la tête.— Qu’as-tu donc ? li dit mon père.— Ah ! mon Dieu ! Je viens de voir ce que je n’avais jamais vu.— Qu’as-tu vu comme ça ? que j’lui dîmes.— J’ai vu le lutin.Et il nous raconta qu’au moment de passer la planche jetée sur le ruisseau des prés Moriaux, il avait aperçu, de l’autre côté, unmouton tout blanc qui ouvrait la goule tant qu’il pouvait.— Tiens, pensit mon frère, v’là un drôle de mouton ; on dirait qu’il rit de ma.Mais comme le gars n’était peuroux race en tout, il n’y prit point autrement de garde, et continua sa route.Arrivé à la brèche du champ, v’là mon François qui s’mit à califourchon sur la barrière pour passer de l’autre côté, quand tout d’uncoup, sauf votre respect, il se trouvit à bas, le cul par-dessus la tête, sans pouvoir comprendre comment que ça se fit.Il se releva promptement, et vit le mouton près de lui, qui riait aux grands éclats, sans comparaison comme une personne naturelle.Pour le coup, la peur le print et il s’en sauvit jusqu’au village, le mouton à ses trousses à c’qui nous dit.Dame ! François en resta tout drôle de c’t’affaire-là, pendant pus de huit jours, et pourtant, je vous l’promets, il n’était point bobillonl’pauv’gas.Les PilousUn soir de la Toussaint — il n’y a pas longtemps de cela — le neveu du père Gautier, de Saint-Brice, s’en alla chercher du foin dansle fenil pour affourer ses vaches. Quand il fut dans le grenier, il entendit du bruit dans tous les coins, mais sans rien voir. Ce bruitressemblait à celui que font les ouvriers lorsqu’ils écrasent les pommes à cidre dans les auges de bois ou de pierres.Le gars, effrayé, appela son tonton qui monta à son tour dans le senas[2], et dit bien poliment aux lutins : « Voulez-vous ben, s’il vousplaît, cesser votre tapage, que je prenne du foin pour ma jument ? » Le bruit cessa ; mais le fermier était à peine dans le degré[3]que le tapage recommença, c’étaient les pilous.Plusieurs personnes, réunies dans une étable pour la veillée, entendirent les lutins. Le bruit commençait comme s’il n’y avait que deuxpilous à marcher : un, deux ; un, deux.Le gas Pelot[4] dit en riant: « Si vous étiez trois, m’est avis que ça irait mieux. » On entendit : un, deux, trois ; un, deux, trois. D’autrespersonnes demandèrent quatre pilous, cinq pilous, etc., et le nombre de coups allait toujours en augmentant.Une autre fois, trois jeunes filles couchées ensemble entendirent les pilous. Elles voulurent imiter les personnes de la veillée, maiselles en demandèrent trop, et les lutins vinrent frapper et marcher sur la carrée du lit. Effrayées, les filles se turent, laissèrent les pilouss’amuser à leur aise, et bientôt tout rentra dans le silence.Un vieil avare dit un jour : « Tiens, puisque les pilous viennent chez nous et que nous avons de la filasse à piler[5], pourquoi neferaient-ils pas notre besogne, ça nous dispenserait de payer des journalières. »Tout joyeux de son idée, il porta un gros paquet de filasse dans son grenier, d’où partait le bruit.Le soir, les pilous firent leur manège habituel ; mais le lendemain matin, quand le bonhomme eut grimpé son degré, qu’on juge de sadésolation, lorsqu’il vit sa filasse hachée et éparpillée à tous les vents. Il y en avait partout : sur les poutres, sur les chevrons du toit,dans tous les coins et recoins. Vous dire si l’avare avait le nez long, et s’il eut envie de recommencer.
Autre part, on entend ces lutins dans le coin du foyer ou dans les murs de la maison, malgré tout ce qu’on peut faire, il n’est paspossible de les apercevoir.L'ÉclaireurDans les prés, sur le bord des rivières et aussi près des mares, les paysans annuités dans les champs, voient souvent une petitelumière tremblotante, qui file droit devant eux. Lorsqu’ils n’ont pas peur ils cherchent à profiter de cette clarté pour passer facilementles mauvais endroits, afin de rentrer plus tôt chez eux ; mais il arrive parfois que la lumière s’éloigne trop vite ou s’éteint subitement.Alors l’imprudent retardataire, n’y voyant plus, tombe dans la mare ou dans le ruisseau, c’est alors qu’il entend à son oreille le riresonore du méchant lutin que les bonnes femmes de Saint-Brice appellent l’Éclaireur ou l’Éclairou.MartineIl n’y a pas de bête au monde plus capricieuse, plus jalouse, plus méfiante, plus rusée et aussi quelquefois plus cruelle que Martine ;son bonheur consiste à faire endêver les gens et elle passe sa vie à causer des peurs effroyables et à jouer des tours aux pauvresouvriers des champs attardés par les chemins.Tantôt on rencontre dans un endroit sombre sous de grands chênes une masse informe représentant grossièrement un bœuf ou unevache ; tantôt on voit une bande de moutons sortant d’un champ d’ajoncs, tantôt on aperçoit un cochon blanc comme neige qui grossità vue d’œil, se précipitant sur le voyageur qui cherche à l’approcher. Eh bien ! tout cela c’est Martine !Parfois elle est couchée près d’un passage[6] ou bien derrière la haie d’un champ ou bien encore à l’entrée d’une rote[7] fréquentée.Tout le monde a vu ou entendu parler de Martine. Il n’est question que d’elle pendant les longues soirées d’hiver, quand les paysansvont à la veillée les uns chez les autres pour manger des châtaignes grillées et boire des pichés de cidre.Un soir, à l’époque de la moisson, vers la mi-août, plusieurs enfants après le grain battu s’amusaient à jouer dans l’aire. Ils seroulaient sur la paille et riaient à qui mieux mieux. Le fermier, fatigué du travail de la journée,et déjà couché, ne pouvait dormir avectout ce tapage. Voulant effrayer les enfants afin de les renvoyer il s’enveloppa de son drap de lit enfonça son bonnet de cotonjusqu’aux oreilles et sortit à pas de loup. Il n’eut pas plutôt quitté la maison qu’il aperçut dans un petit chemin creux qui longeait l’aireune trée[8] accompagnée d’une dizaine de petits pourcets. Ces vilains animaux grognaient d’une voix formidable en s’avançant versle bonhomme qui fut pris de peur, et rentra bien vite chez lui en criant : « V’là Martine ! »Toutes les personnes du pays ont vu à différentes reprises cette grosse truie sortir la nuit d’une vieille grange délabrée et choseétonnante passer par un pertu[9] pas plus grand que la musse au chat de la porte de Monsieur le curé.Un vieillard de la commune de Montours, en rentrant chez lui, rencontra à un carrefour de route un mouton d’une allure étrange. Labête laissait le bonhomme approcher tout près d’elle, puis tout à coup se sauvait pour s’arrêter un peu plus loin. Après bien des tourset des détours le mouton entra dans le cimetière où le pauvre vieux tout essoufflé le suivit. Ô ciel! il vit la bête diminuer de volume. Elledevint de la grosseur d’un chat, puis plus pe tite qu’une belette et enfin disparut aux yeux du vieillard ébahi.Autrefois, sur la route de Monteurs, tout à l’entrée du bourg, lorsque des voyageurs passaient entre onze heures et minuit, ilsapercevaient près d’un échalier une ombre qui s’avançait sur eux, les rouait de coups et disparaissait ensuite en riant aux éclats,c’était toujours Martine, la bête de Montours.Un robuste gaillard voulut s’assurer, par lui-même, s’il était vrai que cette bête terrassait tout le monde et, une nuit, il se rendit àl’endroit qu’elle choisissait pour ses promenades nocturnes. C’était en décembre ; il faisait un froid à ne pas mettre un chien dehors,et ne voyant rien auprès de l’échalier, il dit tout haut : — Où est donc la bête qui jette tout le monde à bas ? — La voici ! répondit unegrosse voix, et aussitôt une lutte terrible s’engagea. Quel en fut le vainqueur ? On n’en sait rien. Mais toujours est-il que l’insensé quiétait allé se battre avec Martine mourut quelques jours après, refusant de raconter ce qui lui était arrivé. Les bonnes femmes quil’ensevelirent déclarèrent qu’il n’avait aucune trace de blessures sur le corps.Il arrive souvent aux personnes qui voyagent le soir, à la campagne, d’apercevoir en marchant le long d’une rote, ou en passant unéchalier, soit un peloton de laine, soit un couteau, soit un autre petit objet.Malheur à qui se baisse pour le ramasser, et l’emporter chez lui, car la nuit suivante il ne pourra dormir. Les meubles de sa demeureseront culbutés et brisés ; lui-même sera arraché de son lit et battu jusqu’au jour.C’est Martine, le mauvais génie.Les gas de Montours sont braves, c’est reconnu, un brin têtus et tant soit peu querelleurs. Aussi, malgré le malheur arrivé à l’un de
leurs camarades, deux jeunes gens résolurent d’aller provoquer la bête, et tâcher de lui jouer un tour si c’était possible. Ils serendirent, par un beau clair de lune, afin de mieux voir à qui ils avaient affaire à l’endroit désigné et attendirent de pied ferme. Unquart d’heure se passa et ils commençaient à désespérer de rencontrer Martine, lorsque tout à coup ils virent sortir d’une has[10]deux grandes chèvres gares[11] dont le poil traînait jusqu’à terre, avec des cornes d’une longueur énorme.Leouis[12] le plus courageux,dit à Joson[13] : « Enfourchons les bêtes » et ils sautèrent à califourchon sur les biques. Aussitôt quecelles-ci furent montées leurs jambes s’allongèrent démesurément, puis elles partirent avec une vitesse incroyable. Un cerf au galopn’aurait pu les suivre.Le poil des chèvres et les cheveux des cavaliers volaient au vent. Les biques semblaient aller droit devant elles, franchissant les talus,les haies, les fossés, traversant bois et broussailles. Elles s’arrêtèrent enfin sur le haut d’un rocher dominant une rivière. L’un des gasdit en reprenant haleine : « À tout coup é n’passeront tout de même point c’te rivière. » Il n’avait pas achevé de parler que le torrentétait franchi et que son compa gnon s’écriait : « Quel saut pour des biques ! » Soudain, et en même temps, les chèvres firent unetelle ruade que les deux cavaliers, lancés à plus de dix mètres dans la poussière, perdirent connaissance. Quand ils revinrent à eux,ils étaient près de leur demeure, brisés, moulus, jurant qu’ils laisseraient désormais Martine tranquille.Les BiherousLes paysans de la commune d’Étrelles trouvent, parfois, des bouteilles dans les fossés de leurs champs. Si, par malheur, ils lesdébouchent et se frottent avec la liqueur qu’elles renferment ils sont aussitôt changés en Biherous.C’est alors que commence pour eux une vie infernale : toutes les nuits ils revêtent la forme d’un animal qui s’en va courir la campagneà travers la commune dans toutes les directions. Les malheureux maigrissent, perdent leurs forces et, finalement, meurent, si dansleurs courses folles, ils ne rencontrent une autre bouteille dont le contenu a le pouvoir de détruire l’effet de la première. Dans ce cas,ils sont sauvés ! Avec le retour à la santé, ils oublient même tout ce qui leur est arrivé.Le Chat NoirUn soir, une habitante de Vitré, en se promenant sous les porches de la place d’Armes, trouve un magnifique chat noir assis sur un.cnabElle l’appelle, lui donne les noms les plus tendres ; la bête arrive, se laisse caresser, fait le gros dos.Comme cette femme est du quartier, et qu’elle ne connaît pas ce chat, elle le met dans son tablier et l’emporte.Quinze jours se passent, et le matou de plus en plus aimable, est choyé, non seulement par sa maîtresse, mais encore par toutes lesvoisines qui viennent l’admirer.Tout à coup les yeux de l’animal brillent d’une façon étrange, et, de jour en jour, deviennent hagards, méchants, menaçants.Le troisième jour ils semblent être de feu, et le chat ne se laisse plus approcher. Il jure sans cesse : foutt ! foutt ! foutt ! on le diraitenragé. Le soir il saute sur la table, regarde fixement sa maîtresse et enfin s’écrie : « Reporte-moi où tu m’as prins[14]. »La pauvre femme effrayée le reporte, en tremblant, sous les porches de la place d’Armes. Aussitôt le chat saute sur le banc où on l’apris, de ses yeux jaillissent des flammes, et soudain, il disparaît laissant une marque de feu à la place qu’il occupait.Jamais personne ne l’a revu.(Conté par Jean Hurel, journalier à Montours, âgé de 52 ans.)Payel ou le lutin Maître-JeanÀ Bourg-des-Comptes, où il est appelé Payel, Maître-Jean est accusé d’avoir tué un homme. Cette accusation nous étonne, carc’est le seul crime qu’on lui reproche. Voici d’ailleurs ce qu’on nous a raconté :À mi-côte du chemin étroit et tortueux qui descend de Bourg-des-Comptes au gracieux village de la Courbe, situé sur le bord de laVilaine, on rencontre une sorte de carrefour appelé dans le pays : Les Trois Barrières. Cet endroit, au premier abord, n’a rien demystérieux. Les trois barrières n’inspirent pas la moindre défiance : l’une est à gauche et les deux autres à droite de la route.Le jour, les moins braves y vont sans crainte, mais la nuit, quand les troncs des vieux chênes prennent des aspects fantastiques,quand on entend le gémissement du vent dans les sapins du bois des Rondins, ou le bruit lugubre de la rivière, tombant d’un biefdans l’autre, par-dessus la chaussée, les plus braves ont peur.Les filles du bourg ou du village ne passent qu’en tremblant, et les gars pressent le pas, sifflent un air de noce ou entonnent unechanson de conscrit pour se donner du cœur c’est que les trois barrières, voyez-vous, n’ont pas bonne renommée, tant s’en faut !— Pourquoi ? — Ah ! pourquoi ? Parce que c’est l’endroit choisi par Payel pour jouer des tours au pauvre monde.
Si vous voyez, vers minuit, sur un talus ou dans un creux de fossé, une bête blanche, chien ou chat (on n’est pas bien sûr), qui vousregarde fixement avec des yeux de feu qui vous font froid dans le dos, méfiez-vous, c’est Payel. On ignore qui il est, et d’où il vient.Les uns pensent que c’est le diable qui prend cette forme pour tourmenter les gens (ça se pourrait ben, le gars n’est point gauche etil en est ben capable). Les autres croient que c’est une espèce de mauvais génie, d’esprit malfaisant, une manière de sorcier.Un homme du village de la Courbe, qui était venu travailler à Bourg-des-Comptes, retournait chez lui, sa journée faite, quand parmalheur, il rencontra Payel aux trois barrières. Le failli chien se jeta sur lui, l’étrangla et l’emporta.Le lendemain on vit des traces de lutte, et un chat gris pendu à un pommier. Quant au pauvre homme, on n’en entendit plus jamaisparler. D’autres assurent qu’on retrou va auprès d’une des barrières, son chapeau et ses sabots.Ces choses-là ne sont point faites pour vous rassurer. Heureusement que Payel n’est pas toujours aussi méchant. Il peut arrivermême qu’il vous laisse aller tranquillement en se contentant de vous regarder d’une façon inquiétante à travers les feuilles. Mais plussouvent il commence par vous faire quelques niches. Il vous fait buter contre un caillou, ou vous jette votre chapeau à terre,et vous tireles cheveux quand vous passez sous une branche. Oh ! ne vous rebiffez pas ! Oh ! ne vous mettez pas en colère contre lui ; n’essayezmême pas de l’intimider par des gestes ou des menaces ; ne l’insultez pas et, surtout, n’allez pas l’appeler Payel, ou malheur à vous.11 se jettera dans vos jambes, vous fera tomber, vous cognera contre les arbres, vous entortillera dans les ronces et vous choquerala tête contre les pierres du chemin.Il n’y a qu’un moyen de lui plaire ; mais il y en a un. Le croirait-on ? Il est sensible à la flatterie. Si jamais vous le rencontrez sur votrechemin, une nuit que vous vous serez attardé, ne vous émeillez[15] pas, ne faites pas le Monsieur, tirez-lui ben joliment vot’bounet ouvot’chapiau, et dites-lui, poliment, de votre plus douce voix : « Bonjour Jeannette. Oh ! que tu es gentille ! viens ma belle Jeannette. »Cela lui suffit, il ne vous en demande pas davantage. Appelez-le Jeannette et il est heureux. Quand vous lui aurez donné ce nom qu’ilaime, vous pourrez errer sans crainte, et rester par les chemins à toute heure de jour et de nuit.Aujourd’hui les jeunes gens se font gloire de ne plus croire ce que disent les vieux, mais combien y en a-t-il, à la Courbe, gars et filles,de ceux qui font les braves à midi, et rient de tout ce qu’on voit dans les ténèbres, qui ne passeraient pas, à minuit, aux troisbarrières, sans trembler comme des feuilles de peuplier.(Conté par Julien Blandin, vieillard de 70 ans, à la Courbe en Bourg-des-Comptes).Petit JeanLa mère Bouillaud, du Fretay, en Pancé, me disait un jour : « Tout est bien changé chez nous, depuis quelques années. Autrefois,Petit Jean était notre ami ; s’il promenait nos chevaux au clair de lune il les soignait ben. Le matin, ils étaient lavés, étrillés, le crintressé. Tandis qu’aujourd’hui, à l’exception de celui qu’il aime, les autres sont maigres comme des coucous et n’ont plus de courage.Il les fait galoper tout le long des nuits et les rend fourbus. Autrefois, quand j’allais à la messe, c’était lui qui attisait le feu pour fairebouillir la soupe, et souvent, en rentrant, je trouvais mon ménage fait, mes meubles frottés, ma batterie de cuisine brillante comme lesoleil.« Ah ! oui, tout est ben changé ! À c’tt’-heure il tête nos vaches, met le cidre à couler dans les celliers, saigne les poulets, éparpille legrain dans les greniers et, avec cela le gredin, — pourvu qu’il ne m’entende pas, — nous joue des tours à nous faire mourir dehonte ! »— Mais il doit y avoir un motif pour qu’il ait ainsi changé. Que lui avez-vous fait ?— Ah ! voilà : il y a environ six ans ; c’était, si j’ai bonne mémoire, le dimanche de la Chandeleur ; le valet de ferme était àl’enterrement de sa mère, et notre homme alla coucher à sa place dans l’écurie pour veiller sur les chevaux.Le lit est accroché au mur, à une certaine hauteur, et, pour y monter, il faut se servir de l’échelle qui conduit au senas[16] où l’onramasse le foin.Le bourgeois fut donc pour prendre l’échelle, lorsqu’il vit sur un des barreaux un gros chat qui dormait. Il eut le malheur de saisir unfouet qui se trouvait à sa portée et de lui en allonger deux ou trois coups sur les reins en criant : « Au chat ! au chat !Le lendemain, le valet n’étant pas de retour, notre homme coucha encore dans l’écurie. Quand il eut ôté ses vêtements, et qu’il ne luiresta plus que sa chemise sur le corps, il reçut deux vigoureux coups de fouet sous les jarrets et il entendit en même temps quelqu’unqui criait : « Au chat ! au chat ! » Il en eut presqu’une faiblesse, se fourra vivement sous les couvertures où il trembla de peur jusqu’aumatin.— Eh bien ! Puisque Petit Jean a rendu la correction qui lui avait été donnée, il devrait bien vous laisser tranquilles.— Nenni ben sûr ! Il nous fait mourir de honte, j’vous dis.— Mais comment cela ?J’mariimes notre fille v’la deux ans. Quand elle se rendit au marché de Bain pour acheter ses hardes, elle trouva sur la route un belécheveau de soie noire, « Bonne trouvaille, dit-elle, cette soie servira à coudre ma robe de noce. »
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents