Requiem des ombres
203 pages
Français

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Description

Hanté depuis l'enfance par la disparition de son frère, Donovan Lorrence, auteur à succès, revient sur les lieux du drame pour trouver des réponses et apaiser son âme.
Aidé par une femme aux dons étranges, il tentera de ressusciter ses souvenirs.
Mais déterrer le passé présente bien des dangers, car certaines blessures devraient parfois rester closes...
... au risque de vous entraîner dans l'abîme, là où le remords et la honte règnent en maîtres.
Où le destin semble se jouer de vous.
Et cette question, qui bousculera sa quête de vérité : peut-on aller à l'encontre de ce qui est déjà écrit ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 mai 2022
Nombre de lectures 1
EAN13 9782372581035
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0064€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

David Ruiz Martin



Extrait de

Requiem des ombres





© 2022, Taurnada Éditions – Tous droits réservés
Prologue


La brume est dense, poisseuse. Si palpable que je parviens à la sentir au bout de mes doigts engourdis. Elle m’enveloppe de ses bras monstrueux. M’empêche tout mouvement. Me garrotte et me rend aveugle. Un mur de vapeur froide me maintient hors du temps. Masse imperceptible où il est vain de me débattre. J’éprouve de la peur. Ainsi que cette folie contagieuse, en embuscade. Elle se faufile comme une mélodie exaspérante qui fredonne encore et encore.
Une inhumanité annihile mes pensées et alourdit mes pieds. Ils traînent sous mes rotules endolories, ensanglantées par la chute et les coups. Mon bras gauche semble mort. Mes yeux me trahissent. La brume obstrue toute vision. Je ne distingue rien, mais la douleur est vive.
Alors, la réalité me revient telle une gifle.
Ici, plus rien ne m’attend, sinon le vide.
Et ces cris, qui hantent mon esprit. Ces hurlements lointains, pourtant si proches.
Les siens et ceux… de l’autre…
Elle est là. Silencieuse. Oppressante. Elle épie l’enfant que je suis. Sa présence infâme me paralyse. La frayeur s’immisce et la brume se jette sur moi. Un sentiment d’horreur se profile, tel un serpent sur une dune de sable : cette sensation que quelque chose de cruel, de barbare, est survenu.
Le silence m’entoure et tout paraît soudain sans vie.
L’absence du moindre son me terrifie. La mort m’enlace. Son odeur d’abord, froide et inéluctable, puis cette certitude qu’ il n’est plus.
Je suffoque.
Mon cœur saigne.
Mais les larmes ne viennent pas.
Alors les ténèbres m’envahissent.
Et la brume m’a à sa merci.
Comme avant.
Comme toujours.
Je me nomme Donovan Lorrence. J’ai 56 ans aujourd’hui. Mais je suis mort à 14.
1


Août 2015.

Neuchâtel était une petite ville suisse où il faisait bon vivre. Elle m’avait bercé durant mes plus jeunes années. J’y avais grandi, fait mes premiers pas, formulé mes premiers mots. Aussi, je m’y étais battu pour la première fois. Une bagarre qui s’était résumée à une tape sur ma clavicule et un coup de pied mal assuré infligé à mon assaillant, suivie d’une crise de larmes pour tous les deux…
… un combat à mort pour mes 5 ans.
Également, j’avais peloté les seins de cette fille plus âgée que moi et pas si bien roulée que ça au final, mais à laquelle je portais encore aujourd’hui un profond respect, même si avec le temps, son prénom avait fui ma mémoire. J’y avais fait mes premières expériences amoureuses puis sexuelles, et vécu mon premier chagrin d’amour en me jurant de ne plus jamais me frotter à l’une d’entre elles. J’avais travaillé pour la première pizzeria livrant à domicile, traversé la ville des milliers de fois au guidon d’un vieux Solex Micron sans pédales et bon pour la casse. Enfin, comme décor pour mon premier roman écrit bien des années plus tard, j’avais choisi Neuchâtel, en hommage à ma jeunesse, mais aussi pour qu’elle me porte bonheur dans mon début de carrière. Ce qu’elle avait fait, un temps. J’avais vu dans mes premiers succès un signe de chance. Un réel signe de chance et une preuve éphémère de l’existence de ma bonne étoile.
Car à cet âge-là, je croyais encore en elle… et pensais qu’elle me guiderait toujours.
Durant ma jeunesse, Neuchâtel m’avait pris sous son aile protectrice, éduqué à sa manière et guidé mon enfance. J’y avais acquis ses coutumes, côtoyé ses riverains et leurs habitudes, nourri quelques rêves et préparé mon avenir.
Grandir ici avait été une bénédiction. Du moins, les premières années.
Mais c’était il y a longtemps.
C’était bien avant la brume .
Aujourd’hui, à bientôt 57 ans, cette ville me rappelle un mauvais rêve. Ce qui m’en reste se résume à des souvenirs confus, égarés dans un flot de souffrance, de sensations opposées, entre colère et pardon, apaisement et moments de rage, recherche maladive de réponses et besoin total d’abandon. Des visages inconnus m’affublant de questions intimes, comme un viol de l’âme, une profanation des souvenirs, en quête du moindre détail encore inconnu du public sur ce drame de 1973, afin de garnir leurs journaux d’articles infâmes.
Cette tragédie avait secoué toute la région. Les médias français s’étaient même déplacés en Suisse. Cette fiévreuse envie de comprendre, de démêler le vrai du faux, d’éclairer le plus petit élément morbide et de solliciter des interviews, m’avait filé la nausée et poussé dans les affres de la maladie, à tel point que j’avais fini par haïr la région qui m’avait vu naître.
Cette ville m’avait bercé durant mes plus jeunes années, mais elle m’avait au final planté une lame dans le dos, dévoré l’âme et saccagé l’adolescence. En à peine quelques semaines, j’étais devenu celui dont tout le monde parlait, les soirs au coin d’un bar sordide, au détour d’une ruelle inanimée, au fond d’un parking mal éclairé.
J’étais « celui qui avait survécu ». Celui que « la brume avait épargné ».
Aujourd’hui pourtant, peu de gens s’en souviennent. Par lâcheté ? Certainement. Il est parfois plus sage d’abandonner l’indicible dans les confins de sa mémoire et de se persuader que ce n’était peut-être qu’un mauvais rêve, après tout. Un cauchemar englouti dans les songes du passé. Un désagréable état de conscience à franchir avant le réveil.
Beaucoup avaient réagi ainsi. Proches, voisins et médias. Même mes parents. J’étais passé du mauvais côté de la carte postale, celle que l’on finit tous, un jour, par oublier.
Neuchâtel avait revêtu son manteau le plus sombre, montré un visage sévère, plus mature et plus impitoyable que jamais. C’était devenu pour moi un lieu à éviter, une destination à rayer à tout jamais de ma carte intime, un souvenir secret d’où il me fallait jeter la clé…
… pour ne pas perdre pied.
Pourtant, après trente-huit ans d’absence, c’était ici, au quatrième étage d’un meublé donnant sur les jardins du château, situé en plein cœur de la rue des Moulins, que je me réveillais.
2


J’avais toujours aimé cette rue. Je l’appréciais d’autant plus aujourd’hui. Je l’assimilais, un peu à ma façon, à une femme de mauvaise réputation. Allez savoir pourquoi. Une prostituée à qui l’on se confie, un soir où la bouteille est notre seule alliée, où nos hormones mâles nous poussent à la faute, nous font perdre le contrôle, avant d’être balayées par une lampée de rhum, la gorge nappée de son feu, perdu entre larmes et désespoir.
Cette rue ressemblait à ces femmes détruites, prisonnières du vice masculin et flanquées hors du système actuel. Celles que l’on évitait, que l’on ignorait souvent, que l’on craignait parfois, mais dont certains hommes ne pouvaient se passer. Tout comme ces femmes, la rue des Moulins traînait nombre de rumeurs, souvent folles, parfois macabres et rarement avérées. Des légendes murmurées aux jeunes oreilles y esquissaient des passages souterrains menant l’imprudent jusque sous les anciennes fondations du château, là où est édifiée l’actuelle tour des prisons, ou dans d’autres couloirs obscurs débouchant près du quartier de l’Evole et jusqu’aux berges du lac, proche du restaurant Les Bains des Dames.
Beaucoup critiquaient la rue des Moulins, mais tous avaient un jour foulé ses pavés à la recherche d’une boutique de thé, de la dernière tenue à la mode, de massages intimes ou de quelques grammes de coke.
Pourtant, je m’y sentais parfaitement à mon aise. Cette rue était comme moi, au final : effarouchante et incomprise.

Mon voyage en train depuis Paris s’était déroulé comme je le craignais. J’avais trouvé une place dans une rame presque vide et, une fois installé confortablement, voilà qu’un homme du nom de Jacques Porland avait pris place face à moi. Le type était bavard, du genre de ceux qui vous laissent en placer une dans l’unique but de rebondir sur la suite de leur monologue. Le bougre était attachant à me ressasser sans aucune pudeur ses déboires sentimentaux, mais j’avais vite compris qu’à force de s’apitoyer ainsi sur son sort, il allait me sortir par tous les pores de la peau.
Parce que je n’avais pas la tête à ça.
Parce que des choses plus intimes me rongeaient l’esprit.
C’est seulement au moment où j’avais tendu ma pièce d’identité au contrôleur du train et qu’il avait lu mon nom à haute voix, que Jacques avait pris conscience de la personne qui voyageait depuis des heures avec lui.
« Donovan Lorrence ? avait-il alors lâché. Le vrai ? L’écrivain ?
– En chair et en os, lui avais-je répondu, m’efforçant de rester courtois.
– Oh ! Si c’est pas une foutue coïncidence ça ! J’ai lu presque tous vos romans et… »
… Et c’est là qu’il m’avait débité ses salades.
Les mêmes soupes imbuvables que l’on me servait à longueur de journée, au cours de mes nombreuses séances de dédicace organisées par mon éditeur. Les « j’ai adoré comment se termine Mes derniers jours à Flemington » et les « Andrew Harrison est sûrement votre personnage le plus profond et le plus… cruel ! ». Mais surtout, il y avait cette question, cette bon Dieu de question que chaque journaliste gardait jalousement dans un coin de sa tête, celle qui hantait mes interviews et ceux de milliers d’autres écrivains : « Mais d’où vous vient donc toute cette… imagination ? »
Cette phrase était peut-être une des principales raisons qui me poussaient à rester le plus possible dans l’ombre des médias.
Après une rapide griffe sur son bouquin actuel (qui n’était pas, à mon grand désespoir, l’un des miens), Jacques m’avait laissé à mes pensées, mais seulement après lui avoir avoué plancher sur une possible suite de Retour à Flemington , ce qui était évidemment faux.
Mon regard égaré au travers de la fenêtre, j’avais pris le temps d’observer toute sorte de tableaux : des plaines immenses aux nuances vertes virant parfois au brun, des forêts denses à perte de vue ainsi que d’énormes montagnes dans lesquelles le TGV s’engouffrait comme dans la gueule d’un géant. Durant ces passages, mon reflet avait trahi mes doutes. Les parois avaient défilé s

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