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Description
En cette nuit fatale du mardi 11 décembre 2018, Strasbourg est secouée par un attentat qui endeuille brutalement le marché de Noël. Toutes les forces de police sont mobilisées pour courir après le terroriste qui s’est enfui en direction du quartier de Neudorf.
Le commissaire Landrini, resté seul de garde, hérite d’un meurtre commis près des bains municipaux, bien trop à l’écart pour être du fait du terroriste. Rageant de ne pas pouvoir se joindre à ses collègues dans leur traque, il entame ce qui va devenir une enquête d’une grande complexité.
Enlèvement, assassinat, manipulation des réseaux informatiques, organisation criminelle internationale, science et pseudo-science... et même l’opéra de Wagner viendront s’entrechoquer dans cette affaire, où la journaliste Ira Hope ne sera pas de trop pour aider le commissaire, qui risquera sa vie.
Cette troisième enquête d’Ira Hope mêle intrigue et rebondissements sur un rythme haletant.
Sujets
Informations
Publié par | Le Verger éditeur |
Date de parution | 13 janvier 2023 |
Nombre de lectures | 5 |
EAN13 | 9782845744219 |
Langue | Français |
Poids de l'ouvrage | 2 Mo |
Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Dominique Gouillart
L’or du Rhin
Une enquête de Ira Hope
roman
Collection Les enquêtes rhénanes
C HAPITRE 1
L’ampoule rouge qui pendait au plafond dispensait une lumière parcimonieuse et sanglante dans la cave en béton où elle était enfermée. Depuis combien de temps ? Malika ne savait plus exactement. Quatre jours ? Cinq jours ? Régulièrement, quand elle dormait – ce qui était presque toujours le cas –, on venait lui apporter une maigre nourriture et changer le seau hygiénique, mais l’eau qu’elle buvait avait un goût métallique prononcé et la mettait dans un état semi-comateux, qui lui faisait perdre la notion des heures et des jours.
Elle ne maîtrisait pas vraiment ses pensées : c’étaient ses pensées qui s’imposaient à elle, et s’enchaînaient de façon chaotique. Le somnifère, ou l’anxiolytique, en tout cas la drogue qu’on lui administrait, diluée dans l’eau qu’elle était bien obligée de boire sous peine de mourir de soif, lui ôtait toute énergie et effilochait sa lucidité. Le temps vide de tout, sauf d’ombres inquiétantes, s’écoulait seconde par seconde, minute par minute, le passé remontait par bribes incertaines, et le futur se perdait dans les sables de l’angoisse.
Il lui fallait faire un effort extraordinaire pour se rappeler le rond-point de Dorlisheim, encore en travaux, au pied des Vosges – un vendredi soir, lui semblait-il – où elle était sortie de sa voiture pour effectuer un reportage-photos. Elle avait senti un chiffon humide sur sa figure, avec une odeur aigre. C’est tout ce qu’elle se rappelait. Elle s’était ensuite retrouvée dans ce cube de béton, une cave sans doute, dont sa main droite pouvait effleurer le mur de parpaings, et sa main gauche râcler le sol irrégulier. Elle était couchée sur un matelas en mousse qui atténuait la rudesse du sol. Ses pieds pouvaient presque toucher le mur opposé à sa tête, ce qui supposait une distance d’un peu moins de deux mètres. Le mur qui lui faisait face était un peu plus long ; peut-être trois mètres. Ce qui voulait dire, pensait-elle avec effort dans son cerveau ralenti, qu’elle était enfermée dans un local dont la surface faisait cinq ou six mètres carrés.
Quand elle demeurait plus longtemps sans boire, et qu’elle était davantage éveillée, elle observait les variations de la lumière rouge sur les parois. Et puis elle se rendormait. La cave était remarquablement silencieuse. On n’entendait rien. Sauf, de temps à autre, un bruit caractéristique de chaudière qui se rallumait. Cela expliquait pourquoi elle n’avait pas froid.
Des souvenirs très lointains remontaient par bribes dans sa conscience, mais elle n’avait pas le temps de s’y arrêter parce qu’ils s’enfuyaient aussitôt. Elle savait encore qui elle était – Malika –, qui l’avait élevée – Hubert –, quel métier elle exerçait – photographe –, en quelle année on était – 2018 –, mais ces flashes surgis d’une sorte de néant ne faisaient que rajouter à sa confusion mentale.
Elle résista à la tentation de boire, pour ne pas retomber dans cet état presque confortable, mais confus, de semi-inconscience narcotique. Qui avait bien pu l’enlever en ce soir de décembre ? Pourquoi la séquestrait-on ? Elle ne se voyait pas d’ennemis particuliers. Mais pouvait-on savoir ? Sa conscience embrumée balayait les cercles de son milieu professionnel, de ses parents, de ses relations nombreuses en France et à l’étranger… Que pouvait-on lui reprocher ? D’avoir trop bien réussi, peut-être. Mais de là à l’enlever et à la séquestrer…
On avait certainement signalé sa disparition. Sa sœur, en tout cas, devait forcément s’étonner de son silence : elle avait sûrement averti la police. Une enquête avait été lancée, on interrogeait sa sœur, son père, ses amis… On cherchait quand et où on l’avait vue en dernier, on étudiait ses habitudes et ses derniers rendez-vous, on lançait des hommes à sa recherche…
Et si personne n’avait signalé sa disparition ?
On lui donnait bien à manger et à boire, l’air tiédasse circulait librement, elle était encore en vie. Mais pour combien de temps ? Qu’est-ce qu’ils voulaient ? Obtenir une rançon ? La violer ? Jusqu’ici, elle n’avait pas été agressée physiquement, mais ça pouvait venir. Un individu venait la ravitailler. Elle l’avait entraperçu : un geôlier vêtu de noir, sinistre. Pourquoi ? Le supplice d’un emprisonnement à vie ? Quelle horreur !
Elle avait toujours éprouvé de la pitié pour tous ces animaux qu’on voit enfermés dans des cages, condamnés à une détention sans fin. Ils n’avaient pas demandé à subir ce sort. Elle non plus. Un désespoir brutal s’abattit sur elle à l’idée d’être détenue elle aussi, des années durant, dans un cachot aveugle. Flageolante, elle se leva pour aller boire. Entre le confort artificiel de la drogue et l’angoisse de l’éveil, autant choisir la drogue ! Elle se recoucha.
La porte métallique s’entrouvrait parfois sur son cerbère… Elle était trop comateuse pour réagir, mais elle le distinguait vaguement entre ses paupières mi-closes : une silhouette haute et maigre ; un homme, certainement. Il posait sur le sol un carton de nourriture et changeait le seau. Il jetait un bref coup d’œil en sa direction. Elle distinguait le pantalon noir et le sweat à capuchon rabattu jusqu’à ses yeux. Un violeur ou un tortionnaire ? Non ! Un homme de main qui exécutait les ordres comme un fonctionnaire ? Sans doute. Un salaud, en tout cas.
Ensuite, elle se traînait jusqu’aux provisions : deux très longs sandwichs, quelques bananes et une bouteille d’eau en plastique d’un litre et demi.
La cave sentait les bananes, dont les peaux rendaient une odeur douçâtre ; elle exhalait aussi faiblement le vin qui y avait été probablement entreposé. L’image d’une bonne bouteille surgissait pendant quelques secondes, mirage au milieu du désert de la nuit… Une vague odeur de bois était également perceptible. Peu à peu, le narcotique faisait son effet, estompant la terreur de l’enfermement à vie, des sévices qu’on pourrait lui infliger. Le grand escogriffe entraperçu n’avait cherché ni à la tuer, ni à la malmener, ni même à l’approcher. Jusqu’à quand ? Hésitait-il ? Quel était son rôle, et pourquoi la retenait-il ainsi ? De nouvelles images envahissaient sa conscience peu consciente, à la fois molles et heurtées, transférant l’angoisse dans l’au-delà du cauchemar. Elle s’endormait.
Elle ne pouvait pas savoir quelle frénésie avait gagné le monde réel, un monde dont elle était désormais exclue.
•
Au même moment, vers 21 h 00, le commandant Landrini arrivait en voiture à l’angle de la rue des Bains et du boulevard de la Victoire, à Strasbourg. Le trajet en voiture lui avait permis de remettre de l’ordre dans ses idées, chahutées par l’ampleur des problèmes qui se posaient à lui. Conduit par le jeune lieutenant Wolter, récemment intégré dans la brigade, le véhicule avait foncé. Les artères, fantomatiques, étaient totalement désertes : pas un passant, pas une fille pour faire le trottoir, pas une ombre.
La couleur rouge du véhicule des pompiers, dont les zébrures jaunes ressortaient dans la nuit, avait attiré immédiatement leur attention. Ils s’étaient garés juste derrière. La minuscule rue des Bains tire son nom des impressionnants bains municipaux, au style colossal et germanique, que l’Allemagne de Guillaume II a légués à la ville de Strasbourg, et qui la bordent sur la totalité de son flanc est. On pouvait deviner l’imposant bâtiment, brunâtre à cette heure, dont les sommets se perdaient dans la nuit.
Le capitaine des pompiers attendait les deux policiers. Il ne dissimula pas sa satisfaction de les voir arriver. Les bandes jaunes réfléchissantes tranchaient sur sa tenue sombre. Ses joues et son nez étaient rougis par le froid, et de la buée s’exhalait de sa bouche quand il parlait. On était dans la soirée du mardi 11 décembre 2018 ; des attentats avaient éclaté au centre de Strasbourg. On ne savait plus où donner de la tête, et on appelait déjà le véhicule des pompiers sur un autre site.
L’immeuble moderne, en forme d’équerre, qui faisait le coin du boulevard de la Victoire et de la rue des Bains, avait son entrée sur le boulevard, et la sortie des garages sur la rue. C’est devant cette sortie de garage qu’un passant avait aperçu un corps allongé sur le sol. Incapable de déterminer si l’homme était vivant ou mort, blessé ou ivre mort, il avait immédiatement appelé le 15.
Quand les pompiers étaient arrivés, l’homme était bel et bien mort, et ce n’était plus de leur ressort. Comme le capitaine l’expliqua rapidement à Landrini, ils s’étaient efforcés de ne pas polluer la scène de ce qui était manifestement un crime, puisque deux entailles sanglantes apparaissaient nettement dans le dos de la victime, allongée sur son flanc gauche, la face dirigée vers la paroi métallique de la porte du garage, et les jambes repliées. C’était donc du ressort du SRPJ. Le commandant Landrini s’était vu confier l’affaire par la procureure. On attendait les techniciens en investigation criminelle ainsi qu’un médecin légiste, mais en ce mardi 11 décembre à 21 h 00, toute la chaîne habituelle des secours ou des interventions de la police scientifique était bouleversée par l’ampleur des attentats.
Landrini vit bientôt le véhicule des pompiers s’éloigner dans un boulevard de la Victoire fantomatique, totalement déserté de ses passants. Pas un tram ne passait, pas âme qui vive, et l’air humide et jaune semblait danser autour des lumignons des lampadaires. Le commandant et son lieutenant avaient compris qu’il leur faudrait s’armer de patience, rester une bonne partie de la nuit à se geler dans cette rue des Bains spectrale, avec un cadavre pour tout spectacle.
Le témoin, qui était resté à l’écart, emmitouflé dans une grosse parka fourrée, l’écharpe remontée sur le menton, s’était approché et avait demandé :
— Je peux partir, ou vous voulez entendre ma déclaration ? J’ai déjà tout expliqué au capitaine des pompiers.
Landrini n