De la terre dans la bouche
149 pages
Français

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De la terre dans la bouche , livre ebook

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Description

Les vieux de Mont-Éloi savent pourquoi ils s'aiment ou se détestent, même si les autres l'ignorent. La seule histoire à laquelle il faut croire est celle qu'ils ont écrite au musée de la Chênaie.
Elsa refusera cette vérité lorsque sa grand-mère lui léguera une maison perdue dans la forêt, à deux pas d'un village martyr.
Guerre. Occupation. Épuration.
Quarante années ne seront jamais suffisantes pour oublier et chasser les fantômes du passé !

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 janvier 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782372580397
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Estelle Tharreau



Extrait de

De la terre
dans la bouche




© 2018, Taurnada Éditions – Tous droits réservés
PROLOGUE

Étude notariale de maître Billain
Gravine, le 19 décembre 1986
Le tic-tac nonchalant de l’horloge derrière maître Billain résonnait dans la pièce entièrement lambrissée. Pour la seconde fois, Elsa était assise face à cet homme qui l’avait accueillie l’air grave et compatissant suite au décès de sa grand-mère.
Moins d’un mois s’était écoulé après cette première entrevue. Il s’agissait à présent de liquider les derniers actes administratifs qui clôturaient sèchement la vie de Rose. Simple formalité routinière pour le notaire dont la mine était devenue moins sinistre. Immense sensation de néant pour Elsa, qui parvenait à contenir ses larmes, mais pas la morsure de la douleur.
Après le décès de sa grand-mère, la jeune femme n’avait pu se résoudre à faire le deuil de cette maison d’enfance dont elle avait hérité, mais qu’elle n’était plus certaine de parvenir à occuper seule. Elle avait donc proposé à sa tante Léontine de quitter son appartement pour s’installer quelques jours avec elle.
Ce matin, maître Billain soldait l’héritage de Rose. Après avoir signé et paraphé plusieurs documents qu’Elsa ne prenait soin ni de lire ni de comprendre, le notaire lui adressa un large sourire :
« Après la clôture des deux comptes épargne de votre grand-mère, la somme de 18 452,21 francs, déduction faite des taxes et frais d’étude, sera versée sur le compte dont vous m’avez donné les coordonnées bancaires. »
Elsa le regardait sans entendre ses paroles, absorbée par le bruit de l’horloge comtoise si semblable à celle qui trônait dans le salon de Rose et qu’elle connaissait depuis son enfance. Elle repensait aux moments où sa grand-mère l’autorisait à grimper sur un tabouret pour insérer la manivelle et remonter le mécanisme. Face au mutisme et au visage fermé d’Elsa, le notaire se sentit obligé d’apporter quelques précisions encourageantes :
« Ne vous inquiétez pas, le versement est assez rapide et vous pourrez disposer de la somme sous quinzaine. »
Malgré elle, la jeune femme sortit de sa rêverie et toisa froidement maître Billain qui préféra enchaîner comprenant sa méprise quant à l’attitude détachée d’Elsa.
« Parfait ! Il ne vous reste plus qu’à signer l’acte de propriété concernant la maison que votre grand-mère vous lègue au lieu-dit de "La Braconne". Comme vous l’a dit votre tante lors de notre précédent rendez-vous, cette habitation n’a pas de valeur. Bien qu’elle se situe en bordure du lac de Sainte-Ursule, elle reste enclavée en pleine forêt et doit être en piteux état depuis toutes ces années. Seul le terrain peut rapporter quelques bénéfices. Enfin, vous avez le temps de réfléchir à la façon dont vous souhaitez disposer de ce bien. »
Elsa apposa sa signature sur une simple feuille de papier qui la rendait propriétaire d’une maison que ni sa grand-mère ni sa tante n’avaient jamais mentionnée, construite près de Mont-Éloi, le village de naissance de Rose, de Léontine, mais aussi de sa mère, Michelle. Mont-Éloi, à deux heures de route, mais qu’Elsa n’avait jamais visité.
L’histoire de sa famille ne semblait avoir commencé qu’à sa naissance et dans la ville de Gravine. Cette famille qui se résumait à ces trois femmes et à un grand-père mort bien avant qu’Elsa ne voie le jour. Portée par la vie et les relations courtes mais difficiles qu’elle avait entretenues avec sa mère, elle ne s’était jamais réellement étonnée de ce passé défaillant. Mais, désormais, La Braconne, tout comme l’insistance dont avait fait preuve Léontine pour qu’elle vende cette maison, la poussaient à se questionner sur ce lieu, sur ses racines, sur ce silence.
Maître Billain récupéra la feuille et donna à Elsa une clé étrangement neuve au vu de l’état supposé de la maison puis il tendit une enveloppe au nom d’Elsa.
« Votre grand-mère avait précisé que cette enveloppe devait vous être remise en même temps que la clé de La Braconne. »
Le notaire marqua un instant de silence lorsqu’il vit la main tremblante d’Elsa caresser son nom calligraphié par Rose. Embarrassé, il se racla discrètement la gorge et demanda s’il pouvait encore répondre à certaines questions. Elsa fit non de la tête puis se leva. Il la reconduisit tout en prononçant quelques paroles de circonstance puis referma la porte derrière elle, la laissant seule avec un sentiment de vide insondable.
La jeune femme regagna lentement sa voiture. À peine installée sur le siège, elle ouvrit la boîte à gants et fourra les documents notariés ainsi que la clé à l’intérieur en forçant un peu pour la refermer. Puis elle posa les coudes sur le volant, l’enveloppe à quelques centimètres de ses yeux. Elle n’avait pas encore découvert les dernières paroles de Rose que des larmes affluaient déjà au bord de ses paupières. L’habitacle froid et humide de cette voiture constituait un endroit bien mal approprié pour cet ultime instant à passer avec sa grand-mère, mais il lui garantissait néanmoins toute l’intimité nécessaire.
Une larme coula sur sa joue.
Elle décacheta l’enveloppe.
Une seule photo. Elle ne comportait qu’une seule photo en noir et blanc, légèrement jaunie au fil du temps. De ces clichés d’après-guerre où les visages paraissent vaporeux. En pleine forêt, près d’une maison en bois, Rose, vêtue d’une robe et d’un tablier, coiffée d’un large foulard, tenait celle qui devait être Michelle lorsqu’elle n’avait que quelques mois.
Les yeux de la jeune femme s’attardèrent sur le reflet de son propre visage sur le pare-brise. Elle comprenait pourquoi les gens ne cessaient de s’étonner de sa ressemblance physique avec sa grand-mère. Elle avait l’impression que c’était elle qui posait sur cette vieille photo aux côtés d’un homme qui ne ressemblait en rien à son défunt grand-père. Un homme qui regardait tendrement sa grand-mère.
S’attendant à une lettre remplie de mots affectueux et réconfortants, Elsa sentit ses larmes se tarir. Elle restait interdite face à cet ultime et incompréhensible message adressé par sa grand-mère. Machinalement, elle retourna le cliché pour y découvrir le véritable et tragique héritage que Rose s’apprêtait à lui léguer.

À Elsa,
La Braconne, le passé que je n’ai jamais eu le courage de te raconter.
Tous ces fantômes qui n’ont jamais cessé de me hanter.
PREMIÈRE PARTIE

Rose
1


Malgré le froid de cette matinée de décembre, Léontine attendait avec anxiété le retour d’Elsa. En dépit de ses tentatives pour la dissuader de se rendre à Mont-Éloi, la jeune femme avait jeté quelques affaires dans un sac de voyage. Sa nièce avait néanmoins suivi son conseil en prenant rendez-vous avec un garagiste pour équiper sa voiture de pneus cloutés avant d’entamer le trajet. Les conditions climatiques de ce village d’altitude auguraient un accès difficile à La Braconne sur des chemins enneigés et verglacés.
La Braconne…
Léontine avait toujours pensé que sa mère avait enseveli au fond de son âme ce lieu et le passé qui s’y rattachait. Elle s’était trouvée désarmée face aux interrogations et à la gêne de sa nièce lorsqu’elle avait découvert que Rose lui léguait deux biens immobiliers ainsi qu’une importante somme d’argent. Pourquoi sa petite-fille et non sa propre fille ? Pourquoi Léontine ne recevait en héritage que la moitié de l’argent ?
Léontine avait simplement répondu qu’à la mort de son père, Rose lui avait déjà offert l’appartement dans lequel elle vivait aujourd’hui. Que sa mère souhaitait qu’Elsa conserve le toit qu’elles occupaient ensemble en lui léguant sa maison. Que l’argent lui permettrait d’ouvrir l’atelier de réparation de jouets anciens auquel elle aspirait. Enfin, elle lui avait dit que Rose avait bien fait ! Que sa vie était déjà faite, mais que celle d’Elsa était devant elle !
Cependant, elle n’avait pu trouver les mots concernant La Braconne. Elle-même ignorait que sa mère possédait cette maisonnette perdue au fond des bois, cette maison qu’elle n’avait vue qu’une seule fois, mais dont l’évocation avait fait resurgir l’un des souvenirs les plus douloureux de son enfance.
Michelle et Rose mortes, Léontine n’avait plus que sa nièce. Elle voulait protéger Elsa, cette enfant qui, sans le savoir, avait suffisamment souffert des résonances du passé. Elle ne comprenait pas pourquoi sa mère voulait que sa petite-fille soit confrontée à toute cette boue, à toute cette douleur si jamais elle découvrait l’histoire de leur famille. Mais la voiture d’Elsa tournait déjà à l’angle de la rue. Léontine sentit son cœur peser dans sa poitrine.
« Ça y est ? fit Léontine en se forçant à sourire dès que sa nièce sortit du véhicule. Tu es chaussée pour l’hiver. »
Elsa regarda sa tante tendrement.
« Je sais que tu ne veux pas que j’aille là-bas.
– Tu pourrais attendre un peu ? C’est bientôt Noël !
– Et je serai rentrée pour le réveillon. Je te le promets ! Je passe une nuit et je reviens. »
Léontine baissa la tête et se pinça les lèvres. Une nuit et deux jours pouvaient suffire à tout gâcher, à tout détruire si Elsa croisait le chemin de certains fantômes d’autrefois. Tous n’avaient pas pu mourir depuis toutes ces années. Combien étaient encore en vie ? Combien étaient restés à Mont-Éloi ? Beaucoup à n’en pas douter !
Face au désarroi de sa tante, Elsa décida de ne pas s’attarder. Elle récupéra son sac de voyage, une carte routière et un papier sur lequel elle avait noté l’itinéraire. Puis elle embrassa une dernière fois Léontine.
« Je serai prudente sur la route ! Ne t’en fais pas ! Et je ne parlerai pas aux inconnus ! » s’exclama-t-elle en riant.
Léontine ne rit pas.
Les mots restèrent bloqués dans sa gorge et son estomac se noua lorsqu’elle vit la voiture d’Elsa s’éloigner.

Elsa sortit de Gravine encore emprisonnée dans le gel matinal. Elle rejoignit prudemment l’entrée de l’autoroute sur des chemins verglacés par endroits. Le ticket bloqué à l’arrière du pare-soleil, elle accéléra sur la voie dégagée.
Au bout de que

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