L assassinat du mort
96 pages
Français

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L'assassinat du mort , livre ebook

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Description


“Mort deux fois”, grogna un sergent dans le dos du capitaine. “Ce rustaud-là n’a jamais rien fait comme tout le monde !”


Ainsi commence L’assassinat du mort, où l’on retrouve la plupart des personnages de La chair de la Salamandre; où la jolie Braïda n’a que son intelligence et son courage pour tenter de résoudre une série de crimes aux motivations pour le moins floues ; où le capitaine Mord-boeuf et le sergent Pasturat ne se privent pas d’accumuler maladresses et répliques toutes plus stupides les unes que les autres; où l’évêque Guillaume de Cardaillac est encore une fois dépassé par les événements; où le narrateur, enfin, s’amuse toujours plus, saupoudrant son récit d’un humour parfaitement déjanté... tout en respectant l’Histoire, avec son grand H.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 septembre 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782916488912
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Page titre
Jean-Louis Marteil
L’assassinat du mort
roman
La Louve éditions
Dédicace
Pour Éva (Ava) jolie petite étoile…
C HAPITRE I
Cahors, à l’aube du 10 novembre 1223
Le mort était plus mort que mort.
Bien que ce hardi concept dépassât de très loin les capacités d’entendement des soudards du guet, c’était bel et bien ce que donnait à comprendre l’étrange scène devant laquelle se trouvaient désormais réunis les sergents de l’évêque et leur chef.
Le capitaine retira son casque, se gratta la tignasse, et prit la mine absorbée d’un sanglier confronté à un problème d’astronomie. Mais il faut dire que ce capitaine-là n’avait jamais eu réputation d’être capable de résoudre quoi que ce soit. Lorsqu’il était jeune, quelques années en arrière, on le surnommait “Creux du cap” – ou “Tête creuse”, si l’on préfère… Toutefois, nul ne l’appelait plus ainsi, car on avait trouvé mieux : il avait gagné en l’an de grâce 1218 son nouveau surnom lorsque, commis à la surveillance des troupeaux du seigneur évêque, il avait eu bêtement maille à partir avec un bœuf qui refusait de lâcher la vache implorante au cul de laquelle, quoique dûment castré, il s’était croché. Depuis, le capitaine du guet était surnommé “Mord-bœuf”, ayant convaincu à sa manière l’animal de lui obéir… Or donc, Mord-bœuf se grattait la tête, et les cinq ou six sergents qui l’accompagnaient se demandaient s’il ne faudrait pas convoquer séance tenante quelques curés, au cas où Satan se promènerait par là.
Dans le cimetière des Augustins, entre les hautes herbes jamais nettoyées, une tombe récente était ouverte et la terre de rivière fraîchement remuée faisait un petit monticule noir tout à côté du trou. À quelques pas, un corps emmailloté de drap crasseux était allongé : celui de l’occupant théorique de la fosse. Tout pourri et puant comme se doit de l’être un cadavre de quinze jours, le mort avait ceci de particulier qu’il arborait, planté à la place du cœur, un lourd poignard de guerre. Or, il était de notoriété publique que le susdit décédé avait passé dans son lit d’une mauvaise fièvre deux semaines plus tôt, ce qui, même Mord-bœuf le comprenait, n’avait rien à voir avec la fin provoquée par une lame !
« Mort deux fois », grogna un sergent dans le dos du capitaine… « ce rustaud-là n’a jamais rien fait comme tout le monde ! »
Mord-bœuf remit son casque.
« Vrai », dit-il. « Même trépassé, il va encore réussir à nous briser les bourses ! »

Cahors, palais de l’évêque, à sexte 1 du 10 novembre
« Mort deux fois ? Et comment ça, bougre d’enclume, mort deux fois ? » s’exclama l’évêque… « Capitaine, tu es fin soûl ! »
Guillaume de Cardaillac, seigneur-comte et évêque de Cahors devant l’Éternel, avait prononcé cette dernière phrase sur le ton dont on assène une évidence. Le capitaine Mord-bœuf était ivre, il n’y avait pas à y revenir. Du reste, ce n’était peut-être pas faux, le soudard ayant, afin de se donner du courage avant d’affronter le prélat, fait des haltes régulières dans toutes les tavernes de rencontre. Cependant, le capitaine aurait aussi bien pu vider toutes les barriques du comté, et même au-delà, que cela n’aurait rien changé à ce qu’il avait vu au cimetière : un mort de quinze jours venait d’être assassiné ! Et il aurait à coup sûr fallu plus élaboré que la cervelle de Mord-bœuf pour expliquer cela.
« Il est certain que Notre Seigneur, parfois, ressuscite quelqu’un », dit l’évêque en faisant tressauter son abondante graisse. « Mais prendre deux fois la vie du même pécheur, je ne connais point qu’il l’ait jamais fait… et je n’en verrais d’ailleurs guère l’utilité ! »
Guillaume de Cardaillac songea que l’on allait lui faire passer outre le moment du prochain repas, ce qui était un véritable crime de lèse-majesté, aussi décida-t-il d’en finir :
« Voici ce que je te propose, capitaine », fit-il. « Tu vas te trouver un coin paisible, dans mes jardins de la Daurade par exemple, et tu vas t’efforcer d’évacuer la vinasse que tu as ingurgitée ce matin. Ensuite, tu reviendras me dire si le mort, tout bien réfléchi, n’aurait point résolu de retourner de lui-même dans la tombe !
— C’est que… » marmonna Mord-bœuf… « Il y a des témoins, monseigneur… Plusieurs ! »
Et, d’un regard plein d’espoir, il appela à l’aide le sergent Pelfort Pasturat, à ses côtés, aussi raide que sermon de moine, toujours soucieux de comprendre moins que son chef, c’est-à-dire moins que rien, et qui par là ne lui fut d’aucun secours…
L’évêque observa ses chiens. Deux énormes molosses à l’air aussi peu avenant que possible, jusque-là couchés à ses pieds, commençaient à s’énerver, donc à saliver, le regard meurtrier. « Calme vous deux ! » ordonna le prélat, puis il revint à son interlocuteur : « Des témoins ? Voilà qui est fort ennuyeux. Qu’ont donc les gens à voir ce qu’ils ne devraient point voir ? Qui donc ?
— Lui ! » dit-il en désignant Pasturat. « Et plusieurs autres de mes sergents, seigneur. Ils ont tous vu comme moi. »
Décidément contrarié, l’évêque frappa du poing sur l’accoudoir de son haut fauteuil. On avait décidé de lui gâcher sa journée et au moins l’un de ses cinq repas, il aurait pu l’affirmer. “Testis unus, testis nullus”, pensa-t-il. Certes… Mais le témoignage de cinq ou six imbéciles ? On ne pouvait décemment feindre de l’ignorer… Il n’y avait bien sûr rien d’impossible à ce qu’un individu seul, crétin attesté, imbibé de surcroît, eût soudain la berlue ; point cinq ou six, fussent-ils plus bêtes que cloches d’églises !
Le prélat soupira :
« Bon… Et sait-on qui est… Je veux dire : qui était ce mort ?
— Messire Enguerrand de Cessac, monseigneur… usurier… décédé voici…
— Je sais quand il est décédé ! » trancha l’évêque. « Sa mort m’a fait économis… » Il s’arrêta net, plus rouge encore qu’à l’accoutumée, ce qui n’était pas peu dire. Il avait failli avouer que la mort de l’usurier l’avait soulagé d’un grand poids, en l’occurrence d’une grosse dette, sortant ainsi par trop brutalement de son rôle d’évêque pour entrer dans celui du débiteur habituel qu’il était. « Sa fin m’a attristé », reprit-il, « parce que, bien qu’il fût damné en raison de son méchant métier, je le voyais souventes fois et avais quelqu’affection pour lui… » Sur quoi il regarda ses chiens, comme pour leur demander s’il s’était bien rattrapé. Les bestiaux s’en moquaient : ils fixaient Mord-bœuf qui, lui, faisait celui qui ne les voyait pas, et ils salivaient en grondant tout bas. Il n’était pas un être à deux pattes, hormis leur maître, qui ne les énervât point.
Le capitaine, pour sa part, entendait surtout obtenir du gras évêque des ordres simples, toute autre complication lui étant indifférente :
« Oui, mais qu’en faire ? » demanda-t-il. « Car il est bel et bien revenu se faire occire à dix pas de sa tombe, ce double crevé ! Le poignard y est encore ! »
Guillaume de Cardaillac, membre d’une très puissante famille du Quercy, comte et évêque de Cahors depuis l’an de grâce 1208, était vieillissant. La bonne chère, et l’agitation temporelle qui était la sienne, sa filouterie, on peut le dire, l’avaient fatigué. En outre, il avait conservé d’une affaire grave ayant agité la ville quelques vingt mois plus tôt 2 une méfiance accrue envers toute histoire lui semblant sortir de l’ordinaire.
Or, celle-ci paraissait bien faite pour lui compliquer encore la vie : feu maître Enguerrand de Cessac, usurier, était ce qu’il est convenu d’appeler un brise-couilles… de son vivant, croyait l’évêque jusque-là. Hélas ! Il s’avérait que mort il l’était tout autant.
Guillaume se prit à réfléchir un instant, ce qui était un exercice dont toute réussite était inconnue de Mord-bœuf, bien qu’il s’y essayât souventes fois, mais cela ne contribua nullement à détendre le prélat :
« Tu vas aller me chercher ce poignard, capitaine », dit enfin ce dernier, « et remettre vivement dans son trou cette charogne : elle n’a rien à faire dehors ! »
Mord-bœuf et Pasturat eurent la même moue dégoûtée et leurs regards se croisèrent.
« C’est que… », se lança le capitaine, « c’est que ça pue fort, monseigneur…
— C’est normal ! » répliqua l’évêque, de plus en plus agacé… « L’usurier est resté quinze journées à faisander en terre ! Tu ne voudrais point qu’il embaume tel un parfum d’Orient, j’espère ? Ce serait assez curieux, ne crois-tu point ? »
Pas plus que d’être occis quinze jours après sa mort, songea Mord-bœuf, mais il se garda bien d’en rajouter sur le sujet. C’était du reste inutile, car son compagnon le fit pour lui : « Fort bien. Et l’assassin ? » laissa brusquement tomber Pelfort Pasturat, s’attirant pour cela un coup d’œil consterné de Guillaume de Cardaillac.
L’évêque sembla hésiter. Allait-il se donner la peine de répondre ? Il lâcha un profond soupir et décida que oui, finalement : « L’assassin ? Quel assassin ? Peut-on tuer un mort, pauvre cruche ? »
Pasturat baissa la tête. Mais Guillaume de Cardaillac pensa que c’était là, malgré tout, une bonne question. Plus jeune, il s’y serait sans doute intéressé. Peut-être même aurait-il convoqué quelques corbeaux spécialistes en droit de justice afin de déterminer si oui ou non il y avait crime dès lors que l’on poignardait un mort. Il y avait sacrilège, à n’en pas douter : on ne retourne point terre consacrée à coups de pelle et de pioche, pour en faire sortir ce qui en principe doit seulement y entrer, sans que cela, peu ou prou, n’offense Dieu en son Paradis ! Quant à accuser quelqu’un d’avoir assassiné un mort, c’était une autre affaire. Irait-on jusqu’à pendre un homme pour avoir tué un cadavre ? Prendrait-on le risque de faire mourir de rire tout un collège de juges religieux, y gagnant en ridicule ce que l’on y perdrait en autorité ? La véritable question, donc, que l’évêque aurait posée aux éminents docteurs en lois eut été celle-ci : peut-on pendre un homme pour le sacrilège attesté d’exhumation de corps, étant bien entendu que la question de ne point le pendre, elle, ne se posait pas, le tout étant juste d’en trouver la raison ?
« Allez !

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