Les naufragés
101 pages
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Les naufragés , livre ebook

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Description

Hugo a la cinquantaine et il a la vie belle : pour lui, rien de tel qu’une virée en bateau dans la rade de Marseille. C’est le moyen d’échapper à une vie de famille qui n’est plus vraiment ce qu’elle était.


Alors pourquoi s’en priver ? Pourtant, c’est un événement bien plus grave qu’une dispute conjugale qui vient bouleverser son existence et bien des certitudes ...


Confronté à ses choix, il lui faudra s’ancrer dans le réel. Et s’engager. Mais sait-on jamais dans quoi on s’engage ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 09 mars 2023
Nombre de lectures 38
EAN13 9782382111673
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0097€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les naufragés
Audrey Sabardeil
Les naufragés
roman
M+ ÉDITIONS 5, place Puvis de Chavannes 69006 Lyon mpluseditions.fr

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
 
 
 
 
 
 
© M + éditions Composition Marc DUTEIL ISBN : 978-2-38211-167-3

À tous les hommes à la mer.
À ceux qui leur tendent une bouée.
Première partie
Les mariniers Me voient vieillir. Je vois vieillir Les mariniers. On joue au jeu Des imbéciles Où l’immobile Est le plus vieux. Dans mon métier, Même en été, Faut voyager Les yeux fermés.
Ce n’est pas rien d’être éclusier…
 
L’Éclusier (1968), Jacques Brel
1.
« Je me barre d’ici, vous m’avez saoulée ! »
Quatre grandes enjambées résolues plus loin, la jeune fille fut à la porte d’entrée de l’appartement, sac à dos mauve sur l’épaule. Au moment où elle posait la main sur la poignée de laiton, sa mère demanda d’une voix inquiète : « Tu as pris ton téléphone ?
– À ton avis ?! »
Le ton était acerbe. L’œil mauvais.
Et la mère de reprendre, piteusement caressante : « De bon matin, déjà, tu vas chez Chloé ?
– Chez qui d’autre ? Évidemment que je vais chez Chloé ! Et non, je ne sais pas quand je rentre, si tu veux savoir ! »
Puis l’adolescente sortit, prenant bien soin de faire trembler les murs en refermant derrière elle.
Corinne poussa un profond soupir avant de pivoter sur elle-même. Son regard croisa celui de son mari. Un voile noir vint l’assombrir. Ses lèvres se pincèrent de façon éloquente. Alors il tenta de se défendre :
« Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit ?
– Tu le demandes ?! Elle a seize ans, Hugo ! Bientôt dix-sept !
– Oui. Et nous, la cinquantaine passée !
– Parle pour toi ! Moi j’y suis à peine…
– Pour ce que ça change ! »
Il regretta aussitôt ces dernières paroles : attention, sujet sensible. Pour ses quarante bougies déjà, Corinne avait accusé le coup. Mais ce n’était rien à côté de ce cap-ci, franchi quelques semaines auparavant. Depuis, à la moindre occasion, elle s’en prenait à lui.
Comme s’il y pouvait quelque chose !
Est-ce qu’il s’en plaignait, lui, de ses cinquante-trois piges ? Il avait beau essayer de la rassurer, lui dire qu’elle était belle et tout ça… rien n’y faisait. Et c’était vrai, qu’elle était belle. Bandante, même. Nul besoin de mentir : après plus de vingt-cinq années de mariage, il appréciait toujours autant ses chevilles fines, ses cuisses dorées, sa poitrine ronde… Ce n’était pas sa taille un peu épaissie ou ses quelques cheveux blancs qui changeraient quoi que ce soit à son désir. Et puis quoi ? On ne pouvait pas rester frais comme à vingt ans toute la vie !
Mais à quoi bon argumenter ? Elle, dans le miroir, ne voyait plus que les rides au coin de ses yeux. Elle traquait impitoyablement les endroits de son corps où sa chair avait l’insolence de virer flaccide. Quand elle ne faisait pas attention à lui – autrement dit, souvent ! – il l’observait en douce : et désormais, devant son reflet, le matin, quand elle se préparait pour partir au boulot, avant de se maquiller, elle avait ce sourire triste qui ne trompait pas.
Il le savait : mieux valait parler de tout, sauf du temps qui passait sur elle. Il reprit le train de leur discussion première au risque d’assister à un autre déraillement et enchaîna :
« Bon, qu’est-ce que j’ai dit encore, pour que Carla nous fasse sa crise ? »
Elle prit ce ton professoral qui exaspérait tant Hugo :
« Mais enfin ! Tu réalises que tu ne peux pas la priver de tout, tout le temps !
– De tout ? Comment ça, de tout ? Tu rigoles ou quoi ? Moi, je la prive de tout, tout le temps ?! Ça, c’est la meilleure ! On parle de quoi, là, exactement ? Parce que j’ai un doute … ! De son téléphone à huit cents balles ? De son lycée privé ? Ben oui, parce que celui de Perrier, d’après ses critères, c’était plus possible ? De ses fringues hors de prix ? … À moins que ce soit de son argent de poche ? ! » Il avait haussé le ton un peu plus qu’il ne l’aurait voulu, mais il était excédé. Alors foutu pour foutu ...
Sa colère ne devait pourtant pas être bien impressionnante parce que Corinne surenchérit sans faiblir, bien au contraire :
« Oh arrête un peu les grandes envolées, s’il te plaît ! Ne joue pas à ça, parce que tu le sais très bien, ce qui ne va pas ! Tout le temps, les reproches : trop d’écrans, trop de sorties, trop de mauvais résultats au bahut, trop de petits copains… alors la menacer de lui interdire cette soirée où tous ses amis vont se retrouver, quelle grande idée ! …
– Ben oui ! Et encore heureux, non ? Je suis son père, pas son pote. Mais je suis pas assez cool peut-être ? Trop strict ? Trop vieux peut-être ?! Comment elle dirait, elle ? » Il réfléchit une seconde et ajouta dans un rire amer : « Ah oui ! Grave vieux  ! »
Mais le visage de Corinne se crispa encore davantage et sa voix se fit stridente : « Si tu veux savoir, contrairement à toi, je trouve pas ça drôle, moi ! Ta fille vient de claquer la porte, on ne sait pas quand elle rentrera, et toi tu te marres ?! »
Elle ne lui laissa pas le temps de rétorquer : il le savait, c’était plié. Cette fois encore.
Il avait perdu le contrôle de la conversation. Une fois de plus.
Elle enchaîna dans le même souffle : « Ben oui, vieux  ! Oui, t’es vieux ! Et moi aussi, je suis vieille. Elle a des parents vieux. Grave vieux , effectivement. Et elle étouffe ! » Sa femme était au bord de la crise de larmes. C’était palpable. Mais il n’avait pas envie de s’écraser. Pas cette fois :
« Bon, écoute, Corinne, c’est déconner, là, tu crois pas ? C’est pas le bagne, non plus, hein ?! Faudrait peut-être qu’elle se rende compte de sa chance, quand même !
– Ah ! je l’attendais celle-là ! » Et elle se mit à applaudir sur un rythme lent, en faisant bien claquer ses paumes. Elle interrompit son geste pour mieux enchaîner les reproches : « Bravo pour la leçon ! T’as vu le résultat ? Tous les deux dans le salon à s’engueuler et elle, chez sa copine. Ah ça, elle en aura bien profité de ton cours de morale ! C’est con, avant qu’elle parte, t’as oublié de lui rappeler que les petits Somaliens, ils n’ont rien à manger. Tu te rappelles ? Le même discours à la con que quand elle était petite. Tu devrais tenter : peut-être que comme ça, elle ira moins au Mac Do !
– Mais tu délires ou quoi ?! Que ça lui plaise ou non, j’en démordrai pas : c’est mon rôle de ne pas lui laisser tout faire…
– C’est ton rôle ? Ton rôle de père ? Ah, mais va au bout de ta pensée ! Tu veux dire que moi, j’y suis pas, peut-être, dans mon rôle ?! Et tu vas encore remettre ça ? Que sous prétexte que moi, je prends la peine de l’écouter, j’en fais trop ? Que je lui passe tous ses caprices, que … »
Une sorte de signal d’alarme se déclencha dans la tête d’Hugo : quelque chose claqua dans ses oreilles ou dans son cerveau, il n’aurait pas su dire. Mais ce fut comme s’il avait pressé le bouton mute de sa télécommande interne : la voix de sa femme fut soudain magiquement inaudible. Sans qu’il n’en perçoive plus les vociférations, ses lèvres continuaient de bouger. Il observa quelques instants ce visage qui grimaçait affreusement face à lui.
Il se dit : « Là oui, elle est laide .  »
Et il en avait plus qu’assez de voir ça.
Sans prêter cas à ce qu’elle continuait de lui jeter à la figure de reproches et de postillons, il alla récupérer son grand sac de toile dans le placard de l’entrée. Il mit ses chaussures sans prendre la peine de les lacer. Il enfila un blouson. Il attrapa ses clés dans le vide-poches et, dans un dernier geste, décrocha de la patère sa vieille casquette délavée par le soleil et le sel.
Enfin, il sortit.
2.
Dans la rue, la lumière l’enveloppa.
Il respira, paupières closes. Immobile sur le trottoir, il goûta longuement le calme de la rue. La tiédeur de l’air ambiant.
Puis Hugo leva les yeux et sourit d’aise sous le soleil de printemps. Le mistral n’était pas de la partie. La journée promettait d’être magnifique en mer. Avec délectation, il redescendit la fermeture éclair de sa veste. Tout à l’heure, il l’avait montée jusqu’au menton. Une sorte de réflexe de protection dans l’appartement hostile. Heureusement libéré, il n’eut qu’à traverser la chaussée pour rejoindre le garage qu’ils louaient. Il ouvrit le rideau de fer. À côté de la voiture familiale, son scooter attendait sagement. Son esprit s’allégea encore.
Chaque fois, voir sa Vespa le ramenait à ce souvenir souriant que, véritablement, il chérissait. Pour son départ à la retraite, l’année précédente, les copains du boulot lui avaient fait cette magnifique surprise : pour sa dernière matinée, Pascal lui avait tendu une boîte cubique, enveloppée d’un papier cadeau enfantin, et tout enrubannée de rose. Hugo avait ricané en découvrant cet emballage saugrenu. Il reconnaissait bien là l’humour décalé de son ami qui le contemplait, hilare, piaffant d’impatience qu’il dévoile le secret. Dans le local de la SERAMM, François, Dédé, Michel, lui et les autres collègues de l’équipe en étaient déjà à quelques verres de pastis. Le chef était là aussi. Et Corinne. Même Carla. Elles étaient tout sourire ce jour-là, se rappela-t-il.
Autour de lui, tous s’étaient ensuite lancés dans une ola bruyante pour accompagner l’ouverture du cadeau. Dans un grand éclat de rire, Hugo avait déballé le casque blanc en forme de demi-coquille d’œuf. Il découvrit bientôt que tous l’avaient signé ou décoré d’un dessin de plus ou moins bon goût. Son meilleur ami s’était encore exclamé : « Ça te changera de ta vieille casquette ! On n’en pouvait plus de la voir !
– Pas question : retraite ou pas retraite, je la garde ! Mais à ’ment

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