La Ville Humide
13 pages
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La Ville Humide , livre ebook

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Description

« Sur mes poumons, je ne sais plus si c’est la caresse des écharpes de brume ou s’il me coule des chapes de bétons. Au coucher du soleil, le brouillard envahit tout, et la bruine, quand ce n’est pas des torrents, ronge chaque jour la pierre à sa base. Elle grignote à petit, comme la maladie grignote maman. Et tout le monde s’étonne, rage, peste. L’homme est un grand saut qui a bâti la ville sur l’eau, en plein pays de brouillard. »


Attendre l'arrivée d'un jour neuf... Il ne reste rien d'autre à cette jeune femme "emmurée", incapable d'emprunter la moindre rue qui lui permettrait de fuir les odeurs de vin d'un père alcoolique ainsi que son impuissance face à sa mère rongée par la maladie.


Avec texte fulgurant et poétique, Claire Dumas nous invite à entrer dans le brouillard de La Ville Humide.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 septembre 2021
Nombre de lectures 6
EAN13 9782494914070
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le père, le matin il crache. Chaque matin, il se racle la gorge et crache plusieurs fois de suite ; il crache de sa nuit imbibée d’alcool des glaires rauques et grasses. Parfois le père, en plus, il geint, peste, élu-cubre. D’autres, il pleure carrément, mais sans larmes, jamais. Juste pour faire sem-blant, dans sa voix, ses intonations, comme pour faire des excuses à sa nuit.
Avant, je disais papa et j’y mettais des ar-ticles possessifs et d’autres choses. Mainte-nant, je n’y mets que de la distance, jusque dans les mots. Surtout dans les mots. Je le tiens loin, bien loin de moi.
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Le torchon à l’épaule qui pend sur le mail-lot de corps, pas même rasé, ni lavé, ni rien, il cuit des œufs que personne ne mangera, des œufs qui baignent dans trop de gras. Les œufs cuits, il m’appelle et m’appelle encore. Quand je ne réponds pas, il insiste, jusqu’à la menace, et alors je suis bien obligée d’al-ler. Obligée d’attraper les odeurs d’œufs, de gras, de soûleries mélangées, l’odeur de femmes aussi, très souvent, qui lui est restée collée.
Grand-mère qui a honte de son Ils, car tout le monde ne parle plus que de ça, dit « des femmes de rien » et elle se signe et qu’on n’en parle pas. Moi, je pense que ce sont plutôt des saintes à qui l’on devrait baiser les pieds et les seins, car sans elles il faudrait encore supporter le père les nuits, et on ne sait pas quelles
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couleurs elles auraient ces nuits-là ni quelles folies. Je ne dis pas à grand-mère qui n’a pas besoin de ça pour me giLer ou encore dire que je suis bien la Ille de ma mère, avec son air mi-Igue mi-raisin acide.
Entre deux crachats, le père m’appelle. Plus haut, plus fort. Je ne bouge pas, je me balance là, sur la pointe de la pointe des pieds, du bout du bout. De ma chambre, je regarde au-dehors, j’ignore la menace, je m’applique à ne pas l’entendre, et tant que je ne l’entends pas ce n’est que du bruit qui ne peut m’atteindre. Je Ixe la hauteur, l’eau glacée en dessous. J’ouvre la fenêtre pour mieux voir la ville, même avec le froid et la brume humide qui vous colle au corps, comme si elle avait passé la nuit derrière les carreaux à vous attendre. C’est une ville de pluie, de brouil-lard et d’eaux sombres. Il est possible que ce soit ça qui ait rendu maman malade. C’est le
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docteur qui a dit, et les autres docteurs qui ont suivi aussi, tout pareil, mais le père ne veut rien entendre, il les renvoie à coups de pied et de colère noire avec assez de fureur dans le regard pour les décourager d’aller se plaindre ou quoi. Quand je me tiens devant la fenêtre dans les longues chemises blanches de maman, je m’imagine pareil à ses danseuses en tulle qui ont la grâce des cygnes, la nuque bien droite, les bras en tourbillon au-dessus, au bord du bord de l’équilibre, à la toute limite, et ar-riverait un plongeon ou un grand saut…je n’y serais presque pour rien. Parce que grand-mère m’a bassiné avec le Bon Dieu, les enfers et le reste, mais par-fois même ça n’y sufIt pas pour meretenir ; des matins plus durs où je suis sur le point de lâcher prise, de tenter une pi-rouette plus audacieuse, et alors le regard d’Acunza la voisine vient me cueillir char-gé de douceurs qu’on ne peut dire, mais qui me cognent au ventre. Alors, je renonce,
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pour Acunza plus que pour moi. Il ne me reste plus qu’à refermer la fenêtre et faire semblant de rien, comme si j’avais joué là quelque farce sans conséquence. La fenêtre fermée, je vais à la cuisine, je suis obligée.
Il dit « Tu porteras à ta mère » et j’acquies-ce sans lever les yeux. J’attends qu’il aille s’écrouler dans le cana-pé pour jeter le tout à la poubelle, les œufs, le gras qui nage autour, puis je prépare autre chose sur un joli plateau : des fruits pressés, du café bien noir, des brioches, tout ce qui peut faire plaisir à maman.
Maman, elle reste enfermée là-haut depuis qu’elle est malade, les rideaux tirés, épais, pour que le jour ne rentre pas, pour ne plus rien voir ou en tout cas le moins possible de ce qui la ronge.
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