Deux Feuilles de gingembre
166 pages
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Deux Feuilles de gingembre , livre ebook

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Description

En 1965, Susan Hampton, jeune londonienne, se rend chez un notaire d'Edimbourg régler la succession de Mary Mackenzie, sa grand-mère, qui a passé la majeure partie de sa vie au Japon. Première surprise, un compte en banque bien garni revient à sa famille, mais surtout, une maison à Yokohama est léguée à des Japonais dont la famille n’a jamais entendu parler. Qui sont-ils ? Suzy est résolue à percer le mystère. Seul indice : un vieux calepin noir laisse échapper deux feuilles séchées, qui dégagent une légère odeur de gingembre.


Commencent alors des recherches qui mèneront la jeune femme de Paris à Yokohama, lui révéleront la complexité de la société japonaise et bouleverseront sa vie.


Ce faisant, elle réalisera le vœu le plus cher de sa grand-mère disparue.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 09 mars 2023
Nombre de lectures 47
EAN13 9782382111666
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Deux feuilles de gingembre
Sylvie Servan-Schreiber
Deux feuilles de gingembre
M+ ÉDITIONS 5, place Puvis de Chavannes 69006 Lyon mpluseditions.fr

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
© M+ éditions
Composition Marc DUTEIL
ISBN : 978-2-38211-166-6
 
À la mémoire de Ferdy & Joan Woodward
qui m’accueillirent si souvent en Écosse,
comme à celle d’Oswald Wynd
qu’ils me firent rencontrer,
 
ainsi qu’à Alain Forest
qui me fit découvrir le Japon.
 
 
 
Torii Cottage
Crail – Fife
Écosse
 
 
                     Samedi 1 er mai 1965
 
Je me suis installée ce soir au bout de la terrasse, sur le banc de pierre qui domine la mer, avec ce journal, un mug de thé et ce qui restait de vieux shortbread dans la boîte en fer pour appâter Natsumi, la mouette apprivoisée de Granny Mary. Depuis sa mort, je doute que quiconque se soit soucié de la nourrir. Natsumi signifie beauté d’été en japonais. Des voisins se sont occupés de Neko, son chat gris qui n’a pas quitté la maison où il erre comme une âme en peine. Quand j’avais demandé à Granny Mary pourquoi tous ses chats successifs se nommaient Neko, elle m’avait simplement répondu qu’en japonais cela signifiait chat . Je n’avais pas insisté. Granny Mary pouvait se fermer comme une huître quand on lui posait trop de questions sur le Japon. Mummy me presse de prendre une décision à propos de cette maison mais j’attends d’avoir vu le notaire mardi. Je suppose que Mummy est un peu chiffonnée que Granny Mary ait laissé des instructions précises pour que ce soit moi qui règle sa succession et non elle, mais leurs rapports ont toujours été un peu artificiels. Je n’ai pas cherché à savoir si Mummy en était au fond plus soulagée que vexée, mais elle a pris prétexte de cette décision, après l’incinération et une brève cérémonie, pour repartir dès le lendemain à Ludlow. Cela fait maintenant deux jours que je suis seule ici. Natsumi s’est perchée sur le muret qui borde le sentier de la falaise en émettant ce cri rauque si peu harmonieux qui reste indissociable pour moi des vacances d’autrefois chez Granny Mary. Je lui ai tendu un morceau de biscuit, elle est venue le saisir, sans se percher sur mon épaule. Elle le fera peut-être demain. Elle n’a aucune crainte du vieux Neko, ce serait plutôt le contraire.
J’adore cette maison de pierre grise avec ses fenêtres étroites qui donnent sur la mer, ses volets bleus et la grande cheminée du salon, la seule pièce un peu confortable où Granny Mary disposait d’un fauteuil pour s’asseoir et lire devant le feu. Son livre préféré, la traduction en anglais par Waley du Dit de Genji , de Lady Murasaki, est toujours sur la table basse, tout usé, avec sa reliure bleu passé. Granny Mary l’avait mis dans sa valise avec quelques autres lorsqu’il lui a fallu quitter Tokyo en 1942, dans la plus grande précipitation. Elle n’avait à ma connaissance pu emporter aucun objet. Il y a bien dans l’escalier une gravure qui représente le mont Fuji, mais c’est une reproduction. J’étais avec Granny Mary quand elle l’a achetée aux Puces de Dundee pour 5 shillings et 6 pence. Nous allions toujours aux Puces de Dundee quand je venais en vacances. J’avais dix-sept ans cette année-là et cherchais un livre pour mon frère Gordon quand mon regard a été attiré par cette gravure.
 
Daddy est mort au combat en 1941 en Crète, quand Gordon avait 11 ans et moi 9. Nous avons longtemps attendu qu’il revienne, c’était un espoir absurde. Au lieu de cela, en octobre 1942, nous sommes allés à Southampton chercher Granny Mary qui arrivait d’Asie. Mummy nous avait dit de ne pas poser de questions. C’était sa mère, notre grand-mère, mais en réalité une parfaite inconnue pour nous trois.
Je commence à avoir une crampe sur mon banc de pierre et j’ai un peu froid, je crois que je vais rentrer. Je ressortirai tout à l’heure regarder la nuit envahir la mer, assez tard en cette saison : la petite île de May se détache longtemps en grisé, avec son auréole de mouettes qui tournoient. C’est austère et magique, peut-être la raison pour laquelle Granny Mary avait choisi cet endroit. Après tout, au Japon aussi elle vivait au bord de la mer.
 
 
                     Lundi 3 mai 1965
 
Il fait gris aujourd’hui et je me suis réveillée tard. C’est la fête du Travail 1 , comme un dimanche qui durerait quarante-huit heures. Tous les bureaux sont fermés, je ne pourrai donc pas voir le notaire avant demain, c’est aussi bien.
J’ai repris ma chambre de toujours, dans l’aile gauche de la maison, où je me sens bien car y rôdent quelques traces de mon adolescence, à commencer par la pile de Oor Wullie 2 que j’aime toujours autant lire le soir dans mon lit en croquant une pomme acide, comme autrefois. Neko s’est glissé cette nuit par la porte entrouverte. Il s’est roulé en boule sur l’antique dessus-de-lit au crochet et a ronronné doucement, c’était apaisant, pour nous deux je suppose. Ce qui est sûr, c’est que je serais incapable de dormir dans la chambre de Granny Mary.
Après mon petit-déjeuner, j’ai décidé d’aller à vélo jusqu’à Saint Monans, ma chapelle préférée. En Écosse, les cimetières sont généralement autour des églises et les pierres tombales d’un gris doux, semblent sortir du gazon. Si j’avais été Granny Mary, j’aurais demandé à être enterrée là, ne serait-ce que pour le sentiment de sérénité, sinon le plaisir, que ma descendance aurait éprouvé en venant sur ma tombe. Manifestement, en choisissant de se faire incinérer, ce n’est pas à sa descendance qu’elle pensait.
 
 
Granny Mary s’appelait Mackenzie. À 20 ans elle a épousé Richard Collingsworth, après l’avoir rejoint à Pékin où il était attaché militaire. Jane, ma mère, y est née en 1904. Un an après, dans des circonstances qu’il ne fallait jamais, au grand jamais, évoquer chez les Collingsworth, Granny Mary a quitté Pékin pour s’enfuir au Japon, laissant son bébé derrière elle. Richard Collingsworth, avant d’aller batailler sur le front de Mandchourie, a confié la petite Jane à des amis rentrant en Angleterre, pour qu’elle y soit élevée par ses parents. Mummy n’a donc connu sa mère qu’à 38 ans, et guère vu son père non plus, car il venait très rarement en Angleterre. En savoir si peu sur ses parents est déjà difficile, mais être élevée par des grands-parents aussi rigides que les Collingsworth est certainement chose bien pire.
 
Petite, quand j’étais trop malheureuse d’avoir perdu mon père, je me demandais comment Mummy avait fait pour grandir sans mère, sans aucune image d’elle. À 14 ans, elle prenait tous les matins son porridge en face de cet affreux portrait de son père en grande tenue que Grandma Collingsworth avait fait peindre d’après une photo quand son fils a été tué en France, en 1918.
Je n’aurais pas aimé grandir chez les Collingsworth. Mummy devait étouffer chez eux, c’est pourquoi, dès qu’elle l’a pu, elle n’a pas hésité à partir travailler à Londres comme secrétaire, ce qui n’était pas si fréquent dans son milieu, à l’époque. En 1928, elle a épousé John Hampton. Gordon est né deux ans après. Mummy avait sûrement choisi un prénom aussi écossais pour bien montrer que si elle était née Jane Collingsworth, elle avait du sang Mackenzie dans les veines. Quant à moi, elle m’a appelée Susan, parce que ce prénom plaisait à Daddy et ensuite Hazel Mary. Hazel, comme la mère de Daddy et Mary comme sa propre mère. J’aurais détesté m’appeler Winnifred comme Grandma Collingsworth, alors que je suis contente de porter le prénom de Granny Mary. Mummy dit que je tiens beaucoup d’elle, alors que Gordon ressemble plutôt à Daddy, il a le front des Hampton. Heureusement qu’aucun de nous n’a un air de Collingsworth ! Ils sont morts avant la guerre, mais je me souviens encore de l’ennui que nous éprouvions chez eux enfants, Gordon et moi, quand il fallait montrer ses bonnes manières à table et réciter des poésies. Chez eux, tout était vieux et compassé. Après leur mort, Mummy et Daddy ont vendu le domaine et acheté à Ludlow, dans le Shropshire, une maison très agréable, avec son grand jardin. Je conçois que Mummy n’ait jamais accroché le portrait de son père en bonne place. Quand Granny Mary est venue vivre avec nous à Ludlow, à son arrivée en Angleterre, point n’a été besoin de mettre Richard Collinsgworth en grande tenue au grenier : il y était déjà. Gordon s’est retrouvé un jour nez à nez avec lui en jouant à cache-cache, et me l’a montré. Gordon adore tout ce qui est militaire, je suis sûre que s’il demandait ce tableau à Mummy, elle le lui donnerait, mais il sera peut-être bientôt muté par sa banque à Hong Kong, pas vraiment l’endroit où emporter le portrait de son grand-père en uniforme… ce serait une faute de goût , comme disent les Français.
 
Je n’ai jamais osé demander à Mummy si elle savait pourquoi Granny Mary ne l’avait pas emmenée en quittant Pékin, et ne lui avait donné aucun signe de vie pendant son enfance, pas la moindre manifestation, ne serait-ce qu’une carte d’anniversaire. Tout ce que je sais, c’est qu’après la mort de Daddy, Mummy s’est retrouvée bien seule. Cela lui a peut-être donné le courage de se lancer sur la trace de Granny Mary. Quand notre ambassade à Tokyo lui a fourni l’adresse de sa mère, elle lui a écrit pour lui proposer de vivre en Angleterre avec nous.
 
 
En revenant de Saint Monans, une pluie fine s’est mise à tomber. Je suis allée demander un mug de thé à Doug et Meg Bradshaw, les amis les plus proches de Granny Mary à Crail. Ils ont une petite maison sur le port, décorée un peu bizarrement des bois flottants que Doug ramasse depuis des années sur la plage. Q

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