Yamanoté Sen , livre ebook

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Si un jour, à l’occasion d’un voyage ou tout à fait par hasard, vous vous retrouvez avec un plan des transports de Tokyo sous les yeux, une fois que votre œil se sera fait aux multiples et complexes entrelacs de couleurs qui matérialisent les différentes lignes de métro et de trains sillonnant de part en part la capitale nipponne, vous vous apercevrez alors qu’il existe une ligne de train un peu tarabiscotée qui opère une boucle, un tour complet de la mégalopole, desservant nombre de ses quartiers emblématiques. Cette ligne s’appelle communément la 山手線 (Yamanoté Sen), la « ligne Yamanoté ».


Si un jour, à l’occasion d’un voyage ou tout à fait par hasard, vous croisez Odile Garnier, élégante dame de soixante ans volontiers sarcastique (envers elle-même avant tout), une fois que votre esprit se sera fait aux multiples et complexes entrelacs qui jalonnent sa vie, vous vous apercevrez alors qu’à emprunter une fois encore la Yamanoté Sen, ce n’est pas seulement un tour de Tokyo que boucle Odile Garnier, mais aussi une partie de son passé.


Cette promenade personnelle et réflexive dans une ville et dans une vie qui, en apparence, ne s’y prêtent guère, se veut avant tout l’évocation impressionniste d’une femme et d’une capitale aux visages multiples et, finalement, aux destins liés.

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Date de parution

22 mars 2019

Nombre de lectures

0

EAN13

9780244467265

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

3 Mo

山手線
 
山手線
 
Yamanoté Sen
 
Eri HAKÉ
Copyright © 2019 Homoromance éditions
Remerciements/Dédicaces
 
Je tiens à remercier Keiko, Nami et Makoto pour leur aide et leur soutien.
Je dédie cette histoire à tous mes proches.
Particulièrement à Keizo et à Hanaé.
À Valérie aussi.
Et à Christophe.
 
Accès aux chapitres
 
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Elle était arrivée à la gare de Shinjuku par la Yamanoté Sen . En provenance d’Ebisu. Un quartier qu’elle affectionnait depuis toujours, même si, lors de ses précédents séjours et pour une raison qui lui échappait, elle n’avait jamais fait de ce petit district tokyoïte, pourtant pas trop mal placé et bien desservi, l’une de ses résidences, même de manière temporaire. Du coup, elle avait décidé de remédier une fois pour toutes à son désintérêt pour ce quartier (qui, finalement, n’en était vraiment pas un puisqu’il n’était dû qu’au hasard) en y descendant dans un hôtel qu’elle avait, depuis l’Europe et Internet, réservé et prépayé quelques mois à l’avance, dès qu’elle avait su qu’elle devait entreprendre cet énième voyage à Tokyo. Énième en effet, car elle ne comptait plus les fois où elle était venue au Japon, du haut de sa soixantaine dont il était flagrant de constater la belle conservation physique et l’extrême sophistication vestimentaire et comportementale. Sans même parler des sept ou huit années de sa vie qu’elle avait vécues dans la capitale nippone, et où elle avait laissé bien plus que des larmes en partant. Sept ou huit ?  Elle ne savait plus très bien. Avec l’âge, sa perception du temps suivait inexorablement celle de sa vue : elle avait tendance à se troubler. Énième voyage, oui, mais celui-ci serait certainement le dernier. Quoique... Combien de fois s’était-elle figurée par le passé, alors qu’elle regardait rapetisser les champs de Narita 1 par le hublot de l’avion et par le prisme de ses yeux inévitablement mouillés de larmes, qu’il s’agissait là d’une ultime image qui ne lui serait à l’avenir plus donnée de contempler et qu’elle s’astreignait par conséquent à graver coûte que coûte quelque part dans sa mémoire   ? Elle avait, à force de revenir au Japon tout au long de sa vie et d’en repartir sans cesse (et soi-disant pour de bon), la tête remplie d’images aériennes de carrés verts floutés qui finalement l’embrouillaient plus qu’elles lui ne faisaient office de véritables souvenirs. Ce ne fut que très récemment qu’elle se décida à les effacer aussi résolument qu’elle les avait crues, pendant longtemps, définitives. En vain, donc.
L’hôtel d’Ebisu était situé à deux enjambées de la gare JR. Il était de bon standing et d’un prix tout à fait correct à condition de le replacer dans un cadre japonais de références. Autant dire pas très bon marché pour un Européen. Mais elle était de celles qui n’avaient plus trop à compter. En son for intérieur, elle remerciait souvent la providence de lui avoir permis, sur ses vieux jours, de donner totalement libre cours à ses envies et complètement suite à ses besoins, sans avoir à s’embêter avec des obstacles matériels. Les contingences, elle s’en était acclimatée de beaucoup par le passé et elle était persuadée que l’apanage de sa vieillesse résidait avant tout dans le fait qu’elle n’avait plus à se soucier de l’état de ses finances, lui laissant, soit dit en passant, plus de temps pour se lamenter sur celui de son arthrose.
 
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Elle avait pris possession de sa chambre il y a deux jours de cela, après avoir atterri une fois de plus à l’aéroport de Narita. Après avoir récupéré ses bagages sans encombre et plutôt rapidement, puis acheté un billet de bus à destination de Roppongi 2 en utilisant un japonais dont on sentait bien qu’il avait eu son heure de gloire mais qu’elle trouvait aujourd’hui trop approximatif. Après avoir, une fois dans Tokyo, attrapé un taxi à la volée devant l’hôtel ANA, le terminus du bus de l’aéroport. Après avoir enfin été déposée par le même taxi devant son hôtel d’Ebisu pour mille cinq cents yens (elle ne comptait plus ses sous, certes, mais cela ne l’empêchait pas de constater que tout augmentait, ici comme ailleurs).
La portière arrière du taxi vert à bandes jaunes se referma automatiquement sur les remerciements machinaux et courtois du chauffeur. Elle resta là quelques instants, sur le trottoir, ses deux valises et un grand sac à ses pieds, son porte-monnaie encore en main. Elle avait besoin de respirer un peu. Elle avait aussi besoin de marquer, ne serait-ce que symboliquement, la fin d’un périple de plus de quinze heures porte à porte depuis son départ de Paris. Elle avait tout simplement besoin d’une pause. «   Les voyages forment la jeunesse, ben tiens donc   !   », maugréa-t-elle à voix haute sans grand risque d’être comprise, tant étaient faibles les probabilités qu’un passant doué d’une ouïe aussi fine que francophone ne se trouvât à ses côtés. Elle se détendit et contrôla sa respiration dans le but de la ralentir un peu. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle commença véritablement à s’ouvrir à ce qui l’entourait. Elle sentit en premier la moiteur de l’air s’abattre sur son visage, son dos se mettre simultanément à frissonner et à suer sous l’effet du passage rapide de la climatisation du taxi à la chaleur humide du dehors. Elle entendit ensuite le vacarme grandissant des voitures, des sonnettes de bicyclettes roulant sur les trottoirs et enjoignant aux piétons de se pousser, des sonneries de portables   ; les exclamations des passants «   う-ん!そうですか?   » ( Uhn   ! Soodesuka ?) 3 , les haut-parleurs nasillards déversant leurs promotions estivales depuis les boutiques avoisinantes, le signal sonore en bip à deux temps qui indiquait aux aveugles qu’ils pouvaient traverser au carrefour, le train qui passait sur l’un des ponts surplombant les rues du quartier et dont les armatures tintaient au passage de chacune des roues des wagons. Après plusieurs minutes, elle rouvrit les yeux qu’elle avait clos sans même s’en rendre compte. Elle prit alors conscience de l’agitation visuelle qui régnait autour d’elle et qui se synchronisait, lentement mais de manière parfaite, avec tout ce qu’elle venait de percevoir auditivement, avec cette ambiance qui avait mis si soudainement tous ses sens à contribution et qu’elle reconnaissait entre toutes. Aucun doute : elle était bien arrivée à Tokyo.
Elle se lança à elle-même, et toujours à voix haute, un «   Welcome home , ma belle   » tout à fait enjoué. Puis elle rangea avec soin son porte-monnaie dans son sac à main qu’elle portait en bandoulière, s’empara de son gros sac de voyage qu’elle plaça aussi en bandoulière mais croisée, saisit les poignées de ses deux valises qu’elle tira d’un coup sec de chaque main pour les faire basculer puis rouler, et se décida à pénétrer dans le hall de l’hôtel dont la porte d’entrée totalement vitrée venait de s’ouvrir automatiquement, lui épargnant un effort supplémentaire mais la précipitant de nouveau dans l’air glacé d’une climatisation effrénée.
Une fois effectuées les formalités hôtelières d’usage, nécessairement commencées par un «   いらっしゃいませ   » ( Irashaïmasé ) 4 intelligiblement vocalisé par le jeune employé-tronc de l’accueil en chemise blanche, gilet noir, arborant sur le sein gauche un badge au nom de 川田幸安 (Kawada Yukiyasu) – elle n’était pas peu fière de ses vieux restes en matière de lecture de kanji 5 –, ce dernier lui glissa sur le comptoir, du bout des doigts qu’il avait fins, impeccables et non bagués, une petite pochette en carton ajourée qui laissait entrevoir la carte-clef de sa chambre, manifestement située au neuvième étage du bâtiment, si son interprétation très «   Madame Soleil   » du numéro 915 apparaissant en noir sur la carte ne s’avérait pas complètement farfelue. Elle remercia Kawada San d’une inclinaison appuyée de la tête, n’ayant pas encore tout à fait recouvré assez d’aplomb et de naturel pour se laisser aller à s’exprimer dans un japonais qu’elle aurait voulu irréprochable.
Elle se dirigea ensuite vers les ascenseurs, suivie d’un groom qui poussait un chariot à bagages sur lequel il avait opportunément, mais non moins méthodiquement, rangé les deux valises de chaque côté du gros sac pendant qu’elle réglait les détails de son arrivée à l’accueil. L’une des trois cabines d’ascenseur s’ouvrit, celle la plus à droite, et ils y pénétrèrent, elle en premier, le groom en second, le chariot en dernier. Ils se retrouvèrent seuls. Elle était complètement au fond et il lui tournait le dos. La largeur du chariot empêchait une trop grande mobilité malgré la taille plutôt ample de la cabine. Le groom appuya sur un bouton qui se colora alors d’un rouge métallique, au centre duquel se détachait, en noir, un «   9   ». Elle était décidément une vraie voyante. Durant l’attente que dura la montée, elle succomba à ce jeu furtif, si propre aux situations de promiscuité passive, qui consistait à lire dans la nuque de celui-qui-attend-devant-vous. Les cheveux épais, noirs et courts du groom s’arrêtaient en une ligne propre et nette qui dévoilait une belle peau mate, jeune et souple. Elle se plut à considérer la nuque de cet homme comme la carte postale d’un paysage de mer, séparé en deux par une ligne d’horizon. Au même moment, la porte aussi se sépara en deux, mais verticalement, laissant apparaître un couloir plutôt quelconque, dont la première porte sur la droite portait le numéro 901. Sans jamais se départir de son regard scrutant l’horizon du jeune homme, elle lui emboîta le pas alors qu’il poussait déjà le chariot en dehors de l’ascenseur. Plus elle fixait sa nuque, plus elle la trouvait charmante. Elle aurait eu envie de la masser. Ni taurine, ni fluette, c’était une nuque parfaite. Elle se dit du coup qu’une nuque bien faite chez un homme était tout simplement irrésistible. Sauf qu’elle savait plutôt bien résister aux hommes, leur préférant généralement les femmes, même

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